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Alors que le montant de la dépense courante de santé s’élève pour la France, en 2008, à 215 milliards d’euros, soit 11 % du PIB[1], les établissements de santé, publics et privés, sont confrontés depuis le début des années 1980 à une double contrainte aux fondements parfois antagonistes (Bonafini, 2005). Une contrainte économique d’abord, essentiellement imputable au resserrement des finances publiques du fait de l’entrée en crise des économies développées depuis le milieu des années 1970 et une contrainte sociale ensuite, qui suppose le maintien de l’accès de tous à des soins de qualité. La question de la maîtrise et de la régulation des dépenses hospitalières représente donc un enjeu au plan économique et social, attendu que l’essentiel du financement des établissements de soins, tant publics que privés, est aujourd’hui assuré de manière collective par le système d’assurance maladie[2]. Cet enjeu demeure au centre des nombreuses réformes du secteur hospitalier français mises en oeuvre depuis quatre décennies, à l’image de la plupart des pays de l’OCDE (Bonafini et Renault-Tesson, 2004). Le « plan hôpital 2007 », entré en vigueur en 2003, tout comme le plan « Hôpital 2012 », qui lui a succédé, et enfin la loi « Hôpital, patients, santé et territoires », adoptée récemment, s’inscrivent pleinement dans cette logique. Si les transformations en cours du secteur hospitalier français s’articulent autour de nombreuses mesures, l’une d’entre elle est selon nous susceptible d’avoir un effet structurant plus important. Il est en effet question d’étendre à l’ensemble des médecins du Service Public Hospitalier (SPH)[3] un système de « rémunération à la performance » dont bénéficient pour l’heure uniquement les chirurgiens hospitaliers, depuis 2007. Cette volonté de généraliser ainsi ces modes de rémunération, classiquement définis comme « des augmentations de salaire individuelles basées sur la performance de l’employé évaluée individuellement au cours d’une période de temps antérieure » (Roussel, 2000), est conforme aux recommandations du rapport de la Commission de concertation sur les missions de l’hôpital, ou « rapport Larcher », paru en 2008, et figure de même dans le récent « rapport Aboud » publié en 2009.

Compte tenu des mutations en cours au sein du SPH français, l’objet de cet article est de proposer une mise en perspective de cet appel croissant en faveur d’une extension de la rémunération à la performance. Nous reviendrons dans un premier temps sur les principales caractéristiques de ce nouveau mode de gestion individualisée des rémunérations, pour procéder ensuite à l’examen de ses fondements théoriques, lesquels s’appuient, d’une part, sur les principes managériaux propres à la Nouvelle Gestion Publique, et d’autre part, sur la Théorie Economique de l’Agence. Nous montrerons enfin quelles sont les limites et difficultés associées à ce mode de rémunération.

La rémunération à la performance comme nouvel outil de rétribution de la motivation et l’effort au travail des médecins du secteur public hospitalier

De manière générale, les modalités de gestion de la carrière des médecins du secteur public hospitalier se caractérisent par la complexité et la multiplicité des règles qui encadrent leur appartenance statutaire. Au plan des rémunérations, la plupart perçoit encore actuellement un traitement salarial prenant la forme d’émoluments versés indépendamment du niveau d’activité, ne variant donc qu’en fonction de l’ancienneté dans le poste. Ce traitement principal peut être complété par diverses indemnités (indemnité de participation à la permanence des soins pour les gardes et astreintes; indemnité d’engagement de service public perçue par les praticiens s’engageant à ne pas exercer d’activité libérale au sein d’un hôpital public, etc.). Le « rapport Larcher » que nous évoquions en introduction propose donc que ces derniers puissent opter, à terme, pour un contrat qui comprendrait une part fixe de rémunération assortie d’une part variable contractualisée et déterminée en fonction de « valences »[4]. L’objectif est notamment de valoriser financièrement, de façon individualisée et/ou collective, certaines activités non rétribuées jusqu’alors, ou du moins de manière non systématique, comme la prise de responsabilités particulières, la réalisation d’activités d’enseignement et de recherche ou encore la pénibilité de certaines tâches. Si ces activités « connexes » feraient alors l’objet d’une valorisation particulière, le niveau et la qualité même de l’activité principale des médecins, naturellement centrée sur la dispense de soins, feraient également partie intégrante des éléments constitutifs de cette part variable et ce, à l’image des chirurgiens qui en bénéficient depuis peu. En effet, l’arrêté ministériel du 28 mars 2007 a institué la mise en oeuvre d’une « part complémentaire variable de rémunération » versée à l’ensemble des chirurgiens du secteur public, et ce quelle que soit leur spécialité. Cette part est fonction du niveau et de la qualité de l’activité réalisée et fait par ailleurs l’objet d’un engagement contractuel annuel entre le chirurgien hospitalier, le directeur de l’établissement de soins et le médecin responsable du pôle d’activité[5]. L’évaluation des chirurgiens porte sur l’atteinte d’objectifs à la fois quantitatifs et qualitatifs, appréciés par divers indicateurs de mesure de leur activité. À titre d’exemple, les objectifs quantitatifs comprennent le nombre total d’interventions rapporté au nombre de chirurgiens intervenant au bloc opératoire, tout comme la part des activités ambulatoires ou encore le nombre de consultations réalisées. De même, l’obtention d’une accréditation[6], ou son renouvellement, la mise en oeuvre de protocoles de prévention des risques, le pourcentage d’infections nosocomiales ou encore la durée moyenne des séjours composent les objectifs d’ordre plus qualitatif. Ce décret énonce également que « le nombre de points obtenus au titre des critères d’activités est pondéré par le nombre obtenu au titre des critères de qualité, sous réserve que, pour chaque série de critères, un nombre suffisant de points ait été atteint ». Enfin, le montant annuel de la part variable ne peut excéder 15 % du montant annuel total de la rémunération que perçoit un chirurgien. Le « rapport Larcher », tout comme le « rapport Aboud », suggèrent ainsi d’étendre à l’ensemble des médecins hospitaliers cette part variable de rémunération, laquelle doit être testée au préalable à l’échelle des pôles d’activité. Ces nouvelles mesures salariales destinées, entre autres, à accroitre l’attractivité de l’hôpital public, reposent donc sur une plus grande individualisation des modes de rémunération, impliquant le niveau d’activité comme élément de leur fixation. A noter que ces réformes s’inscrivent en partie dans un débat relatif au manque de transparence des rémunérations perçues par certains praticiens du SPH. A titre d’exemple, la possibilité offerte à un médecin sous statut d’exercer une activité libérale au sein d’un hôpital du SPH, et ce théoriquement à hauteur de 20 % de son temps de travail, contribue au maintien de fortes disparités de rémunérations entre les diverses disciplines médicales et chirurgicales. Si ce dispositif participe certainement de la motivation au travail de la faible part de praticiens qui en bénéficient, il pérennise également des inégalités salariales sources de tensions internes aux établissements. Ainsi, la Cour des comptes (2006) évaluait-elle en 2004 à 4 214 le nombre de praticiens exerçant une activité libérale au sein d’un établissement du SPH, soit moins de 10 % de ceux qui pourraient légalement y prétendre. Si ces effectifs restent donc peu élevés, ces praticiens ont toutefois perçu pour ces activités une rémunération brute annuelle de plus de 60 000 euros en complément de leur traitement statutaire. Ces chiffres sont notamment à comparer avec le faible montant des indemnités d’engagement de service public que nous évoquions, qui s’élèvent annuellement à 5 520 euros. Une revalorisation de ces indemnités, combinée à une meilleure connaissance et à un contrôle de l’activité libérale des praticiens, permettraient certainement de limiter l’exercice de telles activités au sein du SPH. Rien n’indique à cet égard que l’introduction de rémunérations fondées sur les performances individuelles puisse résoudre un tel problème.

