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À l’heure où les pays émergents constituent un objet d’attention à la fois des chercheurs et des entreprises, la zone Afrique offre de nombreuses opportunités, tant pour les firmes multinationales que pour les petites et moyennes entreprises (PME). Relativement méconnue sur le plan de la recherche en management international, l’Afrique constitue pourtant un « terrain » et un objet de recherche particulièrement attractifs. L’ambition de ce dossier thématique « Management International en Afrique » est de sélectionner des travaux originaux sur des thématiques actuelles et menées en contextes africains. Dans ce sens, et après plusieurs mois consacrés aux processus d’évaluation, cinq contributions constituent ce numéro. Elles traitent de problématiques différentes et portent sur des pays africains distincts.

Avant de laisser les lecteurs de la revue Management International profiter de la lecture de ces cinq articles, nous tenons, en tant qu’éditeurs invités, à préciser certains éléments de langage, et à discuter quelques notions relatives au management international en Afrique. Quatre points sont ainsi successivement abordés : les spécificités du management international en Afrique et la nécessaire contextualisation, les stratégies des acteurs et les styles managériaux, la contribution du management en contextes africains au champ du management international et, enfin, les enjeux pour le développement économique en Afrique.

Quelles spécificités des pratiques managériales internationales en contextes africains ?

Le potentiel des entreprises africaines a fait l’objet de nombreuses publications (Severino et Hadjenberg, 2016) et d’analyses très fines, à la fois des profils des entrepreneurs et des spécificités organisationnelles ou liées au contexte (Ellis et Faure, 1995). Depuis quelques années déjà, un courant de recherche important se focalise sur les spécificités du management et de l’entrepreneuriat africains (Shamba, 2007). Des recherches plus récentes ont porté sur la dimension « internationale » des entreprises africaines. Une dynamique importante a, en effet, été relevée dans le champ du management international sur le continent africain (Adeleye et al., 2015).

Au-delà des caractéristiques managériales africaines (Shamba 2007; Babarinde 2009), plusieurs recherches antérieures ont pu dégager des spécificités « continentales » de l’internationalisation des entreprises, que ce soit au niveau des acteurs (firmes multinationales et PME), des processus, ou des enjeux en termes de développement économique (Munemo 2012; Amal et al., 2013; Adeleye et al., 2015). Ces spécificités permettent d’appréhender l’internationalisation en Afrique comme un champ de recherche « différent », nécessitant des efforts de contextualisation et des adaptations des cadres d’analyse adoptés jusqu’ici.

Dans une analyse bibliométrique extensive, Ibeh et al., (2012) ont montré une forte diversité des facteurs spécifiques à l’internationalisation des entreprises africaines : une utilisation des réseaux formels et informels, une focalisation régionale, une prédominance du secteur des services, ainsi que des rythmes précoces et rapides d’internationalisation. À ces caractéristiques communes, il faudrait opposer une très forte diversité des situations selon les secteurs, les pays, les régions et les types d’entreprises.

Dans une analyse des 40 plus grandes firmes africaines à l’international, un rapport du Boston Consulting Group confirmait certaines des tendances précédentes : une forte concentration régionale des grandes firmes (18 en Afrique du Sud, 10 au Maghreb, 7 en Égypte), une internationalisation davantage « macro-régionale » que mondiale et une concentration sectorielle de plus en plus affirmée en privilégiant les secteurs de la banque et finance, des télécommunications et des ressources naturelles[1].

L’internationalisation des entreprises en Afrique interpelle également les chercheurs sur plusieurs questions spécifiques : le rôle accru des diasporas, africaines à l’étranger ou étrangères en Afrique (chinoise, indienne ou libanaise), les stratégies des firmes de certains pays sur des zones régionales (Maroc en Afrique de l’Ouest, Égypte en Afrique de l’Est, Afrique du Sud en Afrique australe, etc.) (McNamme et al., 2015), la performance et la compétitivité internationales (Ngok-Evina, 2014) des entreprises selon leur profil managérial et leur mode d’internationalisation (Gumede, 2004; Kropp et al., 2006; Matanda, 2012).

