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Alors que l’articulation entre les leviers économiques et sociaux de la performance des organisations constitue un objet central d’investigation scientifique, la question de la diversité s’est progressivement érigée en problématique sociétale et paradigme d’action. Introduite en France à la faveur d’un saisissement par les hautes sphères patronales (Bébéar, 2004; Sabeg & Mehaignerie, 2004), elle a été rapidement relayée par les sphères professionnelle, associative (Charte de la Diversité, IMS Entreprendre pour la Cité, A.N.D.R.H., A.F.M.D…) et académique (Peretti, 2007; Barth & Falcoz 2007; Barth & Falcoz, 2010). Répondant à un impératif de développement éthique, le lancement de ces programmes d’action positive s’est inscrit dans la filiation des réflexions rawlsiennes sur l’équité et la justice sociale ainsi que dans un mouvement de fond destiné à lutter contre les discriminations et à promouvoir l’égalité des chances dans le champ professionnel (Laufer, 2009). Au final, les organisations sont donc appelées à conjuguer une fonction productive, de nature économique, avec une mission intégratrice, d’estampille sociale, en (re)devenant des espaces privilégiés où se joue une partie du rituel républicain d’intégration (Sabeg & Mehaignerie, 2004; Bruna, 2011a). Erigée en norme, la diversité a fait l’objet d’une institutionnalisation matérialisée par l’introduction de dispositifs de labellisation reconnus par les autorités publiques.

Si la notion de diversité interpelle, c’est qu’elle mène à un triple questionnement à la fois notionnel (contenu et frontières du concept de diversité), procédural (formes des dispositifs pro-diversité) et vocationnel (finalité des politiques de diversité). Elle demeure, néanmoins, un sujet difficile à aborder puisqu’elle se situe à l’orée du juridique (lutte contre les discriminations et les inégalités de traitement), du politique (mise en place de conditions propices à la réalisation de l’égalité des chances entre tous les citoyens) et du sociétal (impératif de cohésion sociale).

Malgré tout, les implications économiques potentielles d’une diversification du profil des collaborateurs, et notamment des cadres, font l’objet d’une attention croissante tant dans le champ académique que professionnel. Aussi est-il désormais courant d’associer, parfois un peu hâtivement, les concepts de diversité et de performance, tant dans les discours publics que dans la rhétorique managériale. C’est pourquoi interroger scientifiquement le lien entre valorisation de la diversité et performance implique, de prime abord, de dépasser une perspective purement éthico-sociale pour se focaliser sur une analyse intégrant la diversité - soit-elle d’âge, de genre, d’origine ou de condition - parmi les ressources mêmes de l’organisation. En d’autres termes, cela appelle à reconnaître que des facteurs extra-économiques peuvent exercer un impact significatif sur la performance : la diversité des collaborateurs, de leurs modes de socialisation, des structures de coopération interne (Dameron, 2004) et des modes de management mobilisés seront autant de facteurs identifiables. Pourtant, malgré la pluralité d’études consacrées à la question, nul consensus n’a pu se dégager quant à l’articulation entre la diversité sociologique des personnels et la performance des équipes et des entreprises auxquelles ils appartiennent. L’objectif premier de cet article est donc d’interroger les notions de diversité et performance en tant que construits socio-historiques se caractérisant par une polysémie et une polyvalence certaines.

S’appuyant sur une revue de la littérature explorant l’impact de la diversité sur la performance des organisations sur la période 1990-2010, ce document cherche également à éclairer l’hétérogénéité des conclusions des études empiriques à la lumière de paradigmes théoriques multiples, notamment la Resource-Based-View, la Théorie de la dépendance aux ressources, la Théorie de l’identité sociale et les Critical Management Studies. Bien que les résultats d’études empiriques testant l’impact d’une ou plusieurs dimensions de la diversité sur la performance des organisations brillent par leur hétérogénéité comme le dévoilent les méta-analyses de Jackson et al. (2003) et McMahon (2010), un début de convergence se fait jour entre chercheurs en stratégie et GRH quant à l’importance de la diversité en tant que facteur potentiel et conditionnel d’accroissement de la performance des entreprises.

