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Dans un article publié en 1998, au titre évocateur « Location and the multinational enterprise : a neglected factor ? », Dunning incite les stratèges à reconsidérer les avantages liés à la localisation dans l’analyse de la multinationalisation des firmes. Il souligne la spécificité de la logique guidant le choix de la localisation de l’investissement étranger par rapport à celle qui oriente les décisions de localisation à l’intérieur des frontières. La recommandation de l’auteur se comprend à travers la lecture du paradigme OLI (Dunning, 1981). Ce paradigme propose une approche globale (« éclectique ») des facteurs explicatifs de l’investissement étranger. En résumé, si une firme investit à l’étranger, ce qui suppose un avantage à l’internalisation (I), cela signifie qu’elle s’installera là où les avantages de la localisation (L), lui permettent d’utiliser au mieux ses avantages spécifiques (O). Dans une version actualisée de son paradigme (Dunning et Lundan, 2008), l’auteur précise, dans un cadre dynamique, l’interdépendance des différentes variables, notamment celles qui relèvent de l’avantage spécifique de la firme (O) et de l’avantage comparatif de la localisation (L). Si dans un premier temps, la composante L de l’activité étrangère d’une firme multinationale (FMN) lui permet d’exploiter un avantage spécifique, il se peut qu’ensuite, la qualité de son insertion en local lui permette de se doter de nouvelles ressources et d’acquérir de nouveaux avantages spécifiques O (Dunning, 2009, p. 23). L’enjeu pour la FMN est ainsi de définir les modalités de l’investissement international lui permettant d’accéder au mieux aux ressources en local.

Pour justifier la spécificité du développement à l’international, de nombreux travaux en management international ont porté leur attention sur la difficulté que pouvait constituer la gestion « à distance » pour une FMN, cette distance étant non seulement géographique mais également culturelle, administrative et économique, selon la typologie proposée par Ghemawat (2001). Au-delà de la seule contrainte géographique, cette typologie souligne les multiples sources de la distance « psychique » qui, comme l’ont souligné Johanson et Vahlne dans le modèle d’Uppsala (1977), conditionne le développement à l’international d’une firme à la perception des dirigeants de la distance qui les sépare des marchés étrangers. Dans les secteurs intensifs en connaissance, d’autres auteurs soulignent également la nécessaire prise en compte de la distance technologique (Angué et Mayrhofer, 2010; Hagedoorn, Cloodt et van Kranenburg, 2005).

Dans le même temps, pour les FMN, le besoin de proximité n’a cessé de croître, les ressources intangibles et plus précisément les connaissances tacites devenant l’élément clé de l’avantage concurrentiel (Dunning et Lundan, 2008; Chung et Alcacer, 2002; Le Bas et Sierra, 2002). En référence au concept de distance, celui de proximité ne peut également s’entendre uniquement au niveau géographique. En reprenant la typologie de Boschma (2005), elle peut être cognitive, organisationnelle, sociale et institutionnelle. Selon cette perspective, la capacité de la FMN à créer un réseau de proximité en local peut conditionner la réalisation de l’investissement étranger.

Cet article propose une analyse des stratégies de localisation basées sur les ressources, dont l’objectif est moins l’exploitation d’un avantage spécifique détenu ex ante par la FMN que l’activation de nouvelles ressources sur un territoire étranger. Il vise précisément à caractériser le choix de localisation de l’investissement étranger qui s’appuie sur cette stratégie. En considérant les ressources comme les éléments constitutifs de l’avantage concurrentiel de la firme (Barney, 1991) et comme les éléments clés de sa dynamique de croissance (Augier et Teece, 2007; Meyer, Wright et Pruthi, 2009; Penrose, 1959; Teece, Pisano et Shuen, 1997), celles créées en local par les acteurs du territoire d’implantation peuvent être la clé pour expliquer la localisation de l’investissement étranger.

Dans une première partie, nous interprétons les stratégies de localisation en adoptant une approche par les ressources et énonçons des propositions pour la recherche. Est présenté dans la deuxième partie le processus méthodologique. Dans la troisième partie, sont présentés les résultats qui témoignent de la spécificité du choix de localisation de l’investissement étranger des FMN dont l’objectif est l’activation de ressources du territoire local.

Les stratégies de localisation : une approche par les ressources

Dans le cadre de l’analyse de la localisation des activités, deux principales forces sont isolées, l’une qui conduit à leur dispersion, l’autre à leur agglomération (Krugman, 1991). La dispersion s’explique principalement par la volonté des firmes de réduire l’intensité concurrentielle que peut induire une localisation à proximité. L’agglomération se justifie par le bénéfice que les firmes tirent d’une présence à proximité. Si ces deux forces, au coeur des modèles de la Nouvelle Economie Géographique, permettent d’éclairer les processus qui président à la localisation en identifiant les concepts clés, elles n’en donnent qu’une vision stratégique appauvrie (Buckley, Devinney et Louviere, 2007). De notre côté, nous nous inscrivons dans un ensemble de travaux qui analysent les stratégies des FMN en adoptant une approche par les ressources (Meyer, Wright et Pruthi, 2009; Peng, 2001; Pitelis, 2007; Tallman et Fladmoe-Lindquist, 2002) et cherchons plus précisément à identifier les propriétés des ressources qui expliquent les choix de localisation de l’investissement étranger.

Les ressources de la firme et les mecanismes d’activation

Les ressources peuvent être définies comme un ensemble complexe d’atouts susceptibles de procurer à la firme un avantage concurrentiel. Dans le prolongement de Penrose (1959), l’approche par les ressources insiste sur l’idiosyncrasie et la mobilité restreinte des ressources pour expliquer l’hétérogénéité des firmes aux niveaux organisationnel et stratégique. De façon générale, sont distinguées les ressources tangibles et intangibles. Les ressources tangibles concernent tous les éléments d’une firme ayant une existence physique. Les ressources intangibles, également appelées les aptitudes, désignent les potentialités d’ordre supérieur d’une firme, notamment les compétences (Hamel et Prahalad, 1990) et les capacités dynamiques (Teece, Pisano et Shuen, 1997).

