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Les trente dernières années ont vu la montée en puissance de la participation du secteur privé dans la livraison de services publics. L’arrivée du Nouveau Management Public (NPM) dans les années 1980 a conforté l’intérêt de ces nouvelles formes de coopération institutionnelle dont les idéaux se fondent sur quatre objectifs : la recherche de l’efficacité, la réduction de la taille des organisations et la décentralisation, la recherche de l’excellence et la nouvelle orientation du service public (Pettigrew, 1997). Les Private Finance Initiatives(PFI) instaurés par le gouvernement britannique demeurent à ce jour la principale source d’inspiration à travers le monde en matière de partenariats public-privé (Lignières, 2005); ils sont apparus dans le paysage politique en Grande-Bretagne en 1992 après le dépôt du rapport de Neil Kinnock pour évaluer le financement du projet de réseau transeuropéen de transport par des partenariats entre le secteur public et le secteur privé. Hodge et Greve (2005) estiment que les PPP ont ouvert une troisième voie à des Etats soucieux d’améliorer leur capacité à livrer des services à la population, et le recours à des capitaux privés a permis de réduire le besoin d’endettement public ([1]Medda, 2007). Des groupes de citoyens ont entamé une croisade contre les PPP en créant des sites internet tels que « non aux PPP[2] » (dont la mission est de sensibiliser la population aux aspects néfastes de ses dispositifs) en arguant que le privé n’est pas plus efficace que le public à livrer ces services publics, que le financement privé coûte plus cher que le financement public et que les contrats manquent de transparence en plus d’être trop rigides.

Cet article se propose d’étudier le partenariat public-privé en tant qu’instrument de modernisation de la gestion d’un aéroport. La recherche poursuit deux objectifs : 1. décrire le déploiement d’un PPP et son opérationnalisation, 2. identifier les déterminants d’un PPP qui satisfont les attentes des parties prenantes, ce qui nous permettra de dresser les premiers contours de l’écosystème concilié. L’expérience de la société concessionnaire des aéroports en Valisie, la « Société des Aéroports de Valisie » (SAV), née d’une joint venture entre TPX-KEELY[3], une entreprise européenne spécialisée dans les travaux publics, et TIM, un conglomérat du sud-est asiatique spécialisé dans l’ingénierie et les travaux publics, offre une illustration de premier choix de l’alliance possible entre un gouvernement et le secteur privé dans un projet de réhabilitation d’un aéroport.

Partenariats public-privé : polymorphie et polysemie

Il ressort de la littérature une grande variété de définitions et de formes concrètes de collaborations possibles entre l’Etat et le secteur privé (Belhocine et al., 2005). En France, les PPP peuvent être classés en deux catégories : les activités privées dans lesquelles l’Etat est le partenaire du secteur privé pour mener des activités relevant des pouvoirs publics en faveur des entreprises, et les activités publiques où les entreprises sont partenaires de l’Etat dans des activités de participation privée aux services publics et aux infrastructures publiques (Lignières, 2005). La politique de PFI britannique se décline sous diverses formes de partenariats telles que la co-entreprise (joint venture), la prestation de services ou l’usage commercial pour le compte d’un tiers. Cette dernière mesure correspond aux dispositifs français de la régie intéressée et de l’affermage, deux arrangements dans lesquels les investissements sont à la charge de la personne publique mais qui diffèrent au plan du mode de rémunération de l’exploitant qui peut être fixe ou variable selon le secteur d’activité et le niveau de risque lié à l’exploitation (Lignières, 2005).

La concession, qui accompagne fréquemment la contractualisation d’un PPP, est un moyen juridique dont dispose l’administration pour déléguer des compétences à une personne privée. En France, la première définition de la concession apparaît sous le gouvernement Chardenet en 1916 : « contrat qui charge un particulier ou une société d’exécuter un ouvrage public ou d’assurer un service public, à ses frais, avec ou sans subvention, avec ou sans garantie d’intérêt, et que l’on rémunère en lui confiant l’exploitation de l’ouvrage ou l’exécution du service public avec le droit de percevoir des redevances sur les usagers de l’ouvrage ou de ceux qui bénéficient du service public »[4]. Le projet de la construction du Terminal 5 de Heathrow à Londres exploité par British Airport Authority (BAA) a été conçu selon une approche réticulaire qui implique les fournisseurs des parties contractantes du PPP dans les montages financiers. L’ingénierie du partenariat repose sur des méthodes concertées intitulées Integrated Team Approach et Partnering Approach qui valorisent le fournisseur-partenaire selon deux principes : 1. le client assume tous les risques inhérents au projet; 2. toutes les parties impliquées dans le projet doivent s’engager dans un processus visant l’amélioration continue. La méthode est particulière dans le sens où la BAA et les partenaires établissent d’un commun accord les marges qui seront réalisées sur les coûts engagés (National Audit Office, 2005).

