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Depuis la prise de position de Friedman en 1962 sur la responsabilité purement financière des entreprises, nombreux sont les travaux de recherche qui ont essayé de mettre en évidence les liens présupposés entre la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) et leur performance économique. Parmi ces travaux, citons ceux d’Orlitzky et al. (2003) qui montrent dans leur méta-analyse que si des liens peuvent être établis, ils ne sont pas systématiques. Dans ce contexte, Porter et Kramer (2006, 2011) proposent au travers du concept de création de valeur partagée de replacer les démarches RSE au coeur de la stratégie des entreprises, tout en recherchant la compétitivité.

Parallèlement, les travaux en sciences de gestion traitant de la RSE ont tendance à sous-représenter les PME (Spence, Perrini, 2009). Rappelons qu’historiquement les travaux de recherche sur la RSE sont liés aux grandes entreprises, ce qui s’explique notamment par la visibilité de leurs impacts négatifs (Quinn, 1997). La réflexion sur la RSE dans un contexte PME s’avère pourtant tout aussi pertinente, et dès les années 1990 le nombre de travaux s’y rapportant s’est multiplié (Spence, 1999). L’intérêt de se focaliser sur la responsabilité sociétale des PME réside dans certaines de leurs spécificités, en particulier les relations avec les clients, les salariés et la place du dirigeant (Lepoutre, Heene, 2006), le rapport à leur réseau professionnel (Brown, King, 1982), ou encore les liens avec leur communauté locale (Madden et al., 2006). En présentant le concept de création de valeur partagée et ses leviers, à savoir : l’intégration dans un cluster, la reconception des produits et marchés et la redéfinition de la chaîne de valeur, Porter et Kramer (2011) s’adressent aux grandes entreprises. C’est précisément parce que le contexte PME n’a pas été pris en compte par Porter et Kramer que la présente étude propose de tester l’adéquation des spécificités de gestion des PME avec les leviers de la création de valeur partagée.

Notre étude n’a pas pour ambition de vérifier si les PME sont créatrices de valeur partagée ou si elles répondent à des enjeux sociétaux, mais de confronter le cadre conceptuel établi par Porter et Kramer avec ce type d’organisation, un apport original en soi. L’objectif est alors d’observer si les leviers de la création de valeur partagée sont actionnables par les PME sur la base d’une méthodologie quantitative portant sur un échantillon de 488 PME localisées dans une région française.

Ce travail de recherche met en évidence l’intérêt du concept de Porter et Kramer (2006, 2011) dans un contexte PME, et souligne la nécessité que les PME ont de s’approprier ce concept et de formaliser leur système d’information interne et externe si elles souhaitent s’inscrire dans cette logique. Par ailleurs, nous montrons l’absence de renforcement mutuel des leviers de la création de valeur partagée, contrairement à l’assertion de Porter et Kramer (2011).

Pour aboutir à ces contributions, nous clarifierons le cadre théorique mobilisé en précisant d’abord les différentes approches de la création de valeur en sciences de gestion afin de resituer le concept de Porter et Kramer. Puis nous verrons comment les leviers de la création de valeur partagée peuvent théoriquement s’articuler dans un contexte de PME, et particulièrement le levier relatif à l’intégration dans un cluster. Les aspects méthodologiques seront ensuite détaillés, avant la présentation des résultats exploratoires de cette étude. Enfin, la discussion de ces résultats permettra de développer une approche des leviers de la création de valeur partagée singulière à l’univers des PME.

La création de valeur partagée : un concept émergent et protéiforme

La première partie de l’article présente le cadre d’analyse de notre recherche centrée sur la création de valeur partagée, un concept proposé par Porter et Kramer, largement repris dans la littérature,[1] mais aussi soumis à controverse (Crane et al., 2014).

D’une conception financière à une conception partagée de la création de valeur

Appréhender le concept de création de valeur partagée implique de remettre dans la perspective des approches existantes de la création de valeur en sciences de gestion. Nous retiendrons l’approche dominante qu’est la création de valeur financière, tout en soulignant les autres manières de considérer la valeur.

La création de valeur financière est décrite par Wirtz (2005) comme étant une rentabilité de l’entreprise supérieure au coût du capital. Nous conviendrons que cette création de valeur s’inscrit dans une logique de réponse aux attentes d’une seule partie prenante : les actionnaires. Cette approche dominante de la création de valeur repose sur la théorie micro-économique néo-classique selon laquelle le dirigeant a pour unique but de maximiser l’investissement des actionnaires. Par ailleurs, elle a l’avantage de s’appuyer sur des méthodes de calcul : l’Economic Value Added et la Market Value Added, même si ces dernières présentent des limites (Steward, 1994). Une création de valeur qui ne se ferait qu’en réponse aux attentes des actionnaires, pose question aux niveaux de la gouvernance, de la coordination avec les parties prenantes et de la place de l’entreprise dans la société (Prahalad, 1994; Capron, Quairel-Lanoizelée, 2015). À ce titre, Charreaux et Desbrières (1998) ont développé l’idée d’une valeur partenariale. Cette dernière se traduit par une logique similaire à la valeur actionnariale, c’est-à-dire une approche uniquement financière, mais qui doit aboutir à un partage de cette valeur créée entre plusieurs parties prenantes. Cela dit, cette approche de la création de valeur ignore un certain nombre de parties prenantes considérées comme ne prenant pas part directement à l’activité de l’entreprise.

D’autres approches de la création de valeur relatives à ces différentes parties prenantes ont été développées, notamment la création de valeur pour le client qui peut se définir en termes de bénéfices attendus par les clients en échange du prix qu’ils sont prêts à payer (Anderson, Narus, 1998). Pour Marshall (1920), la valeur client réside à la fois dans le jugement que portent les clients sur les produits et services proposés par les entreprises, mais également dans la capacité que les entreprises vont avoir à anticiper ce jugement. Nous pouvons également évoquer la co-création de valeur avec les fournisseurs (Payne et al., 2008), ou encore la création de valeur pour les employés, pour la communauté locale etc… La création de valeur partagée se situe donc à la frontière entre création de valeur actionnariale et création de valeur pour les parties prenantes : (1) la création de valeur actionnariale, car les organisations, pour survivre ont besoin du soutien de leurs actionnaires et, (2) la création de valeur élargie aux attentes des autres parties prenantes ne s’exprimant pas uniquement en termes de partage de la valeur, mais bien par la création d’un bien être ou l’évitement d’une peine, répondant ainsi aux enjeux sociétaux. La satisfaction dans le cas de la création de valeur partagée ne se limite pas à la maximisation des investissements des actionnaires ou à la qualité perçue par les clients, elle comprend également les réponses faites aux parties prenantes sur les enjeux sociétaux.

Porter et Kramer développent le concept de création de valeur partagée dès 2006. Ces auteurs évoquent les interrelations entre les entreprises et la société, synonymes de dépendances mutuelles. Dans leur travail de clarification des travaux portant sur la RSE, Gond et Igalens (2008 : 43) expliquent que pour appréhender l’ensemble des concepts ayant trait à la RSE, il est pertinent de « s’appuyer sur le plus petit dénominateur commun […] à savoir l’idée que la responsabilité de l’entreprise vis-à-vis de la société est un concept qui, par définition, caractérise l’interface de l’entreprise et de la société. » C’est précisément sur ces dépendances mutuelles, que Porter et Kramer (2006) qualifient d’enjeux sociétaux, que les entreprises vont avoir tout intérêt à concentrer leurs démarches. À ce stade de leur réflexion, Porter et Kramer présentent la création de valeur partagée comme le moyen de guider les entreprises dans la mise en oeuvre de leurs démarches RSE et de hiérarchiser leurs actions.

