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The portfolio approach is similar to how a company strategically evaluates and develops its line of products and services. It is goal-driven, and value-based. Destinations must decide what they want from events (the benefits), and how they will measure their value

Getz, 2008, p. 407

Cette recherche prend corps autour du constat empirique d’une « évènementialisation » de la culture et des territoires. Ces derniers sont en effet projetés sur un marché des destinations ultra-concurrentiel au sein duquel, les évènements culturels, de par leur fort capital symbolique, sont particulièrement convoités (Gravari-Barbas et Jacquot, 2007). Les évènements culturels apparaissent en effet comme un véritable outil de management et de développement territorial en ce qu’ils « contribuent au développement culturel des communautés humaines dans lesquelles ils se déroulent [… et] participent au développement économique et social des collectivités qui les accueillent » (Dechartre, 1998, p. I-2).

Pourtant, derrière cette apparente facilité à jouir d’impacts multiples via les évènements culturels, on constate un certain essoufflement des territoires dans cette course à l’évènementiel. Ainsi cette recherche s’oriente-t-elle vers la théorisation d’un portefeuille territorial d’évènements culturels (PTEC) (Arnaud, 2012) dont la vocation est d’inscrire l’offre d’évènementiel dans une finalité d’attractivité territoriale durable[2] (Soldo, 2010). En d’autres termes, il s’agit, dans une approche territoriale du management public, d’envisager les modalités de gestion locale d’un portefeuille d’évènements culturels allant de la petite manifestation locale au méga évènement. L’approche par le PTEC permet de mesurer toute l’ampleur de l’évènementiel urbain dans les politiques et stratégies publiques ainsi que son caractère idiosyncratique, qui lui permet de prendre des formes variables, en fonction des spécificités du territoire et de ses trajectoires. Il convient alors de réinterroger les modèles traditionnels d’analyse stratégique et de les adapter en vue de proposer aux managers publics un outil de pilotage de l’offre territoriale d’évènementiel culturel. Sur la base d’une étude de cas unique enchâssée à l’échelle d’un territoire intercommunal, les résultats montrent que le processus de sélection des évènements culturels s’inscrit dans une approche fonctionnelle et que son management stratégique relève d’une gouvernance contingente multi-niveaux et multi-partite impliquant un leadership territorial incitatif.

Vers la théorisation du Portefeuille Territorial d’Evènements Culturels (PTEC)

Les grands principes de management d’un portefeuille territorial d’évènements culturels s’appuient sur les nombreux travaux en management territorial, à la fois d’un point de vue stratégique (processus de sélection et constitution du portefeuille) et opérationnel (gestion des parties prenantes territoriales).

Le portefeuille stratégique : spécificité de l’échelle territoriale

La gestion territorialisée des affaires publiques connaissant d’importantes mutations institutionnelles, il convient de questionner la dimension territoriale du management public. Le territoire est entendu comme la résultante d’un processus d’appropriation de l’espace par ses parties prenantes et est donc mobilisé et transformé « dans, par et pour l’action » (Lussault, 2007, p. 181). En perpétuelle construction, le territoire se caractérise par une certaine inertie et ce pour deux raisons principales. Il combine une localisation qui induit un vivier de ressources tangibles et intangibles en partie données ainsi qu’un ancrage historique qui le contraint dans ses trajectoires futures (Mendez et Mercier, 2006). D’une nature double, matérielle et idéelle (Rioux, 1997), il est le reflet d’un agencement de traits particuliers (caractère idiosyncratique) et se définit par rapport à son environnement dans un processus de discrimination d’un « dedans » par un « dehors » (Pecqueur et Zimmermann, 2004).

Ainsi, le management territorial, nouveau paradigme de l’action publique locale, incite-t-il managers publics et élus locaux à développer de véritables démarches stratégiques à l’échelle du territoire (Hernandez, 2008). Tout l’enjeu du management territorial est de contribuer à la définition d’un « futur visible et lisible » capable de « susciter l’engagement subséquent et continu des partenaires » (Divay et Mazouz, 2008, p. 342). Or, ces derniers « n’appartiennent pas à une même organisation, ce qui signifie, non seulement qu’ils n’ont pas bénéficié de longue date de tous les processus qui, traditionnellement, dans une organisation participent à l’élaboration de valeurs communes, mais qu’en outre, ils peuvent être directement concurrents et donc rivaux dans le partage des ressources locales » (Mendez et Mercier 2006 p. 258). Le management territorial s’inscrit donc clairement dans une dimension collective du fait de l’ouverture croissante des organisations publiques aux autres parties prenantes[3] du territoire et aux relations de proximité qui s’y exercent. La gouvernance territoriale, alternative aux démarches descendantes classiques, s’inscrit dans cette recherche de nouveaux modes d’organisation et de gestion territoriale. Elle relève d’une approche pluraliste et interactive de l’action collective (Chevallier, 2003), dans une double logique horizontale et verticale.