De manière plus générale, cette flexibilisation de la gestion des rémunérations s’inscrit dans un mouvement plus large de réforme du secteur public, dont les fondements reposent sur les principes de la Nouvelle Gestion Publique (NGP), ou New Public Management dans la littérature anglo-saxonne. Au plan des effets attendus, l’adoption et la mise en oeuvre de ces principes permettraient l’atteinte d’une meilleure performance publique grâce à l’utilisation de méthodes de management a priori plus efficaces car inspirées du secteur marchand (Fouchet, 1999). En effet, le manque d’efficience de l’administration, et plus largement du secteur public, notamment hospitalier, est fréquemment perçu comme la conséquence de l’emploi de mécanismes incitatifs jugés inadaptés, notamment en matière de rémunération, tant au niveau des managers que des autres agents. Selon Dixit (2002) ou Perry et al. (2009), cette croyance en un fonctionnement plus efficace des entreprises privées, résultat de l’utilisation par ces dernières d’outils supposés plus incitatifs, expliquerait les tentatives de réforme et de privatisation de nombreuses composantes du système administratif américain. En Europe, les analyses de Kerauden (1994), puis de Marsden (2004), procèdent du même constat pour expliquer la mise en oeuvre, au sein de la fonction publique britannique, d’une rémunération des personnels fondée sur leurs performances, dont nous nous proposons à présent d’étudier les fondements.

La nouvelle gestion des rémunérations des médecins du secteur public hospitalier : une approche en termes d’agence

Nous nous livrons ici à une analyse des principales propositions de la Théorie Economique de l’Agence, encore qualifiée de Théorie Principal-Agent, dans la mesure où cette approche fonde dans une large mesure la NGP, particulièrement quand il est question d’analyser les enjeux que recouvre une relation salariale. Une relation d’agence se définit généralement « commeun contrat par lequel une (ou plusieurs) personnes (le principal) engage(nt) une autre personne (l’agent) pour exécuter en son(leur) nom une tâche quelconque qui implique la délégation d’un certain pouvoir de décision à l’agent » (Jensen et Meckling, 1976, p. 308). L’objet est donc de fournir une grille d’analyse des rapports entre Agents et Principaux liés par une relation de subordination, où le Principal – l’employeur – qui détient donc un certain pouvoir sur l’Agent – l’employé – cherche à aligner les intérêts de ce dernier sur les siens[7]. De telles relations impliquent plusieurs éléments :

  • (i), que leurs intérêts soient contradictoires, l’Agent ayant intérêt à minimiser son effort au travail, qu’il perçoit comme systématiquement coûteux, et le Principal à en tirer au contraire le plus haut niveau à rémunération donnée;

  • (ii), que leurs niveaux d’information diffèrent (asymétrie d’information), le Principal ne pouvant connaître ex-ante, donc avant signature du contrat, les caractéristiques exactes des Agents – au risque de ne sélectionner alors que les moins productifs –, et le Principal ne pouvant de même observer parfaitement ex-post, donc après signature du contrat, leurs comportements au travail, en particulier leurs niveaux d’effort et de motivation.