Ainsi, allant dans le sens de cette nécessaire contextualisation, un article proposé dans ce numéro thématique s’intéresse aux barrières exogènes du contexte institutionnel malgache et aux difficultés que rencontrent les PME de Madagascar (St-Pierre, Boutary, Razafindrazaka et Monnoyer, 2020). En effet, tandis que la littérature en management international est particulièrement féconde sur les enjeux de la localisation en prenant en compte les caractéristiques des pays hôtes, les auteures s’intéressent à l’influence du pays d’origine. Elles mettent alors en évidence les spécificités de l’écosystème entrepreneurial et des infrastructures locales (moins structurées dans les pays en développement comme Madagascar). Les résultats obtenus permettent de caractériser précisément les barrières exogènes propres au territoire du pays d’origine et leur impact sur les activités internationales.

Stratégies des acteurs et styles managériaux des firmes internationales en Afrique : une perspective comparative

Bien souvent, les chercheurs ont systématiquement adopté des concepts et cadres analytiques développés à l’extérieur de l’Afrique pour comprendre les réalités africaines. Cette approche de transposition est peu recommandée en management international au regard des spécificités du continent africain (Ado et Wanjiru, 2018). D’ailleurs, ces dernières décennies, davantage de recherches sont menées sur ces spécificités, particulièrement sur le management en contextes africains (Kamdem, 2007; Kolk et Rivera-Santos, 2018).

D’une part, à la lumière des études existantes, il s’avère de plus en plus nécessaire d’abandonner la notion de « management africain » au profit de celle du « management en Afrique » afin de mieux valoriser la richesse de ces spécificités africaines, tant en termes d’enseignements managériaux à tirer, que de création de connaissances sur le continent. Tout particulièrement, une dynamique importante en pratique et étude du management international émerge sur le continent africain (Adeleye et al., 2015; Babarinde, 2009; Terence, 2002). Une recherche qui contextualise et adapte davantage, aux réalités africaines, la pratique et les cadres théoriques empruntés des contextes hors Afrique.

D’autre part, dans le contexte africain, il est important de noter que plusieurs recherches ont été menées tant au niveau des profils des acteurs (individus, entreprises et institutions), des secteurs d’activités, des régions géographiques que des environnements, processus et formes de management ainsi que des stratégies d’internationalisation et de performance (Amal et al., 2013, Ibeh et al., 2012; Munemo, 2012; Ngok-Evina, 2014; Nizet et Pichault, 2007). Toutes ces approches ont continué à éclairer le sujet du management et de l’internationalisation en contextes africains dans un monde globalisé (Matanda, 2012; Monga et Lin, 2015; Okpara, 2012).

Parmi les articles de ce dossier thématique, plusieurs ont ainsi vocation à proposer des typologies d’entreprises internationalisées d’Afrique. Ainsi, Bah, Catanzaro et Ndione (2020) proposent une catégorisation originale des entreprises sénégalaises internationalisées. Contestant l’idée d’un modèle unique d’internationalisation et la prédominance de l’exportation, les auteurs démontrent la présence de plusieurs logiques d’internationalisation. Plus précisément, leurs résultats font émerger quatre catégories d’entreprises : les « résidentes », les plus traditionnelles qui adoptent une internationalisation tardive et réactive; les « hybrides », qui tirent profit du réseau du dirigeant pour se développer; les « identitaires », proactives vis-à-vis de l’international et qui défendent une vision panafricaine; et les « mondialisées », portées par un entrepreneur ambitieux, qui n’hésitent pas à s’internationaliser très tôt et à soutenir une stratégie mondiale.

De même, dans une autre contribution à ce dossier thématique, Ralandison, Milliot et Harison (2020) étudient deux groupements hétérogènes à Madagascar qui réunissent des PME exportatrices et des entreprises étrangères chargées de les porter à l’international. Là encore, les résultats obtenus permettent d’identifier et d’analyser deux profils d’acteurs : les profils comportementaux (ayant des capacités réactives permettant de faire face aux conditions de l’environnement externe) et les profils managériaux (ayant des attitudes proactives contribuant à impacter l’environnement externe).