Un PPP conclut hors des frontières nationales nécessite une forte confiance des opérateurs dans le contexte politique et économique ainsi que dans le projet lui-même. Il est recommandé aux entreprises de vérifier qu’il existe un droit de gestion déléguée dans le pays et d’en étudier les modalités de manière à se prémunir de litiges éventuels (Lignières 2005; Théry, 2002). Les PPP doivent être fondés sur des règles claires, estiment Mazouz et al. (2008), et trouver le point d’équilibre entre l’intérêt général que le partenaire public doit servir et la motivation légitime du partenaire privé à espérer la réalisation de profits (Lundqvist, 1988). Austin (2000) observe qu’une perception partagée d’un PPP bénéfique pour les deux parties, même pour des raisons fort différentes, va augmenter les chances du partenariat de durer dans le temps.

Le PPP : un espace d’affaires pondéré

Le Conseil du Trésor du Québec associe au PPP le principe d’« un partage réel des responsabilités, des investissements, des risques et des bénéfices de manière à procurer des avantages mutuels qui favorisent l’atteinte des résultats » (p.2, in Belhocine et al., 2005). La littérature dédiée aux PPP s’accorde à dire qu’un partenariat équilibré repose sur trois piliers : 1. la mise en activité d’une infrastructure modernisée permettant d’offrir des services plus efficaces aux usagers, 2. des seuils de revenus générés par l’exploitation des infrastructures satisfaisants pour les deux parties, 3. la répartition équitable des risques. Le PPP s’inscrit donc dans un espace d’affaires pondéré qui sous-tend la proposition de « l’écosystème concilié » dans la mesure où il incarne une association d’acteurs qui forment une communauté stratégique d’intérêts structurée en réseau qui tirent mutuellement profit d’une initiative conjointe, et qui bénéficient de compensations financières satisfaisantes au regard des sommes investies. Verstraete et Jouison-Laffitte (2009) désigne cet arrangement comme la « convention de valeur entre les parties prenantes ».

Méthodologie de recherche

Les données présentées dans cette étude de cas ont été recueillies lors d’un séjour de deux semaines à l’aéroport de Talip en 2008 et proviennent de vingt-deux entretiens semi-structurés menés auprès de la direction de la Société des Aéroports de Valisie (SAV). L’outil d’enquête élaboré pour les fins de cette étude devait permettre de reconstituer l’histoire du PPP conclu entre l’Etat valisien, les sociétés KEELY et TIM, et d’identifier les modalités contractuelles et opérationnelles de ce partenariat. L’étude de cas semblait appropriée aux objectifs de notre démarche et conforme au postulat de Ghauri (2005) selon qui la méthode est particulièrement adaptée à un contexte d’affaires international où les données sont recueillies hors des frontières et dans des contextes multiculturels. Elle offre l’opportunité de constituer une base de connaissances propices à des études empiriques, de faire évoluer des concepts théoriques comme ici les écosystèmes d’affaires à partir de la réalité qui émane de l’observation des dynamiques multiples contenues dans un cas unique (Eisenhardt, 1989). Cette étude de cas repose sur les entretiens menés auprès des dirigeants de la SAV faute d’avoir pu rencontrer les représentants du gouvernement valisien. Dans la partie suivante, nous relatons la mise en place du PPP qui a abouti à la création de la SAV.

