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Les portefeuilles d’accords technologiques des grandes entreprises innovantes comportent généralement deux types de coopérations en R&D, dont les différences potentielles sont fort peu analysées : les coopérations subventionnées, mises en oeuvre dans le cadre d’un programme gouvernemental, d’une part, et les coopérations non subventionnées, financées exclusivement sur les ressources propres des partenaires, d’autre part.

Les entreprises font-elles un usage stratégique différent de ces deux types de coopérations technologiques ? La question n’est guère abordée dans la littérature en management stratégique, ni dans les travaux économiques relatifs aux politiques technologiques, qui les considèrent comme équivalents. Elle présente pourtant un intérêt non négligeable, ne serait-ce qu’au regard des montants investis par les Etats et l’Union Européenne dans les programmes de soutien aux collaborations scientifiques et technologiques. Quels sont la place et le rôle réellement accordés par les entreprises aux coopérations subventionnées dans leur portefeuille d’accords en R&D ?

Afin d’apporter des éléments de réponse à cette question, nous proposons d’examiner et de comparer les mécanismes organisationnels en jeu dans les deux types de coopérations en R&D. A cette fin, nous utilisons une démarche de recherche analytique et descriptive (Yin, 1994), utilisant respectivement la littérature sur les alliances inter-organisations et une étude de cas. Dans un premier temps, nous introduisons la notion d’ambidextrie du portefeuille d’accords, particulièrement pertinente selon nous dans un contexte d’octroi de subventions, propices aux activités d’exploration. Un premier apport original par rapport à la littérature sur les accords consiste alors à ouvrir analytiquement ce portefeuille ambidextre en utilisant une grille conceptuelle en termes d’incitation, de coordination et d’apprentissage. Nous caractérisons deux logiques contrastées de coopération en R&D, d’exploration vs. d’exploitation, chacune ayant une forte cohérence interne. Un second apport est de montrer la place singulière qu’occupent les accords subventionnés dans la stratégie d’innovation des firmes : équilibrer le portefeuille en soutenant des activités d’exploration. Nous synthétisons ces résultats sous la forme de cinq propositions théoriques (section 1). Dans un second temps, nous développons l’étude d’un cas unique, celui de la stratégie partenariale d’EDF R&D, en commençant par présenter la méthodologie et la collecte des données (section 2). S’ensuit une description des 1857 accords en R&D conclus par EDF entre 2001 et 2008 (section 3). Enfin, nous utilisons les informations et l’expérience acquises directement par l’un des trois auteurs en tant que consultant en partenariat au sein d’EDF R&D[1] (section 4) pour étayer nos 5 propositions. L’étude de la stratégie partenariale d’EDF R&D met en évidence un portefeuille ambidextre avec des accords subventionnés ayant un caractère plutôt exploratoire et des accords non-subventionnés plutôt liés à des activités d’exploitation. Ils s’inscrivent en outre dans des logiques organisationnelles et des dynamiques d’évolution bien distinctes : comparés aux accords non subventionnés, les accords subventionnés concernent davantage des activités périphériques; ils sont plus rigides mais aussi plus stables; ils tendent à favoriser un apprentissage unilatéral plutôt qu’interactif et correspondent généralement à des relations de court terme ou bien évoluent vers des formes d’accords non subventionnés.

Coopérations en R&D subventionnées vs. non subventionnées : caractérisation d’un portefeuille ambidextre

Les concepts d’alliance, de coopération, de partenariat et d’accord recouvrent souvent des réalités différentes. Pour de nombreux auteurs, notamment Kale et Singh (2009), les alliances stratégiques comprennent les contrats de partenariat non equity, c’est-à-dire sans participation en capital (recherche, production et/ou marketing réalisés en commun, accords pour échanger des connaissances et des actifs complémentaires, consortia de R&D) et les accords equity, comprenant une entente en capital (participations minoritaires ou croisées, joint-ventures). Notre article se focalise sur les coopérations en R&D non equity, définies comme un dispositif organisationnel visant à créer des connaissances nouvelles à travers l’association, le transfert et l’échange de ressources et compétences de plusieurs organisations indépendantes. Par la suite, nous emploierons indifféremment les termes de coopération, d’accord et de partenariat.

En premier lieu, nous montrons en quoi la co-existence d’accords en R&D subventionnés et non subventionnés favorise l’ambidextrie du portefeuille. Puis nous considérons que toute forme d’organisation, la coopération entre autres, remplit trois fonctions essentielles (Cohendet, Llerena, Marengo, 1998) : l’incitation, la coordination et la cognition. Cette grille tri-dimensionnelle est utilisée pour caractériser plus finement les deux types d’accords et donc l’ambidextrie du portefeuille.

L’ambidextrie

La vaste littérature sur l’ambidextrie organisationnelle a été développée dans des champs de recherche variés sur les organisations. L’idée fondamentale est que le succès à long terme d’une entreprise repose sur sa capacité à exploiter ses connaissances actuelles et à en explorer simultanément de nouvelles, en interne (Tushman et O’Reilly, 1996). « L’ambidextrie désigne la manière dont l’organisation articule (en fait, le plus souvent sépare), les activités d’exploitation et d’exploration » (Garel et Rosier, 2008, p. 131). Il existe une corrélation positive entre l’ambidextrie et les performances des entreprises (Raish et al. 2009). La littérature mentionne plusieurs formes d’organisations permettant de gérer simultanément des activités d’exploitation et d’exploration : l’ambidextrie structurelle (O’Reilly et Tushman, 2004), contextuelle (Gibson et Birkinshaw, 2004), de réseau (Gulati et Puranam, 2009), de leadership (Beckman 2006) et, enfin, l’ambidextrie dans la formation des alliances stratégiques (Lin et al., 2007). Nous nous focaliserons sur cette dernière tout en mobilisant des concepts développés par ailleurs.

La littérature sur les alliances

Koza et Lewin (1998) ont été les premiers à introduire les alliances utilisées pour exploiter des connaissances existantes et/ou pour explorer de nouvelles opportunités. Pour beaucoup d’auteurs (Park et al., 2002; Rothaermel et Deeds, 2004) l’exploration se distingue de l’exploitation en fonction du positionnement de l’activité le long de la chaîne de valeur : ainsi, les coopérations en R&D seraient de nature exploratoire et les partenariats en production/marketing relèveraient de l’exploitation.

Notre objet d’étude étant les coopérations en R&D, la notion de chaine de valeur n’est pas pertinente. Nous reprenons le dilemme exploitation / exploration énoncé par March (1991), développé dans nombre de travaux sur l’apprentissage organisationnel. L’exploitation et l’exploration sont deux activités d’apprentissage pour lesquelles les entreprises répartissent leur attention et leurs ressources (Raish et Birkinshaw, 2008). Nous définissons théoriquement l’exploitation comme l’apprentissage associé à des activités d’approfondissement, de production, de recherche d’efficience, de sélection, de mise en oeuvre et d’exécution. Dans le cas de la R&D, la notion correspond à l’accroissement de connaissances situées dans la lignée d’une option technologique existante. Nous définissons l’exploration comme l’apprentissage lié à la quête de nouveauté, à un processus de « searching », à l’accroissement de la variété, l’expérimentation et la découverte. Appliquée à la R&D, la notion équivaut au développement de nouvelles options technologiques. Maintenir un équilibre entre activités d’exploitation et d’exploration s’avère particulièrement critique pour une organisation en environnement turbulent. Les deux sortes d’activités sont essentielles mais demandent des ressources rares, d’où une forme de compétition entre elles. L’arbitrage se fait souvent en faveur de l’apprentissage lié à l’exploitation, au résultat plus prévisible. Certains travaux (Lubatkin et al. 2006) suggèrent que l’ambidextrie organisationnelle est dépendante d’un montant suffisant de ressources.

Caractérisation de l’ambidextrie dans un portefeuille d’accords subventionnés et non-subventionnés

La possibilité d’augmenter ses ressources par le biais de subventions publiques permet aux entreprises de mener conjointement des accords d’exploration et d’exploitation et par là de constituer un portefeuille ambidextre. La décision de financer un projet de recherche collaboratif à l’aide de subventions ou sur fonds propres est directement connectée au dilemme exploitation/ exploration. Les rendements des activités d’exploitation étant généralement mieux connus et plus sûrs du fait de leur proximité avec l’existant, ces dernières ont tendance à mobiliser davantage les ressources internes que les activités d’exploration. C’est pourquoi l’exploration nécessite souvent des ressources excédentaires, une forme de « mou organisationnel » (organizationalslack au sens de Cyert et March, 1963). Conformément à ces idées, nous suggérons que, plus un accord est orienté vers l’exploitation plus l’entreprise sera incitée à le financer sur ses fonds propres. Par contraste, les fonds publics fournissent des ressources additionnelles permettant d’explorer de nouvelles options technologiques. Grâce aux subventions, la firme est capable de réaliser des projets qu’elle n’aurait pas entrepris autrement et qui sont par nature plutôt exploratoires. Ces accords d’exploration représenteraient un moyen de compenser un excès d’exploitation.

