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En ce début d’année 2009, nul ne peut prédire l’ampleur de la crise économique qui va faire suite à la crise financière qui a commencé à l’été 2007 et dont les manifestations les plus spectaculaires et les plus porteuses de conséquences ont eu lieu au cours de l’automne 2008. En revanche, il est sûr que nous ne faisons pas face à un simple épisode de ralentissement conjoncturel, comme nous en avons connu régulièrement, mais que nous sommes en face d’un mouvement profond, qui va durer longtemps, qui marque la fin d’une période et qui appelle de profondes mutations.
Une crise financière qui contamine le secteur réel
Les situations de crise financière ne sont pas des situations exceptionnelles dans l’histoire de l’économie. Les observateurs ont appris à associer six éléments qui caractérisent la crise. Le grippage au sens mécanique du terme constitue le premier élément : certains rouages de l’économie arrêtent de fonctionner et ne semblent pas être capables de se remettre en route. Le deuxième élément c’est la constatation a posteriori de dysfonctionnements profonds et durables. Ces dysfonctionnements sont souvent l’une des causes premières du grippage des marchés. Troisièmement, il y a crise quand on constate que des segments du marché sont dans l’incapacité de s’auto corriger ou que le temps de correction est excessivement long et la correction très imparfaite. Ce sont d’ailleurs des échecs de marché facilement repérables et identifiables qui constituent la quatrième caractéristique de la crise. Enfin on parlera de crise quand la solution à la situation largement dégradée passe par des changements structurels et quand l’intervention de l’état est nécessaire.
Que l’on regarde d’une façon ou d’une autre cette liste de critères, il ne fait pas de doute que ce que nous vivons depuis l’été 2007 est bien une crise majeure. Outre sa profondeur intrinsèque, cette crise est caractérisée à la fois par des phénomènes de contagion et des phénomènes de contamination. Il y a contagion quand les difficultés dans un secteur financier dans un pays se propagent au même secteur dans un ou d’autres pays. On parle aussi de contagion lorsque les difficultés d’un secteur financier entrainent des faiblesses dans d’autres secteurs financiers (on pourrait aussi parler de risque systémique). En revanche on parle de contamination lorsque la crise financière se propage du secteur financier au secteur réel. Nous savons bien que nous avons actuellement à la fois de la contagion et de la contamination.
Ainsi ce n’est pas simplement le système financier international qui est affecté, mais également toutes les entreprises à vocation internationale, dans leurs stratégies, dans leurs opérations et dans toutes les facettes de leur gestion.
Cette nouvelle réalité interpelle par ricochet le monde de l’enseignement et de la recherche dans le domaine des affaires internationales. Et donc les sujets traités dans les revues spécialisées et surtout l’angle sous lequel ils seront abordés vont se ressentir de ce nouveau contexte. Ce sera l’occasion de remettre en cause de vieux paradigmes, d’en développer de nouveaux. Un grand chantier d’observation et d’analyse s’ouvre pour les praticiens et pour les chercheurs.
Deux décennies contrastées
Entre 1987 et 1997, on a connu plusieurs épisodes de crises financières, toutes de nature différente; certaines d’entre elles étaient porteuses des signes précurseurs de ce que nous avons connu en 2007 et 2008. Ces dix années ont été suivies d’une décennie particulièrement calme sur ce front, entretenant peut être l’illusion que tout le travail d’analyse pour comprendre les crises et la mise en place de mécanismes de prévention avait bien porté fruit.
La crise des Savings & Loan (1987-1992) avait mis en évidence les dangers de l’inadéquation des financements des institutions financières et surtout des risques associés au manque d’appariement des actifs et des passifs. La vulnérabilité de ces institutions d’épargne au resserrement des conditions de crédit et à l’augmentation des taux d’intérêt s’était traduite à l’époque par la faillite de 747 d’entre elles. Mais, sans doute à cause de la nature de leur activités, cette crise n’avait pas débordé sur le secteur bancaire ni contaminé le secteur réel de l’économie. De cette crise on aurait du retenir que le coût d’une opération de sauvetage n’est pas une mince affaire puisque celui-ci s’était élevé à environ 150 milliards de dollars soit 3 % du PIB de l’époque.