L'expérience de KEELY en Valisie

Au début des années 1990, le gouvernement de la Valisie a engagé un processus de réforme de son administration afin d’accroître la qualité et l’efficacité de ses services publics. En 1995, la fréquentation annuelle de Talip (TIA), l’aéroport de la capitale, s’élève à six cents mille passagers dans une infrastructure vieillissante et non conforme aux normes internationales de sécurité. Un appel d’offres est publié en 1992 et plusieurs sociétés convoitent le marché : TPX (rachetée depuis par KEELY), un conglomérat asiatique (TIM) spécialisé dans l’ingénierie et les travaux publics, deux entreprises américaines, un autre géant du bâtiment et des travaux publics (BTP) européen et une firme japonaise qui n’était intéressée, pour sa part, que par la phase de la construction de l’aérogare et non par son exploitation. TPX et TIM optent pour une joint venture au second tour de l’appel d’offres et obtiennent un contrat de type B.O.T.. La transaction donne lieu à la création de la Société des Aéroports de Valisie (SAV) contrôlée à 70 % par KEELY et à 30 % par TIM. Le projet a été financé par plusieurs institutions : la Société Financière Internationale de la Banque Mondiale (SFI), une agence européenne de développement, une Banque régionale de développement, une banque française et un don d’un pays européen « ami » et des fonds propres des deux entreprises. Aucune garantie n’a été fournie par le gouvernement valisien sur les emprunts contractés par la KEELY et TIM. La contribution de la Banque mondiale à ce projet n’a rien d’exceptionnel dans la mesure où elle a implanté plus de deux mille cinq cents projets privés d’infrastructures entre 1991 et 2001, dont près de sept cents concernent les transports pour un budget total de 135 milliards USD (Medda, 2007). A la fin de 2008, le montant total des investissements de KEELY en Valisie a atteint 200 millions USD, la concession s’étant étendue au fil des années suite à l’intégration de deux autres aéroports. Le tableau ci-dessous récapitule les faits saillants du PPP conclu entre l’Etat de Valisie et la SAV.

Tableau 1

Synthèse du PPP selon l’expérience de KEELY en Valisie

Synthèse du PPP selon l’expérience de KEELY en Valisie

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Analyse du projet valisien

Les Valisiens jouissent aujourd’hui d’une structure modernisée et autofinancée sans avoir eu à supporter de hausse d’impôts et de taxes. Les voyageurs internationaux au départ de TIA acquittent une taxe-passager de 25 USD et disposent d’un choix de destinations plus vaste car de nouvelles compagnies aériennes desservent aujourd’hui la Valisie. La hausse du trafic a induit un attrait accru pour le pays et une croissance des activités économiques en général. Le personnel de l’aviation civile valisienne, qui manquait d’expérience et de connaissances pour entreprendre la réhabilitation de l’aéroport, a bénéficié de nombreuses activités de formation. Au plan sociétal, la SAV estime que l’impact économique de l’activité des aéroports équivaut à celui de cinquante mille ouvriers du textile et ces structures sont devenues l’un des vecteurs importants de la croissance des économies dans les pays en développement.

Retours sur investissements et partage des rentes

Le chiffre d’affaires annuel de la SAV a crû de 5 à 33 millions USD entre 1995 et 2004. L’aéroport est conçu pour accueillir jusqu’à huit millions de passagers mais le payback, prévu pour la septième année d’exploitation (2005) se faisait toujours attendre en 2008. La concession initialement accordée pour une période de 25 ans a été étendue à 40 ans pour amortir les nouveaux investissements liés à l’intégration des aéroports de Rimal et de Valat.

Bajari et Tadelis (2001) recommandent la plus grande rigueur dans l’estimation des besoins financiers de ces grands chantiers, ce que nous a confirmé la SAV, car l’évaluation des besoins de financement d’un projet d’infrastructure est un exercice complexe et la mise en oeuvre du projet peut entraîner des dépenses supplémentaires et des pénalités de retard qui n’ont pas été prévues dans les calculs et qui ne sont donc couvertes par les emprunts. Dans un dispositif de type B.O.T., la SAV souligne que le contrat de construction génère des revenus sur la phase de la construction et la concession d’exploitation laisse entrevoir des revenus et des profits à long terme. L’équilibre économique du contrat est, selon la société concessionnaire, la clé de voûte d’un PPP sain et viable. Les projets doivent trouver un équilibre entre logique commerciale et logique d’exploitation, surtout si les revenus du projet constituent la source unique ou principale du remboursement des prêts, précise Théry (2002). La rémunération de l’Etat valisien s’effectue de manières directe et indirecte. D’une part, la SAV reverse une partie de ses revenus d’exploitation (loyer) qui représentent un montant minimal de 13,5 % des profits réalisés ainsi que la partie des bénéfices qui excède les montants projetés dans le montage financier initial. D’autre part, en tant que société immatriculée en Valisie, la SAV acquitte les impôts et les taxes dues à l’Etat. Des mécanismes compensatoires ont été inclus dans le contrat pour pallier d’éventuelles baisses de trafic liées à des événements imparables et imprévisibles sur les scènes politique et internationale. Selon la SAV, des restrictions d’accès liés à des décisions politiques peuvent nuire à la stratégie commerciale du concessionnaire qui vise à attirer un plus grand nombre de compagnies aériennes et de passagers. Le sujet des libertés de l’air et des droits de trafic mérite un intérêt particulier[5] car l’Etat jouit du privilège de fixer le nombre de sièges, les types d’avions et les compagnies aériennes qu’il accepte d’accueillir.

