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Santangelo et Meyer (2011, p. 894) définissent l’internationalisation comme étant un « processus de constitution d’un positionnement dans des marchés et réseaux étrangers, suivant des cycles itératifs d’apprentissages et variations du niveau d’engagement ». L’internationalisation est ainsi assimilée à l’accès et au positionnement au sein de nouveaux réseaux d’affaires à l’étranger. A l’image de Santangelo et Meyer (2011), la littérature en management international accorde une importance croissante à la notion de réseau au regard des externalités positives en émanant. Définis comme étant un « ensemble d’acteurs et de relations les liants » (Hoang & Antoncic, 2003, p. 167), les réseaux constituent un réel catalyseur de l’internationalisation pour les entreprises Johanson et Vahlne, 2009; Vahlne & Johanson, 2013). Ils influencent les choix stratégiques opérés en matière de développement international, notamment au niveau de la décision et du niveau d’engagement (Baum et al., 2015) et de la localisation (Lei & Chen, 2011).

Ceci est particulièrement vrai pour les PME au regard des ressources et compétences limitées dont elles disposent (Musteen et al., 2014). Hollender et al. (2017) précisent que les PME souffrent de trois handicap liés à leur petite taille : (1) le manque de ressources et compétences les rendant plus vulnérables aux échecs à l’étranger; (2) leur manque de connaissances spécifiques des marchés résultant de leur expérience internationale limitée, de leur forte orientation domestique et de leur accès limité aux informations spécifiques; (3) une forte sensibilité aux défis croissants imposés par les marchés étrangers. Les réseaux viennent pallier ces handicaps en facilitant l’identification de nouvelles opportunités (Ellis, 2011), l’accès aux ressources et compétences et, ainsi, la construction d’un avantage concurrentiel à l’étranger (Johanson et Vahlne, 2009; Child & Hsieh, 2014). La capacité à construire et mobiliser un réseau revêt alors une importance clé, notamment en Chine en raison de la forte distance existante et du poids des guanxi dans les pays. Définis comme étant un « groupe d’individus connectés par une pluralité de relations interpersonnelles, développées et maintenues par le biais de la confiance et des obligations réciproques » (Udomkit & Schreier, 2017, p. 2), les guanxi sont indissociables des affaires en Chine. Ils reposent sur de fortes relations personnelles établies dans le temps et régissent l’accès aux opportunités d’affaires dans le pays. Dès lors, la réussite en Chine est conditionnée par l’appartenance à un ou plusieurs guanxi.

Si les recherches précédemment conduites en la matière mettent en avant le rôle moteur des réseaux pour les PME, peu d’entre elles se sont attachées à identifier les difficultés qu’ils pouvaient potentiellement engendrer – notamment en contexte émergent. Selon Coviello et Munro (1997) et Mort et Weerawardena (2006), les réseaux peuvent inhiber les efforts d’internationalisation, réduire la flexibilité et, à terme, accroître les risques auxquels les PME sont exposées. Francioni et al. (2017) précisent que la mobilisation des réseaux engendre trois difficultés potentielles pour les PME : (1) des coûts de coordination élevés dus aux problèmes de coopération avec les membres, (2) un impact non-systématique et non-immédiat sur la performance et (3) un investissement conséquent dans la constitution et le maintien du réseau en raison du caractère temporaire des relations, celles-ci se créant, s’altérant et se détruisant au fil des ans (Johanson & Mattsson, 1988). Précisons que ces recherches ont été conduites dans des contextes d’économies matures or celles-ci diffèrent grandement des économies émergentes. Dès lors, identifier les difficultés rencontrées par les PME en Chine en raison des réseaux prend tout son sens.

Prenant appui sur la théorie des réseaux et l’approche behaviouriste, cet article vise ainsi à mettre en lumière les difficultés – inhérentes à la constitution et à la mobilisation des réseaux – rencontrées par une PME française en Chine. L’étude de cas longitudinale, conduite entre 2013 et 2017, nous permet de retracer la trajectoire d’internationalisation de la PME Mixel Agitateurs en Chine ainsi que d’identifier les différents réseaux mobilisés et les difficultés rencontrées au fil des ans.

L’article est organisé comme suit. Dans une première partie, nous présentons les fondements théoriques constituant le socle de notre recherche. Nous exposons par la suite la méthodologie retenue ainsi que notre cadre empirique. La troisième partie nous amène à confronter les résultats empiriques au cadre théorique mobilisé afin de faire ressortir les contributions de notre recherche. Nous concluons en présentant les principales limites et perspectives de recherches futures.

Les réseaux : moteurs ou freins du développement international des PME ?

Les réseaux et les relations sociales qui les composent influencent indéniablement les choix stratégiques opérés par les PME, notamment en matière de développement international (Johanson & Mattsson, 1988; Coviello & Munro, 1997; Ramadan & Levratto, 2011). Les informations échangées permettent aux membres du réseau d’accéder à de nouvelles opportunités d’affaires et, donc, de faciliter le processus d’internationalisation. Dès lors, les entreprises sont incitées à s’engager dans la constitution, l’extension et l’exploitation de leur capital réticulaire. Toutefois, la littérature s’accorde aussi à reconnaître que le développement et la consolidation des réseaux ne sont pas sans risques pour les PME en raison des handicaps – de taille, de ressources, etc. – dont elles souffrent. Après avoir présenté les apports des réseaux sur la trajectoire d’internationalisation des PME, nous nous intéresserons aux difficultés et aux risques qu’ils engendrent.

Réseaux et développement international des PME : apports

Indépendamment des théories sur lesquelles elle s’appuie, la littérature s’accorde à reconnaître le rôle moteur et facilitateur des réseaux sur l’internationalisation des PME. (Freeman et al., 2006; Musteen et al., 2014). La théorie des réseaux figure, aujourd’hui, parmi les trois théories les plus fréquemment mobilisées pour expliquer le développement international des PME (Ramadan & Levratto, 2011). Analysée sous le prisme des réseaux, l’internationalisation y est appréhendée comme un processus d’apprentissage, d’échange et de création de valeur multilatéral n’étant plus seulement motivée par l’accès au marché mais plutôt par le développement de relations formelles et informelles – au niveau intra- comme inter-organisationnel – avec un ensemble d’acteurs étrangers (Johanson & Vahlne, 2009; Vahlne & Johanson, 2013). La théorie des réseaux explique, en effet, la formation d’accords internationaux entre entreprises ainsi que le partage d’informations et/ou de ressources entre membres (Dominguez, Mayrhofer & Obadia, 2017). Les réseaux influencent tant les décisions stratégiques opérées que la vitesse d’internationalisation (Johanson & Mattsson, 1988). Le choix du mode d’entrée apparaît ainsi influencé par la nature et la structure des relations entretenues avec les partenaires à l’étranger (Udomkit & Schreier, 2017). L’internationalisation, et la forme qu’elle prend, dépend donc à la fois des choix opérés par les individus et des liens – formels et informels – développés avec les différents partenaires (Casper, 2007; Stuart, Ozdemir et Ding, 2007; Ramadan & Levratto, 2011). Dans ce contexte, la capacité à constituer, à développer et à manager un réseau constitue une compétence clé pour les PME (Coviello & Munro, 1997; Sharma & Blomstermo, 2003). Elle favorise l’internationalisation rapide/jeune, concourt à réduire barrières inhérentes à la taille et/ou aux ressources limitées (Freeman et al., 2006; Galkina & Chetty, 2015).