Proposition 1 :

  1. La présence de ressources additionnelles confère aux accords subventionnés un caractère très exploratoire.

  2. Les entreprises étant plus enclines à autofinancer les activités d’exploitation, les accords non subventionnés ont un caractère moins exploratoire.

L’octroi de subventions favorise par conséquent l’ambidextrie du portefeuille d’accords en R&D.

Par la suite, afin de caractériser plus finement le portefeuille ambidextre identifié ici, nous transposons l’idée, développée initialement dans un cadre intra-organisationnel, d’adopter une structure duale (Duncan 1976) en fonction des activités d’innovation à mener. Plus précisément, nous analysons les mécanismes organisationnels à l’oeuvre dans les accords d’exploration (subventionnés) et d’exploitation (non subventionnés) en les décomposant suivant trois fonctions essentielles : l’incitation, la coordination et l’apprentissage. Ceci nous conduit à identifier deux logiques organisationnelles bien distinctes, chacune étant configurée pour répondre à des objectifs d’innovation spécifiques et contradictoires.

L’incitation

La littérature fait état d’un large consensus sur la raison d’être et les motivations des alliances technologiques. Dans une conception d’innovation ouverte (Chesbrough, 2003), ils permettent d’accélérer l’innovation, d’accéder à des connaissances extérieures et de créer des connaissances nouvelles.

La littérature : trois catégories d’incitation

L’accès à des ressources extérieures est souvent considéré comme la motivation générale des alliances, pouvant être décomposée en trois catégories :

  1. Regrouper des ressources similaires afin d’atteindre une masse critique :

    La mise en commun de ressources similaires correspond aux incitations généralement mises en avant dans l’analyse économique traditionnelle des accords de coopération en R&D (De Bondt 1997, Amir 2000). Partage des coûts et des risques, réalisation d’économies d’échelles, gain de part de marché sont autant de motivations avancées. S’y ajoutent les alliances sur l’adoption d’un standard technique commun, afin d’atteindre un seuil critique et de catalyser des externalités positives de réseau.

  2. Combiner des ressources complémentaires afin d’innover et créer de la valeur :

    La plupart des études empiriques sur les motivations des alliances font émerger comme principal motif l’accès à des ressources complémentaires (Richardson, 1972; Rothaermel 2001) nécessaires à la firme innovante. Hamel & Prahalad (1990) et Teece (1992) appréhendent la firme comme un portefeuille de compétences distinctives (core competences), source d’un avantage concurrentiel mais long à construire, car fruit d’un apprentissage cumulatif générateur d’irréversibilité. La distance par rapport au coeur de compétences détermine le type de croissance externe choisi : une connaissance proche du coeur aura tendance à être internalisée, alors qu’une connaissance périphérique sera plutôt externalisée. Situés entre intégration totale et outsourcing, les accords en R&D correspondent à une zone intermédiaire « où la firme détient des connaissances significatives mais a besoin d’accéder à des formes de connaissances complémentaires détenues par d’autres pour être capable de les développer et les utiliser efficacement » (Amesse et Cohendet, 2001, p. 1470). Les complémentarités en termes de marché, de compétences des firmes installées et des nouveaux entrants augmentent la probabilité de former des accords (Rothaermel et Boeker, 2008). L’impact des coopérations complémentaires sur la performance d’une entreprise dépend du statut social de la firme et du positionnement dans son réseau (Lin et al., 2009).

  3. Acquérir une réputation grâce à l’appartenance à un réseau :

    Dans certains cas les accords en R&D sont un ticket d’entrée pour un réseau plus vaste. Les entreprises ayant une position centrale dans un réseau inter-organisationnel bénéficient de plus de sources d’information que celles ne l’étant pas. Ce bénéfice sera d’autant plus important que l’entreprise a un portefeuille de coopération ambidextre (Lin et al. 2007). L’appartenance à un réseau est intéressante en soi dans la mesure où elle permet de développer une bonne image, un statut social, une réputation et une visibilité auprès des autres acteurs; ceci est important en particulier dans le cadre d’une stratégie de signalement.

Caractérisation des incitations dans les accords subventionnés et non subventionnés

Les entreprises participant à des programmes publics reçoivent des subventions pour leur projet collaboratif. Mais en contrepartie, elles sont tenues de révéler des informations. Ces caractéristiques induisent des spécificités propres à ce type d’accords. Dès lors qu’il est question de révélation d’information, l’importance stratégique du projet, notamment sa distance par rapport au coeur de compétences, devient un élément à prendre en considération par l’entreprise. Or, les programmes gouvernementaux divulguent souvent la liste des projets financés, les partenaires et un résumé des objectifs. Cette divulgation présuppose une absence de réticence à révéler publiquement certaines informations, qui s’explique notamment si :

  • le projet n’est pas crucial pour l’entreprise, dans le sens où il est loin du « coeur de métier ». Il concerne des activités et savoirs périphériques de l’entreprise;

  • c’est une stratégie délibérée de signalement, visant à améliorer la réputation de l’entreprise, à faire connaître ses compétences technologiques et sa volonté de coopérer.

Par contraste les accords non subventionnés sont compatibles avec le secret, souvent nécessaire lorsque des activités hautement stratégiques et proches du coeur de métier sont en jeu. L’entreprise peut alors choisir de les rendre « publics » ou non, et à n’importe quel moment. Mais dans tous les cas le type d’information publié reste souvent très général et ne donne aucune précision sur les enjeux de l’accord.

Proposition 2 :

Comparés aux accords non subventionnés (d’exploitation), les accords subventionnés (d’exploration) sont soumis à révélation d’information et :

  1. concernent plutôt les activités périphériques de l’entreprise;

  2. sont souvent motivés par la réputation et le signalement des compétences.

La coordination

Par coordination, nous entendons l’ensemble des règles et des mécanismes assurant la compatibilité et la cohérence des actions individuelles mises en oeuvre par une organisation pour atteindre un but global. Ce concept est particulièrement utile pour analyser la division du travail entre les partenaires d’une alliance.

La littérature : règles et flexibilité

La théorie des coûts de transaction (Williamson, 1979, entre autres) souligne le dilemme existant entre la nécessité de pallier l’incertitude et l’opportunisme des agents individuels. Rédiger un contrat de partenariat précis cherchant à prévoir toutes les contingences réduit l’opportunisme, mais diminue simultanément la flexibilité et les possibilités d’apprentissage requises en environnement incertain. Inversement, s’appuyer sur des mécanismes informels (routines inter-organisations, confiance et autres actifs relationnels) préserve la flexibilité mais laisse la porte ouverte aux comportements opportunistes ou déviants.

La genèse d’actifs relationnels requiert du temps car ils se construisent sur la base des comportements passés. Il est parfois nécessaire de mettre d’abord en place des engagements réciproques, d’établir des clauses de garantie contractuelles et/ou d’organiser un échange d’otages (Williamson, 1985), afin de garantir la stabilité de la relation à moyen terme. Cette première étape vise à empêcher la survenue d’actions opportunistes et de conflits destructeurs. Avec le temps, la référence au document formel en cas de conflit devient de moins en moins nécessaire. Les règles informelles et le capital relationnel (Kale et al., 2000) prennent progressivement le relai des termes explicites du contrat (Ring et Van de Ven, 1994; Ingham et Mothe, 2000). La valeur du capital relationnel repose sur la perception que les acteurs ont des procédures qui guident leurs échanges et interactions. Des procédures justes favorisent la confiance et ont un impact direct positif sur les résultats de coopération (Luo, 2008). Notons que la création de procédures justes, de capital relationnel et de confiance nécessite a priori des interactions directes, fréquentes et relativement intenses entre les partenaires.

Caractérisation des règles de coordination des accords subventionnés et non subventionnés

Les programmes publics imposent généralement aux partenaires un minimum de règles de coordination et d’organisation du travail explicites : mention ex ante de l’allocation des moyens, organisation des tâches en work packages, spécification des étapes du projet, des droits de propriété, etc. Ce cadre prédéfini présente l’avantage d’organiser la collaboration, d’en stabiliser les conditions initiales et de diminuer les risques de conflit destructeur. Mais il peut aussi induire des rigidités et bloquer des apprentissages bénéfiques. Ainsi, il est difficile de remettre en cause et de faire évoluer l’agenda en cas d’imprévu. Le découpage du travail et la spécification d’un minimum de réunions ex ante induisent une organisation du travail modulaire : chaque firme avance de manière autonome et les interactions entre modules sont peu intenses, avec à la clé peu d’apprentissage interactif (cf. section 1.4). Le problème s’accentue avec le nombre de partenaires, souvent élevé en cas d’accord subventionné. Par ailleurs, l’organisme financeur du programme nomme généralement un « superviseur public » (project officer), chargé de veiller au bon déroulement de l’accord. Cette personne est susceptible de jouer un rôle d’arbitre et de préserver la continuité de la relation en cas de conflit. Sa présence favorise la réduction de l’opportunisme et la stabilité de l’accord.