De la crise asiatique (1997), beaucoup de leçons auraient du être apprises. Tout d’abord on aurait pu se rappeler qu’un long épisode de croissance continue peut être un facteur de fragilisation des banques. Des politiques très accommodantes et l’euphorie du crédit facile peuvent être suivies de façon quasi instantanée et inattendue d’un retournement d’attitude du secteur bancaire, soucieux de rétablir ses ratios d’endettement. La crise asiatique a aussi montré comment il est difficile de gérer une crise jumelle, à la fois crise bancaire et crise de change. Cependant , parce que cet épisode s’était concentré sur des pays émergents relativement proches et qu’il n’y avait pas eu de contagion aux économies des grands pays industrialisés, on avait un peu vite mis sur le compte de l’inexpérience des régulateurs et sur l’inadéquation des institutions locales cette crise , qui, bien que courte, aurait du être un révélateur des dangers inhérents au marché interbancaire, véritable vecteur de propagation des difficultés rencontrées par un segment des marchés financiers.
L’épisode de Long Term Capital Management quelque mois plus tard n’a pas conduit lui non plus les analystes à tirer toutes les leçons qui auraient pu être apprises. Cette crise n’a donné lieu à aucun effet de contagion ni à aucun effet de contamination du secteur réel. De plus comme les autorités fédérales ont été capables de résorber la crise sans avoir à utiliser de leurs ressources et comme la pression morale exercée sur les banques de la place de New York a été suffisante, les excès à la fois des effets de levier et des pratiques fort risquées et opaques des hedge funds n’ont pas été pris avec suffisamment de sérieux.
De la même façon, l’Amérique du Nord et l’Europe ont été des témoins très passifs de la grande crise japonaise, crise qui a débuté avec les années 90 et qui tout compte fait aura duré presque 10 ans. Il y a pourtant dans la crise japonaise des parallèles saisissants avec ce que nous vivons actuellement (bulles spéculatives à la fois dans l’immobilier et dans l’évaluation des titres en bourse, détérioration brusque et profonde de l’actif des banques sans possibilité pour elles de se recapitaliser par les mécanismes traditionnels du marché, contamination du secteur réel par le secteur bancaire, impuissance des autorités nippones à relancer l’économie, risques très sérieux de déflation, etc.) et pourtant cette crise, véritable laboratoire d’économie financière, n’a eu que peu d’influence sur l’encadrement des activités bancaires partout dans le monde. Les raisons à cette relative indifférence sont multiples : Tout d’abord il y avait la conviction que les singularités de l’économie japonaise, et en particulier d’adoption du modèle bancaire « rhénan », était en partie la cause de la situation. Dès lors la plupart des pays industriels, ayant plutôt une organisation de leur secteur bancaire selon le modèle anglo-saxon, devaient être à l’abri des dysfonctionnements observés au Japon. La séparation des activités bancaires et des activités industrielles avait donc bien les vertus que les japonais avaient oubliées durant la décennie glorieuse des années 80. Mais surtout, comme la crise japonaise n’avait pas contaminé les autres économies industrielles, le reste du monde, ne se sentait que peu concerné et même était un peu soulagé de voir que la machine financière, industrielle et commerciale japonaise, si brillante dix ans auparavant, était sérieusement handicapée.
L’illusion de l’invulnérabilité
Dix années de crise furent suivies de dix années de stabilité financière. Il est vrai que la décennie de crises avait conduit à un sérieux travail d’adaptation de la supervision bancaire. Les 25 principes de Bâle, largement adoptés par tous les pays, représentaient une modernisation des pratiques des autorités en charge du contrôle bancaire. À la même période on assista à la segmentation des activités de surveillance et des activités plus macro économiques des banques centrales. Des agences spécialisées de surveillance non seulement des banques, des institutions financières mais aussi de l’ensemble des marchés ont été créées. Il est remarquable qu’à la fin des années 90 on assista à un impressionnant mimétisme institutionnel qui reflétait d’ailleurs une forte uniformité dans l’acceptation des principes devant guider la surveillance des institutions et des marchés.
Cette uniformisation des pratiques a de plus été encouragée par l’acceptation généralisée du ratio universel de capitalisation. Le ratio Cooke d’abord, puis le ratio de capitalisation de Bâle II ont conduit toutes les banques et tous les régulateurs à épouser des principes de gestion similaires. Par ailleurs, les remarquables avancées théoriques dans le domaine du risque ont bouleversé les approches traditionnelles dans le management des institutions financières. Cette uniformisation des pratiques paraissait d’autant plus justifiée qu’elle s’appuyait sur des approches « scientifiques » et donc neutres.
Ainsi la modernisation de la surveillance bancaire et la conviction que les risques étaient mieux compris (et donc croyait-on mieux endigués) ont amené dans un premier temps certains succès en termes de stabilité du système financier, mais aussi un mimétisme de gestion et de stratégie des institutions financières, qui les ont conduites à des positions de plus en plus risquées.