Les ressources de la firme ne lui permettent de se procurer un avantage concurrentiel que si elles sont activées, c’est-à-dire, transformées en actifs stratégiques valorisables, rares, difficiles à imiter et non substituables. L’activation peut se réduire à un processus immédiat d’acquisition des ressources en interne mais peut renvoyer également à la construction d’actifs dans la durée au sein d’un réseau de firmes selon un mode partagé (Saives, 2002, p.74). Du fait des propriétés des actifs stratégiques, Dierickx et Cool (1989, p. 1507) considèrent qu’il est logique de préférer une activation en interne plutôt que de passer par le marché. Cela empêche toute imitation car le concurrent ne peut identifier exactement la contribution de chacun des actifs à la constitution de l’avantage concurrentiel. Néanmoins, cet argument ne permet pas de rendre compte du développement des partenariats que nouent les firmes avec les acteurs extérieurs et qui lui permettent d’améliorer son avantage concurrentiel.

Au sein de l’approche par les ressources, Dyer et Singh (1998) assouplissent ce point de vue en considérant que l’intégration de la firme à un réseau, du fait des échanges de connaissances, participe à la construction de son avantage concurrentiel en lui permettant de bénéficier d’une rente relationnelle. Cette incitation à l’échange avec des partenaires externes est d’autant plus importante que la firme ne peut accéder seule à l’ensemble des ressources nécessaires à la construction d’un actif stratégique (Kogut, 2000), notamment lorsque celui-ci porte sur des connaissances non codifiables (Kogut et Zander, 1996). Au sein du réseau, elle bénéficiera de ressources externes lui permettant de créer de nouvelles combinaisons.

La localisation de l’investissement étranger : le choix des ressources territoriales et la question de leur activation

Aborder la question de la localisation de l’investissement étranger sous l’angle des ressources nous conduit à nous intéresser particulièrement aux stratégies multinationales guidées par la recherche de ressources critiques, de type « resource seeking » ou « strategic assets seeking » (Dunning, 1993; 2008) vers lesquelles s’orienteraient de façon croissante les FMN (CNUCED, 2005; Tallman et Fladmoe-Lindquist, 2002). Nous devons donc définir les propriétés de ces ressources recherchées en local et déterminer notamment leur dimension territoriale.

Nous considérons qu’une ressource est « territoriale » si elle est peu mobile, c’est-à-dire attachée au territoire, et principalement de nature tacite, résultant du jeu des acteurs localisés. Dans la configuration inverse, si la ressource recherchée est parfaitement mobile, n’importe quelle localisation est éligible pour la FMN puisqu’il lui suffit de la faire venir à elle. Si la ressource est peu mobile, se pose alors la question de l’accessibilité du territoire pour la FMN qui souhaite l’activer. Nous pouvons supposer que la FMN sera le plus souvent conduite à choisir parmi les territoires qui développent les ressources clés, celui qui est le plus accessible. Elle doit être ensuite principalement de nature tacite. Cela renvoie à la distinction entre information et savoir-faire évoquée par Kogut et Zander (1992). Si une ressource immatérielle clé repose par exemple sur un savoir et/ou un savoir-faire non codifiable émanant des acteurs ancrés sur un territoire, en bénéficier suppose pour la FMN de s’y implanter. Ces ressources intangibles supposent pour être activées une présence à proximité. Elles résultent principalement du jeu des acteurs localisés, à savoir d’un développement territorial tiré par des processus d’apprentissage et d’innovation. En reprenant la terminologie de l’Ecole Française de la Proximité, ces ressources territoriales deviennent dès lors « spécifiques » (Pecqueur, 2007, p. 51), n’existant qu’à l’état virtuel et ne pouvant être transférées.

Cela nous conduit à poser notre première proposition de recherche :

Proposition 1 : Lorsqu’une FMN investit sur un territoire étranger, elle cherche à activer des ressources territoriales dont elle ne peut bénéficier initialement en interne et/ou en recourant à une simple logique marchande.

Lors du choix de la localisation d’un investissement étranger par une FMN, il s’agit dès lors d’aborder la question de la réduction du champ des possibles. Nous considérons que le choix de la localisation de la FMN va reposer sur sa capacité à activer les ressources et plus précisément à construire un réseau de proximité. La proximité peut être considérée comme un catalyseur de l’activation des ressources territoriales (Saives, 2002). La proximité géographique permet à l’entreprise d’internaliser des ressources territoriales suivant un mode d’activation simple (exemple : l’embauche d’individus à fortes compétences). Mais si la FMN cherche à mobiliser le potentiel de la proximité géographique en développant les échanges avec les autres acteurs localisés, une dimension supplémentaire traduisant un mode d’activation complexe doit être ajoutée. Rallet et Torre (2004, p. 27) utilisent ainsi le concept de « proximité organisée » qui renvoie à la capacité qu’offre une organisation de faire interagir ses membres.

Le choix de la localisation de la FMN concrétise ainsi la rencontre productive (Zimmermann, 2008) entre d’un côté la FMN, porteuse du projet, et le territoire, doté de ressources spécifiques. Cette rencontre suppose que les ressources du territoire soient visibles à l’international et que la FMN juge être en capacité de les activer. Comme le soulignent Pitelis et Verbeke (2007, p. 144), le choix de localisation de l’investissement étranger est déterminé par « l’adéquation perçue entre les opportunités productives et l’attractivité supposée de la localisation pour exploiter de telles opportunités ». La rencontre productive s’accompagne ainsi d’une interdépendance croissante entre la FMN et les acteurs localisés c’est-à-dire « une collaboration dans le partage des informations et la résolution des problèmes, une coopération dans la répartition des ressources et une mise en oeuvre collective » (Bartlett et Ghoshal, 1989, p. 140).