Dans la plupart des accords non subventionnés, par contraste, les partenaires élaborent eux-mêmes les règles du jeu. Ceci leur confère généralement un degré de liberté plus élevé et davantage de flexibilité concernant l’agenda. En cas d’événement imprévu ou d’opportunité nouvelle, la capacité à réorienter le projet vers de nouveaux objectifs, comme à le stopper en cas d’échec technique, s’en trouvera préservée. En outre, l’organisation du travail entre les parties n’est pas circonscrite d’entrée de jeu à une division en modules ou work packages semi-rigides, ce qui permet des interactions plus intenses et des apprentissages plus riches. L’intensité des échanges sera d’autant plus forte que le nombre de partenaires est réduit, l’accord non subventionné prenant le plus souvent la forme d’une dyade. Néanmoins, la flexibilité et la coordination informelle ont leur contrepartie en termes de malentendus et d’opportunisme. La presse spécialisée signale régulièrement de fracassantes ruptures, largement reprises et analysées par la littérature en management stratégique. De fait, les accords non subventionnés ne bénéficient pas habituellement de la présence d’un arbitre. En l’absence de solution interne, ils font appel à des tribunaux pour résoudre les conflits, ce qui s’avère coûteux et met fin à la relation.

Proposition 3 :

Comparés aux accords non subventionnés, les accords subventionnés, caractérisés par la présence de règles de coordination préétablies, d’un nombre de partenaires plus élevé et d’un superviseur, tendent à :

  1. être plus stables et moins flexibles;

  2. avoir des interactions moins intenses et des apprentissages moins riches.

La cognition

La littérature en management stratégique accorde une importance considérable aux processus d’apprentissage à l’oeuvre dans les alliances inter-organisations. Cet intérêt marqué s’explique par le fait que l’activation de certains apprentissages exerce une influence importante sur l’évolution et le succès d’un partenariat[2]. Cependant, il n’existe pas de consensus sur le sens de cette influence : pour certains l’apprentissage favoriserait la stabilité de l’alliance; pour d’autres, l’apprentissage serait source d’instabilité. La grande variété des processus en jeu explique peut-être cette diversité de points de vue. Les théoriciens des organisations distinguent les apprentissages radicaux versus incrémentaux, individuels versus collectifs, portant sur de la connaissance tacite versus codifiée… En utilisant des combinaisons de ces différents critères, nous établissons une distinction entre l’apprentissage unilatéral et l’apprentissage interactif.

La littérature : apprentissage unilatéral versus interactif

(i) L’apprentissage unilatéral

L’apprentissage unilatéral survient lorsqu’une partie acquiert et utilise de manière autonome une connaissance issue du processus de coopération. Il consiste en la genèse ou l’acquisition d’une connaissance nouvelle par l’une des parties, dès lors que cette connaissance est redéployable individuellement en interne. L’activation de ce type d’apprentissage ne peut se faire sans une certaine capacité d’absorption (Cohen et Levinthal, 1990). La firme doit être capable d’assimiler le savoir issu de la coopération et de l’appliquer à un domaine différent. Cela sera d’autant plus facile que le savoir est générique, codifié, et que son régime d’appropriabilité est faible, c’est-à-dire facile à imiter. Parce qu’il est redéployable, cet apprentissage permet d’ouvrir le champ des possibles, d’étendre le nombre d’options accessibles dans un futur plus ou moins lointain. En ce sens, il présente un caractère typiquement exploratoire.

L’influence de l’apprentissage unilatéral sur la stabilité de l’accord est indéterminée. Pour Ciborra (1991), un apprentissage de niveau supérieur concernant la capacité à gérer des accords est source de stabilité. Pour d’autres, un apprentissage asymétrique modifie le pouvoir de négociation de chacun, transformant une relation d’interdépendance mutuelle en une situation de dépendance unilatérale et non pérenne. Plus critique encore pour la stabilité de l’accord, l’apprentissage se fait parfois au détriment de l’autre partie, dans le cadre d’une course à l’apprentissage, et/ou d’un hold-up des compétences distinctives du partenaire (Hamel, 1991).

(ii) L’apprentissage interactif

L’apprentissage interactif « à la Lundvall » (1988) est réalisé en commun par l’ensemble des partenaires, au fur et à mesure du déroulement de l’accord. Il est conditionné par un degré d’engagement immatériel élevé de la part de toutes les parties en présence. L’engagement immatériel renvoie à la volonté de coopérer, aux motivations intrinsèques des agents apprenants, au temps qu’ils consacrent au projet de R&D collaboratif et aux échanges avec le(s) partenaire(s). L’apprentissage interactif nécessite des interactions nombreuses et intenses entre partenaires. De ce fait, il peut être difficile à activer car les interactions sont sources de malentendus, notamment lorsque la distance entre les bases de connaissances des partenaires est grande (Nooteboom et al., 2007). L’établissement d’un climat de confiance s’avère une phase préalable incontournable de ce type d’apprentissage.

La connaissance créée par ce biais a un caractère tacite, collectif et indivisible, favorisant un régime d’appropriabilité fort. Elle équivaut à la création d’actifs spécifiques humains endogènes à la coopération, lesquels, par définition, ne peuvent être redéployés vers d’autres utilisations ou d’autres partenaires sans perte de valeur d’usage. La spécificité des actifs est envisagée ici comme un facteur dynamique, qui évolue et croît au fur et à mesure des interactions entre partenaires. Elle se traduit par la constitution d’un langage commun et de normes (confiance) réduisant les coûts de transaction, et plus généralement par la création de compétences collectives sources de création de valeur. Parce qu’il est non redéployable et de plus en plus spécifique aux partenaires, l’apprentissage interactif s’apparente davantage à l’approfondissement d’une option suivant une certaine trajectoire qu’à la création d’options nouvelles. En ce sens, il s’inscrit dans une logique d’exploitation.

L’apprentissage interactif, s’il survient, a un double impact, positif, sur la stabilité d’une alliance. Premièrement, les actifs nouvellement créés génèrent une quasi-rente relationnelle (Dyer et Singh, 1998) dont les bénéfices seraient purement et simplement perdus en cas de rupture de la relation. Deuxièmement, dans la mesure où de tels actifs humains, collectifs et tacites, sont progressivement mémorisés et cristallisés dans des routines organisationnelles, celles-ci favoriseront également la continuité de la relation (Ring et Van de Ven, 1994).

Comme Bureth et alii (1997), nous avançons que l’articulation et le poids respectif des deux types d’apprentissage, unilatéral versus interactif, influence fortement la décision de poursuivre ou non la coopération. Alors que le second favorise la continuité de la relation, le premier a un effet indéterminé. Il tend même à la remettre en question lorsqu’il s’accompagne de velléités opportunistes.

Caractérisation des apprentissages au sein des accords subventionnés et non subventionnés

Considérant que les accords subventionnés sont souvent de nature plus exploratoire et qu’ils concernent des activités périphériques (cf. section 1.1), il est probable que leur degré d’engagement immatériel soit moindre que pour une alliance non subventionnée. Ce qui est vrai pour l’engagement matériel et financier l’est également pour l’engagement immatériel et humain : les entreprises tendent à engager moins de ressources, qu’elles soient matérielles ou humaines, vers des activités d’exploration loin du coeur de métier. Cela se traduit par une participation plus marginale en termes de temps de chercheurs, ainsi que par des interactions moins nombreuses ou moins riches entre les partenaires. Ce dernier point a déjà été souligné lors de la discussion sur les mécanismes de coordination propres aux projets subventionnés (cf. section 1.3). Par ailleurs, le nombre souvent élevé de partenaires ne facilite guère l’établissement d’un langage commun entre les parties.

Ces circonstances s’avérant peu propices à l’activation de l’apprentissage interactif, nous suggérons que les accords subventionnés tendent à générer surtout des apprentissages unilatéraux et donc des actifs redéployables en interne, lesquels n’ont pas d’impact clair sur la continuité de la relation à long terme (au-delà du premier accord). Par contraste, les accords non subventionnés permettent plus aisément, sous réserve d’un engagement initial adéquat, de déclencher des apprentissages interactifs et de générer des compétences collectives indivisibles, lesquelles favorisent la continuité de la relation dans le temps.

Continuité ne signifie pas reconduction d’un accord à l’identique, mais plutôt instauration d’un cercle vertueux correspondant à une dynamique d’engagement croissant dans une relation. En effet, il est vraisemblable qu’un faible degré d’engagement prédomine au début du premier accord, l’incertitude étant encore forte à ce stade. Si un apprentissage interactif est effectivement déclenché par la suite, on peut supposer que, l’incertitude ayant tendance à décroître et les partenaires ayant intérêt à exploiter les actifs nouvellement créés, un degré d’engagement plus important dans la coopération sera mis en oeuvre, par exemple à travers une extension du premier accord, un renforcement de sa structure de gouvernance et/ou un nouveau contrat. L’accord s’apparente alors à une option réelle. Dans certains cas, le processus se répétant peut même conduire à une « escalade d’engagement et de satisfaction » (escalation of satisfaction and commitment; cf. Doz,1996, Bureth. 1997, Ring et Van de Ven, 1994) par implémentation d’une succession d’accords de plus en plus importants avec le même partenaire.