C’est précisément en raison de ces asymétries informationnelles que la NGP a de longue date appelé à une individualisation des modes de rémunération dans le secteur public, jugeant la rémunération à l’ancienneté inadaptée à la sélection et à la rétribution des personnels les plus efficaces. En effet, un tel mode de rémunération ne permettrait pas de discriminer les salariés en termes de productivité, envoyant finalement un signal négatif aux plus productifs, les décourageant de produire un niveau élevé d’effort au travail.

Entrons à présent dans le détail des analyses proposées par la Théorie de l’Agence, en abordant successivement le traitement des deux problèmes que sont l’anti-sélection (asymétrie ex-ante) et l’aléa moral (asymétrie ex-post).

Asymetrie d’information amont et anti-selection

L’anti-sélection est susceptible d’émerger lorsque que l’Agent cache délibérément, en amont d’une (éventuelle) relation contractuelle avec le Principal, une information sur ses caractéristiques personnelles (compétences techniques, sens relationnel, etc.), information à laquelle le Principal ne peut facilement accéder, en tout cas pas sans coût (Akerlof, 1970). Comment un Principal peut-il alors procéder pour que l’Agent révèle ses véritables caractéristiques ? Il doit pour ce faire élaborer un contrat dont les termes sont suffisamment incitatifs pour que l’Agent révèle de lui-même les informations pertinentes à son sujet, en empruntant le schéma suivant : lui proposer un « menu de contrats » de sorte à ce qu’il ait intérêt à révéler l’information qu’il détient en choisissant librement l’une des options du « menu ». Deux arrangements contractuels sont le plus souvent envisagés : un premier, associant à un niveau de performance élevé un salaire plus important et un second, offrant au contraire une rémunération plus faible en contrepartie d’une productivité inférieure. En proposant une telle alternative, le Principal peut ainsi conduire un employé efficace à orienter son choix en direction du premier contrat, plus avantageux pour lui, là où un Agent moins performant optera pour le second. Cette procédure d’auto-sélection correspond donc à la mise en place de contrats auto-révélateurs des caractéristiques ou encore des types propres aux agents, ces derniers sélectionnant d’eux-mêmes les contrats selon leurs types respectifs (efficace vs inefficace). Pour autant, si cette première forme d’asymétrie est présente avant la signature d’un contrat, une autre s’exprime ex-post, avec alors le risque que le Principal soit victime d’un « aléa de moralité » de la part de son subordonné.

Asymetrie d’information aval et alea moral

Une situation de risque moral naît de configurations où un Agent, engagé contractuellement dans une relation d’emploi, fournit un niveau d’effort et de motivation inférieurs à ce qu’ils pourraient être, étant donné qu’il est impossible d’observer parfaitement sa productivité. C’est évidemment le cas lorsqu’un aléa pèse sur son travail, l’Agent pouvant être tenté d’en tirer parti – et par hypothèse le fera – pour masquer un manque d’engagement. Le Principal est donc confronté à une situation délicate pour la raison suivante. D’un côté, il fera continûment face à un risque d’aléa moral puisqu’il ne pourra jamais connaître parfaitement les actions déployées par l’Agent, et notamment son véritable niveau d’effort, pour obtenir les résultats constatés. Mais de l’autre, sachant qu’il existe effectivement des aléas, l’Agent ne pourra jamais être tenu pour entièrement responsable du niveau de sa production, sauf à lui faire supporter seul un risque inacceptable et, de fait, qu’il n’accepterait pas. A défaut de pouvoir alors lier intégralement le revenu de l’Agent à sa performance, le Principal peut proposer un contrat qui le lie partiellement à ses résultats. Ce compromis correspond à un partage du risque entre les deux cocontractants : l’Agent est assuré contre une variation intégrale de son revenu avec son activité, solution peu crédible compte tenu qu’elle ne dépend pas de son seul investissement, et le Principal se prémunit contre le risque d’une manipulation totale de la part de l’Agent, puisque sa rémunération dépend quand même pour partie de son effort. Les rémunérations à la performance telles que la NGP en fait régulièrement la promotion s’inscrivent naturellement dans ce cadre. Pour autant, et bien que largement déployés dans le secteur public (Perry et al., 2009), ces dispositifs sont susceptibles de générer de nombreux dysfonctionnements que nous allons à présent analyser.

Théorie de l’Agence et performance duet au sein du secteur public hospitalier : les limites de la rémunération à la performance

Les rémunérations incitatives ont pour objectif d’accroitre un effort au travail dont on estime, par hypothèse, qu’il est insuffisant. En effet, les modes de rémunération associant parts fixe et variable supposent que les Agents cherchent intentionnellement et continuellement à minimiser leur effort au travail. C’est en effet sur la base de cette seule hypothèse, à la fois réaliste (dans certains cas) mais excessive (dès lors qu’elle est généralisée à l’ensemble des comportements au travail), que les rémunérations à la performance ont été conçues. Or, c’est bien le systématisme de cette hypothèse comportementale que l’on peut légitimement questionner, puisque tout Agent est dans ce cadre perçu par nature comme un « tire-au-flanc ». Il est ainsi vain d’attendre qu’il atteigne spontanément un niveau d’effort élevé s’il n’est rémunéré qu’en fonction de son ancienneté, impliquant qu’il faille lier sa rémunération, au moins partiellement, à ses résultats. Il n’est de fait aucun déterminant plus puissant que ces rémunérations conditionnelles et in fine, aucun autre fondement à la motivation et à l’effort au travail; ce que contestent largement, et avec un écho grandissant (y compris en Economie; cf. infra), les théoriciens de la motivation intrinsèque (Deci, 1975).

