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Ce numéro est le fruit d’une sélection minutieuse des articles qui ont été présentés lors du IVe Colloque international sur la traduction économique, commerciale, financière et institutionnelle, qui s’est tenu à l’Université Française d’Égypte en décembre 2021. Il se concentre sur deux lacunes importantes dans la recherche en traduction économique. Premièrement, il examine la place de l’enseignement de ce type de traduction relativement à l’avancée de la traduction automatique et de l’intelligence artificielle. Deuxièmement, il aborde l’étude de nouveaux genres et domaines de la traduction économique qui ont été peu ou pas du tout étudiés jusqu’à présent.
À notre connaissance, bien que l’introduction de systèmes de traduction automatique puisse stimuler les exportations de certaines entreprises ou plateformes (Brynjolfsson, Hui et al. 2019), peu d’études ont été publiées ces dernières années sur l’application de la traduction automatique neuronale aux textes économiques, commerciaux ou financiers.
Shih (2013), consciente de l’importance d’intégrer la traduction automatique dans l’enseignement de la traduction commerciale, présente son expérience en adaptant des sites Web d’entreprises en chinois pour la traduction en anglais à l’aide d’un langage contrôlé. De même, Alcalde (2016) utilise le langage contrôlé pour proposer une activité initiale d’évaluation de l’applicabilité d’un traducteur automatique par la postédition d’un texte de divulgation financière contenant des métaphores et un style informel. En outre, d’autres publications évaluent l’utilisation de la traduction automatique. L’étude de Peraldi (2016), qui se concentre sur la traduction français-anglais de l’information financière réglementée, montre que la postédition brute (sorties brutes de traduction automatique) et la postédition évoluée (sorties de traduction automatique alimentée) nécessitent encore des corrections, mais « que le recours à la traduction automatique engendre une réduction significative des coûts comparativement à un processus classique de traduction » (2016 : 86). Une conclusion similaire est tirée dans l’étude de Läubli, Amrhein et al. (2019) sur la traduction allemand-français et allemand-italien dans le domaine bancaire et financier : « NMT post-editing allows for substantial time savings and leads to equal or slightly better quality in the Banking and Finance Domain ». L’étude de Fischer et Läubli (2020) dans le domaine des assurances, qui compare les efforts de postédition de textes issus de la traduction humaine et de la traduction automatique, montre que la traduction automatique peut atteindre une qualité remarquable dans des contextes spécifiques et que même dans certaines combinaisons, les efforts de postédition peuvent être moins importants qu’avec la traduction humaine. Liu (2020) souligne les limites des systèmes de traduction en matière de compréhension, de raisonnement, de cognition ou de concept, appliquées dans son cas à la traduction anglais-chinois des textes du Financial Times, et suggère que la postédition devrait se concentrer sur la compréhension des relations sémantiques et logiques des textes (2020 : 78). Dans une autre perspective, Martínez (2022) utilise la traduction automatique dans l’enseignement de la traduction français-espagnol de textes d’organisations économiques internationales comme outil d’identification des problèmes de traduction dans le but de développer la compétence de traduction de ses étudiants.
Le premier article de cette monographie s’ajoute à toutes ces études : « Traduction humaine et postédition : contrôle qualité en contexte académique ». Perrine Schumacher (Université de Liège) a mené une expérience contrôlée avec des étudiants, dans laquelle elle a comparé des traductions anglaises-françaises humaines à des traductions postéditées réalisées à l’aide de deux systèmes de traduction automatique pour trois textes, dont un économique. Les résultats de l’étude montrent que les textes postédités présentent une meilleure qualité que les traductions humaines. De plus, ils mettent en évidence que plus l’apprenant est faible en traduction humaine, plus il bénéficie de la postédition et vice versa, et que la qualité de la postédition dépend du système de traduction automatique utilisé. Ces résultats, nouveaux et parfois en contradiction avec des études antérieures, contribuent au débat sur l’actualisation de la formation des traducteurs, en lien avec la traduction automatique économique.