Au croisement des apports de la littérature et de recherches empiriques en cours, s’appuyant aussi sur la fréquentation régulière des entreprises partenaires de la Chaire « Management et Diversité » de la Fondation Dauphine et de l’Association Française des Managers de la Diversité, cet article met en relief l’effet modérateur des dimensions temporelles, culturelles et managériales et relationnelles dans la transmutation de la diversité des équipes en levier de performance économique.

Rappels des notions de diversité et de performance

En tant que construits sociaux soumis à des requalifications continues, les concepts de diversité et de performance ne sauraient se plier à une unité de définition ni une unité de mesure. Afin de mieux cerner ces concepts polysémiques et polyvalents, il s’avère indispensable de revenir sur leur usage au sein de la littérature académique.

Définition de la diversité

Notion de plus en plus mobilisée tant dans la sphère professionnelle, politique, scientifique ou associative, la diversité s’avère pourtant dépourvue d’une définition universelle. Cette absence de convergence conceptuelle de la diversité est illustrée par la pluralité des définitions qui lui sont, tour à tour, affublées : les caractéristiques susceptibles de la qualifier (ethnie, nationalité, genre, handicap, âge…) ainsi que les politiques mises en oeuvre en vue de la promouvoir dépendent fortement du secteur d’activité de l’organisation, de son environnement, de sa taille, de sa stratégie, de sa culture… Alors comment penser le management de la diversité en entreprise ?

Si l’on suit le sens commun, manager la diversité consiste dans le déploiement de dispositifs appelés à intégrer et faire coopérer de manière efficace des individus présentant des caractéristiques sociologiques différentes. Concept apparu aux Etats-Unis aux débuts des années 1990 pour contrer les critiques adressées aux politiques d’égalité des chances et d’affirmative action (Kelly & Dobbin, 1998; Bender & Pigeyre, 2004), la notion de diversité renvoie en fait à trois phénomènes macro-sociaux majeurs (Cornet & Warland, 2008) :

  1. la différentiation croissante de la clientèle et des usagers impliquant pour les entreprises un effort accru en matière d’identification, compréhension et traitement de leurs exigences;

  2. la diversification croissante de la main-d’oeuvre sur le marché de l’emploi allant de pair avec un environnement institutionnel, social et économique de plus en plus complexe;

  3. la diversification (en termes de genre, d’âge, d’origines, de culture, de conditions) du profil des travailleurs à l’intérieur des organisations.

Derrière ce foisonnement d’éléments constitutifs de la diversité se cache une difficulté réelle à appréhender les frontières de ce concept à la fois problématique et en perpétuelle renégociation (Haas & Shimada, 2010). Globalement, la diversité renvoie à la différence telle qu’elle est perçue et traitée au sein d’un collectif. Tantôt analysée sous le prisme de la séparation ou de la disparité, la diversité est le plus souvent perçue comme synonyme de variété (Harrison & Klein, 2007).

A cet égard, cette notion devrait être envisagée au travers de la notion d’altérité, renvoyant au saisissement et à la reconnaissance d’autrui dans son intarissable et irréductible singularité.

Définition de la performance

La performance s’affirme comme l’un des concepts-clés du management des organisations. A ce titre, elle affiche une pluralité de définitions selon que l’on s’intéresse à sa dimension individuelle ou collective, économique ou sociétale, politique ou systémique. Finalement, le concept de performance figure parmi les notions les plus abstraites et floues de la littérature académique organisationnelle, à tel point que certains auteurs s’interrogent même sur la possibilité de la définir (Bourguignon, 1995; Gauzente, 2000). Or, l’étape définitionnelle s’avère indispensable pour penser, mesurer, mais aussi évaluer les impacts de la diversité sur l’efficacité et l’efficience des équipes. Historiquement et contextuellement situé, ce concept est, de plus, sans cesse ré-envisagé et renégocié.

Lorsque l’on croise les principaux travaux scientifiques consacrés à l’articulation entre diversité et performance des équipes, c’est la perspective économique de la performance qui est abordée de façon majoritaire (Caby et al., 1996). Or, appréhender les effets de la diversité sur les organisations appelle à dépasser une perspective purement financière de la performance. Toute une littérature adopte ainsi une approche sociale de la performance : elle s’intéresse principalement aux dimensions humaines de l’organisation. La morale et la cohésion y sont considérées comme primordiales et essentielles, et donc privilégiées au sein de l’entité considérée. Dans cette perspective, l’atteinte des objectifs sociaux s’avère le préalable et la condition principale de réalisation des objectifs économiques et financiers (Gauzente, 2000).