A l’image de Freeman et al. (2006) ou encore Galkina et Chetty (2015), plusieurs auteurs ont démontré le rôle moteur des réseaux dans l’internationalisation des PME. Johanson et Vahlne (2009) et Vahlne et Johanson (2013) mettent en avant le rôle des réseaux comme source d’informations spécifiques et de connaissances expérientielles requises par assurer la réussite et la pérennité du processus d’internationalisation (Schweizer, 2013; Udomkit & Schreier, 2017). Le soutien émotionnel et les conseils prodigués par les membres réduisent le niveau d’incertitude perçue par les dirigeants (Leyden, Link & Siegel, 2014). Les dirigeants sont alors incités à hétérogénéiser leurs relations au sein des réseaux afin d’accéder à des connaissances diversifiées et d’optimiser le processus d’internationalisation. Les relations sociales influencent, en effet, le développement international des PME à deux niveaux. D’une part, elles limitent les coûts et délais de l’expansion en permettant au dirigeant d’accéder rapidement aux clients et aux partenaires d’affaires potentiels dans le pays cible. D’autre part, elles facilitent le processus d’apprentissage via l’échange répété d’informations et de connaissances entre les membres (Nahapiet & Goshal, 1998; Prashantam & Birskinshaw, 2015). Elles peuvent même, dans certains cas, faire office d’institutions dotées de leurs propres systèmes de règles, normes et valeurs et, en ce sens, orienter les actions futures de l’entreprise (Udomkit & Schreier, 2017).

En d’autres termes, les réseaux participent à la création d’un avantage concurrentiel durable car ils sont porteurs des ressources, de confiance et d’opportunités d’affaires nécessaires pour envisager une augmentation du niveau d’engagement à l’étranger (Coviello & Munro, 1997; Catanzaro et al., 2012; Musteen et al., 2014 ). Ils créent de la valeur pour les membres se matérialisant principalement sous forme de ressources intangibles relationnelles (Manolova et al., 2010). Dès lors, l’incapacité à se constituer et/ou à s’insérer au sein d’un réseau constitue un handicap (appelé handicap de la non-appartenance au réseau) pour les PME souhaitant se développer à l’international (Johanson & Vahlne, 2009; Vahlne & Johanson, 2013). Ceci sera particulièrement important en contexte émergent en raison du poids des réseaux dans ces pays.

La prépondérance des réseaux dans les pays émergents s’explique tant par les vides institutionnels locaux (Khanna & Palepu, 1997), que par le poids des relations interpersonnelles et des spécificités culturelles locales (Milliot, 2016). Dans ce contexte, les PME tendent à mobiliser davantage leurs réseaux et consolider les relations existantes – notamment avec des entreprises locales – afin de réduire le niveau de risque perçu (Welch & Welch, 2004; Mainela & Puhakka, 2009; Pinho & Martins, 2010; Torkkeli, Puumalainen, Saarenkento & Kuivalainen, 2012; Narooz & Child, 2017). Ceci est particulièrement vrai dans le cas de la Chine au regard du rôle moteur des guanxi, pierre angulaire de l’économie locale, dans le pays (Milliot, 2016; Opper, Nee & Holm, 2017). Définis comme étant un « groupe d’individus connectés par une pluralité de relations interpersonnelles, développées et maintenues par le biais de la confiance et des obligations réciproques » (Udomkit & Schreier, 2017, p. 2), les guanxi s’apparentent des institutions informelles venant encadrer les pratiques des acteurs – notamment dans les environnements peu transparents (Nee & Opper, 2010; 2012). Leur fonctionnement est régit par un ensemble de règles, de normes et de valeurs qui leurs sont propres et qui s’imposent aux membres. Les guanxi sécurisent l’accès aux ressources et aux services, permettant aux organisations qui en sont membres d’accroître leurs performances financières et de gagner des parts de marché (Luo et al., 2011). Dès lors, l’appartenance à différents guanxi constitue un facteur clé de succès pour les entreprises souhaitant se développer en Chine, les relations d’affaires y étant fortement influencées par la notion de réciprocité. Toute entreprise ne parvenant pas à développer son propre guanxi et à s’entourer de membres influents parviendra difficilement à pénétrer le marché chinois, en raison du handicap de la non-appartenance au réseau (Johanson & Vahlne, 2009; Lei & Chen, 2011). En effet, les guanxi tirent leur spécificité des interactions constantes entre les sphères personnelles et professionnelles des membres – mettant en lumière le rôle clé des middlemen locaux porteurs de guanxi. En effet, si les ressources échangées entre entreprises appartiennent bien aux organisations, les middlemen jouent un rôle clé dans l’allocation de ces ressources envers leurs partenaires. Cai, Jun & Yang (2017) expliquent ainsi qu’en voulant honorer un membre de son guanxi, un middleman chinois pourra persuader l’entreprise au sein de laquelle il opère d’offrir une réduction de prix à un de ses clients locaux. Ceci permet au middleman de faire une faveur au niveau organisationnel (entreprise cliente) mais aussi personnel (membre de guanxi) renforçant alors les liens entre les membres impliqués. Les auteurs mettent en avant le rôle moteur de ces middlemen – caractérisés de « boundary spanners » (ou « passeurs de frontières ») – dans le développement des relations d’affaires en Chine dans la mesure où ils facilitent l’accès aux ressources et opportunités d’affaires dans le pays.

En résumé, les réseaux jouent un rôle clé dans le développement international des PME (Ramadan & Levratto, 2011). Par les ressources et les compétences qu’ils véhiculent, ils favorisent l’acquisition de nouvelles connaissances, l’accès aux opportunités d’affaires et la réduction des risques perçus. Les relations nouées ont un impact sur la motivation et les modalités de l’internationalisation des PME. Toutefois, le développement et la consolidation des réseaux exposent également les PME à un ensemble de risques et de difficultés potentielles telles que le risque de dépendance.

Réseaux et développement international des PME : difficultés et risques

S’ils constituent bien une condition préalable à l’internationalisation (Johanson & Mattsson, 1988; Udomkit & Schreier, 2017), les réseaux exposent également les PME à plusieurs difficultés demeurant peu analysées dans la littérature. Ces difficultés ont principalement trait à (1) l’investissement nécessaire à l’insertion et à l’animation des réseaux et (2) au risque de dépendance envers certains membres.