Le mode de rémunération des parties prenantes suggère que la croissance du chiffre d’affaires profite ici à l’Etat puisque le loyer annuel versé par la SAV se calcule selon un pourcentage préétabli. La SAV ne touche que la partie des bénéfices prévue dans le montage financier initial, l’Etat percevant les excédents des profits. Plusieurs éléments peuvent ainsi faire pencher la balance en faveur de l’un ou l’autre des acteurs, selon le contexte économique et le potentiel de la structure : le financement de la dette, le pourcentage du loyer reversé à l’Etat sur la durée de la concession et la fiabilité des prévisions, autant d’éléments qui une fois contractualisés scellent le partage des revenus.

Les pays en développement, comme la Valisie, peuvent bénéficier de prêts octroyés par des banques publiques internationales (BRD, SFI), ce qui permet à l’emprunteur de ne pas dépendre exclusivement des banques privées. L’implication de la Banque Mondiale peut aussi permettre d’effectuer une surveillance indirecte sur ces grands projets (Poole, 1994). Les PPP s’organisent généralement dans un marché de type oligopolistique qui érige des barrières importantes à l’entrée en raison de la taille des investissements ce qui tend à favoriser les tarifications abusives pratiquées par certains opérateurs privés dans la livraison de services publics (Curien, 2000; Gagnepain, 2001; Lyonnet du Moutier, 2006; Auriol et Picard, 2006). Cette situation a été constatée dans un aéroport où le concessionnaire a ignoré les principes de l’OACI et a augmenté les redevances aériennes de 128 % afin de préfinancer la construction de l’aéroport (IATA communiqué 48, 2008).

L’arrangement financier qui lie l’Etat valisien et la SAV présente le risque de brider la motivation du concessionnaire à se surpasser et à réaliser plus de profits, puisque les surplus financiers non prévus sont reversés à l’Etat. Le calcul d’une rémunération optimale pour les deux parties est la pierre angulaire de l’écosystème concilié dans la mesure où il est susceptible d’influencer la performance de l’infrastructure et donc la satisfaction des usagers. La possibilité qu’aurait eue la SAV de refuser d’intégrer le troisième aéroport dans la concession mérite d’être prise en compte : 1. certains projets sont soumis à une forme de dépendance de sentier que Mahoney (2000) et Pierson (2000) désignent comme une suite de séquences historiques dans lesquelles des événements sont liés entre eux en raison de l’influence de facteurs déterministes; 2. le refus de la SAV aurait ouvert le marché des concessions aéroportuaires en Valisie à de nouveaux acteurs privés, et donc à la concurrence.

La répartition des risques

La contractualisation d’un PPP comporte plusieurs niveaux de risques :

  1. Le risque lié au nombre limité de candidatures soulevé par Estache (2006) est une réalité dans l’industrie aéroportuaire en raison de la pénurie de spécialistes dans le monde comparativement au nombre de projets de réhabilitation en cours. L’attribution du contrat sur le critère de la modicité du coût du projet comporte des risques pour les deux parties et les appels d’offres qui privilégient les projets au prix le plus bas ont plus de chances d’aboutir à des renégociations et à des imprévus de parcours esitment Bajari et Tadelis (2001). Ces dispositifs sont aussi exposés à la corruption qui peut se manifester soit par le versement de pots de vin pour obtenir un avantage (le cas le plus fréquent) ou pour ne pas être éliminé de la compétition (Auriol, 2006). La joint venture conclue entre TPX et TIM présentait trois intérêts : 1. aucun des candidats n’est éliminé de la course, 2. le levier financier augmente avec le cumul des capacités d’emprunt respectives, 3. le risque est assumé par deux entreprises.

  2. La capacité à poursuivre les activités d’un projet dans un contexte critique dépend de la solidité financière et du niveau d’aversion au risque de l’acteur privé. Si le projet n’a pas périclité au moment du coup d’Etat de 1997, la SAV le doit à sa capacité à soutenir les opérations sur ses fonds propres et à convaincre les actionnaires de ne pas céder à la panique, malgré la possibilité d’une perte totale des investissements.