Dans le champ culturel, qui fait l’objet de cette recherche, la stratégie territoriale est nécessairement contrainte par le pouvoir d’influence qu’exerce l’ensemble des organisations publiques centralisées et territorialisées. En effet, le système institutionnel français favorise la gouvernance multi-niveaux du fait même du principe de co-responsabilité qui permet aux différents échelons d’animer et de soutenir de manière forte le champ culturel. De plus, cette stratégie est soumise aux influences sectorielles et organisationnelles propres au champ culturel et aux acteurs qui le constituent (gouvernance multi-partite).

En conclusion, le management territorial prend de plus en plus la forme d’un management par projet qui intègre « l’existence, au niveau sectoriel ou local, d’institutions ou de réseaux, permettant d’assurer la reproduction des compétences, la définition des qualifications, la faisabilité même de projets par nature éphémères » (Benghozi, 2006, p. 6).

L’accroissement de la complexité dans les processus stratégiques territoriaux trouve donc un écho dans le développement d’une pratique de gestion spécifique, celle de la gestion de portefeuille de projets. Cette pratique, initialement associée au management stratégique des entreprises s’est principalement incarnée dans différents modèles, élaborés dès les années 1960 et utilisés afin de formaliser et faciliter une gestion globale (BCG, ADL, Mc Kinsey[4], etc.). Malgré certains points d’ancrage, et notamment le fait que la création d’un portefeuille relève d’un processus de management volontariste et stratégique, il apparaît que la requalification du portefeuille d’activités stratégiques est indispensable, au vu d’hypothèses qui s’appliquent aux entreprises et pas au territoire, plus protéiforme et organique (Cf. Tableau 1).

Retenons ici que les enjeux et finalités du management territorial s’ancrent dans cette tension entre l’idée d’une mission collective (Bartoli, 2005[5]) et son application en termes de gestion, le secteur public étant régi par des finalités externes définies par la loi et correspondant au service public et à l’intérêt général. « La rationalité managériale en devenant ‘publique’ perd [donc] ses caractéristiques liées au contexte de compétition, de rentabilité, de profit… » (Payette, 1992, p. 8). Or, les évènements culturels, sources de nombreuses externalités positives (Soldo, Keramidas et Arnaud, 2012; Williams et Bowdin 2007; Getz, 2007), sont aujourd’hui souvent perçus comme des leviers de développement et d’attractivité des territoires. Cette dernière, loin d’être envisagée dans un paradigme concurrentiel, s’inscrit dans une logique de développement économique, social, culturel et politique du territoire (Perroux, 1964[6]), c’est-à-dire dans une lecture multidimensionnelle des impacts des actions mises en oeuvre (Soldo, Keramidas et Arnaud, 2012; Soldo, 2010, 2007). Ainsi, est-il proposé d’appréhender le portefeuille par le prisme du management territorial, intégrant ces finalités multiples ainsi que ces modalités de management spécifiques (cf. tableau 1.).

Tableau 1

Organisation entrepreneuriale vs organisation territoriale

Organisation entrepreneuriale vs organisation territoriale

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Le processus de sélection des évènements culturels

Au-delà des particularités du territoire, il apparaît nécessaire de questionner le processus territorial de sélection des différents évènements culturels. Peu étudiés, ces évènements constituent un objet de recherche passionnant en ce qu’ils font face à de nombreux enjeux relatifs au champ culturel : « la recomposition territoriale et la décentralisation culturelle, la conquête de nouveaux publics et l’évolution des programmations, l’impact de la réforme de l’intermittence du spectacle, une économie des arts de la scène de plus en plus fragilisée, la nécessité de la réflexion à l’échelle des réseaux » (Négrier et Jourda, 2007, p. 5).

L’évènement culturel entre dans le giron des évènements dits « planifiés[7] » et ainsi du management en ce qu’il est mis en oeuvre dans un but précis (objectifs assignés) et qu’il fait l’objet de planification, de contrôle et de comptabilité (Getz, 2007). Dans un souci de restriction de l’objet de recherche, l’évènement culturel est défini comme appartenant au secteur d’activité de la culture (édition, impression et reproduction; audiovisuel; arts vivants; patrimoine; animation de loisirs). C’est donc bien la création artistique (Vauclare, 2009) qui différencie l’évènement culturel des autres types d’évènement (d’affaires, scientifiques, sportifs, privés…). Cet évènement renvoie à la dialectique éphémère / durable au regard des temporalités variables entre son élaboration, son déroulement, sa potentielle récurrence, ainsi que la temporalité de ses impacts. Tout comme le théâtre, il est fondé sur la règle de l’unité. Unité de temps (période donnée), unité de lieu (choisi pour le sens qu’il donne à la manifestation), et unité d’action (intimement liée au public). « Des synergies qui se développent sur ce tryptique de base dépend l’inscription dans la durée de la manifestation, son retentissement et ses effets à court, moyen et long terme, directs ou induits » (Dechartre, 1998, p. II-13).