Selon la théorie des réseaux, les entreprises s’engagent dans le développement, la consolidation et la gestion de leur positionnement au sein de réseaux étrangers (Johanson & Mattsson, 1988). A l’instar du processus d’internationalisation, la constitution du réseau s’effectue de manière graduelle, l’entreprise augmentant séquentiellement son niveau d’engagement en vue de participer à la vie du réseau et d’asseoir son positionnement. Ceci requiert d’importants investissements en termes de ressources et sous-tend un retour sur investissement non-immédiat voire particulièrement long dans les pays dans lesquels l’établissement de la confiance est un pré-requis à tout relation d’affaires. Comme avancé par la théorie de l’échange social (Macneil, 1978, 1980), un réseau ne peut fonctionner qu’à condition que les membres s’impliquent de façon active et permanente dans la vie de celui-ci tout en acceptant de mettre en commun certaines ressources. Or, dans un contexte de ressources et compétences limitées, ce principe de réciprocité et d’engagement croissant contraint certaines entreprises telles que les PME à procéder à un double arbitrage entre (1) développement national ou international et (2) développement du réseau (en vue d’accéder à de nouvelles opportunités dans le futur) ou poursuite de leurs opérations internationales actuelles. Dès lors, le développement et la mobilisation des réseaux peuvent engendrer des contraintes supplémentaires non-anticipées par les PME venant réduire l’attractivité des réseaux, d’une part, et la viabilité du projet d’internationalisation d’autre part. Ceci est particulièrement vrai dans les pays émergents dans la mesure où, en raison de l’hostilité ou de la turbulence de l’environnement, les entreprises sont contraintes de s’appuyer massivement sur les réseaux (Torkkeli et al., 2012). Opper, Nee et Holm (2017) indiquent, en ce sens, qu’à l’image de toute forme de capital, les activités nécessaires au développement des guanxi requièrent d’importants investissements que les entrepreneurs ne sont pas toujours prêts à réaliser en raison du coût et du caractère incertain et imprévisible du retour. En effet, le retour sur investissement dépend non seulement de la confiance en la fiabilité et la fidélité de la relation mais aussi d’événements externes pouvant survenir en cas de sortie imprévue de membres du guanxi.

Les travaux conduits par Coviello et Munro (1997) puis Sharma et Blomstermo (2003) montrent également que le manque de ressources pousse la majorité des PME à sur-exploiter les relations existantes au détriment de toute diversification. Loane et Bell (2006) précisent que seules les PME de niche investissent massivement dans la création de nouvelles relations en raison de la redondance des informations, ressources et compétences provenant des réseaux existants (Schweizer, 2013). En d’autres termes, les PME consolident les relations dyadiques existantes au risque de devenir fortement dépendantes d’un (ou d’un petit nombre) d’acteurs clé au sein du réseau (Lei & Chen, 2011). Ces auteurs indiquent ainsi que le manque de ressources réduit les possibilités de diversification des réseaux et de multilatéralisation des relations. Les entreprises dépendantes ne seront pas à même de créer ou d’exploiter leur propre avantage concurrentiel. Ceci peut alors conduire à la perte d’indépendance de la PME, mettre en péril la pérennité de ses activités et/ou provoquer l’échec de son processus d’internationalisation dans la mesure où elle devient dépendante envers les membres influents du réseau porteurs de ressources. Ceci s’avère particulièrement complexe en contexte chinois en raison de la nature personnelle des guanxi et des risques relationnels qu’ils sous-tendent. En effet, les relations sont développées entre individus mais « n’appartiennent pas » à l’organisation au sein desquels les individus opèrent (Opper, Nee & Holm, 2017). Le départ d’un individu engendre ainsi la sortie quasi automatique de l’entreprise du réseau auquel l’individu appartient. Dès lors, il semble raisonnable de dire que les PME étrangères souhaitant pénétrer le marché chinois se trouveront surexposées au risque de dépendance envers leurs partenaires commerciaux ainsi qu’envers les middlemen chinois porteurs de guanxi.

Axelsson et Johanson (1992) ont identifié trois principales limites à l’internationalisation par le biais des réseaux, à savoir (1) la participation active et permanente à la vie du réseau – l’entreprise ne pouvant pas se contenter d’adopter une position d’observateur; (2) l’obligation d’investir une quantité croissante de ressources en vue de développer et consolider les relations et, enfin, (3) l’effet de cooptation et l’homogénéité des relations en résultant – l’accès aux réseaux stratégiques s’effectuant souvent à l’initiative d’autres membres. Musteen et al. (2014) précisent toutefois que les réseaux homogènes génèrent des connaissances présentant un intérêt limité pour les PME. En effet, les réseaux homogènes (composés de membres aux expériences et profils similaires) sont vecteurs d’une quantité limitée et peu variée d’informations s’avérant souvent générales et redondantes. L’intégration de tels réseaux ne permet alors pas nécessairement aux entreprises de comprendre les dynamiques environnementales locales (Chandra et al., 2009) or, plus le marché cible est distant du marché d’origine, plus il devient important de s’insérer dans des réseaux diversifiés.

Catanzaro et al. (2012) précisent que l’apport et l’efficacité des réseaux diffèrent selon la force des liens entre les membres, d’une part, et la stabilité de l’environnement, d’autre part. Selon ces auteurs, les réseaux sociaux (liens forts) ne sont pertinents que dans le cas d’une internationalisation naissante et/ou dans des pays proches. Les réseaux calculatoires sont, pour leur part, plus adaptés à un développement dans des pays instables ou distants – les relations n’étant pas basées sur la confiance et n’ayant pas vocation à être répétées dans le temps (Higgins, 2010; Catanzaro et al., 2012). Ainsi, la création de liens faibles sera particulièrement adaptée à un développement dans les marchés émergents en raison (1) de la distance relative avec le marché d’origine et (2) de l’inefficience des institutions locales.

Outre la diversification des relations et les ressources nécessaires au développement de celles-ci, Hitt, Lee et Yucel (2002) notent que l’apport des réseaux dépend de la capacité des PME à sélectionner les bons partenaires et à s’insérer au sein des réseaux les plus pertinents. Les travaux conduits par ces auteurs montrent, en effet, que les réseaux peuvent dans certains cas réduire les possibilités de saisie de nouvelles opportunités à l’étranger (Johanson & Vahlne, 2003; Torkkeli et al., 2012). En effet, ils ne fournissent pas nécessairement les ressources les plus pertinentes mais plutôt un ensemble de ressources complémentaires n’ayant potentiellement qu’un impact indirect sur l’identification des opportunités. Dès lors, la mobilisation des réseaux peut parfois accroître les coûts d’opportunité et de dépendance des PME envers les membres de leurs réseaux (Hitt, Lee & Yucel, 2002; Torkkeli et al., 2012). Elle peut également soulever des problèmes éthiques pour les PME occidentales s’orientant vers les marchés émergents tels que la Chine (Lovett et al., 1999). En effet, les guanxi s’apparentent à des institutions informelles régies par des règles et des systèmes de valeur qui leurs sont propres et qui vont parfois à l’encontre du cadre légal fixé par les institutions formelles locales. Dès lors, les entreprises étrangères sont poussées à l’hybridation de leurs pratiques et cultures afin de s’adapter aux us et coutumes locales.