Nous posons ainsi notre deuxième proposition qui caractérise la logique suivant laquelle la FMN va orienter le choix de localisation :

Proposition 2 : La capacité de la FMN à activer les ressources territoriales spécifiques au sein d’un réseau de proximité guide son choix pour la localisation de l’investissement étranger.

La gestion « des » distances et du positionnement de la filiale étrangère

Pour la FMN, la rencontre productive qui suppose la création d’un réseau de proximité est d’autant plus délicate qu’elle se heurte à la distance culturelle, administrative, géographique, économique voire technologique par rapport aux acteurs locaux (Ghemawat, 2001; Hagedoorn, Cloodt et van Kranenburg, 2005). Les obstacles que peut rencontrer une FMN étrangère désireuse d’intégrer un cluster intensif en R&D sont, par exemple, liés à la concurrence forte que se livrent les firmes pour attirer et fidéliser une main d’oeuvre qualifiée hautement spécialisée. Ils s’expliquent par les barrières notamment sociales et culturelles, érigées au sein des réseaux locaux de firmes. La probabilité de l’existence de ces barrières limitant l’insertion de la filiale étrangère s’accroît avec la distance institutionnelle séparant la FMN et le territoire d’accueil. La distance institutionnelle comprend, selon Kostova et Zaheer (1999, p. 68), la différence ou la similarité entre les environnements institutionnels en termes de réglementation, de cognition et de normes. Selon Xu et Shenkar (2002, p. 610), la distance institutionnelle va avoir un impact direct sur le choix de localisation de l’investissement étranger. La légitimité de la présence de la FMN en local ne pourra être établie que si, en termes de distance institutionnelle, l’environnement est en « adéquation avec les attributs de la firme » (ibid.). Selon notre angle d’analyse, qui fait de la proximité une condition de l’activation des ressources territoriales, la FMN est d’autant plus soumise à ces forces institutionnelles.

La question de l’activation des ressources territoriales nous conduit également à nous intéresser au rôle de la filiale qui porte l’investissement étranger. Mudambi (2002) rend compte du rôle pivot de la filiale en isolant trois principaux flux de connaissance : les flux qui vont de la filiale au siège, les flux qui vont de la filiale au territoire d’implantation et les flux qui vont du territoire d’implantation à la filiale. La recherche nous conduit à nous concentrer sur les deux derniers flux qui supposent une capacité d’apprentissage, d’absorption, du côté de la filiale, et l’existence de retombées technologiques, ou d’une atmosphère industrielle, du côté du territoire. Elle implique un rejet de la vision « monolithique » (Birkinshaw, 2001, p. 387) et « centrique » (Hennart, 2009) de la FMN, en reconnaissant la spécificité des ressources développées au sein de la filiale étrangère.

Notre deuxième proposition de recherche renvoie au contexte institutionnel et soulève plus directement la question de l’encastrement institutionnel de la filiale. Cet encastrement permet le développement des relations de la filiale avec son environnement local. Il constitue à ce titre une condition de son ancrage local, notamment lorsque l’activité est intensive en connaissance (Andersson, Forsgren et Holm, 2002). Les responsables des filiales étrangères peuvent jouer un rôle essentiel pour gérer la « dualité institutionnelle » (Kostova et Roth, 2002) à laquelle ils sont confrontés : ils subissent à la fois les pressions de l’environnement dans lequel la filiale est encastrée (environnement légal, local, régional, national) et les pressions organisationnelles du siège (Mayrhofer, 2011; Vora, Kostova et Roth, 2007). Ils peuvent ainsi être des interlocuteurs précieux pour mieux contextualiser le choix de localisation de l’investissement étranger de la FMN.

Le processus méthodologique

Délimiter le champ de la recherche à l’étude de la localisation des projets d’investissement étranger appartenant à un même secteur et dirigés vers un même territoire doit nous permettre dans une certaine mesure de réduire la diversité des logiques de localisation, d’identifier celles qui reposent sur une stratégie basée sur les ressources et de les confronter à nos propositions de recherche. Nous allons présenter le champ de la recherche, justifier le choix d’une analyse quantitative et préciser le contenu du questionnaire de l’enquête.

Le champ de la recherche

Nous nous concentrons sur la localisation des projets d’investissement étranger dans le secteur des Technologies de l’Information et de la Communication (TIC). Avant d’aborder les considérations pratiques plusieurs éléments justifient le choix de ce secteur.

La recherche doit être portée dans un champ cohérent et exploitable. A ce titre, la définition du secteur des TIC est précise en termes de codification statistique d’activités (OCDE, 2006) et largement reprise, ce qui permet de mieux positionner notre analyse. La recherche est ensuite d’autant plus pertinente qu’elle se porte sur des activités intensives en connaissance. Or selon, Barrios, Mas, Navajas et Quesada (2008, p. 7), le secteur des TIC se distingue des autres secteurs par la prédominance de la connaissance et des autres ressources intangibles au sein de la chaîne de valeur. Enfin, les activités de ce secteur tendent à être plus concentrées spatialement que d’autres types d’activités plus traditionnelles (ibid., p.14).

Le choix du territoire influe sur l’analyse des déterminants de la localisation. Nous avons choisi de nous concentrer sur la localisation des projets d’investissement étranger en France. La France est un terrain pertinent pour l’analyse à plusieurs titres. L’étude réalisée par Barrios, Mas, Navajas et Quesada (2008) au niveau européen met en évidence à la fois sa relative spécialisation et son attractivité dans ce secteur. La problématique de la recherche trouve également un certain écho avec la politique des pôles de compétitivité mise en oeuvre en France depuis 2004. Parmi les 16 pôles labellisés de dimension mondiale, cinq sont clairement orientés vers les TIC (Minalogic, SCS, Systematic, Images et Réseaux, Cap Digital).