Cinq types d’évènements ont été identifiés. La manifestation locale, qui s’appuie fortement sur le socle de valeurs et de traditions locales, s’attache essentiellement à améliorer le cadre de vie des populations résidentes en leur proposant une offre de loisirs riche et renouvelée (Getz, 2008). Le vivier associatif qui caractérise la France se veut ici un acteur majeur dans l'organisation de ce type d'évènement, renvoyant également à la question de la démocratie locale et de l'initiative citoyenne.

Les manifestations de plus grande ampleur oeuvrent plus spécifiquement pour le dynamisme économique territorial et l’attractivité touristique. L’évènement phare est mis en oeuvre sur un territoire principalement afin d’améliorer sa visibilité, son attrait et sa rentabilité (Ritchie, 1984). Sa fonction principale est donc de garantir un positionnement fort du territoire sur le marché des destinations touristiques en s’ancrant dans les spécificités et traditions locales (Hall, 1989). Lorsqu’il est récurrent, cet évènement phare devient suffisamment associé au territoire qui le produit pour constituer un avantage concurrentiel évident dans le champ du marketing (évènement phare institutionnalisé) (Getz et Andersson, 2008).

La manifestation d’ampleur internationale – méga évènement culturel – (Capitale européenne de la culture, Exposition Universelle) se définit comme un évènement de court terme et de grande envergure, principalement pensé en termes d’impacts économiques et touristiques. Il peut avoir des retombées socio-citoyennes dès lors qu’il implique des travaux de rénovation urbaine et de structuration territoriale. Bien plus qu’un outil marketing pour un territoire, il s’agit principalement d’une idéologie, d’une approche politique (Gursoy et Kendall, 2006), d’une démarche volontariste et risquée (succès incertain) (Haxton, 1999).

Enfin, l’évènement national renvoie à une volonté de construction et d’appropriation d’une identité et d’une réalité nationales. Il s’agit d’évènements impulsés par le ministère de la culture (Fête du Livre, Fête du Patrimoine, Fête de la Musique, etc.), ou d’évènements ancrés dans les fêtes calendaires (Carnaval), patronales ou commémoratives (fêtes votives) (Di Méo, 2001). La couverture territoriale globale, avec une dimension internationale dans son exportation, s’oppose alors à des objectifs plus locaux relatifs à des espaces en concurrence (Garat, 2009).

L’adaptation de l’outil portefeuille au management territorial doit permettre d’assurer la cohérence d’ensemble d’une stratégie d’évènementiel culturel et de contribuer au renforcement de l’attractivité territoriale durable. Cela se traduit par la sélection et la gestion de projets culturels pertinents. Le PTEC renvoie à un processus d’évaluation de différents projets, dont l’objectif est la sélection d’un nombre limité d’entre eux et l’allocation des ressources nécessaires à leur réalisation (Tarondeau, 1990). La phase de sélection est indispensable notamment dans une période de restriction des budgets publics et, plus largement, dans une démarche stratégique. Elle est double puisqu’elle dépend à la fois du choix de l’organisation porteuse du projet (acteur culturel), mais également des critères de sélection des institutions publiques qui financent le projet (ligne stratégique territoriale). Il s’agit de développer des procédures qui permettent à la fois l’évaluation de projets entrant dans les axes stratégiques et l’émergence des initiatives locales (Mauguin, 1991). De plus, à l’échelle d’un territoire, envisager l’offre d’évènements culturels dans une logique de portefeuille est d’autant plus important que le risque est grand de mettre en place, de manière concomitante, des projets non cohérents entre eux. Le management territorial ne peut être appréhendé que dans une vision holistique saisissant dans son ensemble la dynamique propre à chacun des projets culturels (Joffre et al., 2006), leur intégration sur le territoire ainsi que les interactions qui se nouent entre eux, notamment au sein des différents pôles culturels (Durieux-Nguyen, 2005).

La figure suivante se veut une synthèse des éléments relatifs à la définition du PTEC.

Figure 1

Portefeuille territorial d’évènements culturels

Portefeuille territorial d’évènements culturels
Source : Arnaud, 2012, p. 334

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Une étude de cas unique enchâssée

La démarche méthodologique engagée est une étude de cas unique enchâssée (Musca, 2006; Yin, 2003). Il s’agit de questionner, à l’échelle d’un territoire intercommunal, le portefeuille d’évènements culturels.