L’ensemble de ces considérations nous conduit à émettre les propositions suivantes :

Proposition 4 :

Comparés aux accords non subventionnés, les accords subventionnés, caractérisés par un degré d’engagement moins important :

  1. favorisent l’apprentissage unilatéral, où les connaissances créées sont séparables, appropriables et redéployables individuellement par chaque partenaire;

  2. ne favorisent guère l’apprentissage interactif et la création d’actifs spécifiques à la relation.

Proposition 5 :

Les accords subventionnés sont moins propices à la continuité de la relation à long terme que les accords non subventionnés.

En cas de succès d’un premier accord, les accords non subventionnés engendrent souvent un engagement croissant avec un partenaire.

Nous ne prétendons pas que les accords subventionnés ne donnent jamais lieu à une relation de long terme. Il peut arriver qu’un accord subventionné soit suivi d’autres accords correspondant à un engagement plus important sur le même sujet et/ou avec le même partenaire. L’accord subventionné serait en quelque sorte une première exploration débouchant sur des résultats intéressants et des possibilités d’exploitation plus poussées à terme. La Proposition 5 revient à dire, tout simplement, qu’en ce cas les accords ultérieurs prendront la forme d’un accord spontané, et non d’un accord subventionné.

Un portefeuille ambidextre avec deux logiques de coopération contrastées

Mises bout à bout, les différentes propositions ci-avant permettent de construire deux configurations de R&D coopérative contrastées, caractérisant un portefeuille d’accords ambidextre. Il s’agit bien sûr de deux idéo-types, d’une modélisation conceptuelle destinée à nourrir et guider la réflexion.

Dans notre cadre d’analyse, l’ambidextrie du portefeuille d’accords en R&D est définie par la nature des activités d’apprentissage sous-tendant l’exploration et l’exploitation. Par ailleurs, elle est induite et orientée par la présence de ressources supplémentaires dues aux subventions. Un portefeuille ambidextre est constitué par des accords subventionnés de nature plutôt exploratoire et des accords non subventionnés relevant de l’exploitation. Une des originalités de notre approche est d’ouvrir le « portefeuille ambidextre » et d’enrichir sa caractérisation par la prise en compte des dimensions d’incitation, de coordination et d’apprentissage. Chaque configuration possède une cohérence interne forte sur ces trois dimensions qui sont non seulement compatibles entre elles, mais se complètent et se renforcent mutuellement pour aboutir à une logique coopérative et une dynamique d’évolution spécifiques (cf. Tableau 1). Ces logiques répondent à des besoins souvent contradictoires mais incontournables pour une entreprise qui veut garder un avantage concurrentiel sur le long terme.

Ainsi, les coopérations d’exploration permettent d’élargir le champ des options technologiques disponibles en explorant les activités périphériques, et de développer des connaissances facilement redéployables. L’incertitude intrinsèque à l’objet de la coopération est en quelque sorte compensée par un cadre organisationnel de coopération plutôt formel, stable et régi par un tiers. A contrario, les coopérations dites d’exploitation sont destinées à approfondir une option technologique particulière, inscrite dans le coeur de métier de la firme. Initiées dans un cadre organisationnel a priori ouvert et instable, elles peuvent néanmoins générer des apprentissages interactifs, porteurs de continuité relationnelle sur le long terme, voire d’un processus d’engagement croissant. Cette séparation des activités de R&D dans des formes d’accords spécifiques aide les entreprises à maintenir des compétences et des logiques d’apprentissage différentes, répondant à des besoins d’innovation distincts voire contradictoires, mais qui doivent tous être satisfaits à l’instant t. Certaines des options découvertes hier dans le cadre de coopérations d’exploration périphériques deviendront les options validées de demain, à exploiter dans le cadre de coopérations portant sur le coeur de métier. En ce sens, les deux types d’accords détiennent un rôle complémentaire et sont tous deux nécessaires à la pérennité de la firme.

Tableau 1

Accords non subventionnés vs subventionnés : deux logiques de coopération distinctes

Accords non subventionnés vs subventionnés : deux logiques de coopération distinctes

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Méthodologie et recueil des données

Pour ce travail, nous avons adopté une stratégie de recherche analytique et descriptive (Yin, 1994). Dans la section précédente, nous avons développé notre grille d’analyse et construit un ensemble de propositions. Ce cadre théorique a été élaboré non seulement à partir de la littérature générale sur les alliances, mais aussi à partir de recherches antérieures d’une partie des auteurs (Matt et al., 2011). Ce cadre sert de fondement à une étude de cas longitudinale, l’analyse des partenariats d’EDF R&D conclus entre 2001 et 2008, mettant à l’épreuve nos propositions. Cette partie empirique n’a pas pour objectif de tester rigoureusement les propositions à partir d’un grand nombre de données traitées statistiquement. Son but est d’illustrer nos propositions théoriques (Siggelkow, 2007), de voir dans quelle mesure elles correspondent à une certaine réalité et de confronter, confirmer ou amender le cadre théorique proposé. Cette étude de cas est aussi un moyen de rendre compte de l’utilité analytique de notre cadre théorique.

Une approche par cas unique d’illustration se justifie dans la mesure où développer un papier sur des arguments purement conceptuels peut avoir deux limites. Premièrement, une théorie développe souvent des concepts difficilement mesurables ou appréhendables. Le cas permet de donner au lecteur un exemple concret des concepts et de la manière d’appliquer ces concepts à une situation. Deuxièmement, dans une analyse purement conceptuelle, les mécanismes sous-jacents aux implications théoriques sont souvent spéculatifs. Si l’on peut montrer à travers un exemple que les forces en présence sont les déterminants de la relation étudiée entre deux éléments, l’utilisation du cas devient puissante et efficace. Les avantages de cette méthode sont particulièrement importants dans le contexte d’une recherche longitudinale qui tente de clarifier les dynamiques qui sous-tendent le phénomène étudié. Le cas permet également une analyse détaillée de processus organisationnels complexes et un examen de la richesse du contexte de l’objet d’analyse (Lee, 1999). Comparé à une approche inductive (Eisenhardt and Graebner, 2007), les propositions qui précédent le cas illustratif sont mieux ancrées dans des théories établies et moins dépendantes du contexte spécifique du cas. Enfin, la sélection du cas, la collecte des données et leur analyse sont guidées par et bénéficieront de l’existence du cadre théorique développé préalablement au cas. Les études de cas ont été largement utilisées dans la recherche sur les alliances stratégiques (Doz, 1996; Koza et Lewin, 1999) notamment pour illustrer des propositions théoriques et prolonger des théories existantes (Bogenrieder and Nooteboom, 2004; Hoffmann 2007).

Pour conduire notre étude, cinq types de sources ont été mobilisées par l’un des auteurs, consultant en partenariat au sein d’EDF R&D :

  • une base de données interne sur les accords conclus par EDF R&D entre 2001 et 2008. Les statistiques présentées ci-dessous reposent sur une extraction des données de la base. La consolidation des données, puis la caractérisation de chaque accord retenu en fonction de son type, des partenaires et du degré de proximité avec les activités coeurs du Groupe, ont permis de dégager 1857 partenariats constituant l’échantillon de travail;

  • des documents et communications du Comité Partenarial d’EDF R&D, qui détermine les grandes orientations stratégiques sur les actions de R&D à mener, y compris la mise en place ou la poursuite des partenariats. Ses décisions sont consignées dans des comptes-rendus à visée interne;

  • une remontée directe d’information et d’expérience issues du terrain grâce à des entretiens, échanges avec une centaine de chercheurs d’EDF responsables d’accords de R&D;

  • cinq entretiens individuels de type semi-directifs avec des consultants en partenariat d’EDF R&D. Ces consultants appuient les chercheurs d’EDF lors du montage du projet de coopération, discutent des enjeux stratégiques du partenariat, des risques, rédigent les contrats et interviennent dans la négociation. Les consultants interrogés rassemblent en tout 25 années cumulées d’expérience sur la période 2000-2008, pendant laquelle ils ont traité de nombreux accords non subventionnés (26 accords-cadres, 3 créations de chaires, 10 structures communes et 244 accords de collaboration simple) et subventionnés (253 tous types confondus);

  • un entretien avec une responsable senior de la Direction Juridique d’EDF qui apporte aux consultants en partenariat un éclairage juridique. Cette personne a été sélectionnée pour obtenir un point de vue interne à EDF mais hors EDF R&D;

  • lors des entretiens, plus d’une vingtaine de questions ont été posées sur les thèmes suivants : les types de connaissances généralement développées dans les deux types d’accords, subventionnés versus non subventionnés; leur caractère plus ou moins exploratoire (cf. 4.1 pour une opérationnalisation de ce concept); leur proximité avec les activités industrielles et commerciales du Groupe; leur stabilité; les interactions entre les équipes de recherche; les Projets Structurants d’EDF; les accords-cadres; les chaires d’entreprises; les partenariats et la concurrence; les droits de propriétés et d’exploitation des résultats.