En effet, il est devenu de plus en plus urgent de se pencher sur l’enseignement particulier de la traduction économique en tenant compte des avantages et des inconvénients de la traduction automatique. Shih (2013 : 142) soutient la nécessité d’intégrer rapidement les technologies de traduction telles que la traduction automatique dans l’enseignement de la traduction dans le domaine des affaires pour développer des compétences professionnelles efficaces et productives, afin de répondre aux besoins du marché. En ce qui concerne la traduction arabe-anglais, Douar (2022) estime que « choosing the appropriate resources from the myriad of available options is urgent knowing that students prefer using electronic translation that is mostly available on their mobiles ». Perrine Schumacher elle-même souligne la « nécessité de sensibiliser les étudiants aux limites, toujours existantes, de cette technologie », car « c’est bien le traducteur humain qui demeure au coeur du processus de traduction, et il est urgent d’en prendre conscience et d’en faire prendre conscience ».
Les deux articles suivants de cette monographie portent précisément sur la formation des traducteurs. Dans les traductions automatiques de textes économiques et financiers, les « post-rédacteurs » semblent se heurter à un type d’erreur lié à la spécialisation du domaine et matérialisé par la terminologie, en particulier les erreurs de cohérence et de sens. Conscient de ce problème, Danio Maldussi (Université de Bergame), qui possède une expérience de plus de vingt ans dans le domaine de la traduction financière et de la formation des traducteurs, propose différentes notions qui représentent des points d’accès privilégiés aux schémas conceptuels des différents domaines de la traduction financière. Il est regrettable qu’il n’existe pas suffisamment de propositions didactiques renforçant la compétence thématique dans le domaine de la formation des traducteurs pour le domaine économique. Nous espérons que cette proposition sera solidement établie sous la forme d’une monographie à l’avenir.
Fayza El Qasem (Université Sorbonne Nouvelle – Paris 3), forte de son expérience en tant qu’enseignante, propose des exemples pertinents pour la traduction français-arabe dans le domaine de la technologie financière, soulignant les aspects conceptuels qui ne doivent pas être négligés dans la formation des traducteurs, les étudiants ayant souvent tendance à faire abstraction du processus de compréhension et à se concentrer sur la qualité syntaxique et stylistique des résultats de la traduction automatique, malgré les erreurs terminologiques et conceptuelles qu’elle peut dissimuler. Les réflexions de Fayza El Qasem sont suffisamment importantes pour justifier une étude approfondie dans une future monographie qui viendra s’ajouter à la liste de manuels spécialisés de traduction économique français-arabe, dont le dernier que nous connaissions est celui de Barrada et Elias (1992). Cette continuité de réflexion contribuera à améliorer la formation des traducteurs en soulignant l’importance de la compréhension des aspects conceptuels dans le processus de traduction. Ainsi, la qualité des traductions dans le domaine financier sera améliorée.
Une autre lacune que nous avons mentionnée au début de ce texte concerne l’étude des nouveaux genres et domaines de la traduction économique. Bien qu’il existe différentes classifications textuelles qui ont été récemment établies pour divers domaines ou secteurs, telles que la classification des textes pour la traduction économique et financière réalisée par Herrero et Román (2015), la taxonomie de textes pour la traduction dans le domaine du droit international des affaires proposée par Socorro (2015), ou encore la classification des manifestations textuelles les plus fréquentes dans le domaine professionnel du commerce extérieur réalisée par Álvarez (2017), de nombreux genres textuels exposés dans ces catégories n’ont pas encore fait l’objet d’une étude traductologique approfondie, comme cela est constaté dans les études menées en Espagne (Gallego 2020 : 77-94) ou en Europe (López 2023). Par conséquent, il reste encore beaucoup de travail à accomplir en termes de recherche. Dans cette optique, les trois articles suivants de cette monographie traitent de différents genres et abordent leur traduction de différentes manières.