L’approche systémique de la performance, quant à elle, met au centre du débat l’harmonisation ainsi que la pérennité des sous-systèmes d’une entreprise. Dans cet environnement, les capacités de l’organisation sont mises en valeur et la performance est alors définie comme « le degré auquel une organisation, en tant que système social disposant de ressources et moyens, remplit ses objectifs sans obérer ses moyens et ressources et sans mettre une pression indue sur ses membres. » (Georgopoulos & Tannenbaum, 1957).

Enfin, la perspective politique de la performance (Morin et al., 1994) met en avant une optique beaucoup plus relativiste où aucune référence absolue n’est identifiable et où tout individu peut avoir ses propres critères pour juger la performance d’une organisation. L’appréciation de la performance (donc son évaluation tant qualitative que quantitative) se fait alors à la fois discrétionnaire et non-universellement généralisable.

De ce foisonnement définitionnel ayant trait aux notions de diversité et de performance découle la nécessité de développer un prisme analytique dual à même de faciliter l’appréhension des résultats multiples et contradictoires auxquels aboutissent les recherches empiriques consacrées à cette problématique. En effet, un jeu dialectique de binômes constitue l’un des principaux outils de considération de la performance qui est utilisé dans les études académiques interrogeant le lien entre diversité et performance : économique/sociétale; financière/commerciale; efficacité/efficience; court-terme/long-terme. Identifier ces différents binômes s’avère être un préalable méthodologique important afin de saisir et expliquer les résultats contrastés de ces différentes études.

Théories mobilisables pour appréhender le lien performance-diversité

Malgré l’absence d’une unité définitionnelle des notions de diversité et de performance, de nombreux auteurs ont tenté de les associer en se penchant sur la relation diversité-performance. Pour ce faire, ils ont mobilisé des modèles théoriques différents tels que la Resource-Based View, la théorie de la dépendance aux ressources, la théorie de l’identité sociale ou des perspectives inspirées des Critical Management Studies.

La « Ressource-Based View »

Extension de la théorie classique des avantages comparatifs, la Ressource-Based-View (Penrose, 1959) confie au management la tâche d’identifier et d’exploiter au mieux les ressources et les compétences, les forces et les faiblesses de chaque organisation afin d’en optimiser la performance (Tywoniak, 1998). Dans cette approche, les différences de performance sont principalement expliquées au regard de la capacité de l’organisation à identifier, mobiliser et développer un portefeuille de ressources-clés (Hansen & Wernerfelt, 1989). Dans un cadre hautement concurrentiel, promouvoir une politique de diversité reviendrait pour l’entreprise à élargir son sourcing à des collaborateurs au profil atypique (femmes, étrangers, personnes issues des minorités ethniques et/ou culturelles, handicapés…) et, de facto, à augmenter sa probabilité d’attirer à elle les ressources humaines et les compétences les plus pertinentes.

La Resource-Based-View souligne ainsi la dimension créatrice de valeur propre à la diversification (ethnique, culturelle, sociale, de genre, d’âge…) des équipes. Et cela, aux dépends d’une analyse des risques (condamnation pour discrimination, déperdition d’image alors même que la diversité a été érigée en norme collectivement appropriée) qui pourtant constitue l’un des mouvants essentiels de la politique diversité des organisations. De surcroit, la Resource-Based-View, dans ses modèles les plus étroits, ne permet pas de cerner un des motifs essentiels de promotion d’une politique diversité : la légitimation de l’entreprise. Or, comme le souligne la théorie de la construction de la légitimité, « le management de la diversité peut être un levier dans une stratégie de légitimation de l’entreprise auprès de ses parties prenantes » (Barth et Falcoz, 2007, p.275) au travers d’un processus de triple légitimation morale, pragmatique et cognitive (Suchman, 1995; Barth, 2007). C’est ainsi que la diversification des équipes peut constituer un message adressé aux parties prenantes de nature à accroître la légitimité de l’entreprise, à améliorer sa réputation et sa confiance et, par ricochet, accroître son attractivité et donc sa performance.