En 2011, Porter et Kramer précisent le concept de création de valeur partagée. Ces auteurs font le constat que de plus en plus d’organisations mettent en oeuvre des démarches RSE, qu’elles communiquent sur leurs actions, mais que parallèlement les entreprises n’ont jamais bénéficié d’une légitimité aussi faible. Ce concept s’inscrit dans un courant de recherche, le business case de la RSE qui tend à faire le lien entre la responsabilité sociétale des entreprises et les avantages compétitifs que peuvent en retirer ces dernières, tout en apportant des réponses aux critiques qui leurs sont faites et à leur perte de légitimité (Capron, Quairel-Lanoizelée, 2015). Il peut, par ailleurs, être reproché à Porter et Kramer d’occulter dans leurs articles les précédents travaux de ce même courant du business case (Crane et al., 2014). Pour Porter et Kramer (2011), la création de valeur partagée est à la fois : le moyen d’organiser les démarches RSE, de replacer la RSE dans la stratégie des organisations, et finalement de leur rendre leur légitimité. Le concept se traduit précisément par la mise en oeuvre de trois leviers : (1) l’intégration de l’organisation à un cluster, localement; (2) une conception nouvelle des produits et marchés et (3) une redéfinition de sa chaîne de valeur. Bien qu’ils ne le mentionnent pas dans leurs travaux, cette conceptualisation de la création de valeur partagée s’inscrit dans une collaboration des deux auteurs avec le groupe Nestlé et dans la continuité de leurs précédents travaux (Crane et al., 2014).

Précisons ce que Porter et Kramer entendent par chacun de ces leviers. L’appartenance à un cluster renvoie aux travaux de Porter (1990, 1998), elle renvoie aux rapprochements avec les acteurs locaux, aux synergies avec les entreprises, qu’il s’agisse des fournisseurs, des sous-traitants, des clients, mais aussi des acteurs publics et des institutions. Le fait d’intégrer un cluster permet ainsi aux entreprises de mieux capter les attentes des parties prenantes et les enjeux sociétaux relatifs à leur communauté. Ce levier fait écho à l’articulation entre communautés locales, enjeux sociétaux et ancrage territorial, telle qu’évoquée dans la question centrale 6.8 de la norme ISO 26000 (ISO, 2010). Porter et Kramer (2011 : 73) résument cette intégration comme « a positive cycle of economic and social development results ». La reconception des produits et marchés doit permettre la création d’avantages sociaux et environnementaux. Pour ce levier, les auteurs invitent les entreprises à s’interroger sur ce qui est bon pour leurs clients, voire pour les clients de leurs clients. Cette réflexion peut passer par une redéfinition de leur offre inspirée de réponses à des enjeux sociétaux, dans une stratégie Bottom Of the Pyramid, par exemple. La redéfinition de la chaîne de valeur est un levier incontournable de la création de valeur partagée. Comme Porter et Kramer (2011) l’expliquent, la chaîne de valeur des entreprises impacte et est impactée par nombre d’enjeux sociétaux. Porter et Kramer (2011) invitent alors les dirigeants d’entreprises à revoir les énergies et les ressources utilisées, les moyens logistiques de ces utilisations, ainsi que les moyens de distribution déployés. Cette réflexion implique aussi les ressources humaines. Il est primordial de revoir dans les entreprises la prise en considération des conditions de travail, de rémunération, et la santé des salariés. Enfin, pour Porter et Kramer (2011) les trois leviers de la création de valeur partagée tendent à se renforcer mutuellement.

Cette description du concept de Porter et Kramer nous permet de le distinguer sur deux points du concept de création de valeur partenariale développé par Charreaux et Desbrières (1998) : (1) une création de valeur au niveau de l’activité même de l’entreprise et des sous-activités de sa chaîne de valeur, contre une approche uniquement financière de la création de valeur et (2) un bénéfice de la création de valeur réparti entre un large spectre de parties prenantes, contre un partage de la valeur limité aux parties prenantes liées à l’activité de l’entreprise.

Les PME : un contexte pertinent pour l’étude des leviers de la création de valeur partagée

Le concept de création de valeur partagée se base sur une analyse de Porter et Kramer (2006, 2011) centrée sur les grandes entreprises. En effet, le constat de départ de Porter et Kramer (2011) est le suivant : les entreprises sont principalement désignées comme responsables des problèmes économiques, environnementaux et sociaux actuels. Ils appuient notamment leur argumentation sur ces exemples d’entreprises, « GE, Google, IBM, Intel, Johnson & Johnson, Nestlé, Unilever, and Wal-Mart » (Porter, Kramer, 2001 : 49). Pourtant, il nous paraît intéressant de l’appréhender dans un contexte de PME au regard de leurs spécificités. En effet, celles-ci ne se limitent pas au nombre de leurs salariés (Preston, 1977), ce ne sont pas des grandes entreprises en miniature (Tilley, 2000). Aussi, nous retenons ici l’approche par « continuum » issue des travaux du GREPME sous la direction de Julien (1994). Cette approche permet d’échapper aux différentes limites des typologies existantes sur les PME. Comme l’explique Julien (1994), la plupart des typologies se concentrent sur des secteurs spécifiques, sur certaines spécificités, excluant de fait nombre d’organisations. L’intérêt de l’approche par « continuum » est de pouvoir aborder l’ensemble des PME dans toute leur hétérogénéité, en prenant en compte leurs spécificités, tout en sachant qu’elles n’y répondent pas de la même manière. Selon cette approche les PME se distinguent des grandes entreprises en fonction de six caractéristiques : leur petite taille en nombre d’employés ou en chiffre d’affaires, une gestion centralisée qui renvoie au rôle prépondérant du propriétaire-dirigeant, des systèmes d’information interne et externe simples, une stratégie intuitive ou peu formalisée, une faible spécialisation, autant de spécificités reprises dans les travaux de Jenkins (2004) ou encore de Perrini et al. (2007). Ces caractéristiques des PME posent la question de la transposition du concept de création de valeur partagée.

L’étude de la création de valeur partagée dans un contexte PME est pertinente pour plusieurs raisons. Sur un aspect purement quantitatif d’abord, les PME représentent plus de 95 % des organisations privées à travers le monde (Wymenga et al., 2012). Ces organisations présentent également un intérêt dans leur étude de la RSE. La plupart des travaux sur la RSE sont centrés certes sur les grandes entreprises, ce qui peut s’expliquer par la visibilité des impacts négatifs de ces dernières, les catastrophes de Bhopal et Exxon Valdez en étant des illustrations (Quinn, 1997). Si dès les années 1980, les premiers travaux relatifs à la RSE des PME sont publiés aux États-Unis, essentiellement axés sur les relations avec les employés (Tilley, 2000), il faut attendre les années 1990 pour que soient élargis les enjeux traités (Spence, 1999). Les PME sont ainsi autant concernées et attendues sur leurs pratiques que les grandes entreprises (Chrisman, Fry, 1982), tout en se distinguant de celles-ci sur trois points. (1) Elles ont des dispositions spécifiques relatives aux relations avec les salariés, aux clients, à la place du dirigeant (Lepoutre, Heene, 2006) ou encore au contexte territorial et à leur réseau professionnel (Brown, King, 1982). (2) Les PME vont être davantage sensibles à certains enjeux, notamment ceux en lien avec leur communauté locale (Madden et al., 2006). (3) Elles sont confrontées à des freins à la mise en oeuvre de leurs pratiques en termes de compétences, de ressources et de temps (Lepoutre, Heene, 2006). Malgré leurs disparités et spécificités, les PME sont donc sensibles à la RSE, même lorsqu’elles le sont de manière informelle (Jenkins, 2004). Il apparaît donc judicieux d’observer comment le concept de création de valeur partagée pourrait se traduire dans ce type d’organisation.