Dans le cadre du projet PROADMIN, financé par le Fonds européen de développement régional (FEDER), María Pilar Castillo (Université de Córdoba), qui possède une expérience de traductrice assermentée d’espagnol et d’allemand, rend compte des textes économiques nécessitant une traduction assermentée dans la région andalouse de l’Espagne. En outre, elle analyse l’un des travaux les plus fréquents, à savoir un extrait du registre du commerce. Nous espérons que les résultats de Castillo et des autres membres du projet seront bientôt disponibles sur leur site Web, et qu’ils ne seront pas relégués aux oubliettes comme d’autres projets qui, bien que diffusés dans la littérature de traduction, n’ont jamais vu le jour.
L’article de Santamaría (Université internationale de La Rioja) et Alcalde (Université d’Alcalá) traite d’un type de document sur la durabilité environnementale dans le monde des affaires, qui a émergé à la suite d’avancées législatives en matière financière et qui est désormais une réalité de la traduction financière : le rapport de développement durable. Les autrices soutiennent que le type d’étude contrastive macro et micro-textuelle qu’elles présentent est fondamental pour une meilleure compréhension des textes inconnus des traducteurs. Grâce à leur vaste expérience dans la pratique, l’enseignement et la recherche en traduction financière – leurs publications comprennent notamment une monographie entièrement consacrée à la traduction financière (Alcalde et Santamaría 2019) –, nous ne pouvons qu’être convaincus par leurs arguments et espérer qu’elles continueront de nous faire découvrir de nouvelles réalités textuelles dans ce domaine.
Un autre domaine peu étudié dans la recherche sur la traduction économique concerne les ventes aux enchères. María Luisa Rodríguez (Université de Córdoba) a mené une analyse terminologique bilingue basée sur le lexique généré dans les différentes phases d’une vente aux enchères. Cette analyse ne met pas seulement en lumière l’uniformité ou le caractère des termes auxquels on a recours dans les ventes aux enchères, mais également les erreurs linguistiques présentes dans son propre corpus de textes originaux. Cela l’a conduite, entre autres, à fournir un glossaire bilingue pour aider les utilisateurs à employer correctement les termes en espagnol. Nous pensons que des travaux tels que celui-ci, qui veillent au bon usage de la langue, sont nécessaires, en particulier si l’on veut utiliser des formes espagnoles correctes.
Cette monographie se conclut par deux contributions extraordinaires. Charles-Guillaume Demaret (Université Paris Cité), avec plusieurs années d’expérience en interprétariat social ou communautaire, défend l’utilisation de théories pour définir la profession d’interprète pour les services publics. Certes, la théorie permet de mesurer des résultats et cette contribution d’améliorer la qualité des services offerts aux personnes concernées, vu son incidence significative sur la qualité des soins de santé, la justice et les services sociaux.
De son côté, Javier Franco (Université d’Alicante), créateur de BITRA, analyse dans le cadre du projet Tradeco (Traduction commerciale et recherche. Une étude bibliométrique) la recherche sur un type de traduction qui, bien qu’elle puisse être comparée à la traduction commerciale, car sa fonction principale est généralement économique et liée à la promotion de produits et de services, fait l’objet d’une attention particulière en traductologie en raison de sa modalité de traduction généralement libre : la traduction publicitaire. Plus précisément, l’auteur fait le point sur la recherche concernant ce type de traduction à l’aide d’indicateurs bibliométriques et de comparaisons avec la recherche sur la traduction économique.
Dans l’ensemble, l’objectif de ce numéro spécial est de collaborer à la recherche en traduction économique et en traductologie plus généralement, en proposant des contributions à la fois théoriques et réflexives, ainsi que des contributions empiriques fondées sur des méthodologies actuelles et récentes. Ces apports sont rédigés par des auteurs ayant une expérience professionnelle et académique, ce qui ajoute de la crédibilité à ces études. Cette approche équilibrée, qui combine théorie et pratique professionnelle, garantit une recherche pertinente et utile fondée sur les réalités du terrain. Ce numéro spécial peut aider à faire progresser les méthodes pédagogiques, les outils de traduction et la qualité des prestations de traduction. Ainsi, la recherche en traduction économique se voit confier une mission essentielle avec ce numéro spécial.