En résumé, si les réseaux restent particulièrement influents en matière de développement international, leur constitution et leur mobilisation exposent toutefois les PME à plusieurs difficultés potentielles. Ces difficultés ont principalement trait aux ressources et compétences requises pour l’identification des acteurs clés, le développement ou encore la diversification des relations et des réseaux. Si les travaux mobilisés ci-dessus offrent un premier éclairage quant à la nature des difficultés inhérentes à la constitution et/ou à l’exploitation des réseaux, il convient de préciser que la majorité d’entre eux ont été conduits en contexte de pays développés. La littérature s’accorde toutefois à reconnaître que les pays émergents s’avèrent particulièrement complexes à gérer pour les entreprises occidentales. Dès lors, les difficultés rencontrées par les PME dans les pays émergents seront potentiellement plus nombreuses et importantes que dans les économies matures en raison (1) de la distance et du manque d’expérience des PME dans le pays cible et (2) du poids des réseaux dans l’économie. Le tableau 1 présente une synthèse des apports et limites des réseaux identifiés dans la revue de littérature.

Méthodologie

Notre recherche est de nature qualitative et repose sur la réalisation d’une étude de cas longitudinale menée auprès d’une PME manufacturière de la région Auvergne Rhône-Alpes – au niveau du siège et de sa filiale chinoise – entre les mois d’octobre 2013 et mars 2017. Le recours à l’étude de cas se justifie par la nature de notre question de recherche, à savoir identifier les difficultés émanant dans le temps de la mobilisation des réseaux dans le développement des PME en Chine. La richesse des données collectées fait de l’étude de cas une stratégie de recherche particulièrement adaptée à l’étude de phénomènes contemporains, nouveaux et/ou complexes en vue d’actualiser les théories existantes (Eisenhardt, 1989; Miles et Huberman, 2003; Yin, 2003; Ghauri et Gronhaug, 2005). Elle participe à contextualiser une problématique et à proposer des explications solides tenant compte des réalités et des spécificités locales (Miles et Huberman, 2003). Cette technique semble ainsi particulièrement adaptée à l’étude des marchés émergents au regard de leur caractère novateur et dynamique.

Tableau 1

Synthèse des apports et limites des réseaux sur la trajectoire d’internationalisation des PME

Synthèse des apports et limites des réseaux sur la trajectoire d’internationalisation des PME

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Le choix du cas repose sur la sélection d’une entreprise indépendante de moins de 250 salariés (et d’un chiffre d’affaires annuel inférieur à 50 millions d’euros) active à l’international et disposant d’une filiale dans marché émergent. Cette PME a été sélectionnée en raison, d’une part, de son intérêt pour les marchés émergents et, d’autre part, de son fort degré d’appartenance à différents réseaux à l’étranger. Notre décision de nous concentrer sur la région Auvergne Rhône-Alpes s’explique par le poids des PME et du secteur industriel dans le tissu économique local (2ème région industrielle de France) et l’orientation internationale de la région (30 % du PIB annuel). Quant au choix du secteur manufacturier, celui-ci s’explique par la taille – et les enjeux – des investissements nécessaires à toute implantation internationale. En effet, les PME disposant de ressources et de compétences limitées, toute erreur stratégique (choix du mode d’entrée, du marché, etc.) pourrait mettre en danger la pérennité de l’organisation.

Cette recherche repose sur la conduite de 22 entretiens semi-directifs réalisés avec les dirigeants impliqués dans le développement international de la PME – en France et à l’étranger – ainsi qu’avec des acteurs de l’accompagnement à l’international à l’aide d’un guide d’entretien présenté en annexe 1. Les thèmes abordés, à savoir l’identité et l’histoire de l’entreprise, le déroulement du processus d’internationalisation, la nature et le rôle des réseaux, le bilan perçu de l’expansion, nous ont permis, de retracer la trajectoire de la PME et de recueillir l’expérience et les perceptions des principaux acteurs. Ces entretiens nous ont notamment amené à identifier les événements critiques ayant conditionné le développement international de Mixel Agitateurs en Chine, notamment en matière de réseaux. Au total, 14 entretiens semi-directifs d’une durée moyenne d’1 h 30 (de 0 h 20 à 2 h) ont été menés auprès de la PME et de sa filiale chinoise Mixel Beijing et huit ont été menés avec quatre membres de Business France à Beijing, deux consultants indépendants et deux universitaires spécialisés dans les relations franco-chinoises. La nature sensible de certaines informations échangées avec Mixel Agitateurs nous a contraint à recourir à trois stratégies de collecte des données : la réalisation d’entretiens formels, informels et d’observations non-participantes par deux chercheurs. Souvent utilisée dans les études ethnographiques (Schouten & McAlexander 1995), cette démarche présente le double avantage de libérer la parole des acteurs interrogés tout en permettant aux chercheurs de s’imprégner du contexte d’analyse. Les entretiens formels ont été enregistrés, retranscrits et validés par chaque interviewé via un compte-rendu envoyé dans les 48h suivants l’entretien. Les entretiens informels ont, pour leur part, été conduits lors des phases d’observations non-participantes tel que préconisé par Schouten et McAlexander (1995), à savoir la prise de note à l’issue de chaque entretien par chacun des deux chercheurs suivi d’une mise en commun des éléments collectés et d’une discussion. Ces différentes phases nous ont permis de gagner la confiance des interlocuteurs tout en nous affranchissant des limites liées à l’impossibilité d’enregistrer les entretiens conduits. Les données collectées auprès de la PME ont été complétées par huit entretiens réalisés auprès d’acteurs institutionnels spécialisés dans les relations d’affaires franco-chinoises. Ceci nous a permis de trianguler les informations ainsi que de mieux appréhender les spécificités du contexte chinois ainsi que les difficultés rencontrées par les PME françaises souhaitant entrer sur ce marché – notamment en raisons des guanxi. Les données collectées ont été codées puis analysées via une analyse de contenu afin de donner du sens aux propos des interviewés.

Les répondants ont été sélectionnés de façon délibérée, sur la base de leur implication dans le processus d’internationalisation de la PME, d’une part, et de leur expertise du contexte chinois d’autre part. Le tableau 2 présente les caractéristiques des entretiens réalisés.

Tableau 2

Caractéristiques des entretiens

Caractéristiques des entretiens

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Créée en 1969 dans le Rhône, Mixel Agitateurs est une PME manufacturière spécialisée dans la conception, la fabrication et le négoce de mélangeurs industriels. Elle opère sur un marché de niche global et s’illustre par la technicité de son offre, par sa proactivité et sa forte orientation internationale. Centrée sur le territoire français jusqu’au milieu des années 80, l’intensification croissante de la concurrence en France contrainte la PME à diversifier ses marchés. L’arrivée d’un nouveau dirigeant expérimenté à l’international, en 1989, marque un tournant dans la vie de l’entreprise. En effet, Philippe Eyraud, neveu du fondateur, fait rapidement le choix de s’orienter vers les marchés émergents, dont la Chine, afin de diversifier ses marchés, de se confronter à de nouveaux concurrents et de consolider les relations établies, par le passé, avec les clients partis s’installer en Asie. La PME fait face à plusieurs difficultés inhérentes à son manque d’expérience internationale et son manque de ressources. En 2005, Mixel Agitateurs saisi une opportunité venant de l’un de ses clients historique en France se dote de sa première filiale de production à Beijing, en Chine. Les principales étapes du développement international de la PME sont résumées dans le tableau 3.