  3. Les coûts de renégociations du contrat : Selon la SAV, les changements en cours de projet entraînent de concert l’élaboration de nouvelles hypothèses et la préparation de nouveaux scénarios de financement qui exigent de refaire de nombreuses simulations pour un même projet et qui génèrent des coûts de transaction élevés qui représentent des proportions importantes du coût total d’un projet. Les besoins d’une concession fluctuent au fil des années et les souhaits du gouvernement peuvent évoluer dans le temps. La SAV estime ces renégociations souhaitables car les avenants au contrat permettent aux parties de renégocier leur partenariat en vue de l’adapter aux changements de l’environnement économique. Les coûts finaux d’un projet peuvent être très éloignés de la prévision initiale et le coût des renégociations et d’adaptation devraient être pris en compte dans les prévisions financières du projet (Théry, 2002). Dans le secteur des transports, les contrats de PPP sont généralement renégociés au cours des deux premières années (Guasch, 2004). Les économies réalisées sur les coûts de transaction ex post représentent des sommes importantes qui peuvent offrir une compensation à l’offre la plus chère. Les contrats public-privé sont considérés comme incomplets au moment de leur élaboration car les plans initiaux sont susceptibles de changer (Bajari et al. 2006; Lyonnet du Moutier, 2006).

Designs de partenariat

L’expérience de KEELY suggère qu’un PPP peut, sous certaines conditions, devenir un instrument de création de valeur. Ce constat renforce la proposition de Thompson et MacMillan (2009) selon laquelle il est possible de concevoir des modèles d’affaires qui offrent à la fois des solutions à des problèmes sociétaux et des bénéfices pour les entreprises qui acceptent d’investir dans un contexte économique incertain.

La SAV a tenu à souligner qu’il serait injustifié de réduire le PPP à un dispositif strictement financier ou à un ratio de ROI et de ne tenir compte que des enjeux monétaires car les PPP sont susceptibles de produire des externalités positives sur le plan sociétal. Le PPP valisien a aussi fourni une illustration imprévue de la ‘coopétition’ proposée par Nalebuff et Brandenburger (1996) pour désigner les alliances de concurrents qui convoitent le même marché. Klijn et Teisman (2005) estiment qu’un PPP est avant tout un partenariat et préconisent de distinguer partenariat et contrat, ce qui permet d’étendre le débat à des dimensions subordonnées telles que le management de la coopération qui prévaut, selon les auteurs, sur la vision réduite au couple risques/responsabilités. Mazouz et al. (2008), identifient quatre formes de partenariats : situationnel, symbiotique, élémentaire et précurseur qui diffèrent entre eux selon les besoins exprimés en matière d’expertise et de capitaux, de convergence d’intérêts, de recherche d’efficience ou de stratégies politiques et nationales. La littérature française dédiée aux PPP semble plus encline à se préoccuper des aspects administratifs et des dispositions juridiques inhérents au contrat alors que l’approche anglo-saxonne s’orienterait plutôt vers le partenariat lui-même et la gestion de la relation de coopération. Le schéma suivant illustre les deux types d’approches managériales qui prévalent dans le secteur des PPP.

Figure 1

Approches managériales des PPP (extrait de Klijn et Teisman, 2005)

Approches managériales des PPP (extrait de Klijn et Teisman, 2005)

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Il semblerait qu’un PPP développé dans une approche plus systémique qu’administrative puisse déboucher sur un processus créateur de valeur sociétale. Cette proposition est exposée dans la partie qui suit.

L'écosystème concilie : création de valeur, convergence et bien commun

Selon Klijn et Teisman (2005), la coopération entre des acteurs publics et privés doit aboutir à une ‘Surplus Value’ qui désigne les surplus de rendements qui n’auraient pas été générés sans la coopération. L’expérience de KEELY suggère que le dialogue public-privé peut se nourrir d’autres intérêts que la stricte recherche de rentes et, lorsqu’ils sont réalisés dans des conditions favorables, les PPP permettent de réaliser des économies importantes dans les coûts de fonctionnement d’un projet et de doter des pays possédant des ressources limitées d’infrastructures favorisant leur développement économique. Dans un pays en situation d’émergence, l’amélioration des conditions de travail, la création d’emplois, la formation et le transfert de connaissances sont autant de facteurs qui contribuent au développement local et à la réduction de la pauvreté.