Nous présentons ici plusieurs arguments témoignant de la mise en oeuvre de chacun des trois leviers par les PME. S’agissant du premier, l’appartenance à un cluster, il va de soi que la plupart des PME ne font pas partie de ce type de réseau territorialisé. Pourtant, l’encastrement local souligné est une réalité pour beaucoup de PME (Lepoutre, Heene, 2006; Murillo, Lozano, 2006) qui entretiennent des liens forts avec leur tissu économique et plus largement avec leur communauté locale. Néanmoins, d’autres travaux présentent des conclusions contrastées, comme la typologie de Marchesnay (1998) basée sur les légitimités territoriale et concurrentielle de l’entrepreneur. En effet, le dirigeant de PME lorsqu’il a une faible légitimité territoriale et une faible légitimité concurrentielle peut être qualifié d’entrepreneur « isolé ». À ce titre, les travaux de Corolleur et al., (2012) montrent que, même au sein de réseaux territorialisés, les PME peuvent ne pas être encastrées dans leur territoire. Comme précédemment mentionné, Porter et Kramer (2011) accordent une importance à l’appartenance à un réseau territorialisé comme facilitant le renforcement des deux autres leviers. S’agissant d’une structure formalisée particulière comme les clusters, des auteurs soulignent que ces réseaux sont souvent composés d’une majorité de PME (Bocquet, Mothe, 2009). Ainsi, il apparaît pertinent d’observer ce levier comme discriminant parmi les PME dans le cadre de cette étude. Concernant le deuxième levier, la capacité des organisations à repenser leurs produits/services et marchés, Jenkins (2006) montre que les PME font souvent preuve d’une grande flexibilité, et notamment en ce qui concerne la modification de leurs produits et services. Julien (1998b) explique cette capacité à innover du fait de leur manque de ressources. Cette flexibilité et cette capacité à repenser produits et marchés rendent les PME agiles pour se placer sur des marchés de niche (Morsing et Perrini, 2008), pour prendre des risques en termes d’innovations sociales et environnementales au profit parfois des grandes entreprises (Luetkenhorst, 2004).

Quant au troisième levier, la redéfinition de la chaîne de valeur, il est lui aussi mobilisé par les PME qui sont de plus en plus nombreuses à prendre en compte les impacts que peuvent provoquer leur sélection sur la chaîne de valeur (Perrini et al., 2007). Ce constat conduit Spence et Perrini (2009) à évoquer la responsabilité des dirigeants de PME dans la construction de leur chaîne de valeur. Cette sensibilité des dirigeants de PME s’explique par plusieurs facteurs : les pressions institutionnelles, les valeurs du dirigeant, mais aussi appartenance à la chaîne de valeur d’une grande entreprise. Ainsi les PME font partie des acteurs incontournables de la création de valeur partagée décrite par Porter et Kramer, même si cette dernière est à l’initiative d’une grande entreprise. Enfin, les relations imbriquées des PME avec leurs communautés locales, la responsabilité vis-à-vis de leurs salariés due à la loi de proxémie (Torrès, 2003) conduisent les dirigeants de ce type d’organisation à hiérarchiser les attentes de leurs parties prenantes (Murillo, Lozano, 2006), au point que Spence et Perrini (2009) évoquent la responsabilité des dirigeants de PME dans la construction de leur chaîne de valeur, de manière quasi inconsciente pour certains d’entre eux.

Toutefois, et malgré ces dispositions particulières que les PME peuvent avoir théoriquement pour chacun des leviers de la création de valeur partagée, ces dernières se caractérisent aussi par des spécificités pouvant les limiter dans leurs pratiques. Nous retenons ici les caractéristiques définies pas Julien (1994) dans son approche en continuum des PME, à savoir : la petite taille, la centralisation de la gestion, la faible spécialisation, une stratégie intuitive ou peu formalisée, un système d’information interne peu complexe ou peu organisé, un système d’information externe simple. Ces spécificités des PME reprises par Torrès (2003) cristallisent la proxémie inhérente aux dirigeants de PME, c’est-à-dire « […] un mécanisme de hiérarchisation qui crée les conditions nécessaires à l’action et à la réflexion dans une organisation centralisée, faiblement spécialisée, dotée de systèmes d’informations internes et externes simples et privilégiant des stratégies intuitives et peu formalisées ». Ces spécificités se retrouvent dans les travaux relatifs visant à comprendre la RSE dans un contexte PME (Jenkins, 2006; Murillo, Lozano, 2006). Ainsi, nous aborderons la question de la création de valeur partagée dans un contexte PME à l’aune des spécificités suivantes : la taille des organisations, leur stratégie non formalisée et à court terme, leur système d’information simple.

Parmi les trois leviers décrits par Porter et Kramer (2011), l’intégration à un cluster local n’est pas à la portée de toutes les organisations, et cela d’autant plus que tous les territoires ne disposent pas de cluster. Pour autant, Porter et Kramer (2011) présentent cette intégration comme nécessairement créatrice de valeur partagée (Crane et al., 2014).

Apporter un éclairage particulier sur les clusters dans un contexte PME comme levier de la création de valeur partagée nécessite quelques précisions sémantiques. Revenons d’abord sur le terme de cluster qui apparaît comme réducteur (Martin, Sunley, 2003). En effet, pour Porter et Kramer, l’intérêt de l’intégration dans un cluster local réside dans les relations que l’entreprise peut tisser avec les acteurs du territoire publics et privés, de sorte que celle-ci perçoive mieux les intersections et les dépendances mutuelles entre entreprises et société. Nous comprenons ainsi que l’approche de Porter et Kramer (2011) n’est pas limitée aux seuls clusters Porteriens mais qu’elle peut être étendue aux autres formes de réseaux territorialisés. En effet, s’il existe des différences entre le cluster Porterien, le district industriel italien décrit par Becattini (1991), et les réseaux d’initiative top-down comme les technopôles et les pôles de compétitivité (Berthinier-Poncet, 2013; Hussler et al., 2013), notamment dans la distinction entre ces types de réseaux au niveau de la diversité de ses membres, des barrières à l’entrée/sortie et de leurs modes de coordination, ces différences n’enlèvent rien aux effets attendus de la création de valeur partagée. Nous utiliserons dès lors le terme plus générique de réseaux territorialisés.

Ainsi le fait que Porter appuie une partie de son analyse sur la relation entre entreprises et territoire n’est pas anodin puisqu’elle s’inscrit dans le coeur de ses travaux antérieurs (1990, 1998). Selon lui, les réseaux territorialisés ont une importance à deux niveaux. À l’échelle de l’organisation, les réseaux territorialisés sont une véritable source de compétitivité pour les entreprises en leur offrant des ressources et des débouchés. Au niveau du territoire, la structuration des entreprises dans un réseau territorialisé participe au développement local : « No company is self-contained. The success of every company is affected by the supporting companies and infrastructure around it […]. Clusters are prominent in all successful and growing regional economies and play a crucial role in driving productivity, innovation and competitiveness » (Porter, Kramer, 2011 : 70). L’intégration dans un réseau territorialisé favorise l’entreprise dans son activité tout en répondant aux attentes des communautés locales, Porter et Kramer (2011) y voient un levier de création de valeur partagée. De nombreux travaux de recherche (Johannisson et al., 2002; Chalaye, Massard, 2009) valident les qualités que Porter (1998) leur prête.