La CPA est constituée de 34 communes, à majorité rurale, dont les charges de centralité sont portées par la ville d’Aix-en-Provence. Ce territoire intercommunal est à de nombreux égards pertinent dans le cadre de cette recherche : concentration et variété de l’offre culturelle; portefeuille d’évènements riche, diversifié et complet intégrant le méga évènement « Marseille Provence 2013, Capitale européenne de la culture ».

Afin d’analyser plus en profondeur ce cas, il a été envisagé non pas comme un monolithe mais comme un enchâssement entre l’unité d’analyse globale (le portefeuille d’évènements culturels du territoire de la CPA) et les sous-unités d’analyse que sont les évènements culturels produits sur le territoire. La particularité de cette étude enchâssée est qu’il ne s’agit pas d’une organisation et de ses services mais d’un territoire. Ici, plusieurs univers se superposent (culturel, économique, social, etc.), il s’agit d’un enchâssement dans un contexte territorial complexe et sans entité identifiable.

Concernant les évènements culturels analysés, nous avons retenu « Par les Villages », un évènement local itinérant qui présente des spectacles contemporains de théâtre, danse et musique; la saison culturelle « Picasso-Aix 2009 », un évènement d’envergure nationale porté par la CPA et considéré ici comme un évènement phare; ainsi que le Festival d’Aix-en-Provence, festival d’art lyrique mondialement connu et symbole culturel du territoire, évènement phare institutionnalisé (Cf. Tableau 2).

Tableau 2

Synthèse des trois événements

Synthèse des trois événements

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Afin de recueillir les perceptions des parties prenantes, plus d’une centaine d’entretiens semi-directifs ont été réalisés[8] auprès : des porteurs de projets et leurs équipes, des managers publics ainsi que des élus de la CPA, des acteurs institutionnels extérieurs au territoire, ou encore des acteurs culturels du territoire. Ces perceptions ont été triangulées avec des données secondaires de sources multiples (données internes aux structures, données publiques, données médias, etc.). Sur cette base, un processus de problématisation, via une opération de codage, a permis une analyse de contenu[9] (Bardin, 1977). Ce « bricolage méthodologique » a pour visée de résoudre un problème précis : un problème en grande partie structuré, défini, cadré « par des termes que le chercheur n’a pas choisis, mais qui ont été élaborés au fil du temps par la communauté épistémique (et de pratiques) à laquelle il appartient » (Allard-Poesi, 2011, p. 3). Dans le cadre de cette recherche, fondée sur une démarche exploratoire hybride, la construction de la grille de codage s’inscrit dans la lignée des travaux de M.B. Miles et M. Huberman, pour qui « les cadres conceptuels et les questions de recherche sont la meilleure défense contre un volume de données écrasant » (2003, p. 110). Nous nous éloignons ainsi d’une démarche purement inductive fondée sur l’absence de pré-codification, considérant que le processus d’analyse des données, loin d’être linéaire, se construit sur une dynamique itérative extrêmement féconde (Miles et Huberman 2003). La grille de codage s’articule autour de trois codes principaux : « C.1 – La culture dans le Processus Stratégique Territorial »; « C.2 – Approche fonctionnelle des évènements culturels : activation de la proximité territoriale »; « C.3 – La gestion des parties prenantes du portefeuille territorial d’évènements culturels »[10].

Les modalités de management stratégique du PTEC

Le management stratégique du portefeuille territorial s’inscrit dans une double démarche de sélection des évènements culturels et de gestion des parties prenantes du portefeuille. Il s’inscrit par ailleurs dans une finalité externe d’attractivité territoriale durable.

Tableau 3

Sélection des évènements culturels dans une approche fonctionnelle[11]

Sélection des évènements culturels dans une approche fonctionnelle11
Source : Arnaud, 2012

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Approche fonctionnelle de sélection des évènements culturels

L’analyse des trois évènements culturels présentés précédemment permettent d’envisager les fonctions que les managers publics peuvent leur assigner en termes de valeur ajoutée pour une attractivité territoriale durable (cf. Tableau 3).

Concernant l’attractivité politique du territoire, les trois évènements étudiés intègrent dans leurs objectifs les missions ministérielles (pérennité de la mission d’intérêt général) :

  • La démocratisation culturelle. Ex : le Festival d’Aix a développé de nombreuses activités pédagogiques et socio-artistiques;

  • La valorisation du patrimoine. Ex : la saison culturelle « Picasso-Aix » s’appuie sur deux personnages clés : Cézanne et Picasso (patrimoine intangible) ainsi que sur une institution (le musée Granet) et un lieu patrimonial fort (le Château de Vauvenargues);

  • Le soutien à la création. Ex : « Par les Villages » a créé une commission de sélection de projets artistiques).