En 2016, la société emploie 70 personnes et réalise un chiffre d’affaires d’environ 10 millions d’euros (dont 67 % à l’étranger). Elle exporte dans une trentaine de pays, dont l’Asie, l’Afrique francophone et l’Europe occidentale, dispose d’une filiale de production en Chine (Mixel Beijing) ainsi que d’un bureau commercial au Vietnam. La Chine constitue aujourd’hui le principal marché étranger de la PME avec 33 % du chiffre d’affaires réalisé localement.

Mixel Agitateurs, une PME tournée vers les marchés émergents

L’arrivée de Philippe Eyraud, neveu du fondateur et actuel dirigeant de Mixel Agitateurs, à la tête de la PME en 1990 impulse une nouvelle dynamique dans la mesure où elle s’accompagne d’un changement de stratégie. Il intègre les opérations de fabrication et de maintenance et élargi le champ de prospection aux marchés internationaux. Philippe Eyraud débute sa carrière comme attaché commercial auprès de l’Ambassade de France à Singapour en 1988 et 1989. Ces deux années ont éveillé le goût du dirigeant pour l’international.

Dès son arrivée, il développe rapidement l’export au sein de l’entreprise familiale. L’objectif est de diversifier les marchés et de trouver de nouveaux relais de croissance afin de pallier l’intensification de la concurrence et le départ de clients historiques. Une stratégie proactive d’expansion est alors déployée à destination, dans un premier temps, de la Belgique, du Maroc et de la Suisse (trois pays proches). Le choix de ces marchés s’explique par l’obtention d’un contrat d’équipement d’une usine de Solvay à Charleroi (1990) suite à l’extension des relations entretenues avec la filiale française du groupe belge et par la réception de commandes non-sollicitées en provenance d’entreprises pharmaceutiques suisses et sucrières marocaines en quête de gains d’efficience. Le dirigeant explique : « je venais d’un pays d’Asie qui est au coeur de tous les autres pays émergents donc je n’avais pas peur. D’autre part, tous mes concurrents sont allés en Suisse, en Belgique, en Italie, en Espagne, etc. et je les retrouvais au même endroit. J’ai décidé d’aller voir ailleurs, d’aller voir d’autres concurrents avec d’autres problématiques ». Dès lors, la décision est prise de suivre les clients à l’étranger et cibler les pays émergents d’Asie, zone connue par le dirigeant, afin de tirer profit de leur dynamisme et de la faible concurrence locale. En l’absence de réseaux locaux et face au manque de ressources, la PME s’appuie ainsi sur les réseaux de ses clients historiques et autres réseaux professionnels. Elle participe, pour la première fois en 1991, à une mission collective en Chine, Inde et Japon.

Le groupement s’avère rassurant car « ces pays sont totalement inaccessibles à une PME solitaire ». Il permet de mutualiser les coûts, d’augmenter la visibilité et le pouvoir de négociation envers les clients mais aussi d’éclairer le chef d’entreprise quant aux réalités et aux spécificités locales. Philippe Eyraud décide alors de se concentrer sur la Chine afin de se rapprocher de ses clients historiques, d’exploiter leurs réseaux et de tirer parti de la taille et du fort potentiel de croissance du pays. Entre 1991 et 1994, il participe à plusieurs salons professionnels qui lui permettent de développer et de consolider ses réseaux localement.

Entre 1995 et 1996, Philippe Eyraud entreprend de créer un bureau de représentation à l’étranger (Hong-Kong). Il s’associe à trois PME métallurgiques, membres du même groupement professionnel, pour reprendre une antenne de la Fédération de la Mécanique en conservant le dirigeant local à la tête de la structure, l’objectif étant de tirer parti des connaissances et des réseaux par celui-ci pour pénétrer rapidement le marché chinois. Cette opération s’avère être un échec, dû au manque d’implication du dirigeant local dans le développement des affaires sur place.

Cet écueil contraint Mixel Agitateurs à freiner ses opérations internationales en vue de compenser les pertes accumulées à Hong-Kong. A partir de 1998, cependant, la PME reçoit de nombreuses demandes en provenance de Chine afin d’équiper les futures stations de traitement des eaux usées, suite aux efforts précédemment engagés par le PDG pour constituer, développer et mobiliser les différents réseaux auxquels la PME appartient. En 1998, Mixel Agitateurs signe ses deux premiers contrats en Chine : l’un avec Véolia – avec qui la PME entretient des relations de longue date en France – l’autre avec une multinationale japonaise rencontrée au cours d’un salon professionnel. Les réseaux tissés au fil des ans font ici office de catalyseur de l’expansion puisqu’ils permettent à Mixel Agitateurs d’accéder et saisir de nouvelles opportunités d’affaires à l’étranger. Ces contrats constituent, en effet, une première référence fournissant à la PME les clés afin de s’insérer dans le paysage chinois. Le Directeur de Mixel Beijing indique que « il y a eu, beaucoup d’activités pour essayer de développer nos ventes export au début des années 90 mais ça ne marchait pas. A la fin des années 90, Véolia a gagné de nombreux contrats en Chine et à chaque fois, ils s’associaient avec Mixel Agitateurs ». Les efforts de prospection engagés par le PDG permettent donc à Mixel Agitateurs d’intensifier ses exportations entre 1998 et 2004. Le volume croissant de commandes venant de Chine incitent alors le PDG à renforcer son niveau d’engagement en se dotant, en 2005, de sa première filiale de production et de commercialisation à l’étranger. L’objectif est d’asseoir le positionnement et de renforcer la compétitivité de Mixel Agitateurs dans le pays.

Le dirigeant indique « qu’en 2004, j’ai eu accès, grâce à ma présence dans une délégation ministérielle, au patron de Véolia qui m’a passé une commande et je leur ai dit « mais pourquoi vous me commandez du matériel à moi, petite boîte de 30 personnes à Lyon ? ». Il m’a dit « parce qu’on n’a pas encore trouvé ici ». J’avais deux solutions : j’attendais qu’il trouve et je perdais le marché ou je n’attendais pas qu’il trouve et j’essayais de piquer ce marché définitivement en étant, moi, le local de l’étape. C’est ce que j’ai fait, c’est comme ça que je me suis installé en Chine.

Le directeur de Mixel Chine précise que « Mixel s’est implanté en Chine parce que si on n’allait pas en Chine, il est sûr que Véolia trouverait [un fournisseur chinois capable de produire les mélangeurs]. Pour pouvoir garder le compte Véolia dans le monde et en France (qui est un compte très important), il était nécessaire d’être présent en Chine, non seulement pour le marché chinois mais aussi pour tous les projets du reste du monde ».