Sans passer en revue les multiples avantages procurés par l’intégration à un réseau territorialisé et pour faire référence aux deux autres leviers de la création de valeur partagée, soulignons que les réseaux territorialisés permettent aux entreprises d’entretenir des relations de confiance et de partage des connaissances avec les acteurs de leur chaîne de valeur, ce qui les rend plus productifs (Berthinier-Poncet, 2013; Porter, 1998). De plus, les réseaux territorialisés, en reposant à la fois sur des relations de compétition et de coopération, et en facilitant les échanges de connaissances entre les acteurs internes et externes aux réseaux territorialisés, sont des vecteurs d’innovation (Porter, 1998; Chalaye, Massard, 2009). De ce fait, les réseaux territorialisés offrent une réduction de l’incertitude et de l’asymétrie d’information, qui permet d’augmenter le niveau d’entrepreneuriat collectif au sein des organisations (Johannisson et al., 2002). Par ailleurs, les avantages des réseaux territorialisés ne sont pas seulement économiques. Sur le plan territorial, les réseaux territorialisés ont un effet positif sur le développement local (Chalaye, Massard, 2009; St. John, Pouder, 2006), et ils permettent aussi aux organisations de mieux capter les enjeux des communautés locales (Porter, Kramer, 2011). Tous ces arguments ont conduit à la création des pôles de compétitivité en France ou des districts technologiques en Italie : les réseaux territorialisés de ce type étant utilisés comme un outil du développement local par les acteurs publics (Ehlinger et al., 2007).

En mobilisant comme cadre théorique les réseaux territorialisés et le contexte des PME pour comprendre la création de valeur partagée, nous souhaitons explorer deux assertions du concept de Porter et Kramer (2011). Il s’agit, d’une part, de savoir si les PME sont capables de mettre en oeuvre les leviers de la création de valeur partagée, et au travers de quelles pratiques et, d’autre part, d’observer le principe selon lequel les leviers de la création de valeur partagée tendent à se renforcer mutuellement. Ceci invite donc à vérifier si ce renforcement mutuel existe dans un contexte PME, et, en particulier, lorsque les PME font partie d’un réseau territorialisé. Ainsi nous avançons les quatre hypothèses suivantes (Figure 1). À partir des travaux de Lepoutre et Heene (2006) et de Murillo et Lozano (2006), nous proposons l’hypothèse H1 : Les spécificités des PME facilitent leur appartenance à un réseau territorialisé. Les travaux de Jenkins (2006), de Morsing et Perrini (2008) et de Luetkenhorst (2004) sur les pratiques de responsabilité sociétale des PME nous permettent de formuler l’hypothèse H2 : Les spécificités des PME leur facilitent le fait de repenser leurs produits et services. Nous émettons également l’hypothèse H3 : Les spécificités des PME facilitent leur redéfinition de leur chaîne de valeur, à partir des travaux de Perrini et al., (2007); de Spence et Perrini, (2009); et de Murillo et Lozano, (2006). Enfin, à partir du concept de Porter et Kramer (2011), nous avançons l’hypothèse H4 : L’intégration des PME à un réseau territorialisé participe au renforcement des deux autres leviers de la création de valeur partagée, à savoir repenser leurs produits et services, et redéfinir leur chaîne de valeur. Les hypothèses H1, H2 et H3 sont ensuite déclinées selon les spécificités des PME, en H1.1, H2.1 et H3.1 pour la taille; en H1.2, H2.2 et H3.2 pour l’horizon temporel de la stratégie; en H1.3, H2.3 et H3.3 pour la formalisation de la stratégie et en H1.4, H2.4 et H3.4 pour le niveau de système d’information.

FIGURE 1

Modèle de recherche

Modèle de recherche

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Méthodologie de recherche

L’objet de notre recherche visant à vérifier si les PME sont capables de mettre en oeuvre les leviers de la création de valeur partagée, et s’il existe bien un renforcement mutuel des leviers comme l’avancent Porter et Kramer (2011), nous nous inscrivons dans une démarche hypothético-déductive (Chalmers, 1987) au travers du test des hypothèses susmentionnées. Ainsi, notre recherche s’articule selon les étapes suivantes (Giordano, Jolibert, 2012) : à partir de notre cadre théorique, nous avons formulé notre question de recherche, puis nous avons émis un ensemble d’hypothèses que nous allons chercher à vérifier par le test empirique au moyen de données récoltées auprès de dirigeants de PME françaises. Ces données proviennent d’un questionnaire développé à l›intention des dirigeants des PME d’une région française : la région Rhône-Alpes. Le questionnaire a été conçu par une équipe de recherche en gestion dans le cadre d’un projet de recherche financé par la région, autour de plusieurs rubriques relatives aux grandes fonctions d’une entreprise (stratégie, marketing, ressources humaines, finance, etc.). L’un des auteurs de l’article a activement participé à la rédaction de la rubrique consacrée à la RSE. Le questionnaire a été administré en face à face par des consultants impliqués dans le projet d’accompagnement des PME régionales. Pour information, renseigner l’ensemble des rubriques du questionnaire conditionnait la démarche d’accompagnement par la région. Par conséquent, le taux de réponse est de 100 %. L’échantillon de cette étude se compose de 488 PME de la région Rhône-Alpes. Ces PME sont des entreprises de moins de 250 salariés, dont l’activité principale est manufacturière ou de service, réalisant un chiffre d’affaires inférieur à 50 millions d’euros. L’effectif moyen de ces PME est de 23 salariés par entreprise, et 86 % d’entre elles sont majoritairement détenues par l’équipe dirigeante. Enfin, 39 % des organisations de l’échantillon font partie d’un réseau territorialisé. Cet échantillon nous permet de tester les leviers du concept de création de valeur partagée développé par Porter et Kramer (2011) dans un contexte de PME. Terrain de notre étude, la région Rhône-Alpes occupe le premier rang (hors Ile-de-France) sur le plan académique et scientifique, elle est particulièrement tournée vers l’innovation comme levier de compétitivité des entreprises et, notamment des PME (Région Rhône-Alpes, 2013). La définition d’une PME est celle de la Commission Européenne, i.e. ayant moins de 250 salariés et, soit un chiffre d’affaires annuel n’excédant pas 50 millions d’euros, soit un total du bilan annuel inférieur à 43 millions d’euros (Rec. 2003/361/CE).

Description des pratiques mesurées

Les PME sont caractérisées, entre autres, selon leur activité principale : (1) uniquement des produits manufacturés, (2) une combinaison de produits et services, avec une dominante de produits manufacturés, (3) des services complétés par quelques produits, (4) uniquement des services.

Le questionnaire est structuré en dix sections : Fiche signalétique et caractéristiques générales de l’entreprise; Environnement d’affaires et stratégie d’entreprise; Marketing et relations commerciales; Stratégie industrielle et de service; Ressources humaines; Innovation; Internationalisation; Finance; Organisation, TIC et Développement durable; Equipe dirigeante et caractéristiques du dirigeant. Sur cette base, nous avons sélectionné treize groupes de questions correspondant aux trois leviers de la création de valeur partagée mis en évidence par Porter et Kramer (2011). Ainsi, nous avons retenu deux groupes de questions pour le levier 1 (intégration à un réseau territorialisé), sept groupes pour le levier 2 (repenser ses produits/services et marchés) et quatre groupes pour le levier 3 (redéfinir la chaîne de valeur). Finalement, nous avons pu identifier cinquante-huit variables (dont huit pour le levier 1, vingt-huit pour le levier 2 et vingt-deux pour le levier 3).