Accords de R&D non subventionnés et subventionnés d’EDF R&D

Le rôle d’EDF R&D au sein du Groupe EDF

Le Groupe EDF est présent sur tous les métiers de l’électricité, de la production au négoce, et de plus en plus actif sur la chaîne du gaz en Europe. Contrairement à d’autres énergéticiens, le Groupe EDF a décidé de ne pas laisser les activités de R&D à ses seuls fournisseurs et a confié à sa Direction R&D (EDF R&D) l’amélioration de la performance de ses unités opérationnelles. En 2009, EDF R&D rassemble 2000 personnes dont 300 docteurs, 220 doctorants, et 200 chercheurs (agents EDF) dispensant un enseignement au sein d’universités et de grandes écoles. Elle a pour mission l’anticipation des évolutions technologiques, environnementales et réglementaires à moyen et long terme, susceptibles d’avoir un impact sur les métiers du Groupe.

La stratégie de la Direction se décline en 12 Projets Structurants de recherche à long terme, regroupés par thèmes correspondant aux champs de recherche majeurs pour le Groupe EDF. Ces Projets Structurants sont destinés à maintenir ou développer des connaissances et compétences dans le coeur de métier du Groupe et constituent les actions prioritaires à mener. En lien direct avec le projet industriel d’EDF, ils sont réalisés par les équipes de recherche d’EDF R&D, seules ou en collaboration avec de nombreux acteurs français et étrangers, dans le cadre d’une politique plus large et volontariste de partenariats (subventionnés ou non) en France, en Europe et dans les pays où le Groupe EDF est présent.

Analyse des accords de partenariat d’EDF R&D

La tendance générale

Le nombre d’accords d’EDF R&D a connu une croissance sur la période 2001-2008 pour culminer en 2005 (cf. Tableau 2). Cette croissance s’explique par l’adhésion d’EDF R&D aux dispositifs d’aide à l’innovation mis en oeuvre par la France depuis 2005, ainsi que par la volonté de rationaliser les dépenses de R&D et une politique renforcée de partenariat dans un contexte d’internationalisation d’EDF et de libéralisation du marché de l’énergie en France. Les accords non subventionnés et subventionnés représentent respectivement 72 % et 28 % de cet ensemble.

Tableau 2

Nombre d’accords non subventionnés et subventionnés d’EDF R&D 2001-2008

Nombre d’accords non subventionnés et subventionnés d’EDF R&D 2001-2008
Source : EDF R&D

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Une variété de partenariats non subventionnés et subventionnés

Le partenariat non subventionné au sens d’EDF R&D est une démarche à moyen ou long terme qui permet de partager les risques en mettant en commun des moyens techniques, financiers ou humains, de construire une relation scientifique, technique ou industrielle pour acquérir de nouvelles compétences et de développer une innovation exploitable commercialement. Chaque partenaire contribue sur ses propres fonds sans aide financière externe apportée par un financeur public ou apparenté.

Les partenariats non subventionnés (cf. Tableau 3) d’EDF R&D se déclinent en :

  • accords simples de R&D, formalisant une action engagée par EDF R&D avec un ou des partenaires sur une période allant généralement de six mois à trois ans, autour d’une problématique scientifique ou technique bien balisée,

  • accords-cadres, contrats-types globaux négociés entre EDF R&D et un partenaire stratégique, sur une période donnée, permettant de définir un cadre pour la réalisation d’accords de R&D dits « d’exécution ». Le contrat-type limite les négociations et les coûts de transaction,

  • structures communes, comme les Groupements d’Intérêt Economique (GIE) ou les Groupements d’Intérêt Scientifique (GIS), permettant aux équipes de chaque partenaire de travailler ensemble sur une thématique de recherche particulière dans un même lieu.

  • chaires d’entreprise alliant EDF R&D à une ou plusieurs universités ou grandes écoles pour trouver des réponses à de nouveaux enjeux, obtenir les services des centres de recherche et développer en commun des cursus de professionnalisation répondant aux besoins du Groupe.

Tableau 3

Répartition du type d’accords non subventionnés par année, 2001-2008

Répartition du type d’accords non subventionnés par année, 2001-2008
Source : EDF R&D

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Le partenariat subventionné au sens d’EDF R&D est un projet mené en collaboration par EDF R&D et pour lequel elle bénéficie d’une aide financière, octroyée par un organisme ne contribuant pas lui-même au projet. Il contribue d’une façon générale à la mission prospective d’EDF R&D, et/ou permet aux chercheurs d’EDF R&D de maintenir leurs connaissances au contact d’universitaires ou d’entreprises innovantes dans des domaines suscitant l’intérêt du Groupe. Le Tableau 4 présente la diversité d’origines des financements externes (nationaux, étrangers ou européens) et l’évolution du nombre de projets subventionnés sur la période considérée.

Nombre et nature des partenaires de R&D

L’analyse de l’ensemble des partenariats d’EDF R&D révèle que les accords non subventionnés s’opèrent avec un nombre restreint de partenaires, contrairement aux projets subventionnés qui rassemblent de nombreux partenaires (cf. Tableau 5).

Les partenaires d’EDF R&D sont majoritairement des organismes publics de recherche français, tant dans les partenariats non subventionnés que subventionnés (cf. Tableaux 6 et 7). Les organismes académiques étrangers sont davantage présents dans les partenariats subventionnés européens. Les industriels sont également des partenaires de R&D importants, parmi lesquels on distingue les compétiteurs (énergéticiens). Notons la quasi-absence de concurrents d’EDF dans les accords non subventionnés et leur plus grande présence dans les projets subventionnés, notamment européens. Cette répartition est très certainement à rapprocher du caractère plus ou moins stratégique des deux types de partenariats[5] (non subventionnés vs. subventionnés).

Tableau 4

Répartition des accords subventionnés par année, 2001-2008

Répartition des accords subventionnés par année, 2001-2008
Source : EDF R&D

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Tableau 5

Répartition des différents types d’accords non subventionnés et subventionnés selon le nombre de partenaires, 2001-2008

Répartition des différents types d’accords non subventionnés et subventionnés selon le nombre de partenaires, 2001-2008
Source EDF R&D

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Tableau 6

Nature des partenaires dans les partenariats non subventionnés, 2001-2008

Nature des partenaires dans les partenariats non subventionnés, 2001-2008
Source EDF R&D

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Tableau 7

Nature des partenaires dans les projets subventionnés, 2001-2008

Nature des partenaires dans les projets subventionnés, 2001-2008
Source EDF R&D

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Eléments d’analyse de la stratégie partenariale d’EDF R&D

L’ambidextrie

Nous avons opérationnalisé les concepts d’exploration et d’exploitation au sein des accords d’EDF de la manière suivante. L’exploitation est relative à des activités de mise en oeuvre de solutions opérationnelles et d’amélioration de l’outil de production existant (centrales nucléaires, thermiques et hydrauliques) et du réseau électrique en place. L’exploration concerne des activités d’expérimentation et la recherche de solutions futures pour des voies alternatives de production d’énergie (par exemple les énergies renouvelables) ainsi que pour les centrales de nouvelle génération. Sur la base de cette définition contextualisée, proposée aux différents interlocuteurs lors des entretiens, nous sommes en mesure de souligner les éléments suivants.

La recherche de financements supplémentaires extérieurs est une motivation d’EDF R&D parmi d’autres à participer à des partenariats subventionnés. Conformément aux objectifs mentionnés ci-dessus (cf. 3.2), ces accords sont surtout orientés vers des activités prospectives, exploratoires, notamment la recherche de solutions nouvelles (matériels, logiciels, production,...) susceptibles d’être mises en oeuvre au sein du Groupe. Les partenariats spontanés d’EDF R&D, financés uniquement sur ses fonds propres, constituent une priorité pour le Groupe. On note ainsi une allocation dans le financement des partenariats subventionnés ou non en fonction de l’enjeu du partenariat pour EDF.

Les entretiens avec les consultants en partenariat révèlent que les accords subventionnés génèrent rarement des résultats commercialisables à court terme ou des avantages concurrentiels. Ce sont les financeurs externes qui décident in fine des projets de recherche retenus. Le caractère général, ré-exploitable et ré-appropriable des résultats les destine à être publiés. Pour EDF R&D, ces accords répondent à l’exploration de nouvelles options technologiques. Les projets bénéficiant de subventions nationales favorisent l’accès à l’état de l’art dans un domaine particulier, et l’exploration de nouvelles voies de recherche. Un consultant en partenariat, spécialiste des partenariats européens, ajoute : « Les projets européens permettent à EDF de confronter ses connaissances à celles des partenaires étrangers ».