Pendant deux ans, le partenariat informel conclu avec Veolia assure à Mixel Agitateurs un volume d’activités minimum lui permettant de financer le démarrage de la filiale. Entre 2007 et 2009, la PME rencontre d’importantes difficultés liées au financement de ses opérations internationales, la poussant à mettre la filiale chinoise en sommeil. Le changement d’interlocuteur opéré au sein de Veolia Chine en 2007 s’accompagne d’une renégociation des accords commerciaux préalablement noués. Le dirigeant explique qu’en 2007, « un nouveau dirigeant – qui venait de l’achat dans l’industrie automobile – est arrivé : il a préféré aller acheter moins chers. On a eu des périodes très difficiles parce qu’au départ, je m’étais implanté pour servir ce client. Je dépendais beaucoup (trop) de lui ».

Dans l’impossibilité de convaincre son nouvel interlocuteur quant à la pertinence des différences de prix constatées auprès de la concurrence et de faire reconnaître la valeur ajoutée de son offre, Mixel Agitateurs perd provisoirement ses contrats avec Véolia. La chute du volume d’activité contraint alors le siège à engager d’importantes quantités de ressources afin de soutenir les opérations de la filiale, mettant en péril la santé financière du groupe. Ainsi, la PME est à la fois bénéficiaire et à la fois victime de son réseau d’affaires. Ce n’est que par la nomination d’un nouveau directeur de filiale au sein de Veolia Chine en 2009 que la PME parviendra à réamorcer les discussions avec le grand groupe et renouer avec la croissance. Les difficultés rencontrées avec Veolia pendant ces deux années mettent en lumière le besoin de diversifier les relations d’affaires entretenues dans le pays. Dès 2010, la décision est prise de cibler les entreprises chinoises.

Tableau 3

Principales étapes du développement international de Mixel Agitateurs

Principales étapes du développement international de Mixel Agitateurs

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En 2011, Philippe Eyraud s’entoure d’un directeur commercial français ayant une solide expérience du marché chinois afin de l’accompagner dans ses démarches. Toutefois, malgré les références obtenues au fil des ans dans le pays et la mobilisation du réseau professionnel du Directeur Commercial, Mixel Agitateurs ne parvient pas à s’insérer durablement dans les réseaux locaux et à répondre aux appels d’offre. Conscient de l’importance des guanxi en Chine, des vides institutionnels et des spécificités culturelles existantes, le PDG nomme l’un de ses distributeurs chinois à la tête de la filiale. L’objectif est de consolider les relations existantes avec les acteurs locaux et d’actionner le propre guanxi du dirigeant chinois pour accéder à de nouvelles opportunités d’affaires dans le pays.

Le directeur de Mixel Beijing explique que les relations interpersonnelles jouent un rôle clé dans le développement des affaires en Chine dans la mesure où elles font office de loi régissant le déroulement des opérations dans le pays. Selon lui, « les chinois ne se font pas confiance et ne font pas confiance aux étrangers. Nous avons quand même notre petit cercle, notre guanxi. Il peut être composé d’amis, de membres de la famille, de concurrents, etc. La confiance est très difficile à construire en Chine. Les lois importent peu ici : il est difficile, pour nous, de suivre les lois tels que les Européens l’entendent. Elles n’ont aucune valeur à l’intérieur du guanxi. Qu’est-ce que l’illégalité ? Ici, seul le guanxi compte et s’il faut enfreindre la loi pour l’honorer, alors tant pis, cela ne pose pas de problème ».

Les acteurs institutionnels rencontrés attestent du rôle clé mais ambigu des guanxi en Chine. Un consultant indépendant explique ainsi que la saisie d’opportunités en Chine – notamment avec des entreprises locales – ne peut se faire que grâce à la constitution d’un réseau personnel et professionnel solidement établi et à l’embauche d’un acteur local. Il indique, à ce propos que les entreprises étrangères doivent impérativement « s’adapter et être très réactives pour survivre sur ce marché. Les problèmes sont de plus en plus complexes car ils font intervenir une multitude d’acteurs, notamment les autorités locales qu’il faut gérer […]. Il faut se construire un réseau sur place et cela prend du temps. Les Chinois ont besoin de temps pour savoir s’ils peuvent vous faire confiance ou non […]. Je me suis spécialisé là-dedans. Je suis un spécialiste du Mikado, un facilitateur : mon rôle est d’accompagner, d’enlever les obstacles pour mes clients et de les aider à entrer en contact avec des entreprises ou entrepreneurs chinois. Ici, il faut anticiper les problèmes et interagir avec de nombreux acteurs ». Ceci atteste de l’importance des guanxi et des middle men dans le pays mais laissent également présager de plusieurs difficultés en matière de gestion des relations siège-filiale. Tout d’abord, ils montrent bien qu’en raison des différences culturelles, la mobilisation des réseaux dans les pays émergents soulève une question éthique pour les entreprises occidentales puisqu’elle peut engendrer des comportements sortant du cadre légal. Elle implique alors d’importants coûts de contrôle en vue de s’assurer du respect des règles et des normes par la filiale. Elle sous-tend également la création de relation de dépendances entre le siège de la PME et le directeur de Mixel Beijing. En effet, la PME devient dépendante du dirigeant chinois dans la mesure où, le réseau étant personnel, lui seul peut garantir l’accès et le maintien des relations avec les membres du réseau chinois. De même, le fonctionnement des guanxi étant régit sur le principe de réciprocité, toute faveur accordée par le dirigeant chinois à Mixel Agitateur doit lui être retournée – la PME devenant redevable envers le dirigeant de Mixel Beijing. Philippe Eyraud reconnaît, à ce propos, que « le fonctionnement des guanxi est compliqué à comprendre et encore plus à gérer pour une entreprise comme nous. Le directeur de Mixel Beijing a parfois tendance à prendre des libertés et à faire des choses « à la chinoise » mais qui ne sont pas tout à fait en lien avec ma philosophie. Il faut parfois taper du poing sur la table pour lui rappeler qui est le chef. La Chine, c’est loin donc on ne peut pas se rendre à l’usine tous les jours ou toutes les semaines et, n’étant pas chinois, il y aura toujours des choses qui m’échapperont. Le problème, c’est que même s’il a tendance à prendre des libertés (et que ça m’énerve), j’ai quand même besoin de lui, de ses connaissances et de son réseau pour arriver à me positionner auprès des donneurs d’ordre chinois ».

Une synthèse des principales étapes du développement via les réseaux, ainsi que les apports attendus et difficultés rencontrées à ce propos est proposée dans le tableau 4.