La population d’étude est composée à partir de la base de données de l’Agence Française pour les Investissements Internationaux (AFII, 2007) qui couvre la période 1993-2007. Cette base recense les projets d’investissement internationalement mobiles (PIIM). L’investissement est qualifié de mobile s’il peut être réalisé avec des caractéristiques comparables dans différentes localisations. Sont retenues principalement les opérations de création, d’extension ou de reprise et sont exclues les opérations de fusion-acquisition (hors-reprise), de partenariat ou de sous-traitance. Sont reportées les informations relatives au secteur d’appartenance, à la taille du projet, à la fonction à laquelle il est dédié (production, centre de R&D, prestations de services, bureau commercial, service administratif ou quartier général, centre d’appels, distribution), au pays d’origine de la maison-mère et à la localisation (au niveau communal).

Nous avons procédé à la codification des 7161 projets de la base suivant la norme de l’INSEE en identifiant chaque filiale qui porte le projet par son code SIRET et son code NAF. Suivant trois critères principaux (appartenance au secteur des TIC, filiale en activité toujours sous le contrôle d’une FMN étrangère et projet effectivement mis en oeuvre), 609 projets, qui concernent 531 filiales, ont été retenus. Ces PIIM auraient permis la création de 39445 emplois. La décomposition de la population d’étude en type d’opération est la suivante : 352 projets renvoient à la création d’une filiale, 220 à l’extension d’un site existant et 37 à une opération de reprise. 80 % des projets ont été réalisés après le début de l’année 2000. Un élément caractéristique de la population d’étude renvoie à la nationalité d’origine de la FMN. Les FMN d’origine américaine portent près d’un projet sur deux.

Le choix d’une analyse quantitative

L’angle de recherche adopté, reposant sur l’approche par les ressources et considérant principalement l’immatérialité des ressources pour interpréter les stratégies de localisation, nous conduit à faire face à une difficulté méthodologique. En reprenant le vocabulaire de l’approche par les ressources, les ressources pour être compétitives doivent être valorisables, rares, non imitables et non substituables; c’est-à-dire pour le chercheur, peu identifiables et difficilement mesurables. A cet égard, Lorino et Tarondeau (2006, p. 319) considèrent que le chercheur essayant d’expliquer la performance des firmes par la spécificité des ressources mobilisées doit dans un premier temps « observer les processus plutôt que des ressources » pour la simple raison que « les processus sont plus facilement observables que les ressources et les compétences qu’ils mobilisent » (ibid., p. 324). Si l’objectif de notre recherche est moins l’explication de la performance de la firme que la compréhension du choix de la localisation, nous prenons en considération ces recommandations pour l’étude empirique. Nous évaluons ainsi le mode d’activation des ressources mis en oeuvre pour le développement de l’investissement étranger : s’agit-il d’une internalisation simple ou les liens avec les autres acteurs en local ont-ils leur importance ? En d’autres termes, les processus mis en oeuvre sont considérés comme les révélateurs des ressources territoriales recherchées.

La construction du questionnaire de l’enquête

Pour dégager les grands types de comportement stratégique des FMN étrangères en matière de localisation, nous adoptons une approche quantitative au moyen d’une enquête par questionnaire. L’enquête permet de procéder à une collecte de données standardisées auprès d’un nombre important de filiales.

La collecte des données primaires s’effectue auprès des directeurs des filiales des FMN étrangères. Ce choix n’est pas sans conséquence. La position des managers au sein de l’organisation influence en effet leurs perceptions des décisions de localisation (Buckley, Devinney et Louviere, 2007, p. 1071). Il est guidé en partie par des considérations pratiques.

Conformément à nos propositions de recherche, une première partie du questionnaire vise à recenser l’ensemble des facteurs qui auraient influencé le choix de la localisation de la FMN. Deux autres parties sont consacrées à l’évaluation de l’influence des acteurs présents sur le territoire et à l’évaluation des liens de la filiale avec les autres acteurs du réseau local. Le répondant est invité à préciser la forme d’organisation territoriale la plus adaptée pour qualifier le réseau territorial sur lequel la filiale est implantée en local : « technopole », « commune ou agglomération urbaine », « centre d’affaires », « zone d’activité » « Autre (établissement isolé …) ».

Pour mesurer le degré d’influence des différentes variables sélectionnées, nous avons opté pour l’échelle de Likert. Il est ainsi demandé au répondant de se placer sur un continuum allant de l’influence nulle (notation à 0) à la très forte influence (notation à 5). L’avantage de ces échelles est qu’elles se prêtent à l’analyse quantitative. Leurs réponses peuvent être considérées comme des variables quantitatives ou métriques et donner lieu à des traitements statistiques.

Les choix de localisation de l’investissement étranger et leurs rapports au territoire local

L’objectif de la recherche qui est d’analyser le choix de localisation de l’investissement étranger orienté vers l’activation de ressources en local nous conduit à distinguer les stratégies de localisation des FMN au sein de l’échantillon d’analyse. Néanmoins, avant de détailler les différentes logiques stratégiques et de les confronter à nos propositions de recherche, nous précisons les caractéristiques de l’échantillon ainsi que la procédure conduisant à l’identification et à l’analyse des stratégies de localisation.

Les caractéristiques de l’échantillon d’analyse

Sur les 531 directeurs de filiale susceptibles d’être interrogés, 92 ont répondu. Ce qui fait un taux de retour d’un peu plus de 17 %. La validité externe de la recherche, qui suppose la généralisation des résultats de l’échantillon à la population d’étude, apparaît donc fragile. Néanmoins, en pratique, ce taux peut être considéré comme satisfaisant.

Le degré d’implication des répondants dans le processus de choix de la localisation est très important. Plus de la moitié (49) déclarent une implication très forte dans le processus de décision (5 sur une échelle de 0 à 5). Seuls 14 répondants considèrent comme faible leur implication dans le processus (indice < 2). Sans y être fortement impliqué, leurs réponses peuvent témoigner néanmoins d’une bonne connaissance de son déroulement. De façon générale, cette implication des directeurs de filiale peut être perçue comme le signal de l’influence de la filiale au sein du groupe (Birkinshaw, Hood et Jonsson, 1998). Les projets soumis à l’enquête concernent, pour plus des deux tiers, la création de la filiale. Plus de 90 % des projets ont été réalisés après le début de l’année 2000. Près de 60 % sur les quatre dernières années de la période d’étude.