Pour chaque levier, les variables sont quantitatives ou qualitatives. Les variables quantitatives sont liées à des réponses données sur une échelle de Likert à cinq points (avec la signification : 1=fort désaccord jusqu’à 5=total accord ou bien 1=faible jusqu’à 5=fort, selon les cas) en fonction du degré d’accord entre la question posée et la réalité de l’entreprise concernée : il s’agit de variables quantitatives discrètes. Les variables qualitatives sont des variables binaires indiquant l’appartenance (ou pas) à une certaine classe. Nous décrivons ci-après les groupes de variables à l’intérieur de chaque levier (voir aussi Annexe 1). Ainsi, dans le levier 1, les variables commençant par POLE (variables binaires) désignent l’appartenance à un pôle d’activités, alors que les variables du groupe LOCAL font référence aux pratiques tournées vers le soutien des activités au niveau local. Les 488 PME sont représentées dans ces variables. Dans le levier 2, le groupe INNOV (variables binaires) concerne les types d’innovations proposées par les PME, le groupe CLIENT fait référence aux démarches d’implication des clients dans la conception des produits/services et le groupe VISION fait référence aux perceptions que les PME ont des attentes des clients par rapport aux produits/services. Le groupe OBJ décrit les objectifs en termes d’innovation pendant les trois dernières années alors que le groupe RED décrit les pratiques concernant les impacts environnementaux des produits/services. Toutes ces variables du levier 2 et la variable ABANDON (variable binaire) concernent les 488 PME. Le dernier groupe de variables du levier 2, le groupe PROD, fait référence aux pratiques de reconception des produits ou des services proposés, et il concerne uniquement les entreprises manufacturières (i.e. un sous-échantillon de 347 PME). Finalement, dans le levier 3, le groupe DIV (variables binaires) concerne les pratiques de diversification de la chaîne de valeur et le groupe ORG (variables binaires) renvoie au changement d’organisation au sein des PME. Les deux derniers groupes concernent uniquement les entreprises manufacturières (347 PME) et reflètent les capacités des PME à mesurer des indicateurs liés à la redéfinition de la chaîne de valeur, pour le groupe PERF, et les performances des systèmes de production, pour le groupe SYST.

Démarche d’analyse

Notre démarche d’analyse se déroule en trois étapes. Tout d’abord, nous traitons l’ensemble de l’échantillon, dans le but d’identifier quelles sont les variables fortes de la création de valeur partagée dans un contexte PME. Nous définissons comme variables fortes, celles qui sont particulièrement mises en oeuvre par les PME. Pour les variables quantitatives, nous procédons à un calcul de moyenne et de médiane, pour les variables qualitatives à un calcul de proportion de « OUI ». Les variables fortes sont respectivement définies au-dessus d’une moyenne de 3,5 et d’une médiane de 4 pour les variables quantitatives, et d’un pourcentage favorable supérieur à 66 % pour les variables qualitatives. Après avoir déterminé les variables fortes, nous avons procédé à un calcul de khi2 d’indépendance entre ces dernières et les critères de spécificité des PME retenues. Quatre variables du questionnaire nous permettent de qualifier les PME en sous-groupes pour chaque critère comme suit : la taille des organisations (TAILLE) : moins de 10, moins de 50 et plus de 50 salariés; la dimension temporelle de la stratégie (STRAT) : court terme, moyen terme et long terme; la formalisation du système d’information et documentaire (SI) : formalisation faible, formalisation moyenne, formalisation forte; la formalisation stratégique (FORMSTRAT) : formalisation faible, formalisation moyenne, formalisation forte. Ces deux premières étapes nous permettent de tester les hypothèses H1.1, H1.2 et H1.3. Enfin, dans une dernière étape, nous réalisons des tests statistiques de comparaisons de moyennes et de proportions des variables entre deux sous échantillons : les PME qui font partie d’un réseau territorialisé, et celles qui n’en font pas partie. Le but de cette étape est de tester l’hypothèse H4.

Principaux résultats de l’Étude

L’objet des sections suivantes est de présenter les résultats relatifs aux trois leviers et à leur mise en oeuvre par les PME, puis de présenter les liens de dépendance entre les critères de spécificités des PME et les variables fortes et enfin de porter un éclairage particulier sur les pratiques du sous-échantillon des entreprises appartenant à un réseau territorialisé afin d’en observer l’incidence sur le renforcement mutuel des leviers.

Analyse descriptive pour l’échantillon complet des PME

Le traitement global des cinquante-huit variables retenues pour les trois leviers de la création de valeur partagée permet de souligner la faible propension des PME à mettre en oeuvre les pratiques nécessaires à l’utilisation de ces leviers. Ainsi, nous avons pour chacun des trois leviers une répartition des variables en trois groupes de pratiques, celles qui sont fortement mises en oeuvre par les PME, les pratiques moyennement utilisées, et enfin les pratiques peu existantes dans les PME.

Le traitement global des données donne un premier niveau de résultat descriptif et la mise en évidence de vingt-trois variables fortes relatives aux leviers de création de valeur partagée. Nous montrons ainsi que les PME ont une propension à mettre en oeuvre des pratiques leur permettant de repenser leurs produits/services ainsi que le marché, qui est plus importante que la redéfinition de leur chaîne de valeur. Nous soulignons également, que les PME ont une tendance importante à la prise en compte des enjeux territoriaux, mais que toutefois, cela ne s’explique pas nécessairement par le fait d’une intégration à un cluster local.

La proximité avec les parties prenantes plus importante que l’intégration dans un cluster local

Pour le premier levier, seules 39 % des PME font partie d’un réseau territorialisé (Variables POLE). Par ailleurs, seules les pratiques de la variable LOCAL2 (Tableau 1), c’est-à-dire le soutien à la formation et à l’emploi local sont mises en oeuvre par une majorité de PME.

Tableau 1

Variables du levier 1

Variables du levier 1

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Toutefois, la proximité que les PME entretiennent avec leurs parties prenantes explique qu’il n’est pas indispensable d’appartenir à un réseau territorialisé pour participer de manière significative au développement local.

Une forte prise en compte des clients et des impacts environnementaux pour repenser les produits/services et les marchés

Pour le deuxième levier, treize des vingt-huit variables sont considérées comme fortement mises en oeuvre par les PME (Tableaux 2 et 3).

Parmi ces variables, il est intéressant de remarquer que l’ensemble des variables du groupe VISION liées à la prise en compte des clients constitue un axe majeur de l’activité des PME. De l’ensemble des groupes de l’étude, il est le seul à avoir l’ensemble de ses variables mobilisées en PME. Les pratiques du groupe RED relatives à la prise en compte des impacts environnementaux dans les produits/services sont fortement présentes dans les PME, hormis la variable RED4, ce qui conforte l’idée selon laquelle le pilier environnemental est une voie d’entrée pour les PME dans la RSE. Le groupe de variables relatif aux axes d’innovation des produits et services montre que les PME sont largement tournées vers l’élargissement de gamme et le niveau de qualité (OBJ1 et OBJ3). S’agissant du groupe de variables PROD sur la reconception des produits/services, seules les variables PROD1 et PROD3 sont fortement utilisées par les PME. Enfin, le traitement global des données montre qu’aucune des variables des groupes CLIENT et INNOV ne sont majoritairement présentes au sein des PME de l’échantillon.

Une volonté d’intégration d’indicateurs relatifs à la chaîne de valeur

Le traitement des variables du levier 3 pour la population totale donne des résultats intéressants (Tableaux 4 et 5).

Pour le groupe ORG (changement d’organisation dans les PME), aucune de ces trois variables n’est fortement mise en oeuvre dans les PME. Parmi les variables relatives au système de production (SYST), seule SYST1 est une variable forte. Pour les pratiques liées à la diversification de la chaîne de valeur (DIV), les résultats montrent l’aptitude d’une majorité de PME à diversifier l’entreprise sur plusieurs secteurs d’activités (DIV1), à l’acquisition de nouveaux types de clientèles (DIV2) et enfin la mise en place de nouveaux partenariats (DIV4). Le dernier groupe de variables exploitées est celui des PERF qui reflète la capacité des entreprises à intégrer des indicateurs de mesure de performance liés à leur chaîne de valeur. Les variables PERF1 et PERF2 relatives à la gestion de la livraison client, ainsi que la variable PERF4 relative à la qualité produit sont fortement mises en oeuvre par les PME.