Discussion

L’étude du cas Mixel montre que les réseaux ont un réel impact sur la trajectoire d’internationalisation dans la mesure où ils influencent les choix stratégiques opérés par le dirigeant, notamment en matière de localisation et de mode d’entrée. Nous avons pu identifier deux types de réseaux d’affaires particulièrement mobilisés par la PME : les relations nouées avec les donneurs d’ordres français et le guanxi du dirigeant chinois. Comme indiqué par Coviello et Munro (1997) et Sharma et Blomstermo (2003), la PME Mixel Agitateurs s’est, dans un premier temps, fortement appuyée sur les relations existantes avec un de ses clients français afin de créer sa filiale en Chine. Ces relations, qui peuvent être qualifiées de sociales au regard de la fréquence des interactions et la confiance créée entre les dirigeants, se sont avérées rassurantes pour la PME. Elles ont permis à Mixel Agitateurs de démarrer ses opérations dans le pays et de s’assurer un volume récurrent d’activités pendant deux ans. Nos résultats montrent, toutefois, que la mobilisation de ce type de relation n’est pas suffisante pour assurer la pérennité des activités en Chine. Il ressort, en effet, de l’étude du cas Mixel Agitateurs que la pérennisation des activités en Chine ne peut se faire qu’en investissant massivement dans le développement du guanxi. Le choix du middle man chinois revêt, en ce sens, une importance capitale dans la mesure où elle permet à la PME d’accéder à de nouvelles ressources et opportunités d’affaires. Cette décision s’avère toutefois complexe pour deux raisons, à savoir (1) l’opacité des liens existants entre le middle man et les membres de son guanxi et (2) l’absence de propriété/contrôle des relations développés par la PME. Ainsi, si le recours au middle man permet de pérenniser les activités en Chine, il accroît, dans le même temps, la dépendance de la PME envers un acteur clé. Ces résultats précisent les travaux existants en matière de réseaux en y incluant le double rôle du middle-man, à la fois facilitateur et source de risques.

Tableau 4

Synthèse des apports et difficultés liés aux réseaux rencontrés par la PME au cours de son développement en Chine

Synthèse des apports et difficultés liés aux réseaux rencontrés par la PME au cours de son développement en Chine

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L’étude du cas Mixel Agitateurs confirme, dans un premier temps, le rôle central des réseaux dans le développement international des PME (Ramadan & Levratto, 2011). Nos résultats montrent que l’apport des réseaux diffère selon la nature et le timing d’utilisation. Les réseaux professionnels établis dans le pays d’origine avec des clients internationaux présentent un réel intérêt dans les premiers stades d’internationalisation car ils réduisent l’impact de la distance et permettent à la PME d’obtenir ses premières références en Chine tout en consolidant les relations existantes. Ces réseaux s’avèrent toutefois peu efficaces sur le long terme en raison des spécificités du marché chinois et de la trop grande dépendance se créant entre les parties. Nos résultats ont en effet montré que les efforts entrepris par Mixel Agitateurs pour consolider cette relation dyadique mènent toutefois à la création d’une relation de dépendance envers le client – tel qu’indiqué par Lei et Chen (2011). Bien que fréquente dans les relations sous-traitant – donneur d’ordre et/ou PME – grands groupes, cette dépendance s’en trouve exacerbée et accélérée par la distance culturelle, géographique et institutionnelle existante entre la Chine et la France. Dès lors, la PME souhaitant pérenniser ses activités en Chine se trouve contrainte de faire appel à un middle man chinois disposant d’un guanxi solidement établi en vue de diversifier ses réseaux et d’accéder aux ressources et opportunités dans le pays. Nos résultats mettent en avant le rôle clé du middle man dans la conduite des opérations en Chine tout en soulignant la complexité de sélection et de gestion de ce type de partenaire. En effet, le recours au middle man renforce la PME dans la mesure où il l’amène à développer une compréhension plus fine des spécificités locales et à accéder à de nouvelles ressources. Il accroît, dans le même temps, la vulnérabilité de l’entreprise dans la mesure où les guanxi ne sont pas transférables d’un individu à l’organisation qui l’embauche. Dès lors, la PME devient doublement dépendante de ses clients et du middle man chinois.

Le cas Mixel Agiteurs montre ainsi que si la mobilisation des réseaux permet bien aux PME de démarrer leurs opérations à l’étranger, l’absence de diversification des relations peut très vite conduire à une situation de dépendance mettant en péril la pérennité du projet d’internationalisation. Dans la lignée des travaux de Coviello et Munro (1997) et Sharma et Blomstermo (2003), notre analyse montre que le manque de ressources pousse les PME à sur-exploiter les relations existantes au détriment de toute diversification. Nos résultats vont toutefois plus loin en précisant que cette focalisation s’explique également par (1) la volonté/le besoin de consolider les relations existantes avec les clients historiques et/ou les membres les plus influents du réseau et (2) les difficultés à s’insérer dans de nouveaux réseaux dans les pays distants du pays d’origine. Ceci est particulièrement vrai dans le cas de la Chine, au regard du temps nécessaire au développement des relations de confiance – appelées guanqui (pilier du fonctionnement des guanxi). Nos résultats montrent que l’internationalisation des PME via les réseaux d’affaires présente des limites dans le contexte chinois. Ils infirment également partiellement les résultats de Schweizer (2013) selon lequel les PME de niches tendent à investir davantage dans la diversification des relations que dans la consolidation de l’existant en raison du poids des réseaux en Chine et du handicap de non-appartenance au réseau dont souffrent les entreprises occidentales dans le pays cible. A la croisée des réseaux sociaux et calculatoires, les guanxi s’illustrent par la force des liens, la confiance et les obligations réciproques liant les membres. La constitution ou l’insertion au sein de tels réseaux requiert d’importants investissements de ressources – notamment financières et humaines – pour un retour, relativement long sinon incertain. Elle nécessite, pour les PME étrangères, l’embauche de cadres chinois expérimentés dotés de doubles compétences managériales et réticulaires or ces investissements s’avèrent difficilement soutenables à long terme en raison des ressources limitées dont elles disposent. Le cas de Mixel Agitateurs montre, en effet, que dans le cas des guanxi, les efforts sont à fournir sur plusieurs années avant de pouvoir bénéficier des avantages classiquement offerts par les réseaux (informations, opportunités, etc.).

Outre l’investissement nécessaire à leur constitution, les guanxi exposent, par la spécificité de leur fonctionnement, les PME étrangères à deux principales difficultés, à savoir (1) le fort risque de dépendance envers les membres du réseau et le cadre chinois et (2) la gestion des relations entre le siège et la filiale. Le principe de réciprocité sur lequel repose le guanxi suppose, en effet, que tout acteur sollicitant un membre du réseau lui devient redevable jusqu’au retour du service – au risque de se retrouver exclu du réseau. Ceci peut alors engendrer de réelles questions éthiques ainsi que des situations de tensions entre le siège et le cadre chinois « porteur de guanxi ». L’incertitude émanant de ces pratiques pousse alors les entreprises étrangères à renforcer leur contrôle sur les activités de la filiale – augmentant alors les coûts liés au développement international. Ces résultats prolongent là encore les travaux de Torkkeli et al. (2012) en montrant que la mobilisation des réseaux dans les pays émergents peut, dans certains cas, accroître le niveau de risque perçu et s’accompagner d’un renforcement du contrôle sur les opérations des filiales et d’une augmentation du coût des affaires à l’étranger.