De plus, les recherches actuelles sur le management en Afrique sont dominées par deux visions principalement dichotomiques. Une qui suggère que les firmes multinationales ayant réussi ailleurs avec leur propre style de gestion auraient de la facilité à instaurer ce style de gestion en Afrique et donc rencontreraient moins de difficultés dans leurs activités sur le continent. L’autre qui considère que l’Afrique étant un continent particulièrement singulier, les firmes multinationales devraient adopter un style endogène et contextualisé de management pour réussir en Afrique.

Cependant, il est important de considérer une troisième vision qui consiste à définir un terrain d’entente sur lequel le style de management propre à la firme multinationale étrangère serait concilié au style endogène de gestion spécifique au site africain où l’entreprise est installée. C’est dans cette perspective que s’inscrit le courant de recherche émergent sur l’hybridation managériale qui permet de construire le compromis entre le management international et le management dans un contexte particulier (Abo, 1994). Plusieurs travaux récents ont déjà exploré ce nouveau champ épistémique en contexte africain (Yahiaoui, 2010, 2015; Apitsa, 2018). Il ne faut donc pas marginaliser les styles endogènes de management en Afrique qui pourraient apporter des perspectives locales parfois plus efficaces que celles importées d’Occident ou des pays émergents. Même si des concepts africains comme l’Ubuntu ont des points communs avec des notions étrangères comme le lobbying, le Confucius ou le Guangxi, il n’en demeure pas moins que le style de management spécifique aux cultures africaines soit singulièrement attractif dans ses caractéristiques. Ainsi, les firmes multinationales pourront tirer avantage de la complémentarité que ces diverses conceptions regorgent en termes de meilleures pratiques managériales en Afrique.

Suivant cette logique, un article proposé dans ce dossier thématique s’intéresse au déploiement du volet social-RH des politiques RSE d’une firme multinationale dans ses filiales malgache, camerounaise et tunisienne (Apitsa, Ramboarison-Lalao et Gannouni, 2020). Les résultats obtenus montrent l’intérêt d’une approche hybride des pratiques à travers l’opérationnalisation d’une GRH socialement responsable, comprise et acceptée par les parties prenantes, comme un levier de bien-être et de performance sociale et économique. À travers cette recherche, les auteurs contribuent au débat classique standardisation, adaptation ou hybridation de la GRH à l’international, en l’appliquant aux questions de RSE et en contexte africain.

L’approche conciliante des styles de management permettrait ainsi d’optimiser les atouts des deux styles de management (étranger et endogène) sans tomber dans un dogmatisme managérial qui consisterait à renier les avantages et inconvénients de chacun d’eux. D’ailleurs, d’après une étude qui a analysé les activités des entreprises américaines et européennes en Afrique, le recours à des approches de leadership de compromis par les firmes occidentales, tout en combinant avec le leadership situationnel pour aligner les pratiques occidentales et africaines afin de parvenir à des normes communes de décisions, constitue une excellente approche managériale pour opérer en Afrique (Benyah, 2014).

Ainsi, ni le style purement étranger ni celui purement endogène ne sauraient être la réponse idéale aux défis du management en Afrique. Les avenues réalistes et pragmatiques seraient donc l’émergence soit d’un style mixte qui accommoderait les deux et en serait la résultante, soit alors un style radicalement nouveau qui constituerait une innovation managériale en soi et spécifique à chaque contexte de la multinationale étrangère en Afrique. De plus, selon Creek (2015) qui a étudié les cultures d’entreprise dans plusieurs nations d’Afrique de l’Ouest, les managers occidentaux ont besoin d’être attentifs à la culture, à l’influence familiale et aux croyances africaines comme l’Ubuntu, pour faciliter de meilleures interactions interpersonnelles et inter-organisationnelles ainsi qu’un management efficacement ancré sur les réalités africaines.