Le changement de régulation du secteur électrique français et européen a conduit EDF à conquérir des parts de marché hors de France. Cette expansion s’est accompagnée d’une internationalisation des coopérations d’EDF R&D. La distinction entre coopération non subventionnée/exploitation et coopération subventionnée/exploration se retrouve t-elle dans les coopérations internationales d’EDF R&D ?

L’essentiel des coopérations internationales subventionnées d’EDF le sont par l’Union Européenne où l’entreprise côtoie de nombreux partenaires européens voire extra-communautaires de différentes natures (académiques, industriels ou concurrents d’EDF) largement orientées vers des domaines exploratoires. S’y ajoutent quelques coopérations subventionnées par un gouvernement européen[10]. Ainsi, à travers EDF Energy (filiale britannique d’EDF), EDF R&D participe au côté de concurrents à des projets exploratoires/de diversification (éolien en mer, énergies marines) de l’Energy Technology Institut (ETI) financé par le gouvernement britannique.

Quant aux coopérations internationales non subventionnées, l’analyse du portefeuille révèle qu’elles sont majoritairement orientées vers des activités d’exploitation du Groupe. Ceci est particulièrement visible dans le cas des accords-cadres. Certains d’entre eux, en nombre croissant, sont conclus avec des universités de pays où des filiales d’EDF sont implantées et leurs thématiques de travail couvrent généralement l’optimisation de l’outil de production de ces filiales. D’autres sont conclus avec des partenaires internationaux excellant dans des activités d’exploitation du Groupe : réseaux électriques avec Hydro-Québec (Canada), nucléaire avec l’EPRI (Etats-Unis)… La croissance des accords simples avec un partenaire international ayant, par exemple, pour objectif de répondre à un problème technique, de connaître ou évaluer des produits et/ou services… confirme également l’orientation « exploitation » des coopérations internationales non subventionnées. En somme, l’ambidextrie du portefeuille d’accords en R&D, pris dans sa globalité, se reflète dans le sous-ensemble des coopérations internationales d’EDF R&D.

Incitations

Motivations générales à former un accord de R&D

Les entretiens avec les chercheurs d’EDF révèlent que l’acquisition de connaissances ou de compétences constituent les motivations principales, suivies par le partage des coûts et la diminution des risques. La surveillance des changements de l’environnement technologique, le développement de nouveaux services dans un contexte d’ouverture du marché de l’électricité en France et la recherche de nouveaux débouchés pour EDF à l’étranger sont des motivations devenues importantes ces dernières années. L’accord s’inscrit également dans une stratégie de définition de standards.

Il s’intègre dans la stratégie d’internationalisation d’EDF, comme en témoigne la croissance d’accords-cadres avec des universités étrangères dans les pays où EDF est présente. « Ces accords participent à l’acculturation des partenaires et répondent à une double logique de compétence et de proximité avec les activités industrielles du Groupe » conclut une des personnes interrogées. Ils favorisent l’accès par EDF R&D aux partenaires industriels de ces universités étrangères.

Quant à la participation à des accords subventionnés, elle répond au souhait d’échanger avec les concurrents traditionnels d’EDF ou de nouveaux entrants sur un secteur de production d’énergie spécifique.

Coeur du métier / périphérie

Le Tableau 8 montre une relation entre les deux catégories d’accords et leur proximité avec les activités coeur de métier du Groupe. Cette proximité a été déterminée par l’un des auteurs, consultant en partenariat d’EDF, en fonction du contenu du programme scientifique ou technique du projet.

Tableau 8

Répartition des partenariats subventionnés et non subventionnés en fonction de leur orientation stratégique, 2001-2008

Répartition des partenariats subventionnés et non subventionnés en fonction de leur orientation stratégique, 2001-2008
Source EDF R&D

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La plupart des accords non subventionnés sont orientés vers le coeur de métier d’EDF avec pour objectif l’amélioration et l’optimisation de l’outil industriel. Des projets plus périphériques sont parfois présents au sein de ces partenariats, mais ils doivent produire des résultats opérationnels à moyen terme.

Les projets européens ou nationaux (hors bourses de thèses) s’inscrivent dans une stratégie de diversification. En revanche, les bourses de thèse CIFRE sont assez proches des besoins opérationnels du Groupe et n’ont qu’un seul partenaire, généralement une université.

Même si EDF R&D a multiplié sa participation aux projets subventionnés sur la période considérée, elle ne se repose pas sur cette catégorie d’accords de R&D pour développer ou maintenir des connaissances dans ses coeurs d’activités. Les partenariats non subventionnés dont elle a l’initiative lui sont nécessaires pour traiter de problématiques de recherche incontournables pour le Groupe, à l’image de la création en 2008 par EDF R&D du Material Ageing Institute, structure commune consacrée au vieillissement des matériaux des centrales.

En classant plus finement les partenariats non subventionnés dans les douze Projets Structurants d’EDF R&D (les activités coeur de métier), nous observons que :

  • les 12 Projets Structurants sont couverts par au moins un accord de collaboration simple;

  • les 12 Projets Structurants sont couverts par au moins une structure commune;

  • 7 Projets Structurants sont couverts par au moins un accord-cadre;

  • 5 Projets Structurants sont couverts par une chaire.

Les activités prioritaires menées par EDF R&D pour assurer l’avenir et la croissance du Groupe EDF le sont par des accords non subventionnés. Il arrive cependant qu’EDF R&D recoure à des accords subventionnés pour couvrir un Projet Structurant, soit pour des raisons financières (subvention), soit pour leur complémentarité à une problématique traitée en partenariat non subventionné. Certains projets destinés initialement à être réalisés en interne ou en partenariat spontané peuvent l’être au sein d’accords subventionnés pour des raisons d’opportunité ou parce que non stratégiques.

Signalement versus secret

La participation d’EDF R&D à des projets subventionnés contribue à véhiculer une image positive du Groupe. La stratégie de signalement et la réputation d’EDF R&D sont liées, et l’incitent à créer un réseau de collaborations de R&D avec certains partenaires. La création de structures communes avec des organismes publics de recherche révèle l’attachement d’EDF R&D à travailler avec des partenaires scientifiques de façon stable et durable. « Les co-publications avec des organismes de recherche permettent à EDF d’afficher son niveau scientifique et technologique. Par cette stratégie, EDF R&D attire l’attention des partenaires académiques et favorise son intégration dans les partenariats subventionnés » souligne une consultante interrogée. En effet, la sélection des partenaires dans un projet subventionné est souvent liée à l’effet réseau : les partenaires académiques préfèrent travailler avec des partenaires déjà connus. En participant à un partenariat subventionné, EDF R&D accepte de déclarer ses domaines d’intérêt à tous et notamment à ses compétiteurs. Ceci n’est pas gênant dans les partenariats subventionnés consacrés à des recherches explorant des options technologiques futures. Le secret peut être partiellement préservé dans la mesure où leurs résultats ne sont pas accessibles au public.

Pour l’accord non subventionné, deux cas sont à distinguer. Lorsque le partenariat non subventionné s’intègre dans une stratégie de communication d’EDF, tout concourt à sa publicité : c’est le cas des chaires. La chaire de Modélisation prospective au service du développement durable consacrée aux contraintes énergétiques, environnementales et économiques a vocation à être connue de tous, d’autant que ses travaux ne procurent pas d’avantage concurrentiel. Dans l’accord non subventionné proche du coeur de métier d’EDF, la confidentialité couvre les détails technico-financiers et les connaissances produites. Il sera éventuellement possible de trouver des informations d’ordre général sur Internet, dans les revues professionnelles ou scientifiques, mais rien concernant les connaissances susceptibles d’apporter un avantage concurrentiel à EDF, sauf si les résultats produits participent à la diffusion d’un standard ou d’une norme soutenus par EDF.

Coordination

Flexibilité des accords de R&D

Dans un projet subventionné, le programme technique est avalisé par le financeur. Les aspects techniques traités ou les résultats produits n’intéresseront pas les partenaires de la même manière. Un consultant en partenariat interrogé précise : « le partenariat subventionné agrège les projets particuliers que les partenaires mettent en cohérence par des passerelles scientifiques afin que leur programme technique soit retenu par le financeur ». Ce programme est assez large pour que chaque partenaire y trouve son compte mais ne laisse pas de liberté pour s’en écarter. Les problèmes sont réglés au sein d’un comité de pilotage. Le coordinateur peut éventuellement faciliter la résolution des problèmes mais son action demeure limitée car il n’est qu’un partenaire parmi d’autres. Faute d’un règlement entre partenaires, le financeur est appelé à statuer. Les accords subventionnés ont des règles rigides peu négociables. Soit ces règles sont données par l’organisme financeur (cas des projets européens), soit des clauses communément admises par les partenaires s’imposent (la rémunération par EDF des organismes publics de recherche lors de l’exploitation de résultats qu’ils détiennent en co-propriété).