Au-delà de cette dimension, l’évènement local, inefficace dans la recherche d’une attractivité économique et marketing (ce ne sont pas les objectifs qu’il s’est définis), s’oriente vers la population locale (renforcement de la dimension socio-citoyenne via la médiation, la convivialité et la festivité). De plus, il participe à la structuration et à la professionnalisation du secteur dans des logiques informelles de renforcement des réseaux culturels locaux, fondées sur de l’entraide au service de la défense d’un objet politique, artistique, idéologique, etc. (il s’agit ici d’un réseau d’artistes militants cherchant à définir un autre rapport à la culture).

[C’est un projet] « inspiré par plus de démocratie, plus de justice, plus de valeurs d’usage et moins de privilèges, de valeurs emphatiques de l’art, de hiérarchisation de valeur d’échange ou de valeur symbolique »

Membre de PLV

C’est une démarche un peu différente, ça s’articule autour d’un temps fort dans lequel on doit choisir des thématiques qui correspondent à notre village, aux goûts que les spectateurs de notre village aiment bien. Après on fait un choix qui est concerté avec l’organisation. Il n’y a pas de souci avec ça

Commune de la CPA

Il fallait que les élus soient d’accord avec nous donc reconnaître leur pouvoir culturel, résoudre leur problème technique, impliquer les associations locales, adapter notre projet à ses besoins mais on allait leur enlever le pouvoir de programmation. C’était un élément pour permettre le dialogue et mettre les artistes dans la gouvernance politique de cette opération

Membre de PLV

La saison culturelle « Picasso-Aix 2009 » participe largement à l'attractivité externe du territoire et permet de renforcer l'identité territoriale grâce à un processus de labellisation autour de la saison qui renforce la discrimination d'un « dedans » par rapport à un « dehors » et créé un effet de marque. Le territoire se positionne et est rendu visible : l'exposition « Picasso-Cézanne » est la première exposition de Province en 2009 en termes de fréquentation.

La montée en puissance du musée Granet et du Centre National Chorégraphique était le point de départ d’une politique culturelle qui était de créer des grandes vigies qui vont offrir à Aix toujours plus de résonnance et d’attractivité internationale

Acteur Institutionnel CPA

Cependant, c'est l'évènement qui a le moins d'impact sur la dimension socio-citoyenne, malgré la volonté de proposer un volet pédagogique fort (proposition d'un parcours pédagogique « Métamorphose » autofinancé par la CPA). Cela s’explique par le manque d’appropriation des parties prenantes locales (artistes, population, acteurs socio-culturels) qui n'ont pas été impliquées en amont par la CPA.

Nous avons eu du mal à anticiper car nous avons été associés tardivement à ce processus Picasso, or c’était un gros projet

Acteur socio-culturel

Il faudrait que tous les opérateurs culturels conséquents du territoire soient associés dès le départ à ce type de projet. Cela permettrait d’avoir une réflexion commune pour ne pas être dans la commande publique mais dans la construction d’un vrai projet de territoire

Acteur culturel

Inversement, l’ancrage, dans le temps, et au sein des institutions locales, du Festival d’Aix-en-Provence, évènement phare institutionnalisé, lui permet d’être au plus proche des réalités locales et de tisser un lien étroit avec les valeurs de la société locale (de nombreuses actions de sensibilisation à l’opéra sont mises en oeuvre tout au long de l’année auprès des publics scolaires et « empêchés » et des politiques de démocratisation facilitent l’accès au festival pour la population locale : évènement gratuit en plein air, retransmissions gratuites sur écrans géants, nouvelle politique tarifaire, etc.). Cet ancrage dans une logique socio-citoyenne s’explique notamment par un cahier des charges issu de financements croisés multiples qui attribue des missions d’ordre social au Festival.

Incontestablement aujourd’hui il y a une texture, elle s’exprime de plusieurs manières, elle s’exprime entre autre par des contacts, des liens des contacts informels ou formels selon les cas mais aujourd’hui le Festival par exemple il est en relation assez étroite avec le Conservatoire ce qui n’était pas le cas quand je suis arrivé, avec le musée Granet, avec le Théâtre du Jeu de Paume, et le Grand Théâtre de Provence, avec la Compagnie Josette Baïz

Membre de la Direction du Festival

On arrive à être mieux ancré dans la ville. Une opération comme le concert Parade[13] l’an dernier c’est sûr que c’est génial…

Membre de la Direction du Festival

Enfin, si chaque évènement peut participer à la structuration du secteur, les évènements d’envergure le font de manière plus formelle via des partenariats et des dispositifs de contractualisation.