Pour préciser la notion de « réseau local », quelques questions préalables sont posées au directeur de la filiale. 67 directeurs déclarent la prise en compte de la présence d’autres acteurs localisés pour le choix de la localisation. Dans le cadre de leur activité, les rapports sont concurrentiels ou plutôt concurrentiels pour 15 d’entre eux et coopératifs ou plutôt coopératifs pour une large majorité. Cela laisse supposer à ce niveau la mise en oeuvre d’un mode d’activation complexe. Par ailleurs, pour qualifier les formes associées par les répondants à leur réseau local, la répartition des réponses est équilibrée : la technopole pour 26 directeurs, la zone d’activité pour 20, la commune ou l’agglomération urbaine pour 24, le centre d’affaires pour 18 et 4 directeurs ont choisi la modalité « Autre (établissement isolé, …) ».

Pour juger de la qualité de l’analyse quantitative, il s’agit de s’assurer que les résultats sont généralisables à la population étudiée. La représentativité de l’échantillon, nuancée par un taux de retour relativement faible, est mesurée à partir de tests de chi-deux d’ajustement. Une valeur importante de la probabilité critique (indice de signification supérieur au seuil classique de 5 %) traduit l’ajustement de notre échantillon à la structure de notre population d’étude. Les tests réalisés au regard des variables de contingence essentielles qui sont celles associées à la fonction du projet, à son appartenance sectorielle confirment le parfait ajustement de notre échantillon à la population d’étude avec pour le premier une probabilité critique associée de 0,391 et pour le second de 0,757. Ce même test a été réalisé au niveau de la répartition géographique des projets de l’échantillon. Les valeurs élevées des probabilités critiques associées traduisent une quasi-conformité de la répartition régionale (0,826) et départementale (0,871) des projets de l’échantillon à celle de la population d’étude.

La procedure d’analyse

Une analyse en composantes principales (ACP) est réalisée afin de réduire l’ensemble des items (60) en un nombre plus réduit de dimensions explicatives de la variance globale. L’ACP est ici réalisée en préalable à l’analyse typologique. Cette stratégie couplée ACP-typologie réalisée sous SPSS permet d’éliminer les fluctuations aléatoires et d’obtenir des classes plus stables (Lebart, Morineau et Piron 2006, p. 297).

Différents critères sont mobilisés afin de s’assurer de la factorisation des données. Le test de sphéricité de Barlett (avec une probabilité critique proche de 0) et l’indice de KMO (valeur de 0,717) conduisent à la même conclusion : la matrice est factorisable. Pour sélectionner le nombre d’axes, plusieurs critères sont également utilisés. Seuls les axes ayant une valeur propre supérieure à 2 sont retenus. La décision est également prise à partir de l’observation de la courbe des valeurs propres. Pour l’interprétation des axes, nous nous basons sur les corrélations supérieures à 0,5. Les variables contribuant peu (taux relatif à la qualité de la représentation faible) ou mal (corrélation quasi égale sur deux axes) à la construction des axes sont retirées une à une de l’analyse. A chaque étape une nouvelle ACP est réalisée. Au final, l’ACP à 7 axes sur les 42 variables restantes permet une restitution de la variance à hauteur de 70,3 %.

Pour la classification des projets, nous nous basons sur la procédure de la classification ascendante hiérarchique (CAH) en utilisant l’algorithme de Ward. La typologie est réalisée à partir des coordonnées des observations sur les 7 axes extraits de l’ACP. La détermination du nombre de classes repose sur l’analyse de la chaîne d’agrégation ou du dendogramme. Nous nous orientons vers une partition à 7 classes qui, en termes de qualité (Tenenhaus, 2007), explique 46,2 % de la somme des carrés totale (dispersion totale du nuage de points autour des axes).

Identification et analyse des stratégies de localisation

La description de chaque classe s’effectue à partir du calcul de la valeur-test (Lebart, Morineau et Piron, 2006) réalisée sous SPAD. Le principe est le suivant : il s’agit de comparer chaque classe à l’échantillon global à partir de variables métriques (« continues » sous SPAD) ou de modalités de variables nominales, qu’elles aient ou non contribué à la construction des classes. Dans la pratique, une variable est considérée comme caractéristique si la valeur-test qui lui est associée est supérieure à 2 en valeur absolue. Les résultats sont reportés pour les variables métriques dans les tableaux 1, 2, 3 et pour les variables nominales dans le tableau 4 (présentés sur des feuilles à part à la fin de l’article).