Théorie de la Dépendance aux Ressources

S’inscrivant dans le prolongement des théories de la contingence, la Théorie de la Dépendance aux Ressources considère les organisations comme des « systèmes ouverts » (Scott, 2003) dont il est impossible de comprendre les comportements ou la structure sans prendre en considération le contexte dans lequel elles évoluent. Ces dernières cherchent donc à s’adapter à leurs environnements pour d’abord assurer leur survie, puis améliorer leur situation (Pfeffer & Salancik 1978). La performance d’une organisation est perçue comme dépendant du niveau de ressources fournies par l’environnement extérieur; elle est appréciée principalement à la lumière du critère d’efficacité, et non pas d’efficience. De manière similaire aux doctrines institutionnelles, cette théorie suggère l’adoption d’une politique d’aménagement professionnel pour retenir les employés et attirer les candidats les plus prometteurs (Milliken et al., 1998). La diversification du profil des collaborateurs est alors perçue comme pouvant contribuer à en accroître la productivité, ce qui aurait une incidence positive sur la performance (Arthur & Cook, 2003).

Néanmoins, la Théorie de la Dépendance aux Ressources met surtout en relief la dépendance de l’entreprise à l’égard de ressources fournies par l’environnement extérieur. Or, la diversité n’est pas seulement une donnée exogène à l’entreprise propre à l’environnement social et sociétal dans lequel elle évolue. Elle constitue aussi une réalité endogène à l’organisation puisqu’elle renvoie au rassemblement d’individus aux profils sociologiques, appartenances et fonctions différents.

Théorie de l’identité sociale

La Théorie de l’identité sociale (Tajfel & Turner, 1986) propose des instruments de pensée, in primis la catégorisation sociale et la comparaison entre groupes, destinés principalement à élucider les processus d’identification sociale et d’affiliation des individus. Selon cette théorie, l’appartenance des individus à un groupe découlerait d’un double processus d’auto-positionnement d’un individu au sein d’un groupe social institué, et de la reconnaissance extérieure de son appartenance à cette instance d’affiliation.

Cependant, la Théorie de l’identité sociale repose sur des présupposés sociologiques (homophilie des acteurs, rassemblement groupal basé sur une recherche d’endogamie…) qui enferment finalement les stratégies relationnelles des acteurs dans une logique quelque peu binaire. Ainsi, cette théorie ne conçoit l’identité d’un individu qu’en rapport à ses appartenances. A l’inverse de la sociologie néo-structurale où l’acteur-stratège est assimilé à un marginal-sécant ou à un poly-statutaire (Lazega, 2008, 2011), l’individu n’est présenté dans la Théorie de l’Identité Sociale que comme étant le prisonnier de choix relationnels contraints, souvent binaires.

Critical Management Studies

Les théories critiques cherchent à remettre en cause l’idéologie contemporaine du capitalisme, ses processus de domination à travers la déformation de la connaissance. Elles poursuivent l’émergence d’une connaissance émancipatrice permettant aux individus de conscientiser et de décortiquer les situations de domination et de répression, pour mieux les contrer. Dans ce cadre, des caractéristiques structurelles de la société contemporaine telles que la recherche impérative du profit, la patriarchie, les inégalités sociales, les discriminations raciales et l’irresponsabilité écologique induiraient les organisations à se comporter comme des instruments de domination et d’exploitation. Le but des Critical Management Studies est donc de permettre le développement d’interprétations critiques et de proposer des alternatives radicales (CMIG, 2012).

Dans l’optique de la diversité au travail, les théories critiques identifient l’existence de centres et de périphéries dans l’expression du pouvoir organisationnel. A savoir, la reconnaissance d’identités considérées comme étant centrales ou marginales (Meyerson & Scully, 1995). A cet égard, la diversité peut être « résistée » et le pouvoir récupéré ou retiré par les personnes le détenant au travers de stratégies telles que la cooptation, la marginalisation ou la « poudre aux yeux » (Jones & Stablein, 2006). Ce mouvement constant de résistance entre individus centraux détenteurs du pouvoir et individus marginalisés amène à inscrire l’appréhension des différences au sein des organisations dans une dimension politique (par le biais de pratiques de management proches des théories radicales du post-colonialisme ou des problématiques anti-racistes ou féministes). Dans cette optique, Humphries et Grice (1995) appréhendent la diversité comme une problématique certes séduisante mais fondée sur l’exploitation, notamment commerciale comme le révèle l’étude de cas de Subeliani & Tsogas (2005) portant sur la Rabobank, des individus dits « marginalisés ».