A-t-on fait preuve d’un excès de confiance et cru à une certaine invulnérabilité ? Les faits sont là pour dire que ce fut sûrement le cas.
La fin d’une ère
Même si la route a été par moment chaotique, en particulier au moment de l’explosion de la bulle du secteur électronique en 2000, les 20 dernières années ont été des années de croissance soutenue dans les pays industrialisés et de croissance spectaculaire dans nombre de pays émergents. La crise actuelle marque la fin de ce cycle de 20 ans. La véritable euphorie qui s’était emparée de certaines économies (telles que les États-Unis, la Grande Bretagne ou l’Espagne par exemple) fait place à une profonde morosité. Ceci n’est pas sans rappeler l’atmosphère générale du Japon immédiatement après une décennie triomphante. Faut-il craindre pour les économies des pays industrialisés le syndrome japonais : dix ans de lutte contre la déflation et dix ans perdus en termes de croissance ? Faut-il se résigner à un contexte de taux d’intérêt quasi nuls qui, comme on le sait, dans le cas japonais, n’a absolument rien réglé ? Pour toute une génération de managers, le réveil est brutal. Les plus jeunes d’entre eux n’ont connu qu’un seul contexte, celui de la croissance. Comment sauront-ils s’y prendre dans un contexte de contraction durable ?
Inutile ici de revenir sur la responsabilité d’Alan Greenspan dont la politique aventureuse en matière de taux d’intérêt a largement encouragé les institutions financières et les entreprises à user et abuser de l’effet de levier. (De la même façon l’endettement éhonté du gouvernement fédéral américain n’a-t-il pas été encouragé par des taux nominaux et réels beaucoup trop bas ?) Maintenant, le désendettement des entreprises et des institutions financières devra se faire dans un contexte boursier qui rend impossible ou très onéreux la levée de fonds propres. Et ainsi, hélas, il n’y a peut être que deux scénarios possibles : une longue période de purge du surendettement ce qui prendra beaucoup de temps (et par nature le temps est incompressible !). Ou bien le recours à l’inflation pour effacer une partie des dettes. Encore faudrait-il être capable de susciter cette inflation et là encore l’exemple japonais nous montre que ce n’est plus si simple dans un contexte d’économie ouverte. Alors, stagnation et inflation ? Ce serait le retour à un contexte de triste mémoire : celui des années 70 et début des années 80. Quoi qu’il en soit, c’est une rupture avec la période récente de croissance sans inflation.
La crise actuelle est aussi sans doute la fin d’un certain paradigme érigé comme dogme : celui du pouvoir de l’autoréglementation, de l’auto correction des défaillances de marché et donc de la non intervention des autorités publiques dans l’économie de marché. L’ampleur sans précédent des plans de sauvetage du secteur bancaire et de certains secteurs industriels est en train de faire voler en éclat ce paradigme.
À l’évidence les mois qui viennent seront l’occasion par ailleurs de questionnements quant à l’efficacité de la seule politique monétaire pour réguler l’économie de marché. Bien des observateurs commencent à dire que nous avons demandé beaucoup trop à la seule politique monétaire. Les mécanismes de transmission des décisions des banques centrales semblent s’être déréglés et leur efficacité est de plus en plus asymétrique et mal adapté à un contexte de ralentissement prolongé. Après trente ans de mise en veilleuse, le keynésianisme refait surface et retrouve une seconde jeunesse. Là aussi nous sommes à la fin d’une certaine ère et au début d’une nouvelle période.
La question lancinante du statut du dollar, comme seule monnaie internationale, se posera aussi; peut-être pas à court terme, mais sûrement à moyen terme. La succession sans fins de déficits aux États-Unis et l’accumulation de réserves détenues par les banques centrales et les fonds souverains conduiront inévitablement à des pressions sur la devise américaine, lorsque tous ces détenteurs officiels pratiqueront sur une large échelle une gestion plus active de leurs réserves et de leurs avoirs. Ainsi, si la crise actuelle n’a pas engendré de désordres sur les marchés des changes, on ne peut écarter que des réalignements drastiques n’auront pas lieu.
Les répercussions sur le domaine du Management International
Le fait que nous rentrions dans une ère nouvelle va avoir des répercussions sur les principaux domaines d’étude du Management international et donc sur les articles écrits dans ce domaine.
On a, ci-après, identifié huit domaines susceptibles d’être affectés : quatre au niveau de l’environnement de la firme agissant dans un cadre international et quatre au niveau du management de ces firmes.