Classe 1 (n = 9) : des PIIM orientés vers un réseau territorial dédié au développement de la connaissance. Ces projets sont liés à des filiales dont l’activité est tournée vers le développement des connaissances. Il s’agit pour la FMN de ne pas exploiter uniquement un avantage spécifique détenu ex ante mais de créer de nouveaux actifs stratégiques ex post par le développement des liens avec les acteurs du territoire d’implantation (Dunning et Lundan, 2008). La stratégie de localisation se fonde sur une logique d’ancrage. Les modalités des variables nominales illustratives pour les projets de la classe 1 (Tableau 4) renvoient à la part des ingénieurs dans les effectifs (huit filiales sur les neuf ont une part supérieure à 75 %) et à la forme du réseau local sur lequel la filiale est implantée (sept filiales sont localisées sur une technopole). Au niveau des variables continues caractéristiques, la quasi-totalité des variables auxquelles sont associées des valeurs-tests positives renvoient au niveau local (Tableaux 1 et 2) et plus précisément au niveau du réseau local (Tableau 3). Le choix du territoire s’est confondu avec celui de la technopole. L’internalisation des compétences de la main d’oeuvre au sein de la technopole constitue une motivation essentielle des projets. Sa qualification, sa disponibilité sont des déterminants fondamentaux pour les PIIM de cette classe. Mais les ressources territoriales individuelles ne sont pas les seules recherchées. La FMN étrangère, par la localisation de sa filiale au sein de la technopole, cherche à bénéficier de l’atmosphère industrielle qui y règne, de ces ressources territoriales spécifiques. A cet égard, l’item le plus caractéristique de cette classe est celui relatif à la présence à proximité de centres de R&D. Concernant notre deuxième proposition de recherche, la capacité de la FMN à nouer des relations, à élaborer des partenariats de recherche est particulièrement prise en compte pour le choix du territoire. Les rencontres informelles et plus formelles avec les acteurs du réseau local sont à ce titre considérés comme des éléments ayant influencé le choix de localisation (Johanson et Vahlne, 2009). Sans surprise, sur les neufs répondants de cette classe, huit considèrent que les liens de la filiale avec les autres acteurs du réseau local sont coopératifs ou plutôt coopératifs. Enfin, un argument essentiel pour comprendre la raison pour laquelle les PIIM de cette catégorie ont investi sur ce territoire est sa visibilité à l’international (Appold, 2005). Les répondants attribuent à cet item une influence décisive. De plus, si l’activité est clairement orientée vers la connaissance, ces projets se distinguent de façon notoire par le fait que les répondants accordent une importance considérable à la présence à proximité d’un ou de plusieurs clients du groupe pour le choix de la localisation. Cela traduit bien le fait que dans le secteur des TIC, la longueur de la chaîne de valeur entre la R&D et la vente peut être très réduite. Cela souligne également le fait que les motivations de l’investissement étranger ne sont pas exclusives (Dunning et Lundan, 2008, p. 68).

Classe 2 (n = 15) : Des PIIM complexes et d’envergure orientés vers une métropole. Cette deuxième classe se distingue par le fait qu’y sont sous-représentées les filiales de petite taille (Tableau 4). L’analyse d’un certain nombre de projets de cette classe indique qu’il renvoie pour beaucoup à l’extension de sites existants ayant une activité à dominante productive. Ils pourraient dans ce cas s’inscrire dans une logique de reproduction de l’investissement étranger sur un même territoire (Johanson et Vahlne, 2006). La liste des items les plus caractéristiques laisse apparaître que le choix de localisation des projets de cette classe s’inscrit dans une logique relativement complexe. Certains acteurs localisés sur le territoire y ont un rôle essentiel : les fournisseurs, les autres établissements du groupe, les clients et les concurrents (Tableau 2). Le lancement du projet sur le territoire exige donc l’existence d’un réseau à relativement grande échelle où les acteurs, parties prenantes en local ou au national, peuvent avoir un rôle important. D’autres éléments sont particulièrement influents : un bassin d’emplois conséquent et la taille du marché local (Tableau 1). L’image du territoire cible qui se dessine nous renvoie plutôt à la métropole. Dans ce cas, la métropole sera d’autant plus attractive qu’elle révèle une certaine spécialisation dans le domaine d’activité du projet. Cette mise en perspective résulte du fait qu’à une échelle territoriale plus réduite, aucun des items faisant référence à l’influence du réseau local n’est sélectionné en tant que variable caractérisante. Par ailleurs, nous pouvons noter l’influence particulière d’un ou de plusieurs dirigeants du groupe et des liens qu’il(s) noue(nt) au territoire. Le fait que des acteurs en interne aient une connaissance préalable du territoire est avancé comme un argument justifiant le choix de localisation pour les PIIM de cette classe. Cette influence s’interprète de différentes manières. Très simplement, la connaissance préalable du territoire et l’attachement éventuel d’un dirigeant au territoire d’implantation réduisent le champ des possibles pour la localisation des PIIM (Johanson et Vahlne, 2006). Plus spécifiquement, au niveau des modalités d’accès aux ressources du territoire, s’appuyer en interne sur un réseau de relations locales déjà en partie constitué est un atout décisif (Kostova et Roth, 2002). Il l’est d’autant plus que l’insertion de la filiale au territoire d’implantation semble une condition majeure de son bon développement (Birkinshaw, 2001).

Classe 3 (n = 22) : des PIIM davantage orientés vers un marché que vers une localisation précise. Les seules modalités des variables nominales caractéristiques sont associées à des valeurs-tests négatives (Tableau 4). Aucun projet de cette classe n’émane de groupes de plus de 10000 emplois et n’est localisé sur une technopole. Le profil de ces projets est proche de celui des bureaux commerciaux. Nos propositions de recherche ne sont pas en tout point validées. Les décideurs sont indifférents à l’existence d’un réseau territorial dédié à leur activité en local pour le choix de localisation du projet (Tableau 3). Une explication simple émerge pour justifier le choix de localisation des projets de cette classe : l’origine locale du directeur de la filiale (Tableau 2) et l’existence d’un marché (Tableau 1). Les projets de cette classe suivent plutôt un objectif commercial (15 sur 22). La présence en France de concurrents est perçue comme un signal fort attestant de l’existence d’un marché. Si l’on s’en tient à notre cadre de recherche, nous ne pouvons considérer que la stratégie de localisation mise en oeuvre soit basée sur l’activation de ressources en local.

Classe 4 (n = 17) : Des PIIM commerciaux orientés vers des territoires accessibles. Cette classe concentre une part très importante de projets liés à des filiales de taille réduite (Tableau 4). Une très forte proportion des projets suit un objectif commercial. La configuration des projets de cette classe est donc a priori relativement proche de la classe 3. Elle s’en distingue par le fait que les répondants de cette classe font de l’accessibilité de la filiale en local une priorité absolue (Tableau 1). Néanmoins le choix du site ne relève pas uniquement d’une optimisation logistique. Le fait de bénéficier au sein du réseau local de la présence à proximité des partenaires est comme un atout pris en considération pour le choix du site (Tableau 3). Au final, la stratégie de localisation correspond dans une certaine mesure aux propositions de la recherche. La FMN choisit d’investir en local pour internaliser les ressources territoriales immatérielles émanant du marché. Pour activer ces ressources, elle doit faire en sorte de se situer à proximité de ses clients actuels et potentiels. De fait, cette proximité géographique exige une parfaite accessibilité du territoire en local.