Par delà cette réflexion générale questionnant cette représentation de l’effort au travail, il est d’autres difficultés concrètes associées à une gestion individualisée des rémunérations qui peuvent interpeller le praticien. Analysons-les telles qu’on les trouve dans la littérature théorique et empirique, en notant que ces difficultés tiennent fréquemment à un problème de définition et de mesure de la performance publique en général – et des performances individuelles en particulier –, puisque la mise en oeuvre d’un système incitatif renvoie nécessairement à la question de la mesure de la performance et donc à la définition d’indicateurs tant collectifs qu’individuels.

Le premier problème tient ici à ce qu’il n’est pas aisé d’évaluer objectivement, et donc à moindre coût, les effets de l’action publique et, avec, les résultats de ceux qui y contribuent. Si l’on se représente assez facilement ce que peut être un indicateur de performance quand il est question de produire un bien en un temps donné, il est en revanche plus délicat d’appréhender ce que recouvre la notion de performance publique, en particulier en matière de santé. La variété des définitions proposées témoigne d’ailleurs de la difficulté à caractériser et à objectiver le concept de « performance hospitalière » (Marcon et al., 2008).

Ainsi, Blanc et al. (2007, p. 5) proposent la définition suivante : « la performance recouvre à la fois l’efficacité socio-économique (la prestation de soins répond-elle aux besoins de santé, est-elle apportée au standard de qualité attendu ?), l’efficience (la réalisation du service se fait-elle au moindre coût ?) et la qualité de service (l’accessibilité des soins, les délais d’attente, etc.) »., La performance hospitalière renvoie, selon cette première approche, à l’atteinte d’objectifs multiples qui comprennent l’adéquation quantitative et qualitative des soins aux besoins de la population, laquelle se combine à une démarche de minimisation des coûts et d’optimisation de l’organisation hospitalière dans son ensemble. S’appuyant sur des concepts comme l’efficacité, l’efficience, la qualité et enfin l’équité, notamment en matière d’accès aux soins, la performance hospitalière est donc généralement appréhendée comme un construit multidimensionnel qui s’articule autour de l’efficacité médicale, matérialisée par la qualité des soins dispensés, ainsi qu’autour de l’efficience économique, tout autant qu’organisationnelle.

L’évaluation de la qualité suppose alors une mesure de la conformité des soins dispensés par rapport à des référentiels de bonnes pratiques fondés sur une minimisation du risque clinique (délai d’évaluation d’un accident vasculaire-cérébrale, appréciation de la douleur, etc.). Dans le cas français, différents indicateurs de qualité ont d’ores et déjà été élaborés et sont en cours de diffusion dans le cadre du projet COMPAQH (COordination pour la Mesure de la Performance et l’Amélioration de la Qualité Hospitalière) conduit par l’Inserm depuis 2003. Ce projet a pour objectif de développer et de diffuser des outils de mesure de la qualité mobilisables par les établissements de soins, et d’établir les modalités de leur utilisation efficace. Dix-sept indicateurs ont à ce jour été proposés à la généralisation, même si cette dernière n’est pas encore effective. Ils sont destinés à terme au pilotage interne des établissements, à leur classement (et à sa diffusion publique), mais aussi à la mise en oeuvre d’incitations financières en direction des médecins et/ou des établissements du SPH (Rapport COMPAQH, 2008).

Si l’évaluation de la qualité des soins joue naturellement un rôle déterminant dans l’appréciation de la performance hospitalière, les indicateurs médico-économiques occupent également une place essentielle, en particulier depuis l’adoption du nouveau mode de financement des établissements qualifié de « tarification à l’activité » (ou T2A). En effet, alors que les établissements publics étaient financés jusqu’en 2003 par une dotation globale dans une large mesure indépendante de leur niveau d’activité, les budgets qu’ils reçoivent depuis 2008 reposent intégralement sur une tarification médicalisée des soins, basée sur la nature et le volume d’activité généré par chacun. Ces budgets sont ensuite complétés par une dotation permettant d’assurer différentes missions de service public. La mise en oeuvre de ce nouveau mode de financement suppose le développement d’instruments de mesure de l’activité hospitalière. A cet égard, le Programme de Médicalisation des Systèmes d’Information (PMSI) représente un outil central puisque qu’il doit permettre aux établissements de recueillir les informations médicales et administratives relatives aux patients traités, lesquelles servent à la détermination des budgets alloués. Si la mise en place du PMSI est en réalité ancienne, puisqu’il a été expérimenté en France dès 1982 (Lenay et Moisdon, 2003), sa mobilisation est d’autant plus forte depuis l’entrée en vigueur de la T2A. Soulignons alors que la logique de résultat qui fonde ce mode de tarification est en adéquation avec le principe même d’une rémunération fondée sur les performances individuelles, objet final de notre attention.

Si les outils de mesure médico-économiques font partie intégrante de la définition et de l’évaluation de la performance hospitalière, ils sont généralement complétés par plusieurs indicateurs de structure et de gestion, lesquels portent sur la performance organisationnelles des établissements, et donc sur l’optimisation des ressources humaines et matérielles. Ces indicateurs quantitatifs sont le plus souvent assortis de diagnostics stratégiques relatifs au pilotage des activités hospitalières (gestion des pôles d’activités, des lits, des urgences, etc.). Les travaux conduits par l’Agence Nationale d’Appui à la Performance des établissements de santé et médico-sociaux (ANAP) s’inscrivent dans ce cadre.