L’Afrique regorgeant d’une diversité culturelle significative, le management international, la création de connaissance, l’utilisation et le développement de modèles théoriques devront certainement refléter cette réalité du continent (Adeleye et al., 2015; Ado et Wanjiru, 2018). À titre illustratif, certains pays africains ont des caractéristiques institutionnelles et culturelles très francophones tandis que d’autres ont un profil très anglophone, et cela a des implications en management. En effet, ce type de différences justifie en partie la nécessité d’adapter les pratiques managériales au contexte local, national ou régional dans lesquels opère l’entreprise. Ces éléments rejoignent la classique opposition intégration/différenciation de Lawrence et Lorsch (1967) que Prahalad et Doz (1987) ont adapté dans le contexte international en proposant la dialectique intégration globale/réactivité locale. Depuis, de nombreuses recherches cherchent à aller au-delà de cette double tension, particulièrement dans le contexte des firmes multinationales (Romelaer et Beddi, 2015; Beddi, 2013), et ont mis en évidence cette nécessité d’aligner les systèmes de management des organisations aux environnements dans lesquels évoluent ces entreprises, et cela tant en Occident qu’en Afrique.

Cette priorisation d’allégeance en contexte organisationnel rendrait donc compréhensible qu’une entreprise américaine ait davantage de défis managériaux à relever en Afrique comparativement à une entreprise d’un pays émergent comme la Chine, car cette dernière a une culture aux caractéristiques plus collectivistes, et donc la rapprochant plus des cultures africaines. Ainsi, le style de management chinois, avec ces quatre principales caractéristiques (réactivité, improvisation, flexibilité et rapidité), suppose que les individus sont culturellement prédisposés à considérer les membres de leur organisation comme une famille, et qu’il est primordial de nouer des relations personnelles, collectives et informelles tant dans la firme qu’avec des fonctionnaires pour la réussite de l’entreprise (Hout et Michael, 2014).

En revanche, le style de management des entreprises occidentales s’attend souvent à ce que les affaires soient procédurales et justes, fondées sur des règles officielles écrites et transparentes, une attente peu réaliste dans le contexte actuel des pays africains. En conséquence, ces deux approches de management (pays occidentaux versus pays émergents), l’une plus ancrée sur des mécanismes formels et l’autre davantage sur l’informel, rencontreront éventuellement des défis différents en Afrique. De plus, les styles de management des entreprises des pays émergents adoptent, en général, une structure organisationnelle simple dans laquelle tout est directement rapporté au dirigeant principal, alors que le management à l’occidental se caractérise généralement par une structure organisationnelle beaucoup plus décentralisée. Cela justifie, une fois de plus, la nécessité pour la firme multinationale de faire émerger un style mixte ou alors radicalement nouveau pour réussir en contextes africains.

Le management en contextes africains : une opportunité pour le renouvellement du management international

Depuis une vingtaine d’années, l’Afrique est entrée dans une période de croissance économique qui se traduit par davantage d’investissements locaux et étrangers (Severino et Hadjenberg, 2016). Cette croissance révèle un processus de transformation profonde des économies africaines dont il faut souligner la lente et difficile insertion dans le système économique mondialisé (Monga et Lin, 2015). Ce renouveau économique africain avait déjà fait l’objet, quelques années auparavant, d’une série d’interpellations sur le renouvellement des visions et des pratiques managériales en contexte africain (Blunt et Jones, 1992; Blunt et al., 1993).

Ce débat a connu des prolongements, notamment à travers les interrogations sur l’existence de modèles africains de management (Bourgoin, 1993; Hernandez, 1997; Kamdem, 2002; Terence, 2002; Nizet et Pichault, 2007). Force est de constater que ce renouveau et ce dynamisme de la recherche sur le management en Afrique avaient suscité peu d’intérêt dans la communauté scientifique du management international. Par exemple, dans l’un des ouvrages francophones phares sur le management dans le monde, l’Afrique est oubliée dans les différentes éditions successives (Aktouf, 1989, 1994, 2004, 2006). Pendant longtemps, l’Afrique a donc été un continent marginalisé dans la littérature internationale sur le management.