Par ailleurs, certains critères transversaux viennent expliquer la capacité des évènements à renforcer l’une ou l’autre des dimensions de l’attractivité territoriale durable. Il convient de mentionner tout d’abord, le degré « d’éclatement » de l’évènement, relatif aux territoires et lieux investis. Ce critère questionne la capacité de l’évènement à irriguer et mailler le territoire. Le cas de « Par les Villages » vient illustrer ce premier critère transversal. Il apparaît clairement que le caractère itinérant de l’évènement participe largement à sa capacité à renforcer la dimension socio-citoyenne (ancrage territorial, lien social, réponse aux besoins des citoyens ruraux, etc.).

Des liens se créent avec les artistes et le public. La culture crée du lien

Commune de la CPA

On présente des spectacles dans la convivialité, d’où l’idée des temps forts. On n’est pas dans l’idée de la consommation culturelle mais plutôt de fête, de rencontre. […] Il y a tout le discours qu’on peut tenir sur le lien social, faire sortir les gens

Membre de PLV

L’objectif c’est d’apporter la culture à des gens qui n’iraient pas. Donc c’est forcément apporter une ouverture d’esprit. […] C’est ouvrir de nouveaux horizons à des gens qui ne se seraient pas déplacés et ça a marché sur le village, j’ai vu des gens venir dont je sais qu’ils n’y seraient pas allé. Et là ils sont venus même sur des spectacles un petit peu plus ‘difficiles’ et ils y ont pris plaisir

Commune de la CPA

Inversement, malgré le discours énoncé, la saison « Picasso », qui se devait éclatée sur le territoire, a pâti d’une trop forte concentration sur la ville-centre.

Le niveau de soutien public est également un élément qui joue sur la capacité de l’évènement à renforcer la dimension politique. Au plus l’évènement est soutenu par les pouvoirs publics au plus il s’ancre dans la stratégie. Le festival d’Aix est soutenu depuis sa création en 1948. En tant qu’institution du territoire, il a bâti une relation de confiance avec la CPA. La pérennité du soutien apparaît ici comme essentielle dans la capacité du Festival à participer aux réponses économiques, sociales et citoyennes qu’implique une action publique dans le champ culturel.

Par ailleurs, l’analyse des résultats témoigne d’un phénomène croissant de « clusterisation » de l’offre culturelle, qui se traduit par la constitution progressive de pôles culturels. Il a ainsi pu être observé une structuration progressive de pôles plus ou moins formels, plus ou moins institutionnalisés en fonction de l’histoire et des orientations des politiques culturelles locales, et enfin plus ou moins prioritaires et émergents en fonction des lignes directrices actuelles. Typiquement, le projet Picasso s’inscrit dans un district patrimonial fort sur le territoire de la CPA qui relève tout autant de la valorisation du patrimoine culturel (tangible et intangible) que de créations et de projets qui valorisent ce patrimoine et s’appuient sur lui pour prendre du sens à l’échelle locale.

Penser l’offre territoriale dans une logique de portefeuille permet de catalyser la dynamique qui existe entre les différents projets sélectionnés et les différentes parties prenantes. L’analyse de ces trois évènements met d’ailleurs en exergue l’imbrication évidente des projets qui participent à une même dynamique territoriale. « Par les Villages » ainsi que le Festival d’Aix ont été labellisés saison culturelle « Picasso-Aix 2009 ». Le projet Picasso préfigurait quant à lui « Marseille-Provence 2013, Capitale européenne de la culture », méga-évènement au sein duquel « Par les Villages » et le Festival sont parties prenantes (label).

Le PTEC : une gouvernance contingente

Au-delà de la sélection des projets culturels, le management d’un portefeuille territorial implique l’analyse et la compréhension de l’échiquier stratégique local. La gestion des parties prenantes est toujours une difficulté, quelle que soit l’organisation. Il s’agit ici de hiérarchiser les parties prenantes du PTEC de la CPA en fonction des attributs dont dispose ou non l’acteur (Mitchell, Agle et Wood, 1997). Il apparaîtra d’autant plus prioritaire dans les axes stratégiques qu’il présente un nombre élevé d’attributs. Nous les synthétisons ainsi :

  • Le pouvoir d’influencer les décisions de l’organisation publique en charge du portefeuille. En d’autres termes, il s’agit de la capacité (exprimée ou potentielle) de la partie prenante à imposer ses choix et sa volonté à l’organisation publique;

  • La légitimité de la partie prenante dans les relations qu’elle entretient avec cette même organisation. Cette légitimité relève de la perception des autres acteurs du caractère désirable, convenable ou encore approprié de son action. Elle s’inscrit dans des systèmes de normes, de valeurs et de croyances;

  • L’urgence perçue de la demande de la partie prenante.

Figure 2

Positionnement des parties prenantes du portefeuille de la CPA[14]

Positionnement des parties prenantes du portefeuille de la CPA14
Arnaud, 2012, p. 331

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La figure 2 met en évidence le positionnement des différentes parties prenantes dans le cas de la CPA.