Classe 5 (n = 10) : Des PIIM pour lesquels la localisation s’est imposée. Les PIIM dont l’objectif est le soutien pour les activités déjà en place représentent la moitié de cette classe (Tableau 4). Par ailleurs, une part importante de ces projets a été lancée par des FMN de grande taille. Ce qui distingue les PIIM de cette classe, c’est le fait qu’un nombre conséquent d’items n’ont pas ou très peu joué sur le choix de la localisation (Tableaux 1, 2 et 3). Il apparaît que le choix de la localisation des projets ne résulte pas d’un long processus de réflexion (7 répondants sur 10 considèrent que le processus de décision a été rapide ou très rapide). La localisation s’est tout simplement imposée. Il faut rapprocher ces considérations de l’objectif majoritairement déclaré par les répondants de cette classe : celui de soutien aux activités déjà en place. Dans la mesure où pour une part importante de ces projets, une ou plusieurs filiales du groupe sont localisées, la réflexion ne s’est à aucun moment située au niveau de la localisation du projet. En ce sens, elle renvoie à ce type de motivation particulière que Dunning et Lundan (2008, p. 74) qualifient de « support ».

Classe 6 (n = 8) : Des PIIM dont la localisation est guidée par une logique économique. La seule modalité de variable nominale qui distingue cette classe est qu’elle regroupe des projets très majoritairement localisés au sein d’une technopole (Tableau 4). Mais contrairement aux projets de la classe 1, aucun des items considérés comme caractéristiques ne fait référence au réseau local (Tableau 3). L’item auquel est associée la valeur-test la plus forte renvoie aux incitations fiscales et aux aides fournies au niveau national (Tableau 1). Cela peut être le révélateur d’un processus de choix du site qui a reposé principalement sur un arbitrage au niveau des coûts. L’influence importante accordée aux items relatifs au coût de la main d’oeuvre, à la disponibilité de la main d’oeuvre en local, à la fiscalité locale ou aux aides locales, s’inscrit dans cette logique. L’arbitrage final concernant le choix du site repose ensuite sur un ensemble de considérations liées à un contexte facilitateur pour le développement du projet : proximité d’un aéroport international, qualité des infrastructures de transport et de télécommunication. La mise en avant de l’ensemble de ces facteurs laisse supposer la mobilité des projets, c’est-à-dire un ancrage relativement faible de la filiale au territoire. Il s’agit pour la FMN plutôt d’exploiter un avantage spécifique dont elle dispose. La filiale peut être perçue comme un simple exécutant au sein du groupe (Bartlett et Ghoshal, 1989).

Classe 7 (n = 11) : Des PIIM complexes dont la localisation révèle une certaine sensibilité au démarchage. Au niveau des objectifs déclarés, cette classe se distingue par le fait que huit projets sur les onze suivent un objectif de R&D (Tableau 4). L’autre particularité vient du fait que la majorité des projets de cette classe est liée à des filiales de taille moyenne [50-500]. De façon générale, cette classe se caractérise par le fait qu’un nombre important d’items contribue à expliquer significativement le choix de la localisation. Cela laisse supposer la mise en oeuvre d’un projet exigeant du territoire d’implantation la réunion d’un nombre conséquent de critères.

Parmi les variables continues les plus caractéristiques (valeurs-tests supérieures à 4), on retrouve principalement deux catégories de facteurs. La première renvoie à la dimension financière et immobilière (Tableau 1), la deuxième à l’influence des acteurs représentants le territoire : les élus locaux, les chambres consulaires, les agences de promotion (Tableau 2). De fait un lien existe entre ces différentes catégories. Dans le cadre de la mise en oeuvre d’actions en termes d’attractivité, les représentants du territoire local font, en effet, le plus souvent valoir leurs atouts auprès des responsables des FMN étrangères, notamment aux niveaux financier et immobilier. Pouvoir bénéficier d’aides et de soutiens directs pour le lancement et le développement du projet est une donnée susceptible de convaincre les décideurs. De façon générale, l’action de ceux qui représentent le territoire aura d’autant plus d’impact sur ces décideurs que ceux-ci ne le connaissent pas. Est-ce le cas pour les PIIM de cette classe ? D’un côté, les projets de cette classe sont ceux pour lesquels la décision a été la plus centralisée au niveau du siège du groupe. Mais, dans le même temps, les projets de cette classe ont une localisation qui s’explique également par la présence préalable d’une ou de plusieurs filiales appartenant au groupe. Quoi qu’il en soit, les considérations qui ont un impact direct sur les coûts sont plus faciles à intégrer dans le projet que celles relatives à l’internalisation des ressources territoriales susceptible de jouer sur la performance future.

Néanmoins la logique de localisation de ces PIIM traduit une certaine ambivalence dans la mesure où elle ne suit pas le seul critère du coût. Elle repose également sur la recherche de ressources territoriales spécifiques en local. Cela se traduit par la prise en compte notamment de l’existence d’un réseau local, créateur de ressources, comme attribut du territoire limitant le champ des possibles.

Parmi les items sélectionnés, un nombre conséquent y fait référence. L’item lié à l’existence du réseau local recueille une moyenne de 3,5. Les principales caractéristiques de ce réseau territorial jugées attractives sont celles liées à la possibilité de nouer en son sein des partenariats de recherche, à l’existence d’une communauté locale dynamique d’entrepreneurs, à l’émergence en local de compétences distinctives. A ce niveau, les représentants du réseau local ont également pu faire valoir leurs avantages comparatifs auprès des décideurs. Les rencontres formelles et informelles avec les acteurs du réseau local ont ici eu un rôle non négligeable pour guider et conforter les décideurs dans leur choix de localisation (Johanson et Vahlne, 2009). Cela confirme le fait que la logique mise en oeuvre pour le développement du projet en local repose également sur des mécanismes complexes d’activation des ressources au sein de réseaux. Pour l’illustrer, la présence de certains acteurs du domaine de la R&D (les centres de R&D, les laboratoires publics) et/ou de la formation (école(s) d’ingénieurs, Université, organismes de formation) est clairement considérée comme un atout. Néanmoins, elle repose également sur une internalisation simple en local de ressources humaines bien formées comme en témoigne la sensibilité des répondants à la qualité du système de formation aux niveaux national et local.