C’est depuis quelques années seulement, à la faveur de la croissance économique retrouvée, qu’elle suscite un intérêt croissant auprès de la communauté des chercheurs et des praticiens (Amaeshi et al., 2018; Georges et al., 2016; Jacquemot, 2016; Adeleye et al., 2015). Dans cette perspective, il est intéressant de comprendre pourquoi et comment les visions et les pratiques managériales observées en Afrique peuvent susciter des innovations par rapport à celles qui sont observées ailleurs dans le monde. En d’autres termes, quels sont les apports réels ou potentiels du management en Afrique au renouvellement du champ épistémique du management international ? Cette interrogation permet d’identifier certains défis et d’explorer les chantiers futurs du renouvellement du management en Afrique.

Mais avant toute réflexion dans le prolongement de la question posée, une clarification sémantique s’impose. De quoi parle-t-on ? Du management africain ou du management en Afrique ? Cette clarification préalable permet de mieux cerner le contenu et les contours de ce management, comparativement à d’autres formes (modèles) de management ailleurs dans le monde.

Notre analyse remet en question la vision d’un « management africain », pour différentes raisons. L’Afrique est le continent des diversités (historique, géographique, climatique, culturelle, linguistique, religieuse, économique, etc.) (Courade, 2014). Ces diversités, selon les cas, peuvent être productrices de menaces ou d’opportunités. Nous privilégions l’hypothèse des opportunités en considérant les diversités africaines comme le socle d’émergence des pratiques de management qui peuvent varier d’un pays, d’une région à l’autre.

Dans ce sens, l’hypothèse d’un « management africain » est très discutable dans la mesure où elle renforce la tentation d’occultation des singularités nationales et régionales (Shamba, 2007). C’est la raison principale pour laquelle, dans les travaux de recherche sur le management en Afrique, l’une des recommandations préalables aux chercheurs est de délimiter le champ ou l’espace territorial de la recherche empirique (ville, pays, région géographique, diaspora, etc.). Cette perspective analytique nous suggère de rejeter la formulation en termes de « management africain » qui a l’air d’un fourre-tout indescriptible. La préférence est donnée à celle du « management en contextes africains » ou simplement du « management en Afrique ».

Il est donc important de s’intéresser aux innovations que les pratiques de management en Afrique peuvent apporter au management international. Ces innovations peuvent par exemple consister à explorer ou revisiter les concepts, théories, épistémologies et méthodologies pour une recherche managériale enracinée en Afrique[2]. C’est dans cette perspective innovante que s’inscrit ce dossier thématique sur le management international en Afrique.

Dans cet esprit, l’article d’Aymard, Brulhart et Vieu (2020), questionne le modèle d’Uppsala, largement mobilisé dans les recherches portant sur l’internationalisation des entreprises occidentales, pour expliquer les facteurs de poursuite de l’implantation des PME au Maghreb. Plus particulièrement les auteurs explorent le rôle de l’expérience de l’entreprise (une PME française) et du résultat d’une première localisation (au Maroc) sur le développement de son implantation dans la même zone (le reste du Maghreb).

Ainsi, le développement de connaissances contextualisées peut être remobilisé pour des analyses dans d’autres contextes africains. Cela serait l’occasion de « tester » les résultats obtenus dans un contexte spécifique dans d’autres situations africaines. Par exemple, nous pouvons envisager des recherches sur la localisation régionale des firmes africaines ou encore, l’étude des itinéraires d’internationalisation de firmes multinationales (ou d’entreprises de moindre taille) d’Afrique dans d’autres pays africains. Cela a été initié dans certaines recherches antérieures (par exemple, l’analyse du développement de Danone en Libye, via sa filiale algérienne (Cheriet, 2015)).

La vision éditoriale de ce dossier est de faire de l’Afrique, dans ses diversités, un continent producteur de la connaissance en management. C’est une ambition scientifique dont la justification réside dans le constat déplorable de la faible contribution africaine à la production de la connaissance en management international. Jusqu’à présent, le cheminement scientifique de la majorité des chercheurs africains est d’utiliser la connaissance managériale produite en dehors de l’Afrique, pour apporter des réponses aux préoccupations managériales observées en Afrique. Les chercheurs et les praticiens africains se retrouvent ainsi dans une posture plus ou moins inconfortable de consommateurs de connaissances peu « actionnables » (Avenier et Schmitt, 2007) qui n’apportent pas des réponses spécifiques aux problèmes posés. La finalité de ce dossier thématique est alors d’identifier des axes pertinents et innovants de la contribution du management en Afrique au champ du management international.