Dès lors, l’impact des guanxi sur la trajectoire d’internationalisation des PME doit être apprécié en fonction la dépendance créée envers les membres du réseau. Nos résultats montrent également que les risques liés aux réseaux émanent tant des membres internes à l’entreprise que des parties prenantes. Ils mettent également en avant le fait que la notion de réseau – et l’importance que les acteurs lui accordent – diffère grandement selon les pays et peut être source de difficultés. Le cas des guanxi remet en question la pertinence des distinctions opérées dans la littérature quant à la composition des réseaux. En effet, les guanxi sont des réseaux de petite taille constitués d’individus issus tant de la sphère privée que publique mais ayant tous un impact potentiel sur la performance de l’entreprise. En d’autres termes, les guanxi mêlent liens forts et faibles, relations sociales et contractuelles en vue de satisfaire les attentes contractuelles des membres. Le fonctionnement de ce type de réseau semble régit par des normes internes imposées par les membres et se substituant au cadre légal fixé par les autorités locales. En ce sens, exploiter les opportunités émanant des réseaux d’affaires en Chine peut potentiellement nuire aux PME étrangères qui se voient contraintes de faire fi du cadre légal pour honorer leur guanxi ou bénéficient indirectement de ressources, compétences (etc.) illégalement acquises par les membres du réseau. Ces résultats nuancent ainsi l’impact positif des réseaux sur la trajectoire d’internationalisation des PME (Coviello & Munro, 1997; Catanzaro et al., 2012; Musteen et al., 2014), notamment en contexte émergent.

Conclusion, limites et perspectives

L’objet de cet article était d’identifier les difficultés rencontrées par les PME s’internationalisant par le biais des réseaux dans les pays émergents. Bien que dynamiques, ces marchés s’illustrent par leurs vides institutionnels ainsi que par le poids des réseaux dans les affaires. En nous intéressant au cas d’une PME souhaitant s’implanter en Chine, nous avons pu montrer que les relations interpersonnelles constituent à la fois des moteurs et des freins à l’expansion. Elles s’accompagnent, d’une part, d’un accès privilégié à de nouvelles connaissances et opportunités d’affaires dans le pays cible – s’avérant alors particulièrement utiles au démarrage des opérations. En ce sens, les liens forts noués avec les membres influents du réseau renforcent le capital confiance des PME : elles les incitent à opter pour des modes d’entrée à fort niveau d’engagement malgré les vides institutionnels existants localement. Toutefois, ces mêmes relations constituent un risque pour les PME car, non-diversifiées, elles peuvent rapidement conduire à une situation de dépendance envers les membres influents (Lei et Chen, 2011). Dès lors, les bénéfices liés à l’appartenance au réseau s’en trouvent contrebalancés par les effets négatifs de la dépendance envers les membres clés. Ainsi, si l’appartenance au réseau d’affaires reste une dimension clé dans la démarche d’internationalisation (Johanson & Vahlne, 2009; Vahlne & Johanson, 2013), des liens trop forts, un réseau dense et trop peu diversifié constituent un réel risque pour les PME.

Nos résultats ont également permis de montrer que, dans le cas de la Chine, la constitution des guanxi est un processus nécessitant d’importants investissements humains, financiers et temporels que les PME peinent à supporter. Si l’embauche d’un manager local expérimenté peut faciliter/accélérer la création du guanxi, elle soulève deux questions majeures. Elle implique, tout d’abord, la création d’une relation de dépendance entre la PME et le manager local (le guanxi étant un réseau personnel). Le fonctionnement des guanxi soulevant souvent des questions éthiques pour les entreprises occidentales, leur mobilisation engendre souvent un regain de contrôle du siège sur la filiale afin de s’assurer du respect des règles – légales ou propres à l’entreprise. Nos travaux ont, enfin, mis en lumière le fait qu’en contexte émergent, les PME (qu’elles opèrent sur des marchés de niche ou non) exploitent davantage les relations existantes avec les clients étrangers qu’elles n’investissent dans la constitution de nouvelles relations avec des acteurs locaux. Ceci s’explique tant par les ressources et le temps requis pour la constitution des réseaux locaux que par le contrôle ultérieur des relations créées avec les acteurs locaux.

Notre article nuance ainsi les travaux précédemment conduits en précisant que le bénéfice et les caractéristiques des réseaux doivent être appréciés en fonction du degré d’internationalisation de l’entreprise : les liens forts seront pertinents dans les premiers stades car ils rassurent l’entreprise et lui permettent d’accumuler les connaissances et compétences nécessaires pour comprendre les spécificités du marché cible. Les liens faibles seront, pour leur part, plus efficaces dans les stades les plus avancés dans la mesure où ils permettront de prévenir les risques de dépendance envers les membres clés du réseau. Notre recherche permet de réconcilier les divergences existantes quant à l’impact de la densité, de la diversité, de l’intensité des liens et du degré de dépendance (Freeman et al., 2010; Higgins, 2010; Lei & Chen, 2011; Catanzaro et al., 2012; Musteen et al., 2014) sur la trajectoire d’internationalisation des PME en précisant que l’apport des réseaux doit être étudié au niveau individuel et apprécié de façon dynamique.

D’un point de vue managérial, notre recherche apporte un éclairage complémentaire quant à l’impact de la mobilisation des réseaux dans le contexte chinois. Nos travaux mettent tout d’abord en avant le coût élevé et la complexité du processus d’internationalisation par le biais des réseaux. La mobilisation des réseaux en Chine suppose d’importants investissements ainsi que le recrutement d’un middleman chinois expérimenté en vue de développer durablement des relations avec les interlocuteurs locaux. A cet égard, nos résultats mettent en lumière (1) l’importance de diversifier les interlocuteurs et les réseaux en vue de limiter les risques de dépendance envers un middleman chinois mais aussi (2) le regain de contrôle appliqué par le siège sur la filiale afin de s’assurer que les démarches entreprises par le middleman pour honorer son guanxi ne vont pas à l’encontre des principes de la PME. Enfin, cette recherche montre la nécessité de distinguer les réseaux locaux des réseaux composés de clients internationaux dans la mesure où ils obéissent à des règles distinctes et exposent les PME à des difficultés de nature différente.

Les principales limites de notre travail résident dans la méthodologie adoptée. Nous avons fait le choix de réaliser une étude de cas longitudinale afin de mettre en lumière un phénomène peu étudié dans la littérature : les difficultés inhérentes à la mobilisation des réseaux sur la trajectoire d’internationalisation des PME en Chine. Il serait intéressant de répliquer cette étude sur un échantillon plus large et varié afin de valider les résultats exploratoires obtenus. Ceci nous amènerait à étudier plus précisément l’impact du secteur, de la spécificité des activités (niche ou non) ou encore de l’expérience de l’entreprise ou de son équipe dirigeante sur les difficultés rencontrées.