Dans un accord non subventionné, EDF R&D sélectionne et rencontre le partenaire afin d’échanger sur une problématique et d’établir un programme de travail en commun. Les partenaires ont la liberté de le modifier ou l’arrêter durant son exécution. « Les partenariats non subventionnés procurent une marge de manoeuvre dans la négociation légèrement supérieure aux partenariats subventionnés concernant les droits de propriété et d’exploitation des résultats, parfois plus faciles à obtenir du fait de l’apport financier d’EDF R&D ou des dispositions du partenaire vis-à-vis d’EDF » souligne une consultante en partenariat. Cette marge de manoeuvre ne doit cependant pas être surestimée.

Stabilité des accords

Les entretiens menés avec les consultants en partenariats révèlent que peu d’accords d’EDF R&D, subventionnés ou non, s’arrêtent en cours exécution. Dans un projet subventionné, les partenaires mèneront le projet jusqu’à son terme. Quitter un contrat subventionné peut impacter négativement la réputation d’EDF R&D et la priver de ressources financières.

Si EDF R&D et son partenaire constatent que les résultats attendus sont inaccessibles ou que la voie de recherche est erronée, ils arrêteront l’accord non subventionné à défaut de l’avoir réorienté. Cette cessation sera plus facile et rapide du fait du nombre restreint de partenaires et de la volonté de réallouer les budgets affectés au partenariat.

Degré d’interaction entre les partenaires

Les accords non subventionnés offrent souvent un contexte de travail stable sur la durée, propice à la création de connaissances ou de compétences, particulièrement au sein des structures communes où les équipes d’EDF R&D et du partenaire travaillent ensemble au quotidien. Il est à noter que les structures communes et les accords non subventionnés en général ont un faible nombre de partenaires (cf. Tableau 5).

« Les partenariats subventionnés se définissent comme un groupement momentané d’acteurs de recherche » précise une personne lors des entretiens. Chaque projet, d’une durée de deux à quatre ans, et impliquant un grand nombre d’acteurs (cf. Tableau 5), est constitué de lots auxquels sont associés des livrables. Les points d’échanges et de mise en commun des résultats sont rares et durent environ une demi-journée. Chaque partenaire travaille de son côté. Il arrive exceptionnellement dans des projets européens qu’un partenaire détache du personnel chez un autre, pendant un temps court, pour réaliser ensemble une sous-tâche. « Dans un tel cas, les interactions entre partenaires sont plus intenses et ce mode de travail s’apparente à un sous-partenariat dans un partenariat » souligne un consultant spécialiste des projets européens.

Apprentissage et évolution

Apprentissage unilatéral vs. interactif

Dans un projet subventionné, les échanges de connaissances s’effectuent principalement par la transmission de livrables réalisés par chaque partenaire. Le travail est réalisé de façon indépendante et parallèle, favorisant des résultats réutilisables par les partenaires. C’est notamment le cas des projets incluant un volet « Etat de l’art » effectué par les partenaires académiques.

Les accords non subventionnés tels que les structures communes rassemblent géographiquement les équipes des partenaires. Ils favorisent davantage la confiance, un échange de savoirs plus intense entre les équipes, et la production de connaissances communes.

Le co-dépôt de brevets est souvent pris comme une mesure d’un résultat de coopération basé sur une forte interaction et des apprentissages réalisés en commun. Le Tableau 9 souligne que le co-dépôt de brevet se fait prioritairement au sein des partenariats non subventionnés et beaucoup plus rarement au sein des projets subventionnés.

Tableau 9

Répartition des brevets co-déposés par EDF R&D par année, 2004-2008

Répartition des brevets co-déposés par EDF R&D par année, 2004-2008
Source EDF R&D

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Niveau d’engagement et évolution

Les accords non subventionnés d’EDF R&D présentent différents niveaux d’engagement :

  • L’accord de collaboration simple en R&D est appréhendé comme un premier essai.

  • L’accord-cadre a pour but de renforcer des relations déjà établies sans entraîner une exclusivité de la collaboration. Il implique un engagement sur la durée et sécurise les relations en instituant des règles applicables à tous les contrats qui facilitent les flux de collaborations de R&D. L’établissement d’un tel accord repose sur une volonté politique et sur la capacité du partenaire d’avoir du répondant scientifique par rapport aux besoins d’EDF.

  • La structure commune est la forme d’engagement la plus importante. Elle représente l’aboutissement d’un processus graduel de coopération, commencé avec des accords simples de R&D. EDF R&D et ses partenaires rentrent alors dans un véritable processus de création technologique sur la durée. Elle peut être l’ultime étape avant la création d’une start-up, comme la société Nexcis, issue d’un laboratoire EDF-CNRS consacré aux cellules photovoltaïques.

Les accords non subventionnés favorisent davantage les relations sur le long terme et l’établissement d’un langage commun entre les équipes d’EDF R&D et du partenaire. Le renouvellement de tels accords sensibilise chaque partenaire aux problématiques de l’autre et rend le travail plus efficace par l’instauration de méthodes ou routines de travail communes. Ils apportent une confiance réciproque, due aux expériences antérieures de recherche communes et fructueuses entre les équipes. Ces arguments sont souvent évoqués par les chercheurs d’EDF R&D dans la justification du choix d’un partenaire notamment académique.

En revanche, l’engagement dans un projet subventionné se limite à sa durée. Ces accords sont éphémères et n’impliquent pas l’efficacité du travail entre partenaires. Une chercheuse d’EDF R&D, ayant participé à deux projets subventionnés, révèle à titre d’exemple « que six mois furent nécessaires avant que les partenaires parlent avec les mêmes mots, comprennent les attentes de chacun et harmonisent leurs façons de travailler ».

Cependant, un projet subventionné fructueux pourra se prolonger en accord non subventionné. A titre d’exemple, un ingénieur-chercheur interrogé indique que le projet ANR sur le calcul scientifique auquel il a pris part « a permis à EDF R&D de nouer des relations avec des équipes universitaires, tester leurs outils et poursuivre une collaboration en partenariat non subventionné avec l’une d’elles ».

Discussion

Concernant l’ambidextrie, l’étude de cas fait apparaître les points suivants. Les financements supplémentaires extérieurs (subventions) permettent de développer des recherches répondant à l’exploration de nouvelles voies scientifiques. Les coopérations financées sur fonds propres garantissent un approfondissement des axes de R&D du Groupe. Sur la base d’une définition contextualisée (cf. 4.1) des concepts d’exploration et d’exploitation, le cas souligne l’existence d’accords subventionnés tournés vers des travaux d’expérimentation publiables et d’accords sur financement propre concernant la mise en oeuvre et l’exécution des activités prioritaires d’EDF. La Proposition 1 sur l’ambidextrie semble donc confirmée tant pour le portefeuille dans son ensemble que pour les collaborations internationales non subventionnées, ces dernières étant destinées, soit à renforcer et optimiser les activités d’exploitation des filiales du Groupe basées à l’étranger, soit à faire bénéficier l’ensemble du Groupe des compétences de partenaires internationaux, là encore dans des activités principalement d’exploitation.

Les entretiens corroborent les distinctions établies par la Proposition 2. En effet, les partenariats subventionnés sont plutôt loin du coeur de métier; ils ne posent pas de problème de confidentialité et contribuent à la bonne réputation d’EDF. Cependant, le cas met en évidence une interdépendance des deux types de partenariats en termes de réseau et de réputation : un accord non subventionné stable (structure commune) avec un partenaire académique peut produire des résultats scientifiques (publications reconnues par les pairs) favorisant l’intégration d’EDF à des projets de R&D subventionnés. La nature du partenaire semble jouer un rôle dans l’analyse et la réputation se construit également à travers les accords non subventionnés. Le cas signale également un possible chevauchement des deux types d’accord : EDF recourt exceptionnellement à des projets subventionnés pour développer son coeur de métier, si l’opportunité se présente c’est-à-dire si les thématiques proposées s’y prêtent.

Le cas illustre plutôt bien la Proposition 3. L’octroi d’une subvention s’accompagne de règles nécessaires, mais rigides et peu négociables; ils sont tous menés à leur terme pour des raisons de réputation, notamment. Leur programme techno-scientifique est conçu de manière modulaire avec peu de liberté de réorientation en cas d’impasse technique. Les accords non subventionnés ont une marge de manoeuvre un peu plus importante dans la négociation des règles de coordination. Ils ont surtout une meilleure capacité à réorienter un projet ou à le cesser, sur la base d’arguments financiers notamment. Les projets subventionnés ont une durée fixe et relativement courte; ils englobent beaucoup de partenaires et sont souvent organisés autour de réunions d’échange rares et courtes. Inversement, un certain nombre d’accords non subventionnés impliquent un faible nombre d’acteurs travaillant ensemble au quotidien.