Dans les PPP, tous les chemins ne mènent pas à Byzance. Le modèle économique a connu des difficultés pratiques à Londres en octobre 2007 suite à la faillite de l’un des deux consortiums chargés de la modernisation du métro londonien qui a contraint le gestionnaire municipal des transports de Londres à faire une offre de reprise pour les contrats. En effet, Metronet a déposé son bilan en juillet 2009, soit à la quatrième année d’un contrat de 17 milliards de livres signé en 1998 pour la modernisation des deux tiers du métro londonien. Elle a manqué de fonds après des dépassements de coûts de 2 milliards de livres dans le cadre d’un PPP pour lequel elle aurait accordé des contrats surpayés à ses actionnaires (UK Parliament, 2009). Les causes endogènes et exogènes des échecs de certains PPP sont encore peu documentées à l’heure actuelle et fournissent, selon nous, une vision parcellaire du problème dans la mesure où l’analyse est focalisée sur l’aspect financier. Les témoignages recueillis auprès des dirigeants de la SAV confortent, selon nous, la proposition selon laquelle il est nécessaire de tenir compte de plusieurs paramètres pour évaluer le succès d’un PPP. Froud et Shaoul (2001) préconisent de s’intéresser aux procédures d’évaluation des contrats de concession accordés à des fiduciaires (Trusts). Dans le secteur hospitalier britannique, les auteurs observent plusieurs difficultés conceptuelles dont la durée optimale du PPP, car une période trop longue tend à rigidifier le processus. De plus, un processus d’évaluation satisfaisant devrait s’effectuer ex ante et ex post et reposer sur des objectifs clairs, des scénarios alternatifs qui tiennent compte du risque et des incertitudes du contexte. Or, le cash-flow constitue généralement le critère principal d’évaluation des divers schémas de PFI, reléguant la question de l’accessibilité (affordability) et le niveau de services à assurer pour conserver un système de soins satisfaisant au second plan. Enfin, la transparence des comptes publics est essentielle pour effectuer cette évaluation car un contrat de concession peut permettre à un gouvernement de cacher le coût réel de certains services publics puisque la dette liée au PPP ne figure ni dans le budget ni dans les états financiers de l’Etat.

Pour KEELY, cette expérience a été riche d’apprentissages et a permis de bâtir un capital de connaissances qui sera utile aux projets futurs. Un projet réussi de cette envergure constitue, selon la SAV, un puissant outil de marketing pour décrocher de nouveaux marchés, même si la construction du capital de nouvelles connaissance a nécessité d’investir en ‘learning money’. Les PPP sont aussi chronophages et voraces en termes de ressources. Un dirigeant de KEELY estimait que « le projet valisien a mobilisé tellement de ressources au sein du groupe KEELY au fil des années qu’il aurait été difficile d’entreprendre un autre projet de cette envergure dans un autre pays ».

Conclusion et pistes de recherche future

Il ressort du PPP valisien plusieurs dimensions qui permettent de l’envisager sous la forme d’un écosystème concilié. L’Etat dispose d’une infrastructure modernisée et rentable sans avoir augmenté son endettement et le niveau d’imposition des citoyens ou avoir à vendre l’infrastructure concernée. Le concessionnaire a trouvé des avantages autres que financiers à entrer dans ce PPP en devenant un partenaire privilégié de la stratégie de développement économique du pays. Le PPP a catalysé la vitalité économique de la Valisie et s’inscrit dans une stratégie économique plus vaste que la modernisation de l’aéroport, le périmètre d’intervention du concessionnaire ayant largement dépassé le cadre technique du projet. En dressant le bilan de cette recherche, nous avons constaté que la plupart des travaux empiriques sont focalisés sur le PPP et les dimensions administratives qui le caractérisent et que le projet qui a induit le PPP devient quasiment secondaire. Or, l’expérience de la SAV indique que la création de valeur peut se produire tant dans le PPP que dans le projet lui-même. Nous suggérons donc que des approches systémiques soient adoptées pour étudier les PPP dans leur globalité. Mieux comprises et mieux arrimées entre elles, ces diverses perspectives peuvent faire évoluer la proposition de l’écosystème concilié qui invaliderait la tradition des partenariats fondés sur la méfiance, ce qui placeraient les notions de coopération et d’équilibre sociétal au centre du dispositif.