1. Peut-on craindre un retour du protectionnisme ?
Les 20 dernières années marquées du sceau de la prospérité ont aussi été celles où la mondialisation a connu ses plus grands progrès. Ceci a été entre autres possible grâce à l’ouverture des frontières et l’augmentation considérable du commerce international. Malgré les mutations structurelles que cela a pu engendrer, malgré les effets souvent dénoncés des délocalisations, les États des pays industrialisés ont résisté à la tentation de remettre en cause cet état de fait, la croissance faisant admettre le côté inévitable de ces mutations. Mais dans un contexte de très fort ralentissement, voire de décroissance, cette attitude ne risque-t-elle pas de changer ? La pression politique risque bien de se faire plus forte et cela pourrait amener à une remise en cause de cette liberté de mouvement des marchandises. Bien sûr les États Unis seront à surveiller dans ce domaine, en particulier dans leurs relations avec la Chine, le jour où ils devront adresser entre autres le rééquilibrage de leur balance commerciale. Les velléités de renégocier l’accord de libre échange avec le Mexique et le Canada semblent mises de côté à court terme, mais on ne peut oublier que ce thème avait connu un certain succès durant les primaires de l’élection présidentielle. Était-ce un signe avant coureur ?
2. Jusqu’ou ira le mouvement du retour de la réglementation ?
Le pendule de la réglementation-déréglementation est sur le point de se retourner. Le courant de déréglementation qui domine la pensée économique depuis un peu plus de vingt ans se heurte au plus grave échec de marché depuis la Grande Dépression. Il est inéluctable qu’un nouveau cadre réglementaire va se mettre en place. Plusieurs questions se posent à ce propos. Tout d’abord, se contentera-t-on d’une reréglementation du secteur financier, ou faut-il prévoir que d’autres secteurs seront touchés ? Assistera-t-on dans les années qui viennent à une forme de compétition réglementaire entre les principaux pays ? L’harmonisation de cette réglementation internationale sera-t-elle du domaine d’institutions déjà en place ou verra-t-on émerger de nouvelles institutions ? À titre d’exemple, il est fort probable que la politique de la concurrence qui a beaucoup perdu de son prestige au cours des 20 dernières années refasse surface aux États-Unis. Mais dans un contexte de mondialisation, quelle institution internationale a actuellement un mandat clairement défini à ce propos ? La Commission européenne joue un peu ce rôle, mais bien sûr elle n’a aucun pouvoir, par exemple, en cas de fusions ou acquisitions en Asie.
3. Entrons-nous dans une ère nouvelle des relations entre les états et les entreprises ?
Si, comme il est vraisemblable, la crise économique actuelle nécessite une intervention massive des états, comme cela semble se dessiner, la nature des relations entre les entreprises et les états va évoluer. Il est illusoire de penser que l’intervention gouvernementale n’aura pas une contrepartie (par exemple lors des projets de délocalisation, en matière d’investissement direct étranger, en matière de subventions). On peut s’attendre aussi à ce que les gouvernements ne puissent résister à la tentation du micro-management dans des domaines comme la rémunération des cadres et dirigeants, voire même la politique de dividende. Y aura-t-il là aussi une compétition entre les pays ou entre les zones géographiques ?
4. Les économies émergentes peuvent-elles tirer avantages de la crise ?
Il sera intéressant pour les spécialistes en affaires internationales de comparer comment les pays émergents vont être affectés par la crise économique actuelle. Deux conceptions s’opposent; selon la première, au cours de la vague de prospérité qui vient de s’achever les économies émergentes ont augmenté considérablement leur intégration à l’économie mondiale et donc elles subiront de plein fouet les effets de contagion de la crise; selon la seconde, certaines de ces économies émergentes vont pouvoir compter sur de vastes marchés intérieurs pour compenser la perte de leurs débouchés d’exportation. En fait, parce que les pays émergents ne sont pas homogènes, on risque fort d’avoir toute une panoplie de réponses à la crise. Ce sera pour les observateurs une belle occasion de proposer de nouvelles nomenclatures de ce monde des pays émergents.