Appendices
Remerciements
Nous souhaitons exprimer toute notre gratitude aux membres de notre comité de lecture : Tanagua Barceló, Yasmine Barsoum, Bibiana Clavijo, Jeanne Dancette, Ahmed Darwich, Loïc Depecker, Ghada Echmawi, Pedro Fuertes, Nadia Gamal, Diego Guzmán, Mona Hachem, Jacqueline Henry, Peter Holzer, Geoffrey Koby, Saïda Kohel, Defeng Li, Danio Maldussi, Nihad Mansour, Robert Martínez Carrasco, Ana Medina, Patricia Minacori, Abir Mohamed Abdel Salam, Sahar Moharram, Leticia Moreno, Éric Poirier, Fayza El Qasem, Alessandra Rollo, Verónica Roman, Amal El Sabban, Racha Saleh, Lieve Vangehuchten, Christian Vicente.
Bibliographie
- Alcalde, Elena (2016) : La traducción automática y el lenguaje controlado en el ámbito de la traducción financiera. In : Estrella Martínez, Pura Raya et Xabier Martínez, dir. Investigación, desarrollo e innovación universitarios. Madrid : Ediciones Universitarias McGraw-Hill, 1-9.
- Alcalde, Elena et Santamaría, Alexandra (2019) : Aproximación a la traducción financiera inglés-español. Textos, términos y recursos documentales. Granada : Comares.
- Álvarez, Carmen (2017) : Los textos en el ámbito del comercio exterior : una taxonomía para la formación de traductores. Sendebar. 28:113-133.
- Barrada, Samia et Elias, Yousif (1992) : Traduire le discours économique : Implications didactiques pour la traduction français-arabe. Tanger : École Supérieure Roi Fahd de Traduction.
- Brynjolfsson, Erik, Hui, Xiang et Liu, Meng (2019) : Does machine translation affect international trade ? Evidence from a large digital platform. Management Science. 65(12):5449-5460.
- Douar, Aicha (2022) : Issues and perspectives on the electronic translation of shipping incoterms : FOB as a case study. Traduction et Langues. 21(2):230-248.
- Fischer, Lukas et Läubli, Samuel (2020) : What’s the difference between professional human and machine translation ? A Blind Multi-language Study on Domain-specific MT. In : André Martins, Helena Moniz, Sara Fumegaet al., dir. Proceedings of the 22nd Annual Conference of the European Association for Machine Translation. 22nd Annual Conference of the European Association for Machine Translation, Lisbonne, 3-5 novembre 2020. Lisbonne : European Association for Machine Translation, 215-224.
- Gallego, Daniel (2020) : Traducción económica e investigación en España. Estudio bibliométrico. Málaga : Comares.
- Herrero, Leticia et Román, Verónica (2015) : English to Spanish translation of the economics and finance genres. inTRAlinea. Special Issue : New Insights into Specialised Translation. https://www.intralinea.org/specials/article/english_to_spanish_translation_of_the_economics_and_finance_genres
- Läubli, Samuel, Amrhein, Chantal, Düggelin, Patrick et al. (2019) : Post-editing productivity with neural machine translation : an empirical assessment of speed and quality in the banking and finance domain. In : Mikel Forcada, Andy Way, Barry Haddow et Sennrich Rico, dir. Proceedings of Machine Translation Summit XVII. Volume 1 : Research Track. Machine Translation Summit XVII, Dublin, 19-23 août 2019. Dublin : European Association for Machine Translation, 267-272.
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- Socorro, Karina (2015) : Clasificación de textos comerciales en función de su grado de complejidad : una ayuda para la enseñanza de traducción. In : José Jorge Amigo, dir. Traducimos desde el Sur. Actas del VI Congreso Internacional de la Asociación Ibérica de Estudios de Traducción e Interpretación. VI Congreso Internacional de la Asociación Ibérica de Estudios en Traducción e Interpretación, Las Palmas de Grand Canaria, 23-25 janvier 2013. Las Palmas de Grande Canarie : Universidad de Las Palmas de Gran Canaria, 540-552.