Conclusion

L’analyse typologique réalisée à partir des projets d’investissement étrangers du secteur des TIC révèle la diversité des logiques qui président à leur localisation. La localisation de certains projets peut relever de considérations sans véritable lien avec le territoire d’implantation (classe 5 notamment). Néanmoins, conformément à la première proposition de recherche, la localisation de nombreux projets de notre échantillon s’interprète sous l’angle de l’internalisation de ressources territoriales dont la FMN ne peut bénéficier initialement en interne ou par un recours direct au marché (classes 1, 2 et 7). Investir à l’étranger, c’est se situer à proximité, c’est-à-dire disposer de ressources clés du territoire relativement immobiles qui sont déterminantes pour la constitution d’un avantage concurrentiel. Ces ressources clés peuvent émaner du marché cible (Classes 3 et 4). Être en contact rapproché avec ses clients actuels et potentiels permet une pénétration plus forte du marché du fait d’une meilleure réactivité locale. Ces ressources immatérielles spécifiques peuvent également se situer plus en amont de la chaîne de valeur, au niveau de la R&D (Classes 1, 2 et 7). Dans ce cas, bénéficier du savoir et du savoir-faire en local suppose également de s’implanter à proximité. Les FMN étrangères sont intéressées par ceux qui sont les porteurs de ces savoirs : les individus et les autres acteurs localisés (laboratoires, entreprises, centre de R&D…). Se pose alors la question de l’activation de ces ressources individuelles et organisationnelles.

Dans le cadre de notre deuxième proposition de recherche, nous avons mis en évidence le fait que le choix du territoire pouvait résulter de l’évaluation de la FMN quant à sa capacité à activer les ressources territoriales. Dans notre échantillon, les FMN étrangères passent le plus souvent par un mode d’activation simple, à savoir l’internalisation des ressources territoriales au sein d’une filiale en local. A cet égard, pour les ressources individuelles, l’enquête a permis de mettre en évidence à quel point la qualification de la main-d’oeuvre en local pouvait être un critère décisif (Almeida et Kogut, 1999). Pour les ressources organisationnelles, l’activation peut également reposer sur la mise en oeuvre de mécanismes plus complexes, basés sur l’incitation et la confiance. Des réseaux doivent alors être constitués avec les différents acteurs locaux dont la proximité est jugée déterminante (Classes 1, 2 et 7). Pour la localisation de ces projets, la connaissance du territoire et le recours interne à des acteurs disposant d’un réseau de relations peuvent être également essentiels (Classe 2).

L’article apporte une contribution à l’ensemble des travaux qui abordent les stratégies des FMN sous l’angle des ressources (Meyer, Wright et Pruthi, 2009; Peng, 2001; Pitelis, 2007; Tallman et Fladmoe-Lindquist, 2002). Si l’approche par les ressources privilégie une analyse en interne de la firme, elle rend compte dans ses développements plus récents du rôle de son environnement, par le poids de la dimension relationnelle (Dyer et Singh, 1998) et la nature du contexte institutionnel (Oliver, 1997). Dans le cadre de l’analyse de la localisation de l’investissement étranger, notre article confirme le nécessaire rejet des visions « monolithique » (Birkinshaw, 2001, p. 387) ou « centrique » (Hennart, 2009) de la FMN et la pertinence d’une analyse au niveau de la filiale étrangère d’autant plus grande que l’activation des ressources en local est un axe stratégique majeur. Le développement d’une stratégie de localisation basée sur l’activation de ressources en local suppose le plus souvent, pour la FMN, de se reposer sur des acteurs ayant une connaissance préalable du territoire d’implantation. Ils lui permettront de gérer au mieux la dialectique distance/proximité qui conditionne l’encastrement de la filiale étrangère au sein de son environnement local. Pour autant privilégier le local dans les stratégies de localisation des FMN ne conduit pas à le considérer exclusivement. Du côté de la FMN, les analyses ont permis de souligner que les choix de localisation reposent sur une imbrication complexe des échelles géographiques, locale certes mais également nationale, voire régionale (Rugman, 2005). Du côté du territoire, c’est sa position nodale au sein de l’espace mondialisé qui devient un puissant facteur d’attractivité.

Certaines limites de la recherche nuancent néanmoins la portée de la contribution. La taille relativement modeste des échantillons d’analyse impose d’interpréter les résultats avec précaution. Ensuite, en considérant l’internalisation des ressources territoriales comme l’élément explicatif de la stratégie de localisation des FMN, nous supposons l’intentionnalité de cet acte. Pourtant, l’exploitation de ces ressources territoriales peut résulter du hasard des rencontres productives, d’autant plus qu’une partie de ces ressources n’émerge que dans l’action. Enfin, le fait de se limiter aux trois modalités d’investissement que sont la création, l’extension, la reprise, n’est pas sans conséquence sur l’analyse des déterminants de la localisation. Cela conduit à exclure des modes déterminants de la croissance des FMN, à savoir la fusion ou l’acquisition.

Au final, l’article remet en cause une vision des stratégies de localisation, marquée par le nomadisme des FMN, par la plasticité des territoires ou le déclin de la distance (notamment dans le secteur des TIC). Dans le prolongement de Ambos, Andersson et Birkinshaw (2010), il sera opportun de faire évoluer l’analyse au niveau du siège et de se concentrer précisément sur la nature et la force des liens qu’il tisse avec les différentes filiales localisées. Des objectifs discordants pénalisent l’initiative de la filiale étrangère et fragilisent son ancrage local.