Analyse de la dépendance des critères de spécificités des PME et des variables fortes

En résumé, les PME ne mettent pas en oeuvre l’ensemble des pratiques qui renvoient aux leviers de la création de valeur partagée décrits par Porter et Kramer. Si pour les leviers 1 et 2, on dénombre une proportion importante de variables fortes, les hypothèses posées nous permettent de mettre en évidence la dépendance de ces dernières avec des critères de spécificité des PME. Plus les entreprises s’éloignent d’un profil de TPE, plus elles ont de chance de mettre en oeuvre les pratiques attendues pour les leviers et en particulier un haut niveau de formalisation. Pour le levier 3, les PME présentent peu d’aptitudes pour les pratiques qui y sont relatives. De surcroît, si les critères de spécificité sont moins marquants que pour les leviers 1 et 2, ils ont tous un minimum d’influence, à l’exception de la taille.

Tableau 2

Variables quantitatives du levier 2 pour la population totale et les deux sous échantillons : PME des réseaux territorialisés et PME hors réseaux territorialisés

Variables quantitatives du levier 2 pour la population totale et les deux sous échantillons : PME des réseaux territorialisés et PME hors réseaux territorialisés

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Tableau 3

Variables qualitatives du levier 2 pour la population totale et les deux sous échantillons : PME des réseaux territorialisés et PME hors réseaux territorialisés

Variables qualitatives du levier 2 pour la population totale et les deux sous échantillons : PME des réseaux territorialisés et PME hors réseaux territorialisés

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À partir des éléments du traitement global des variables qui montrent que seules certaines pratiques sont mises en oeuvre par les PME, nous nous intéressons à la relation pouvant exister entre ces variables et les critères spécifiques des PME retenus dans cette recherche, à savoir la taille, l’horizon temporel de la stratégie, le niveau du système d’information, et la formalisation de la stratégie (Tableau 6).

Tableau 4

Variables quantitatives du levier 3 pour la population totale et les deux sous échantillons : PME des réseaux territorialisés et PME hors réseaux territorialisés

Variables quantitatives du levier 3 pour la population totale et les deux sous échantillons : PME des réseaux territorialisés et PME hors réseaux territorialisés

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Tableau 5

Variables qualitatives du levier 3 pour la population totale et les deux sous échantillons : PME des réseaux territorialisés et PME hors réseaux territorialisés

Variables qualitatives du levier 3 pour la population totale et les deux sous échantillons : PME des réseaux territorialisés et PME hors réseaux territorialisés

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Ces critères permettent d’appréhender les PME selon un profil plutôt TPE ou ME, en fonction de leur positionnement à une extrémité ou une autre des continuum définis par Julien (Pacitto et al., 2008). Si nous insistons dans cette présentation des résultats sur les pratiques mises en oeuvre, nous notons que les liens de dépendance concernent 50 variables. Seules les variables POLE3, LOCAL1, LOCAL3, ABANDON, VISION3, OBJ2, OBJ5, PROD1, PROD4, DIV1, DIV3, PERF2, PERF6, SYST1 et SYST2 sont totalement indépendantes des critères de spécificités (Annexe 2).

L’impact partiel des spécificités organisationnelles sur la capacité d’intégration à un cluster local

Concernant le premier levier, l’incidence des critères de spécificité est trop éparse pour que nous puissions tirer comme conclusion l’existence d’un lien entre ces derniers et l’intégration d’une PME à un réseau local. La taille et la formalisation du système d’information jouent sur la prise en compte des actions relatives à la formation et l’emploi local (LOCAL2). L’unique variable forte du levier 1 n’est pas dépendante des deux derniers critères, la formalisation de la stratégie et sa dimension temporelle. Ainsi l’hypothèse H1 est partiellement réfutée.

Un système d’information incitant à repenser les produits/services et les marchés

Pour le levier 2, la taille des PME est là encore un critère de dépendance, mais uniquement sur les pratiques de VISION4, VISION6 et RED1, soit seulement trois variables sur les treize variables fortes.

Tableau 6

Dépendances des variables fortes et des critères de spécificités

Dépendances des variables fortes et des critères de spécificités

0 ‘***’ 0.001 ‘**’ 0.01 ‘*’ 0.05 ‘.’

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Les variables fortes du levier 2 sont fortement dépendantes du système d’information (SI). En effet, le système d’information influence dix des treize variables. Ce critère de spécificité influe sur l’ensemble des variables fortes de RED et de OBJ, ainsi que les variables de VISION en dehors de VISION3 et VISION4, et la variable PROD3. L’hypothèse H2.4 est validée : plus les PME ont un système d’information simple et moins elles sont à même de mobiliser les pratiques relatives au levier 2.

Les deux derniers critères de spécificité, l’horizon temporel de la stratégie et la formalisation de celle-ci n’ont un lien de dépendance qu’avec respectivement trois et deux variables fortes du levier 2. À titre d’exemple, le tableau 7 illustre la contingence entre le critère STRAT et la variable RED 3 (Tableau 7). Même si ces critères ont moins d’influence sur l’ensemble des variables que le système d’information, les hypothèses H2.2 et H2.3 sont validées.

Seules VISION3 et PROD1 sont des variables fortes indépendantes des critères de spécificité des PME retenues. À l’inverse, cinq variables sont dépendantes sur au moins deux des quatre critères, ce qui signifie que plus les PME sont marquées par leurs spécificités, moins il est aisé pour celles-ci de mettre en oeuvre des pratiques visant à repenser leurs produits/services et marchés.

Tableau 7

Contingence entre le critère STRAT et la variable RED 3

Contingence entre le critère STRAT et la variable RED 3

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Une redéfinition de la chaîne de valeur par une formalisation du système d’information et de la stratégie

Pour le levier 3, nous retenons huit variables fortes du traitement global. Ces huit variables ne sont pas liées à un critère de taille de PME, l’hypothèse H3.1 est réfutée. Le critère de spécificité de stratégie à court terme a une influence sur la variable PERF4 (capacité de mesurer la qualité du produit). Même si l’hypothèse H3.2 n’est pas réfutée, ce critère a néanmoins peu d’impact sur la capacité des PME dans l’utilisation des pratiques relatives au levier 3. Les autres critères de spécificité des PME expliquent davantage la mise en oeuvre des variables fortes. Ainsi de la formalisation de la stratégie dépendent les variables DIV2 et PERF4. Par ailleurs, la formalisation du système d’information influe sur les variables DIV4, PERF1, PERF3 et PERF4. Il est à noter que seize des vingt-deux variables que compte le levier 3 sont dépendantes du niveau de formalisation du système d’information des PME. Les variables fortes DIV1, PERF2 et SYST1 sont les seules pour le levier 3 à n’être dépendantes d’aucun critère de spécificité des PME retenues pour cette étude. Les hypothèses H3.3 et H3.4 sont validées.

Analyse des résultats pour les PME appartenant à un réseau territorialisé

Les PME dans leur ensemble laissent à penser qu’elles ont des prédispositions pour mettre en oeuvre les leviers de la création de valeur partagée. Si certaines de leurs pratiques semblent abonder dans ce sens, il n’en demeure pas moins que toutes ne paraissent pas en phase avec le concept de Porter et Kramer. Fort de ce constat sur l’échantillon étudié, il apparaît pertinent d’observer les résultats pour le sous-échantillon des entreprises appartenant à un réseau territorialisé, et d’observer également si comme l’écrivent Porter et Kramer (2011), les leviers de la création de valeur se renforcent mutuellement (H4).

Les résultats de nos traitements montrent que les deux groupes ne sont pas radicalement différents, et que les PME intégrées dans un réseau territorialisé ne sont peut-être pas plus disposées à la création de valeur partagée. L’hypothèse H4 est réfutée. Toutefois, certaines de ces PME présentent des particularités qui, peut-être, leur donneraient quelques facilités dans la mise en oeuvre des leviers décrits par Porter et Kramer (2011), comme nous le détaillons dans notre démarche analytique.