La performance hospitalière peut enfin s’appréhender à des niveaux institutionnels distincts. Les démarches de contractualisation et leur systématisation occupent une place déterminante dans la régulation et l’évaluation des activités hospitalières, particulièrement depuis le déploiement de la « nouvelle gouvernance hospitalière » qui structure le « plan hôpital 2007 ». A titre d’exemple, la performance hospitalière peut s’apprécier à l’échelon d’un pôle d’activité, à l’aide de « contrats de pôle » conclus directement avec l’établissement, mais aussi grâce aux « contrats d’objectifs et de moyens » établis entre un établissement et l’Agence Régionale de Santé (ARS). Ces processus d’évaluation sont également effectifs au niveau d’un territoire de santé, en général la région, par la mobilisation de schémas de planification comme le Schéma Régional d’Organisation Sanitaire (SROS), et enfin au niveau national, échelon auquel la politique de santé est définie tout comme l’allocation des moyens. La performance hospitalière repose donc sur de multiples dimensions (médicale, économiques et organisationnelles), leur coexistence simultanée tout comme leur interdépendance rendant de fait complexe et difficile son évaluation.

Cette caractérisation de la performance hospitalière, telle qu’elle est parfois mobilisée dans la littérature, s’avère de surcroît incomplète si l’on s’en réfère aux travaux de Sicotte et al. (1998, 1999). Fondée sur la théorie de l’action sociale de Parsons, leur approche repose sur un modèle intégrateur de la performance organisationnelle qui comprend quatre dimensions, ou encore quatre fonctions essentielles, propres à tout système social, ici les établissements publics de soins. Ces différentes dimensions, en constante interaction, sont appréhendées de manière complémentaire, la performance de l’organisation étant alors le résultat d’un équilibre entre, (i), les buts qu’elle cherche à atteindre, (ii), sa capacité d’adaptation, (iii), la production qu’elle doit réaliser et enfin, (iv), le maintien des valeurs et du climat organisationnel qui lui sont propres. Les deux premières dimensions – les buts et la capacité d’adaptation de l’organisation – s’articulent étroitement avec la troisième, la production, laquelle renvoie ici aux volumes de services produits, à la productivité, ou encore à la qualité des soins[8]. Enfin, les valeurs et le climat organisationnel représentent un dernier facteur central, d’une part parce qu’ils donnent un sens et une justification aux activités de travail et de soins, et d’autre part parce qu’ils représentent un facteur clé de cohésion organisationnelle. Ainsi, la performance d’un établissement de soins est par nature multidimensionnelle et ne peut être appréhendée – ni donc être évaluée – de manière fine qu’en analysant conjointement ces quatre dimensions et leurs interactions[9]. De sorte que si la performance des médecins hospitaliers dépend bien sûr de leurs compétences, investissements, efforts et motivations propres, elle reste tributaire d’un équilibre entre ces quatre dimensions constitutives de la performance d’ensemble de leur établissement. Cette question renvoie donc à l’imputabilité des résultats, sachant que les indicateurs de mesure de la performance individuelle ne sont in fine que partiellement maîtrisables par les médecins. Ces derniers ne contrôlent en effet qu’une partie d’un processus par nature collectif, rendant alors impossible de les tenir pour entièrement responsables de leurs résultats et avec, rendant forcément délicate la question consistant à les rémunérer selon leurs contributions personnelles à ces résultats[10].

S’il s’agit là d’une première limite quant à la mise en oeuvre de rémunérations à la performance, d’autres difficultés caractérisent ce mode de rétribution. S’il peut en effet sembler assez immédiat de lier performances et rémunération quand les objectifs sont facilement identifiables, et donc aisément mesurables, cette tâche est rendue plus délicate dès lors qu’il est question de services complexes aux contenus qualitatifs importants. Ce type de configurations appelle la définition de multiples indicateurs tant quantitatifs que qualitatifs. Outre le fait que la démultiplication d’outils de mesure rend les dispositifs d’évaluation plus complexes et coûteux à mettre en oeuvre, ces derniers posent de toute façon de nombreuses difficultés. De manière générale, elles tiennent au fait qu’il est finalement impossible de rédiger des contrats complets au terme desquels la totalité des tâches qui composent un emploi seraient spécifiées et pondérées, de même qu’il est impossible de déterminer l’ensemble des résultats que l’on peut attendre d’un Agent. Une telle incomplétude découle de la multiplicité des objectifs que recouvrent certaines missions médicales et de la complexité des tâches qui doivent être réalisées pour tenter d’atteindre ces objectifs.

L’introduction d’un mode de rémunération incitatif fondé sur un (ou quelques) objectif(s) bien identifié(s) induit alors le risque que les médecins délaissent les tâches difficilement évaluables mais néanmoins indispensables à la qualité du service rendu. Ce problème, mis en évidence par Holmstrom et Milgrom (1991), et connu sous l’expression de « multi-tâches » (multi-tasking), suppose de privilégier des modes de rémunération indépendants des performances individuelles, sans quoi les Agents tendent à reporter/concentrer leurs efforts sur les seules tâches explicitement évaluées et rétribuées.

L’exemple du financement des Missions d’Intérêt Général et d’Aide à la Contractualisation pour les établissements publics (MIGAC), et plus particulièrement des Missions d’Enseignement, de Recherche, de Référence et d’Innovation (MERRI) que doivent accomplir certains praticiens, permet d’illustrer notre propos. Les MERRI font partie des missions ne relevant pas de la tarification à l’activité telle que nous l’évoquions précédemment et sont en partie financées par une dotation indépendante du niveau d’activité des établissements. Toutefois, comme le souligne Bras et Duhamel (2009, p. 26), « en termes strictement économiques, les établissements n’ont aujourd’hui aucun intérêt à investir dans la recherche et sont incités au contraire à orienter leurs équipes vers la production de soins ». Il existe donc un risque de concurrence et de substitution entre les MERRI et les activités de soin, ces dernières constituant aujourd’hui l’essentiel du financement des établissements du SPH. En effet, les tarifs qui leur sont reversés sont déterminés de sorte à couvrir les coûts moyens des soins dispensés. Les charges fixes représentant une large part des dépenses hospitalières, la production marginale de soins contribue le plus souvent favorablement à l’équilibre budgétaire, expliquant que les établissements – et avec les praticiens – soient incités à augmenter leurs activités de soins au détriment des MERRI.