Des parties prenantes prioritaires (définitives et dominantes)

Partant du principe que le PTEC est un outil au service de la structuration de l’offre évènementielle culturelle, deux parties prenantes sont ici qualifiées de définitives : (1) les élus qui siègent à la Commission culture; (2) la ville d’Aix-en-Provence. Les élus siégeant à la Commission culture, même s’ils sont nommés à l’échelon intercommunal, détiennent une légitimité démocratique. Par ailleurs, le pouvoir politique dont ils bénéficient leur permet de prendre des décisions qui ont un véritable impact sur la constitution et la gestion du portefeuille. Enfin, les cycles électoraux les placent dans une urgence d’action à court-terme qui peut influencer les choix stratégiques. Si la Commission culture apparaît comme un acteur central et monolithique, nous distinguons la ville-centre des autres communes. Sa « force de frappe » dans le domaine culturel lui octroie un pouvoir supérieur.

Dans les villages on a affaire aux adjoints à la culture, qui sont très marginalisés et n’ont pas beaucoup de poids politique

Acteur culturel

De plus, parce qu’elle avait précédemment développé une politique culturelle, Aix-en-Provence se situe dans l’urgence. En effet, le manque de cohésion et de visibilité de la politique communautaire pourrait nuire à son image et à son attractivité.

[Dans le cadre de la politique culturelle communautaire] « la ville d’Aix avait beaucoup plus à y perdre qu’à y gagner en termes d’image et de choix, c’est une compétence optionnelle ce qui fait qu’on a un double à chaque fois, on a des financements ville qui se sont ajoutés à des financements CPA. La ville ne s’est pas désengagée au profit de la CPA »

Acteur Institutionnel

Les parties prenantes dominantes constituent également une priorité dans la gestion du portefeuille en ce qu’elles ont le pouvoir et la légitimité de peser dans les orientations stratégiques prises. Les évènements phares, institutionnalisés ou non, tout comme les évènements nationaux qui sont portés par la collectivité, sont des évènements qui doivent nécessairement être intégrés dans le portefeuille.

Ces parties prenantes définitives s’ancrent très largement dans une arène politique influente.

Des parties prenantes menaçantes mais en marge du système (discrétionnaires et dangereuses)

Les parties prenantes discrétionnaires si elles sont légitimes dans leurs revendications, ne vont pas systématiquement influencer la gestion du portefeuille car elles ne détiennent pas de réel pouvoir.

Les parties prenantes dangereuses détiennent du pouvoir et de l’urgence mais ne sont pas légitimes aux yeux des autres acteurs. Le positionnement d’un méga évènement à cet endroit ne doit pas être envisagé de manière générique. Nous constatons ici les conséquences d’une situation particulière puisque le projet pâtît d’un manque de légitimité.

Dans cette relation d’échange avec chacune des structures, le cas de Marseille Provence 2013 est en train de se cristalliser très négativement

Acteur Institutionnel

Des parties prenantes inoffensives (latentes, exigeantes et dépendantes)

Les parties prenantes dépendantes sont en effet soumises à une relation extrêmement déséquilibrée au sein de laquelle, malgré le caractère urgent de leur demande, elles ne semblent pas mettre en danger l’organisation publique en charge du portefeuille.

Contrairement aux types d’évènement culturel précédemment cités, les évènements locaux peuvent se trouver en situation de dépendance ou d’exigence forte. Nous distinguons ici les évènements suffisamment solides qui s’auto-entretiennent de ceux qui s’appuient sur un portage public fort et subi (pour exemple, l’avenir de PLV repose sur le renouvellement de sa convention tri-annuelle avec la CPA puisque la part d’auto-financement de la structure est nulle).

Enfin, le public des évènements culturels est considéré comme une partie prenante latente. Ces « consommateurs » d’évènements culturels, par le choix qu’ils font de participer ou non aux manifestations détiennent un pouvoir. Leur force s’entend aussi en termes de pouvoir d’achat et / ou pouvoir de sanction via le vote.

L’analyse des entretiens réalisés laisse par ailleurs émerger le concept de leadership territorial. Loin d’interroger uniquement le leadership institutionnel de l’organisation publique en charge du portefeuille, il s’agit ici de questionner un leadership légitime sur le territoire, en ce qu’il regroupe les différents vecteurs de pouvoir. Le rôle de chef de file de la CPA dans le champ culturel, tout comme sa légitimité à intervenir en tant que producteur de culture, se construisent progressivement. Le leadership consiste en une capacité d’influence sur les actions des parties prenantes. Or, la légitimité de l’organisation publique (ici un EPCI) n’est plus seulement démocratique (de par la présence des élus), mais également fondée sur les savoir-faire professionnels que les managers publics ont acquis et appliquent au service du territoire et des parties prenantes