Cette conception de la diversité reste rigoureusement centrée sur la structure de pouvoir au sein des organisations. Or, les théories critiques sollicitées s’appliquent surtout aux relations de genre ou inter-ethniques au travail, plus qu’aux autres formes de diversité. De plus, au sein de la structure organisationnelle, il convient de distinguer le pouvoir fort (pouvoir de contrôler l’allocation de ressources dans les organisations) du pouvoir souple, de fait plus en rapport avec le management de la diversité. On qualifie de pouvoir souple un pouvoir symbolique tiré de la possession d’un patrimoine de savoirs légitimes, jamais remis en cause et tenus pour acquis, ayant trait à un comportement décrit comme naturel car, plus ou moins consciemment, approprié et/ou autorisé par les autres individus de l’organisation (Kossek et al., 2006).

Au final, on constate que, en tant que construits sociaux soumis à des requalifications continues, les concepts de diversité et de performance ne sauraient afficher ni une unité de définition ni une unité de mesure. C’est pourquoi le lien entre ces deux notions ne saurait être ni univoque ni mono-orienté. Les théories présentées ci-dessus ne pouvant rendre compte de l’éventail de facteurs historiques, contextuels et situationnels à même d’influencer cette relation, on comprend mieux l’hétérogénéité des conclusions auxquelles aboutissent les nombreuses études empiriques testant l’impact de la diversité sur la performance.

Diversité-performance, une articulation à penser, des tests non-convergents

L’existence, la significativité et le sens de la relation entre diversité des équipes et performance sont loin d’être évidents, systématiques ou univoques. Aussi, comme le rappellent Ely et Thomas (Ely & Thomas, 2001), nombre d’études académiques abordant l’impact d’une forme particulière de diversité (l’ethnicité, l’origine culturelle, le genre) sur la performance aboutissent à des conclusions non-convergentes.

La dimension contextuelle des implications de la diversité sur la performance

Bien qu’une certaine littérature managériale s’appuyant sur la Théorie des Ressources et des Compétences (Thomas, 1991; Morrison, 1992; Cox, 1993) plaide en faveur de la reconnaissance de l’impact significatif et positif de la diversité, notamment culturelle, sur l’efficacité des groupes de travail, les recherches empiriques s’avèrent moins optimistes et concluantes. Et ce car, en tant que construits sociaux, les notions de diversité et de performance sont fortement dépendantes des contextes historiques dans lesquels elles émergent, évoluent et se diffusent. Ces concepts sont sans cesse remodelés au gré des rapports de force et des acteurs engagés dans leur définition et mobilisation. Aussi font-ils l’objet d’une requalification continue qui en traduit l’historicité et la contextualité intrinsèques.

L’appréciation de l’articulation entre diversité et performance implique dans un premier temps d’appréhender un ensemble de conditions pouvant modérer l’impact de la première sur la seconde - dimensions conjoncturelles, contextuelles, temporelles et organisationnelles - (Ely & Thomas, 2001; Bender & Pigeyre, 2004; Belghiti & Rhodain, 2001; Cornet & Delhaye, 2006; Landrieux-Kartochian, 2007; Peretti, 2007; Hermont & Joras, 2007). De par cette multi-dimensionnalité des notions de diversité et de performance, nombreuses sont les études qui mettent en relief l’existence d’effets balancés, tantôt positifs tantôt négatifs, d’une diversification des équipes sur leur performance. Face à ces conclusions, un constat s’impose : le contexte s’avère crucial pour déterminer la nature de l’impact de la diversité sur la performance. Car si la diversité est de nature à exercer une influence sur la performance des organisations, cet impact doit être apprécié au regard du contexte institutionnel, économico-social et organisationnel de l'entité étudiée. Au final, si la diversification des équipes constitue une ressource stratégique pour les organisations, elle ne constitue un avantage concurrentiel que si elle s’intègre dans une politique de responsabilisation sociétale (Igalens & Joras, 2002).