Si ces « effets de substitution » peuvent opérer parce que les agents souhaitent accroitre leurs revenus et/ou leurs budgets, ils peuvent aussi résulter de la simple crainte d’une perte salariale ou d’une baisse de dotation budgétaire. De manière plus générale, de tels arbitrages peuvent être motivés par la crainte d’être pénalisés pour ne pas s’être exécutés conformément aux « ordres » implicitement véhiculés par les incitations (Dixit, 2002). Au risque alors de générer des phénomènes de mimétisme dommageables à terme, où tout le monde finit au fond par se comporter durablement de manière identique, même à tort (Osterloh et al., 2008). En effet, les rémunérations à la performance supposent la mobilisation d’indicateurs de mesure qui finissent souvent par ne plus être contestés ni même discutés une fois adoptés, par crainte d’être sanctionné. Comme le soulignent Osterloh et al. (2008 : p 51), évoquant à ce titre un véritable effet de « lock-in » (blocage) : « quiconque s’y oppose est (…) suspecté de craindre les effets de cette mise en place ».

Si la pratique médicale est par nature une activité « multi-tâches », composée à la fois d’actes techniques, en partie quantifiables, elle comprend également des tâches plus qualitatives, et donc difficilement évaluables. C’est notamment ce que rappelle le Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé [11] pour qui « les tâches auxquelles l’hôpital public doit faire face en termes de soins sont par nature multiples, et ne se limitent pas aux seuls diagnostics et traitements des maladies », ajoutant, (i), que « leurs composantes médicales et sociales doivent être beaucoup mieux identifiées et individualisées », et (ii), que « ce qui n’est pas facilement évaluable par des critères quantitatifs doit l’être selon d’autres modèles », précision indiquant que la généralisation des rémunérations à la performance au sein du SPH présente bien le risque de conduire à une situation où les dimensions techniques viendraient primer sur les aspects plus qualitatifs qui font pourtant partie intégrante de la qualité des soins.

Un tel problème a d’ailleurs déjà été relevé dans le secteur marchand, à mesure que les tâches se complexifient (Prendergast, 1999; Osterloh et al., 2008). A ce titre, l’introduction depuis mars 2009 du Contrat d’Amélioration des Pratiques Individuelles (CAPI) illustre que cette difficulté concerne également le secteur libéral. Le CAPI est un dispositif de rémunération des performances individuelles destiné aux médecins généralistes libéraux, à l’image de celui destiné aux cabinets de généralistes anglais, qui bénéficient depuis 2004 d’un schéma incitatif adossé au programme « Quality & Outcomes Framework » (Bras et Duhamel, 2008). Dans le cas français, ce dispositif contractuel individualisé repose sur un engagement volontaire des médecins durant trois années auprès de l’organisme financeur, la Caisse Nationale d’Assurance Maladie, et vise à améliorer la qualité et l’efficience des soins dispensés en médecine de ville. Le CAPI, qui vient compléter le paiement à l’acte qui fonde classiquement la rétribution des médecins généralistes en France, s’appuie sur différents objectifs de santé publique en lien avec, (i), la prévention de plusieurs pathologies (grippe, cancer du sein, etc.), (ii), la lutte contre diverses maladies chroniques (diabète, hypertension, etc.) et, (iii), la prescription de traitements moins onéreux (médicaments génériques). Ces objectifs se déclinent par ailleurs en seize indicateurs qui, s’ils sont atteints (pour tout ou partie selon les cas), offrent la possibilité aux médecins de percevoir une rétribution dont le montant varie de 5 à 7 euros par patient et par an, soit un gain annuel maximal estimé à 5 600 euros. A ce jour, 12 600 médecins auraient déjà signé un tel contrat d’amélioration, soit 30 % des généralistes ciblés par le dispositif, même si sa mise en oeuvre très récente empêche de formuler une évaluation quant à son efficacité. Pour autant, et à l’image des rémunérations individualisées du secteur public, ce nouveau dispositif n’échappe pas aux risques de substitution que nous évoquions, la médecine de ville étant naturellement une activité multi-tâches. En effet, les indicateurs adoptés dans le CAPI ne couvrent qu’une partie des soins dispensés par les généralistes, excluant de nombreuses dimensions pourtant constitutives de leur exercice. Les arguments de Bras et Duhamel (2008, p. 4) rejoignent notre propos quand ils écrivent que : « [le paiement à la performance] ne peut appréhender ce qui, dans une représentation commune, relève du coeur de l’art médical : l’habileté à poser le bon diagnostic ou à détecter le cas rare sous des signes banals, l’aptitude à agir dans l’urgence ou à prendre la bonne décision thérapeutique dans les situations complexes (poly-pathologies…). Autant d’éléments de qualité qui ne peuvent être traduits en indicateurs mesurables ».