Deux illustrations empruntées à des métaphores culturelles africaines permettent d’argumenter notre analyse. La recherche et la production scientifique africaines pourraient avoir des implications théoriques et managériales innovantes dans le champ d’analyse managérial de la conflictualité organisationnelle et sociétale. La première illustration porte sur la métaphore culturelle africaine de « l’arbre à palabre » (Okamba, 1994) qui peut être utilement mobilisée dans les négociations internationales entre des partenaires de différentes origines. La deuxième concerne la métaphore de « l’Ubuntuisme » (Nyaumwe et Mkabela, 2007), de plus en plus explorée dans la littérature managériale sud-africaine, pour l’analyse des structures de médiation dans un contexte de conflictualité. Ces métaphores culturelles peuvent guider des chercheurs dans la construction du champ conceptuel et théorique de leurs travaux. Elles peuvent aussi les orienter vers le renouvellement de l’approche épistémologique et méthodologique, par l’utilisation des méthodes qualitatives (études des cas, récits de pratiques, histoires de vie, etc.) qui semblent mieux adaptées aux contextes africains de la recherche en management. En définitive, ces métaphores culturelles africaines illustrent parfaitement les axes possibles de la contribution des sciences sociales à la recherche managériale en Afrique.

Management international en Afrique et enjeux de développement de l’Afrique

Les recherches en management international ont aussi vocation à proposer des contributions managériales, en vue de faire bénéficier le continent africain de ses apports. Cette utilité concerne les dirigeants d’entreprises, les entrepreneurs mais aussi les pouvoirs publics.

En particulier, les firmes multinationales africaines ont recours à des flux importants d’investissements directs étrangers (IDE) Sud-Sud et Sud-Nord, quoique dans une mesure nettement moindre que les économies des BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine) (Ibeh, 2013, 2015). Leur contribution se reflète dans le bond massif du stock global d’IDE du continent, qui est passé de 38,9 milliards de dollars en 2000 à 268,7 milliards de dollars en 2016, et comptant, de manière croissante, plus de 500 firmes multinationales de services (UNCTAD, 2015). Sans surprise, les firmes multinationales sud-africaines sont l’un des principaux contributeurs à ces IDE (Verhoef, 2016), mais les firmes multinationales africaines naissantes, notamment celles du Nigéria, du Togo, du Maroc et d’Égypte, sont également de plus en plus répandues (Ibeh, 2018). Cette importance croissante de l’international témoigne ainsi de l’intérêt et de l’utilité des recherches en management international. En effet, en termes de développement de l’Afrique, deux approches sont ainsi associées. 

Tout d’abord, une première approche concerne l’attractivité plus forte des pays africains en attirant les entreprises internationales (firmes multinationales ou PME) issues des pays développés et des pays émergents. L’idée est bien d’avoir une nouvelle dynamique qui anime les affaires en Afrique, en considérant le continent comme une source d’IDE et d’implantation des actifs pour des firmes multinationales à succès, et non comme un simple bénéficiaire passif de flux de financements provenant de Chine ou d’autres pays cherchant à exploiter des ressources naturelles (Adeleye et al., 2015). Dans cette logique, un numéro spécial dans The International Journal of Human Resource Management a, par exemple, porté en 2015 sur les firmes multinationales des pays émergents en Afrique et les enjeux en matière de gestion des ressources humaines (Cooke et al., 2015). Deux articles dans ce dossier thématique se situent dans cette perspective. Apitsa, Ramboarison-Lalao et Gannouni (2020) étudient une firme multinationale française ayant des filiales au Cameroun, à Madagascar et en Tunisie et Aymard, Brulhart et Vieu (2020) s’intéressent à l’implantation d’une PME française au Maghreb.