Une capacité à repenser les produits/services et les marchés faiblement influencée

Dans notre échantillon, 188 PME font partie d’au moins un réseau territorialisé, et 300 PME ne font pas partie d’un réseau territorialisé. Les pratiques relatives à la prise en compte des clients et des autres parties prenantes par les PME qui font partie d’un réseau territorialisé sont très sensiblement similaires à celles soulignées pour les PME dans leur globalité (Tableaux 2 et 3).

On identifie une vision fortement orientée vers les clients, une prise en considération des impacts environnementaux, mais aussi cette faible tendance à intégrer les clients dans les processus d’évolution de leurs produits et services. On constate cependant que les variables VISION5 et RED3 (p-valeurs 0,04 et 0,07 respectivement) différent sensiblement entre les deux sous échantillons. Si pour RED3, la moyenne est significativement supérieure pour les PME appartenant à un réseau territorialisé par rapport à celles n’en faisant pas partie, pour VISION5, le contraire est valide (Tableau 2). De la même manière, les axes d’innovation sur les produits/services ne sont pas identiques entre les deux sous échantillons puisque le test d’égalité des proportions pour les variables ABANDON et INNOV4 (p-valeurs 0,025 et 0,06 respectivement) montre une proportion de réponses positives plus importante dans les PME qui appartiennent à un réseau territorialisé (Tableau 3). Cela dit, il ne s’agit pas là de variables fortes, et malgré ce résultat, peu de PME de ce sous-échantillon mettent en oeuvre ces deux pratiques. Ces premiers résultats semblent relativiser le renforcement mutuel des leviers avancés par Porter et Kramer, mais qu’en est-il des pratiques liées à la redéfinition de la chaîne de valeur ?

Un renforcement relatif de la redéfinition de la chaîne de valeur

Comme pour le levier 2, les pratiques des variables quantitatives relatives à la chaîne de valeur sont pratiquement identiques entre les deux sous-échantillons (Tableau 4), à l’exception des variables SYST1 et SYST4 (p-valeurs de 0,08). En effet, la variable SYST4 a une moyenne significativement supérieure pour les PME appartenant à un réseau territorialisé par rapport à celles n’en faisant pas partie. En revanche, la variable SYST1 est une variable forte pour l’ensemble de la population, sa moyenne est significativement inférieure pour les PME qui font partie d’un réseau territorialisé, au point qu’elle ne constitue pas une variable forte de ce sous-échantillon.

S’agissant des variables qualitatives du levier 3, le test d’égalité des proportions indique des différences significatives pour les variables DIV3, DIV5, DIV6, ORG1, ORG2, ORG3 (p-valeurs égales à 0.08, 10-5, 0,02, 0,005, 0,02, 0,05 respectivement) (Tableau 5). Pour toutes ces variables, la proportion de réponses positives dans l’échantillon des PME appartenant à un réseau territorialisé est supérieure à celle qui n’appartiennent pas à un réseau territorialisé. Si ces résultats ne montrent pas de variables fortes propres aux PME qui font partie d’un réseau territorialisé, les variables DIV5, ORG2 et ORG3 témoignent d’une propension vraiment plus importante des PME de ce sous-échantillon à les mettre en oeuvre.

Discussion

L’objectif de cette étude est d’évaluer la pertinence du concept de création de valeur partagée (Porter, Kramer, 2006, 2011) dans un contexte PME. Au regard des résultats présentés, la « big idea » de Porter et Kramer (2011) n’apparait pas comme une évidence pour ce type d’organisations. Ce premier élément de discussion présente en soi un apport théorique qui s’inscrit dans une approche critique du concept de création de valeur partagée, à l’instar de Crane et al., (2014). De plus, la discussion des résultats de cette étude montre tout l’intérêt d’aborder la création de valeur partagée dans un contexte PME qui se présente comme une source de réflexion pour les travaux s’inscrivant autour de la RSE dans ces organisations (Courrent, 2012; Jenkins, 2006; Spence, 1999). Nous discutons d’abord de la pertinence des trois leviers de la création de valeur partagée dans un contexte PME à l’aune des résultats de notre étude (1). Ce premier niveau d’analyse nous permet d’appréhender la création de valeur partagée comme un objet d’appropriation pour les PME et de mettre en évidence les apports théoriques et managériaux de l’étude (2). Enfin, nous discutons des éléments relatifs au renforcement mutuel des leviers de la création de valeur partagée (3).

Pertinence du concept de création de valeur partagée en contexte PME

Comme mentionné au tout début de cet article, l’intégration à un cluster local n’est pas nécessairement une évidence pour les PME. Si l’on se réfère aux travaux de Porter et Kramer (2011), ce levier apparait comme étant celui qui est le plus tourné vers les grandes entreprises tel que souligné dans notre cadre théorique. Nous conviendrons que toutes les organisations, et en particulier les PME ne sont pas en mesure de mettre en oeuvre un tel levier. Toutefois, même si le lien entre les spécificités des PME et leur capacité à intégrer un cluster est faible, nous remarquons que la taille de l’entreprise et la formalisation de ses systèmes d’information externe et interne facilitent la mise en oeuvre de propositions de formation et d’offres d’emplois à la population locale. En dehors de cet aspect, les pratiques d’achats locaux et de soutien aux projets locaux, notamment associatifs et caritatifs qui sont particulièrement mis en oeuvre par les PME ne sont pas limitées par les spécificités des PME. Ces deux remarques nous permettent de relativiser la non-intégration des PME à un cluster local. En effet, si les PME restent dans des réseaux moins formalisés que des réseaux territorialisés de type pôle de compétitivité, cluster ou technopôle, ces organisations sont en capacité de participer à la création de valeur partagée sans s’inscrire dans le levier 1 tel que décrit par Porter et Kramer (2011). Ce constat rejoint les travaux de Murillo, Lozano (2006) sur la charité locale.

Concernant le deuxième levier de la création de valeur partagée, la capacité que les PME ont à repenser leurs produits/services et marchés est, là encore, en partie réfutée. Pourtant, à partir de notre cadre théorique, l’hypothèse de départ était justement de supposer que les spécificités des PME n’étaient pas un frein pour ces dernières dans l’utilisation de ce levier. Ainsi, nous avons mis en évidence que les PME de notre échantillon mettent en oeuvre treize pratiques de manière importante. Sur ce plan, nous remarquons ainsi que les PME, indépendamment de leurs spécificités, sont capables de mettre en oeuvre VISION3, PROD1 et dans une moindre mesure VISION4, OBJ1 et PROD3, cinq pratiques importantes visant à repenser leurs produits et services. De la même manière, nous avons souligné dans les résultats que la taille des entreprises en dehors de trois des treize pratiques fortement mises en oeuvre par les PME, ne constituaient pas un facteur limitant. Ce résultat vient nuancer l’approche d’un facteur taille comme clé de compréhension de la structure de ce type d’organisations (Torrès, 1997). Il en va de même pour le niveau de formalisation de la stratégie et la vision temporelle de celle-ci dont dépendent respectivement trois et deux pratiques fortes relatives à ce levier de la création de valeur partagée. En revanche, le niveau de formalisation des systèmes d’information interne et externe des PME intervient fortement dans la capacité que ces organisations ont à mettre en oeuvre dix des treize pratiques relevées. Ce constat corrobore les travaux de Levy et Powell (1998).