Dans ce cadre, faire du développement d’une politique globale de diversité (Özbilgin & Tatli, 2008) un processus créateur et non une invention dogmatique (Alter, 2005) invite à l’insérer dans une dynamique sociale de signification et d’appropriation collectives. Cela appelle ainsi à intérioriser la politique diversité dans le patrimoine réglementaire et processuel de l’organisation, ce qui passe par son institutionnalisation, une remise en question des croyances initiales et une inversion normative. Inscrire une politique diversité dans une dynamique créative invite à édicter de nouvelles normes au regard de la nouveauté organisationnelle que représente la promotion de la diversité ainsi qu’à adopter une perspective d’amélioration continue. Ainsi, seul le développement d’une politique de diversité globale et transversale (Özbilgin & Tatli, 2008) à la fois intégrée (pilotage centralisé) et collectivement portée (décentralisation opérationnelle) peut stimuler la performance.

Nombre d’organisations renoncent néanmoins à porter des politiques diversité globales (Pitts, 2005, Jackson et al., 2003, Cox & Blake, 1991) car jugées trop engageantes. Comme l’atteste une étude empirique menée dans le secteur bancaire hollandais par Subeliani & Tsogas (2005), ces organisations se contentent alors de politiques diversité sectorielles, promulguées uniquement dans le but d’accroître l’attractivité de l’entreprise auprès d’un secteur particulier (dans le cadre de cette étude de cas, les clients d’origine étrangère) plutôt que pour améliorer la qualité de la vie professionnelle et les perspectives de carrière de leurs employés issus des mêmes minorités ethniques. L’impact bénéfique de la politique diversité s’avère ici sectoriel (rentabilité financière et diversification « locale » des bas échelons hiérarchiques), ne contribuant finalement qu’à développer une stratégie d’affichage de la « responsabilité sociale » de l’entreprise sans améliorations en son sein de la position des employés issus de minorités ethniques. C’est donc bien l’objectif spécifique de la politique diversité qui détermine son impact effectif sur l’épanouissent professionnel des collaborateurs (Subeliani & Tsogas, 2005). Si la démarche diversité n’est orientée que marketing, elle sera de nature à accroître la performance économique de l’entreprise tout en renforçant le phénomène de plafond de verre en son sein.

Diversité, cohésion et performance des équipes

Bâtir l’unité organique d’une entreprise à la fois respectueuse des singularités et soucieuse de sa cohésion nécessite un changement de paradigme destiné à appréhender la diversification comme le fruit de processus sociaux, politiques et économiques. Transmuer la diversité des équipes en levier de performance économique implique alors de prendre le temps d’accompagner ce changement perspectif et processuel, de ressouder l’organisation autour d’une culture inclusive, d’un partage normatif, d’un mode de management responsable et d’un leadership transformatif.

S’appuyant sur 24 études empiriques, la méta-analyse de Webber & Donahue (2001) interroge l’impact de différentes dimensions de la diversité sur la cohésion et la performance d’équipes de travail. Allant à l’encontre des résultats des dernières études sur le sujet (Milliken & Martins, 1996), les auteurs observent que la diversification des équipes n’influe pas réellement sur leur cohésion et leur performance. La spécificité de leur recherche consiste en la distinction de la diversité professionnelle en attributs mesurant le degré d’expériences, de compétences et de perspectives pertinentes en rapport aux activités cognitives recquises par la fonction excercée.

Ce degré de job-relatedness (relationnalité au travail) distingue les différentes formes de diversité au regard de critères fonctionnels, d’éducation ou de parcours professionnel plutôt que de critères démographiques ou de nationalité : ces attributs s’avèreraient, selon les auteurs, bien plus pertinents en vue d’éclairer l’activité d’un groupe de travail et la performance de ses membres. Or, malgré la mobilisation d’une taxonomie originale fondée sur le degré de job-relatedness, les auteurs n’identifient aucun impact de la diversité sur la cohésion ou la performance du groupe. Ils avancent un certain nombre d’arguments pouvant expliquer ces résultats.