La Proposition 4 trouve un écho particulièrement intéressant dans le lien existant entre le co-dépôt de brevet et le type d’accord. Sous l’hypothèse que le co-dépôt de brevet reflète la genèse d’actifs immatériels collectifs et indivisibles, le cas conforte l’idée que les projets subventionnés génèrent principalement des apprentissages unilatéraux et les accords non subventionnés des apprentissages interactifs.

Enfin le cas donne de la consistance à la Proposition 5, à propos d’une dynamique d’engagement croissant, tout en la nuançant en ce qui concerne le positionnement des projets subventionnés. Ainsi le cas illustre des degrés d’engagement correspondant à des stades d’évolution pour chaque type d’accord non subventionné. Il souligne aussi le plus faible degré d’engagement des partenaires et la plus faible propension à poursuivre la collaboration dans le cas des projets subventionnés. Cependant, il n’exclut pas la possibilité d’une continuité et donne l’exemple d’un partenariat avec une université. Ceci montre à nouveau la nécessité de prendre en compte la nature du partenaire pour affiner nos propositions.

Le Tableau 10 résume les points de discussion ci-dessus. Sur le plan méthodologique, il rappelle la manière dont les propositions ont été validées, ce qui amène à pointer les limites sous-jacentes. Le processus de validation de l’ensemble des résultats a été effectué sur la base d’un consensus (plus ou moins fort) obtenu lors des entretiens avec les consultants en partenariat et les chercheurs (à dire d’experts). Certains résultats (propositions 2 (i) et 4) sont appuyés en outre par une caractérisation fine de chaque accord via des critères simples et précis, pour lesquels nous avons pu trouver des « proxys » et établir des statistiques descriptives. Par exemple, les activités coeur de métier sont liées aux projets structurants d’EDF (proposition 2 (i), tableau 8). De la même manière, nous avons supposé qu’un co-dépôt de brevet reflétait des apprentissages interactifs (proposition 4, tableau 9). Dans toutes les autres propositions, les concepts mobilisés sont qualitatifs et multicritères, donc difficiles à opérationnaliser par des variables précises permettant une caractérisation sans équivoque de chaque accord. Les propositions 1, 2(ii), 3 et 4 ont été validées sur la base de points de vue consensuels d’experts. Nous avons en particulier adapté au cas d’EDF et discuté avec les experts les notions d’exploration et d’exploitation (cf. définition opérationnelle en 4.1) afin d’éviter une trop large interprétation de ces concepts. D’une part, la validation par consensus peut apparaître moins robuste et moins objective qu’une statistique descriptive, d’autre part, elle permet de prendre en compte la richesse et la complexité que ne peut revêtir une simple statistique.

Tableau 10

Degré de validation des propositions dans le contexte du cas étudié. Méthode entretien / comptage

Degré de validation des propositions dans le contexte du cas étudié. Méthode entretien / comptage

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Dans l’ensemble nos propositions sont confortées par l’étude de cas d’EDF à l’exception des nuances apportées aux propositions 1, 2 et 5. En particulier, des partenariats proches du coeur de métier peuvent parfois bénéficier de subventions, la réputation n’est pas le seul fait des accords subventionnés et la continuité des relations n’est pas totalement à exclure pour les accords subventionnés. Ce bémol n’est pas surprenant dans la mesure où nos propositions expriment les caractéristiques théoriques de deux cas polaires. En revanche, l’analyse empirique ne révèle pas de contradictions avec le cadre théorique mais confirme une relative robustesse de nos propositions. Notons qu’EDF fournit un terrain pertinent pour notre cadre théorique. En effet, il s’agit d’une grande entreprise dans un secteur intensif en R&D et doté d’un portefeuille étendu de coopérations. C’est également un acteur très présent dans divers types de programmes publics de financement de la R&D. Or, son portefeuille de coopération en R&D est bien ambidextre au sens où nous l’entendons, dans la mesure où sa configuration permet de développer simultanément des activités d’exploration grâce aux subventions des programmes publics et des activités d’exploitation financées sur fonds propres. En outre, chaque type de coopération dégage une logique organisationnelle spécifique en termes d’incitation, de coordination et d’apprentissage.

Cette analyse du portefeuille d’accords des entreprises est un résultat original dans la littérature sur les accords. En effet, certains travaux sur les alliances (Rothaermel 2001, Rothaermel et Deeds 2004, Hoang et Rothaermel 2010) montrent que les entreprises ont plutôt tendance à privilégier un type d’accord que de les équilibrer au sein de leur portefeuille. Lavie et Rosenkopf (2006) trouvent que les entreprises ont un portefeuille ambidextre en considérant des activités d’exploration et d’exploitation dans différents domaines (sur la chaîne de valeur, la structure du réseau et le profil des partenaires) et à travers le temps. D’autres auteurs (Lin et al. 2007; Yamakawa et al. 2011) se posent la question du lien entre la performance des entreprises et l’ambidextrie du portefeuille de partenariats. D’une manière générale, cette littérature considère les accords d’exploration et d’exploitation comme des boîtes noires. En d’autres termes, ils définissent brièvement leur concept d’exploration et d’exploitation et les corrèlent avec des objectifs en termes de développement de produit, de performance des entreprises, des projets de R&D, etc. Notre apport est d’ouvrir cette boite noire et de montrer que les deux types d’accords ont des logiques organisationnelles différentes avec une forte cohérence interne. Une seconde originalité est de considérer explicitement les accords subventionnés dans le portefeuille d’accords des entreprises, ce qui est rarement fait dans la littérature. Nous sommes ainsi en mesure de montrer la place singulière qu’ils occupent dans la stratégie d’innovation des entreprises : ils permettent d’équilibrer le portefeuille en soutenant les activités d’exploration. Nous rejoignons ainsi un résultat plus classique dans la littérature intra-organisationnelle qui soutient la nécessité d’adopter une structure duale pour mener conjointement des activités contradictoires. Enfin, la littérature sur les portefeuilles d’accords (Wassmer, 2008) s’intéresse à la taille du portefeuille, au rôle des différents partenaires, à l’intensité des liens et la structure du réseau d’acteurs, aux interdépendances au sein du portefeuille, à son évolution dans le temps, à l’apprentissage et à la capacité de gérer des alliances. Mais peu de travaux portent sur la manière dont les entreprises configurent leur portefeuille pour équilibrer les activités d’exploration et d’exploitation. Nos résultats apportent quelques éléments de réponse.

Conclusion

Le choix d’EDF R&D pour un type donné d’accord répond avant tout à un objectif stratégique. Si l’enjeu du partenariat peut procurer un avantage concurrentiel à EDF, il est fort probable qu’EDF R&D privilégiera l’accord non subventionné, lui permettant d’exploiter au mieux les résultats issus du partenariat. L’accord non subventionné est prioritairement mis en oeuvre pour développer ou maintenir des connaissances ou des compétences dans les coeurs de métier du Groupe EDF. Il est flexible, génère des apprentissages interactifs favorisant des degrés d’engagement croissant et la continuité de la relation.

EDF R&D participe à des projets subventionnés pour obtenir des financements, étudier de nouvelles voies de développement ou de diversification, mettre à jour des connaissances et exercer une veille technologique. Ces accords couvrent parfois des domaines liés aux coeurs de métier du Groupe mais ils sont le plus souvent à la périphérie et ne contribuent pas vraiment à l’établissement d’une capacité concurrentielle d’EDF, du fait de leur caractère plutôt exploratoire. Leurs résultats sont généralement réutilisables, séparables et appropriables individuellement par chaque partie. Le degré d’engagement des partenaires est relativement faible et la continuité de la relation plus incertaine.

Si le cas d’EDF illustre globalement bien nos propositions à travers des exemples concrets d’accords avec et sans subvention, il ouvre également des pistes de recherche intéressantes. La première concerne la prise en compte de la nature du ou des partenaires et son effet sur les trois dimensions de l’organisation à savoir l’incitation, la coordination et la cognition. Le cas signale les trois faits suivants lors d’un accord avec un partenaire académique : il permet l’accès à des partenaires industriels, à des projets subventionnés, et la poursuite de partenariats subventionnés sous une autre forme. Une université ou un organisme public de recherche répond à des normes différentes de celles des entreprises, comme par exemple, les principes de la « science ouverte », l’existence d’une forte proportion de financement public et la présence de règles de gestion publique, qui pourraient nuancer ou au contraire renforcer nos propositions et engendrer une typologie plus fine des partenariats, au-delà de nos deux configurations polaires.

Une seconde piste de recherche concerne l’analyse plus approfondie des interdépendances au sein du portefeuille de partenariats d’une entreprise. En effet, le cas d’EDF suggère que les accords subventionnés et non subventionnés ne sont pas simplement contrastés, mais complémentaires à bien des égards (technologique, stratégique, etc.). Notre analyse se focalise sur la comparaison des deux types d’accords. Elle pourrait s’enrichir de l’analyse plus fine de leur poids respectif au sein du portefeuille, de leur complémentarité et leur articulation dans le temps, afin de mieux appréhender l’impact de la structure du portefeuille sur la performance innovatrice de l’entreprise.