Ensuite, une seconde perspective de développement concerne le développement des entreprises africaines à l’international en leur fournissant les clés de développement utiles et « opérationnalisables ». Ce développement peut être réalisé à l’échelle du continent africain, dans une visée régionale (Ibeh et al., 2012), ou dans le cadre d’un développement mondial. À titre illustratif, Adams et al. (2017) s’intéressent ainsi aux systèmes et pratiques RH des firmes multinationales sud-africaines dans leurs filiales au Ghana. Ibeh (2018) étudie, quant à lui, les IDE réalisés par les firmes multinationales africaines naissantes en dehors de leur région d’origine. L’auteur met alors en avant l’intérêt d’analyser les investissements intra-régionaux ainsi que la nécessité que les IDE extra-régionaux sélectifs et stratégiques bénéficient d’un soutien politique approprié. Enfin, Luiz et al. (2017) analysent les décisions d’internationalisation prises par le géant South African Breweries. Trois articles de ce dossier thématique s’inscrivent dans cette perspective : Bah, Catanzaro et Ndione (2020) portant sur les PME sénégalaises, St-Pierre, Boutary, Razafindrazaka et Monnoyer (2020) et Ralandison, Milliot et Harison (2020) sur les PME malgaches. À noter la contribution de Bah, Catanzaro et Ndione qui, dans leur catégorisation des entreprises sénégalaises, identifient un profil d’entreprises, les « identitaires » poursuivant une internationalisation régionale.

En outre, les acteurs du développement peuvent être variés. Les firmes multinationales sont bien évidemment les premiers acteurs, qu’elles soient étrangères ou africaines. Les PME sont également des acteurs qui adoptent de plus en plus un comportement international. D’ailleurs, la notion de réseaux est alors prédominante, réseaux d’entreprises et réseaux d’individus. Enfin, ces liens peuvent être tissés dans le cadre de partenariats avec des États qui ont un rôle fort, ou des organisations non gouvernementales (ONG). Par conséquent, les niveaux d’analyse peuvent être variés (individus, organisations, ensemble d’organisations, pays etc.). Dans ce dossier thématique, trois articles portent sur les PME internationalisées (St-Pierre, Boutary, Razafindrazaka et Monnoyer, 2020; Ralandison, Milliot et Harison, 2020; Aymard, Brulhart et Vieu, 2020), un article sur les firmes multinationales (Apitsa, Ramboarison-Lalao et Gannouni, 2020) et, enfin, un article sur les entreprises internationalisées indépendamment de leur taille (Bah, Catanzaro et Ndione, 2020).

Les modes de développement peuvent également être divers : exportation, investissement direct étranger, alliances/partenariats, fusions-acquisitions, réseaux etc. Deux articles de ce dossier spécial se focalisent sur les PME exportatrices (Ralandison, Milliot et Harison, 2020; St-Pierre, Boutary, Razafindrazaka et Monnoyer, 2020) tandis qu’un article porte sur les stratégies d’implantation des PME (Aymard, Brulhart et Vieu, 2020) et un sur l’internationalisation des entreprises plus globalement (Bah, Catanzaro et Ndione, 2020).

Enfin, la finalité peut varier. Elle peut concerner la recherche d’une compétitivité internationale et la performance financière et économique. C’est le cas, par exemple, de Liou et Rao-Nicholson (2017) qui étudient la performance post-acquisitions des entreprises sud-africaines dans les pays développés. Cette finalité peut aussi être sociale, sociétale et/ou environnementale, dans le cadre de politiques de responsabilité sociale des entreprises (Gruber et Schlegelmilch, 2015; Pestre, 2011; Kühn et al., 2018; Reddy et Hamann, 2018), qui viennent ainsi en appui au développement du continent africain. Dans ce dossier thématique, un article investigue ces questions de RSE, à travers l’étude d’une firme multinationale ayant des filiales dans plusieurs pays africains (Apitsa, Ramboarison-Lalao et Gannouni, 2020).

Le lecteur l’aura compris, les contextes africains soulèvent d’autres enjeux de recherche en management international et de pratiques des entreprises : le développement sectoriel, l’intégration à l’économie mondiale et les constructions économiques et monétaires régionales, les questions de finance internationale, la logistique internationale, l’appropriation et le développement des innovations et des compétences, la question du numérique et des nouvelles technologies, la gestion des ressources humaines, les réponses du continent aux enjeux du changement climatique, … Autant de défis pour des recherches futures !