Aussi, et afin de remédier aux effets pervers de schémas incitatifs finalement trop simples, la première solution consiste à complexifier les procédures d’évaluation en définissant une « batterie d’indicateurs » à même d’apprécier les multiples dimensions d’une mission. Le premier problème renvoie, nous le disions, au coût global de ces dispositifs. En effet, et c’est particulièrement vrai en matière hospitalière, l’appréciation fine de la performance engage des coûts potentiellement importants qui limitent d’autant la mise en oeuvre de schémas incitatifs raffinés, amoindrissant dès lors leur portée opérationnelle (Dixit, 2002). Par ailleurs, en supposant que seuls quelques indicateurs puissent suffire à apprécier les dimensions essentielles d’un service rendu, reste un problème délicat : si le mécanisme incitatif pondère trop différemment les critères, certains agents orienteront leurs efforts dans les directions ainsi valorisées, au risque que certaines dimensions soient in fine totalement écartées ou fortement négligées. Aussi, pour éviter de provoquer des reports d’effort trop importants d’une dimension à l’autre, il est souvent envisagé de produire des indices de performance composites. Si ces indices synthétiques permettent naturellement de positionner les individus et avec, de les récompenser/sanctionner sur la base de leur performance moyenne, ils présentent toutefois deux inconvénients :

  • toute moyenne nécessitant une pondération, on est renvoyé à la délicate question du poids que l’on accorde à une tâche dans l’ensemble de celles qui constituent un travail;

  • de plus, une moyenne peut dissimuler des évaluations disparates entre critères, si bien que sans leur livrer les détails, les individus ignorent comment améliorer les aspects qu’ils ont le plus négligés. A contrario, si la pondération entre critères est révélée, on retrouve les difficultés associées au « multi-tasking », les individus risquant de substituer une tâche par une autre.

Face à ces limites, une solution peut alors consister à s’en remettre à l’avis des supérieurs pour discriminer entre ceux qui bénéficieront de primes et les autres. De telles démarches sont alors fondées sur un mode d’évaluation subjectif, avec ses avantages, le fait d’être souple et rapide, mais aussi ses inconvénients, en particulier les risques de favoritisme – lesquels sont d’ailleurs régulièrement soulignés dans la littérature empirique –, tout comme ceux liés à des évaluations biaisées autour de la moyenne à des fins de bonne entente entre responsables et subordonnés (Marsden et al., 2004). Selon Dixit (2002), de tels mécanismes iraient jusqu’à augmenter le nombre des évaluations complaisantes, provoquant une surévaluation générale par collusion d’intérêts, à l’opposée des buts précisément recherchés en application de la Théorie de l’Agence.

Cette dernière précision nous permet d’en venir au travail en équipe, situation où il est impossible de déterminer à quelle hauteur précise les différents membres ont personnellement contribué à la production d’un bien ou d’un service final. Pour ces cas de productions jointes, le mécanisme incitatif repose sur l’attribution de primes collectives dont le montant est réparti ex-post entre les membres ayant généré ensemble un effort ex-ante. Plusieurs difficultés sont là aussi régulièrement soulignées. Certains pourront se sentir lésés s’ils estiment avoir davantage contribué et choisiront alors de se désengager, au risque d’être eux-mêmes pénalisés. D’autres pourront choisir de limiter d’emblée leur effort, quitte à réduire les chances d’obtenir une récompense. En clair, l’emploi de primes collectives bute sur le risque que certains adoptent un comportement de défection / désengagement par déception, voire même, s’ils sont tous « rationnels » (au sens de la théorie des jeux), qu’ils agissent d’emblée en « passagers clandestins », minimisant leur effort en espérant bénéficier de celui des autres, ou par crainte que les effets de leur propre engagement soient annulés par le sous-engagement d’autrui. Ces raisons expliquent d’ailleurs que les primes collectives restent généralement peu prisées par les théoriciens des incitations.

Si l’on omet ces nombreuses difficultés (tant au niveau des établissements, des équipes, que des personnes), et si l’on maintient que la Théorie Principal-Agent reste un cadre analytique réaliste et pertinent, on ne devrait pas davantage craindre que les recommandations qui en sont issues entrent en contradiction avec certaines « valeurs de service public », en particulier avec l’égalité de traitement des usagers. Pourtant, plusieurs travaux démontrent que de telles craintes sont en partie fondées, notamment lorsque certains services impliquent une co-production entre usagers et agents publics, où le résultat de l’action de ces derniers dépend également des efforts des usagers (Bacache-Beauvallet, 2009). Et ainsi en va-t-il des relations entre médecins et patients, où ces derniers sont un intrant de la relation de soin et de ses résultats (De Pouvourville et Minvielle, 2002). En effet, si la qualité de la prestation d’un praticien s’avère déterminante pour diagnostiquer une pathologie et dispenser les soins adaptés, le succès d’une thérapie tiendra aussi à la volonté et/ou à la capacité des patients à se conformer aux traitements prescrits. C’est bien ce que souligne De Pouvourville (1998 : p. 103) pour qui la nature même de la prestation médicale est problématique dans la mesure où « il s’agit d’une prestation de service et, en tant que telle, elle est dépendante à la fois du travail des producteurs de soins eux-mêmes et de la contribution des malades ». On peut donc invoquer l’idée de co-productions usagers/agents, si bien que la mise en oeuvre de primes à la performance peut conduire le praticien à orienter ses efforts en direction des seuls usagers dont il peut espérer une contrepartie plus élevée, par exemple ceux dont les pathologies sont les plus simples, négligeant ceux qui ne contribuent pas suffisamment à l’augmentation de ses résultats (Bacache-Beauvallet, 2006; Rapport COMPAQH, 2008).