5. Quel sera l’impact sur le financement des entreprises internationales ?
Il y a eu un parallélisme frappant entre la croissance de l’activité des entreprises à vocation internationale et le développement des marchés internationaux des capitaux. Trouver des fonds soit par émission de dette soit par le biais de prêts bancaires consortiaux n’a pas été un problème insurmontable pour les entreprises. Certes il y a eu des épisodes au cours des 25 dernières années où les fonds ont été plus difficiles à mobiliser, mais ces changements temporaires reflétaient les fluctuations classiques et prévisibles du cycle économique. À des périodes d’abondance de fonds succédaient des périodes de restriction, ce qui se reflétait par des rétrécissements ou des accroissements des marges. Mais nous faisons face actuellement à une situation fort particulière. À court terme, en tout cas au cours des deux prochaines années, un très sérieux problème va se poser : celui du refinancement des obligations internationales arrivant à échéance. On le sait, lorsque le marché obligataire est peu accueillant, les entreprises internationales avaient l’habitude de trouver sur le marché des prêts bancaires les relais dont ils avaient besoin. Or les banques ne peuvent ou ne veulent augmenter leurs crédits. Alors où est la solution pour les entreprises internationales qui depuis plus de 20 ans ont accru leurs dépendances de ces marchés internationaux ?
6. Va-t-on assister à une reprise de la longue bataille théorique portant sur la structure optimale du capital ?
S’il y a un consensus actuellement c’est que les institutions financières et les trésoriers des entreprises ont beaucoup trop abusé de l’effet de levier. Et ainsi ce que la crise actuelle a rappelé c’est que si l’on tient compte du risque systémique, le coût du capital n’est pas indépendant du taux d’endettement : il croit avec l’augmentation de l’endettement, dès que l’on dépasse un certain seuil. Dès lors les faits tels qu’on les observe actuellement viennent contredire les propositions bien connues de Modigliani-Miller. On sait que le débat entourant cette question de la structure optimale du capital, tant dans un cadre domestique que dans un cadre international, a animé toute une génération de chercheurs, sans que l’on soit arrivé à des conclusions très convaincantes. Le débat risque de reprendre dans le nouveau contexte dans lequel nous rentrons et ceux dans deux directions : la structure optimale du capital de la firme multinationale, dans son ensemble et la structure du capital de la maison mère en comparaison de la structure de ses filiales à l’étranger.
7. Faut-il remettre en question les modèles de risque et réévaluer les instruments de gestion des risques ?
Les accidents majeurs sur les marchés financiers ont porté sur des instruments de transfert de risque (par exemple dans le cas de la titrisation) ou de gestion de risque (par exemple dans le cas des swaps de crédit). Il est clair que les régulateurs dans le monde entier vont réexaminer ces produits et revoir toute la chaine de responsabilité en cas d’échecs (y compris la place des agences de notation). Les défenseurs de Bâle II ont beau dire que la crise est la démonstration que le travail sur la capitalisation bancaire a évolué dans une bonne direction en mettant l’accent sur la mesure et la gestion des risques, force est de constater qu’il y a de gros progrès à faire. Il est bien certain que le travail des régulateurs sur les marchés financiers aura des répercussions sur la panoplie des instruments à la disposition des entreprises. Ainsi certaines pratiques qui sont devenues classiques dans la gestion au jour le jour d’entreprises à vocation internationale vont devoir être réévaluées. Attendons nous par ailleurs à une évolution des normes comptables tant au niveau domestique qu’international.
8. La crise remettra-t-elle en cause le déploiement international des entreprises ?
Les historiens de l’économie et des affaires internationales font souvent allusion au fait qu’une forme de mondialisation était une réalité à la fin du XIXème siècle. Certains parlent d’une première vague de mondialisation qui aurait déferlé de 1860 à 1914. Cette première internationalisation s’est faite autour de pôles de croissance de l’activité mondiale et par le rapprochement des économies de la périphérie des pratiques des pays les plus avancés industriellement et dans le cadre d’un large consensus quant au rôle moteur joué par l’accroissement des échanges internationaux. La guerre, la compétition entre systèmes économiques et la dépression ont eu raison de ce consensus et l’on a vu réapparaitre une idéologie de protectionnisme et de repli sur soi. Il faudra 40 ans à peu près pour que l’on redécouvre les vertus de l’abaissement des tarifs douaniers, de l’intégration des économies et enfin de la mondialisation. Et les acteurs de cette deuxième vague de mondialisation ont été les entreprises. Face à la nouvelle situation créée par la crise actuelle, sommes-nous là aussi face à un tournant ? Après une longue période d’intégration des économies et de déploiement international des entreprises, allons-nous connaitre un temps d’arrêt et observer un repli des entreprises sur leurs territoires d’origine ? Ces questions auront besoin de réponses.
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La crise économique majeure que nous vivons est, comme nous l’avons dit la fin, d’une ère et donc le point de départ de nombreuses remises en cause. Pour les spécialistes des affaires internationales et du management international elle fournira des nombreuses opportunités d’observations et de renouvellements des analyses.