Il y a une véritable démonstration d’un savoir-faire de la CPA dans ce domaine

Manager CPA

D’ailleurs, « dans les relations avec ses partenaires, on constate qu’aujourd’hui ils sollicitent davantage la CPA »

Manager CPA

Enfin, cette réflexion autour de la gouvernance du portefeuille territorial amène à discuter les leviers d’intégration des porteurs de projets dans la stratégie d’évènementiel culturel et à proposer une approche incitative plutôt que coercitive (Cf. Tableau 4). Il ressort qu’à l’exception des leviers économiques qui jouent un double rôle incitatif et coercitif, la mission d’animation des acteurs porteurs d’évènements culturels est plus que pertinente. Le portefeuille est un outil qui, s’il est bien géré, joue un rôle incitateur, catalyseur et fédérateur de l’offre évènementielle culturelle territoriale.

Tableau 4

Leviers d’intégration des porteurs de projets au PTEC

Leviers d’intégration des porteurs de projets au PTEC
Source : Arnaud, 2012, p. 333

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Conclusion : discussion et perspectives autour de la recherche

Si la littérature propose des typologies qui se fondent principalement sur la demande touristique relative à l’évènement et sur sa valeur économique, ces résultats mettent en exergue des critères de sélection qui répondent aux finalités du management territorial dans lesquelles doit s’inscrire le PTEC. Par ailleurs, cette recherche permet d’affiner la logique « produit » grâce à l’émergence de critères transversaux. Cependant, la taxonomie proposée ici n’intègre que trois des cinq types d’évènements révélés par la littérature. Cela nécessite des prolongements afin de compléter ces travaux. Un autre élément de réflexion tient dans l’hétérogénéité de l’échantillon en termes de disciplines artistiques. Il apparaît clairement que, si certaines problématiques sont comparables, les spécificités de chaque discipline dans le cadre de la stratégie évènementielle pourraient être questionnées, d’où une réflexion nécessaire autour de la « clusterisation » du portefeuille.

Selon A. Faure (2007), deux courants s’opposent aujourd’hui : « d’un côté ceux qui diagnostiquent les indices concordants d’une standardisation de l’action publique, et de l’autre ceux qui décèlent plutôt les ferments d’un processus instable de différenciation territoriale » (p. 276). Cette approche du PTEC, fonctionnelle et idiosyncratique, s’inscrit dans le courant de la différenciation territoriale, tout en admettant l’existence d’un contexte international au sein duquel l’évènement culturel est devenu un outil au service du management de tous les territoires, une « matière première » malléable, dont peuvent se saisir les différents acteurs. Les résultats confirment effectivement la composante territoriale forte des évènements culturels. Leur mise en oeuvre s’ancre dans un contexte local et historique prégnant. Ils permettent d’ailleurs la valorisation de nombreuses ressources patrimoniales (le Château de Vauvenargues pour Picasso, l’Archevêché, l’hôtel Maynier d’Oppède ou encore le Grand Saint Jean pour le Festival, etc.). L’évènement culturel apparaît comme un outil efficace au service du développement du territoire en ce qu’il favorise à la fois la créativité et le dynamisme de la communauté locale. Ce faisant il ancre ce développement dans une certaine inertie nécessaire, en se raccrochant aux valeurs fondamentales qui permettent la construction et l’appropriation territoriale (Auteurs et al., 2012).

C’est donc bien le leadership territorial qui doit être repensé en ce qu’il permet à la fois la compétition, la coopération et la mise en réseau sur le territoire (Sotarauta, 2010, p. 389). Ce leadership territorial se construit autour de la capacité de l’organisation publique à prendre du recul pour « se mettre en surplomb et jouer un rôle de facilitateur : on peut y voir des médiateurs territoriaux, ou des traducteurs qui jouent un rôle de passerelle entre les parties prenantes » (Torre et Beuret, 2012, p. 47). Car enfin, l’animateur territorial doit être capable de mobiliser et coordonner les parties prenantes autour du portefeuille. Cet animateur territorial doit s’appuyer sur les ressources matérielles (financements, ressources humaines, infrastructures, etc.) et immatérielles (formations, qualifications, proximités, etc.) du territoire tout en tenant compte des influences des environnements macro, méso et micro. Pour ce faire, il faut penser la gestion du portefeuille dans une approche territoriale transversale, décloisonnée. Les effets durables d’un investissement dans un PTEC dépendent de la synergie mise en place avec les autres secteurs stratégiques du développement territorial (Russo et Van der Borg, 2002). Ainsi convient-il de considérer l’existence d’autres portefeuilles et de respecter les engagements stratégiques pris au niveau du territoire (projet d’agglomération). Tout l’enjeu réside dans le paradoxe de l’éphémère et du pérenne, ainsi que dans le tiraillement entre l’instrumentalisation de la culture à des fins internes et externes.