Au-delà, l’Economie questionne depuis peu le caractère invariablement positif de la relation entre incitations monétaires et performances au travail. A ce titre, Etchart-Vincent (2006) rappelle que l’effet des incitations monétaires sur la performance au travail reste en réalité mitigé, parfois même négatif. Une raison fréquemment avancée tient au fait que l’utilisation de récompenses monétaires conditionnelles peut conduire, sous certaines hypothèses, à un effet d’éviction de la motivation intrinsèque par la motivation extrinsèque, diminuant in fine le niveau total de motivation et d’effort au travail. On doit à Deci (1975) d’avoir mis en lumière un tel phénomène, certains travaux en économie ayant depuis pris appui sur cette approche. Ainsi, les analyses de Frey (1997), et plus récemment de Bénabou et Tirole (2003), James (2005) ou encore Osterloh et al. (2008), mettent toutes en évidence cet effet d’éviction. Enfin, la synthèse de Perry et al. (2009) revient également sur les risques associés à un tel effet et note que si les rémunérations à la performance continuent d’être mises en oeuvre dans le secteur public, ces dispositifs échouent pourtant régulièrement à générer durablement un niveau de motivation et d’effort plus élevé. Les auteurs montrent alors que le fait de renforcer les « motivations de service publics » des agents, entendues comme leur « préférenceindividuelle à répondre à des motifs portés en premier lieu, sinon uniquement, par des institutions et organisations publiques » (Perry et Wise, 1990, p. 368), serait finalement plus adapté pour accroître la motivation et l’effort au travail (Perry et al., 2009). De telles démarches de revalorisation des missions de service public, associées à un management plus participatif, pourraient d’ailleurs contribuer à résoudre ce que Emery et Giauque (2003 : p 77) qualifient de « dilemme motivationnel », indiquant ainsi que les agents publics éprouvent un malaise croissant, pris « entre une culture et une mission de service public d’une part, et des conditions de management entrepreneuriales d’autre part ». Une telle approche suppose toutefois de mobiliser une conception plus large de la performance hospitalière, laquelle ne reposerait pas uniquement sur l’efficacité et la qualité des soins dispensés mais également sur des dimensions propres aux valeurs auxquelles les membres d’une organisation se réfèrent. C’est notamment la perspective adoptée par Minvielle et al. (2008). En se référant au modèle intégrateur de Sicotte et al. (1998, 1999) que nous avons exposé, les auteurs montrent, au terme d’une enquête empirique menée à l’hôpital Bicêtre auprès de médecins hospitaliers, de personnels soignants et de membres de l’encadrement, que les « valeurs de service public » attachées à leurs activités sont, d’une part, communément partagée par ces groupes d’acteurs et, d’autre part, qu’elles leurs paraissent être un élément déterminant de la performance de leur établissement.

Conclusion

Nous avons adopté dans cet article une posture sceptique, voire critique, quant à l’idée de généraliser l’emploi de modes de rémunérations fondées sur les performances individuelle pour accroitre la motivation et l’effort au travail des praticiens du SPH. Une analyse détaillée des difficultés liées à l’évaluation de la performance du et en milieu hospitalier, tant collective qu’individuelle, a alors été proposée, difficultés essentiellement imputables à la nature complexe de l’activité médicale qui repose sur des dimensions quantitatives et qualitatives potentiellement substituables. Les autres limites liées à une telle individualisation des rémunérations dans le SPH ont par ailleurs été détaillées (risques de sélection des patients, baisse de la motivation intrinsèque des praticiens, etc.).

Pour autant, cette analyse critique n’enlève rien à l’intérêt réel que peuvent présenter l’élaboration et la mobilisation d’indicateurs de mesure pour concevoir et piloter l’action publique. Appliqués au cas de la santé, ces outils permettent d’appréhender une partie de l’activité médicale, tant en des termes quantitatifs que qualitatifs, et concourent ainsi à une amélioration générale de la qualité des soins (Minvielle, 2006). Ils peuvent également aider à déterminer des « normes d’activité » destinées à une meilleure connaissance de la charge réelle de travail des médecins hospitaliers. Ces outils peuvent également devenir une source plus large de questionnement et d’apprentissage (Lenay et Moisdon, 2003), et participer alors au repérage de dysfonctionnements organisationnels, de même qu’ils peuvent répondre, dans certains cas, à des attentes légitimes émanant de médecins soucieux d’une analyse fine de leurs pratiques. Enfin, ces outils de mesure peuvent concourir à une allocation plus juste des ressources et aider à une meilleure répartition des tâches.

Si les indicateurs de performance peuvent donc globalement participer à la formalisation des procédures de travail et à l’homogénéisation des pratiques médicales et professionnelles, dans un souci de cohérence et d’équité de l’action publique, l’analyse que nous avons livrée vise davantage à questionner la pertinence de leur usage quand il s’agit de les mobiliser pour fixer le niveau des rémunérations. Enfin, soulignons que dans le cas français, aucune évaluation n’est à ce jour disponible quant à l’effet des rémunérations à la performance sur la motivation et l’effort des chirurgiens des hôpitaux publics, pas plus que sur la quantité et/ou la qualité des soins hospitaliers. L’étude détaillée de Bras et Duhamel (2008), qui a trait aux principales expériences étrangères en matière d’individualisation des rémunérations des médecins des secteurs publics et privés, offre en tout cas des conclusions mitigées qui devraient inciter à une certaine prudence. En effet, et sans disposer de réelles analyses coûts-bénéfices, les expériences américaine et anglaise semblent pour l’heure se solder par des résultats souvent modestes, sinon négatifs.