Pour le dernier levier de la création de valeur partagée, la capacité à redéfinir sa chaine de valeur, les conclusions sont similaires à celles du levier précédent. La taille des organisations n’intervient pas comme un facteur limitant des pratiques fortes liées ce levier. La formalisation de la stratégie et son horizon temporel ne viennent conditionner que respectivement une et deux pratiques. Les pratiques DIV1, PERF2 et SYST1 sont mises en oeuvre par tous types de PME, et dans une moindre mesure DIV4. Cela dit, c’est de nouveau le niveau de formalisation des systèmes d’information qui est un facteur limitant, car quatre des huit pratiques fortes relatives à ce levier sont plus aisément mises en oeuvre par des PME dont le système d’information est formalisé (Levy, Powell, 1998). Néanmoins, sur l’ensemble des pratiques liées à ce levier, nous n’en avons retenu que huit particulièrement usitées au sein des PME. Ce faible nombre de pratiques, fait de ce levier celui qui est le moins mobilisé par les PME. Malgré ces résultats qui tendent à montrer la pertinence du concept de création de valeur partagée pour les PME, il se pose pour ces organisations la question du pouvoir sur leur chaîne de valeur.

La création de valeur partagée, un objet d’appropriation pour les PME

La discussion relative à la capacité que les PME ont à mettre en oeuvre les leviers de la création de valeur partagée à l’aune de leurs spécificités est source de riche réflexion sur les pratiques RSE dans le contexte de ces organisations. Ainsi, pour ce type d’entreprises, la création de valeur partagée présente l’intérêt d’ouvrir sur plusieurs approches possibles du concept dans un contexte PME. Sur un plan praxéologique, les PME peuvent adopter une posture originale visant à se réapproprier le concept tout en s’en inspirant, par exemple en privilégiant une réflexion autour de leur sphère d’influence, plutôt que centrée sur la chaîne de valeur. Cette approche originale de l’intégration stratégique de la RSE a une visée pragmatique, les PME peuvent en effet s’appuyer sur la réflexion de Porter et Kramer (2006, 2011), tout en s’affranchissant de conclusions trop orientées vers les grandes entreprises. Une approche alternative envisageable consisterait pour les PME à travailler sur les pratiques limitées par leurs spécificités. Nous l’avons souligné, ce n’est ni la taille des organisations, ni la formalisation de leur stratégie et sa vision temporelle qui freinent la capacité des PME dans la mise en oeuvre des pratiques relatives aux leviers de la création de valeur partagée. Aussi, et sans conduire à une dénaturation des PME (Torrès, 1999), dans la mesure où cela s’inscrit toujours dans les continuums de Julien (1994), ces dernières peuvent travailler sur la formalisation de leur système d’information dès lors qu’il conditionne fortement les pratiques les plus importantes de la création de valeur partagée pour ces organisations. Bien sûr, une approche mixte, croisant à la fois un travail sur l’organisation des PME, et une réappropriation du concept par celles-ci s’avère pertinente.

Finalement, et dans la continuité de l’approche par continuum de Julien (1994), les résultats de l’étude ne nous permettent pas d’établir une typologie de PME plus à même de mettre en oeuvre la création de valeur partagée que d’autres. En effet, les pratiques les plus utilisées par les PME sont réparties de manière hétérogène au sein de l’échantillon, de sorte que nous ne puissions pas déterminer des PME habiles pour la mise en oeuvre de la création de valeur partagée pour reprendre les termes de Barzi (2011).

De ces apports théoriques découlent plusieurs apports managériaux. De manière descriptive, nous identifions dans cette étude, les pratiques les plus intéressantes pour les PME dans la mise oeuvre des leviers de la création de valeur partagée. Citons entre autres la capacité des PME à concevoir des produits/services orientés vers la satisfaction des clients, la flexibilité de leur système de production leur permettant d’ajuster les volumes et les caractéristiques des produits, ou encore la diversification de l’entreprise vers de nouveaux secteurs d’activités. Nous montrons également les pratiques que les PME ont intérêt à travailler, car elles demandent un investissement limité, et correspondent presque à tous les types de PME sur les continuums de Julien (1994).

Une influence relative des réseaux territorialisés

Par ailleurs, cette étude soulevait une seconde interrogation, celle-ci s’inscrivant également dans une posture critique vis-à-vis du concept de Porter et Kramer. Il s’agissait de savoir si l’intégration des PME à un réseau territorialisé avait une influence sur leur capacité à mettre en oeuvre les deux autres leviers de la création de valeur partagée. L’étude permet de constater que si certaines PME appartenant à un réseau territorialisé sont remarquables par leur orientation vers l’innovation, il n’y a pas de différence suffisamment significative entre les deux sous-échantillons pour conclure à un renforcement mutuel entre les leviers, comme le présupposent Porter et Kramer (2011). Par conséquent, l’hypothèse H4 est donc réfutée.

Cette homogénéité entre les PME montre que la capacité à actionner les leviers relatifs aux produits/marchés et à la chaîne de valeur ne se situe pas dans l’appartenance à un réseau territorialisé. Pour autant, la bulle phénoménologique (Courrent, Torrès, 2005) à la fois subie et provoquée par les PME, source d’avantages, mais aussi d’inconvénients, permet au travers de différentes formes de proximités, notamment géographique et organisationnelle d’expliquer que les effets attendus au sein d’un réseau territorialisé, se retrouvent aussi pour les PME qui en sont étrangères. À l’inverse, des organisations plus importantes, multi-sites, ayant un actionnariat ouvert ont peut-être plus intérêt à intégrer un réseau territorialisé dans une recherche de création de valeur partagée comme l’affirment Porter et Kramer (2011). Autrement dit, les réseaux territorialisés ne présentent finalement peut-être pas autant d’avantages pour les PME (Martin, Sunley, 2003).

Conclusion 

Finalement, cette étude est porteuse de contributions théoriques et managériales. Sur le plan théorique, le fait d’aborder le concept de création de valeur partagée dans un contexte PME, nous permet de démontrer la pertinence du concept pour ce type d’organisations. Nous mettons également en évidence l’intérêt d’approches particulières du concept par les PME, soit par une appropriation de la création de valeur partagée par ces dernières, soit par un travail de formalisation de leurs systèmes d’information interne et externe. Enfin, cette étude en testant l’assertion de Porter et Kramer (2011) selon laquelle la présence des organisations au sein d’un réseau territorialisé favorise les autres leviers de la création de valeur partagée, montre que, dans un contexte PME, il n’y a pas de renforcement mutuel des leviers. Sur le plan managérial et dans la continuité des contributions théoriques, nous soulignons les pratiques que les PME peuvent facilement mettre en oeuvre dans une recherche de création de valeur partagée, et celles sur lesquelles un travail est à réaliser.

Pour autant, ce travail de recherche connaît des limites, les résultats méritent d’être nuancés au moins à deux niveaux. L’ensemble des PME qui composent notre échantillon fait partie d’une région dont le contexte est particulier du fait du soutien de la région pour l’innovation : pôles de compétitivité, clusters, nombre important de laboratoires publics (Région Rhône-Alpes, 2013), ce cadre a peut-être estompé les différences entre PME appartenant à un réseau territorialisé et les autres. Une étude comparative avec une autre région française pourrait révéler des disparités plus importantes entre les PME. De plus, notre étude s’attache à observer les différences entre PME faisant partie ou non d’un réseau territorialisé, nous nous plaçons donc dans une approche statique. Or, selon Porter et Kramer (2011), l’intégration à un cluster comme un levier de création de valeur partagée est associée à l’idée d’une trajectoire pour l’entreprise, d’un changement qui ne peut être observé que dans une approche dynamique.

Ces limites sont autant de perspectives pour de futures recherches. Ainsi, nous pouvons supposer qu’un renforcement des leviers de la création de valeur partagée serait plus marqué lors de l’intégration d’une PME à un réseau territorialisé, ce qui suppose la mise en oeuvre d’une analyse dynamique en matière de trajectoires. De la même manière, notre étude ouvre le débat sur la pertinence du concept de création de valeur partagée dans un contexte PME. Il pourrait être pertinent d’observer des PME reconnues pour leurs actions, si leurs pratiques font écho au concept de Porter et Kramer.