L’influence modératrice du temps est notamment évoquée. Plus spécifiquement, la longévité du groupe de travail pourrait modérer la relation entre des groupes ayant une faible diversité en termes de job-relatedness et la cohésion de ces mêmes groupes. Il a déjà été démontré (Harrison et al., 1998; Watson et al., 1993) qu’avec le temps, les aspects négatifs généralement associés à la diversité décroissent considérablement car les individus apprennent à se connaitre et acquièrent une meilleure compréhension de leurs différences au sein du groupe.

Dans une perspective similaire basée à la fois sur la relation entre la diversité démographique et cognitive des équipes et sur les effets réciproques de la diversité sur la performance des organisations, Kilduff et al. (2000) montrent que les membres des équipes hautement performantes tendent à présenter une multiplicité d’orientations interprétatives en début du cycle de vie de l’équipe. Puis, au fur et à mesure du murissement de l’équipe, autrement dit qu’elle se rapproche de la fin de son cycle de vie, ils ont tendance à s’approcher d’une plus grande clarté de perspective. Ces équipes affichent ainsi une initiale ambigüité interprétative reconductible justement à la distance « cognitive » entre les acteurs qui cède la place progressivement à un éclaircissement perspectif, au fur et à mesure du consolidement de l’équipe de top-management.

Le temps joue donc une fonction modératrice de la relation entre diversité cognitive des acteurs et performance de leurs équipes. La gestion du temps constitue l’une des prérogatives essentielles du manager qui se doit de posséder un fort degré de leadership temporel (team temporal leadership) afin de permettre une claire planification des deadlines, la synchronisation des comportements des membres de l’équipe et une allocation satisfaisante des ressources temporelles (Mohammed et Nadkarni, 2011). En agissant de la sorte, le manager s’avère, non seulement à même de modérer la relation entre diversité temporelle et performance de l’équipe, mais également d’influer positivement sur l’efficacité de son collectif de travail.

La diversité culturelle, levier de créativité sous contrainte de management

Depuis des décennies, l’accroissement de la diversité culturelle au sein de l’entreprise constitue l’un des défis majeurs du management moderne de par ses implications tant sur les processus de gestion des ressources humaines (recrutement, sélection, mobilisation du capital humain et fidélisation des collaborateurs) que sur les dynamiques organisationnelles (Richard, 2000). A cet égard, l’affirmation de l’impact positif de la diversification ethnique et/ou culturelle des équipes sur leur performance constitue une croyance managériale aux accents performatifs. Ainsi, de par la pluralité de leurs enracinements (nationaux, ethniques, culturels, linguistiques…) et de leurs trajectoires, les collaborateurs issus de la diversité seraient porteurs d’une sorte d’altérité cognitive (Bruna, 2011b). Favorisant un brassage de perspectives et d’opinions, la diversité culturelle profiterait à la performance de l’organisation dont elle stimulant la créativité, la capacité prospective, la réactivité et l’adaptabilité. Là où « la diversité des personnes [constitue… selon Bellard (2005)] une source intarissable de créativité, particulièrement utile dans le cadre de travail en projet ou en équipe », cette croyance n’en reste pas empiriquement prouvée.

Certes, l’étude pionnière de Cox et Blake (1991) a démontré l’existence d’un effet robuste et positif de la diversité culturelle sur la compétitivité. La généralisation des conclusions n’en demeure pas moins problématique de par la pluralité de facteurs pesant sur la relation diversité/performance (contexte géographique et historique, culture nationale et organisationnelle, mode de management des équipes, échelle temporelle choisie, critères d’appréciation et indicateurs mobilisés…). La littérature en management interculturel a, certes, mis en relief l’impact positif de la diversité sur la créativité des équipes-projets, elle n’en a pour autant pas caché les risques potentiels et les effets pervers. Si certains travaux ont dévoilé l’existence à court terme d’effets négatifs de la diversification culturelle sur la performance des équipes, traduisant ainsi des phénomènes d’incommunicabilité, d’incompréhension réciproque et de crispation identitaire, les recherches de Watson et al. (1993) et Jackson et al. (2003) ont souligné qu’à long terme les équipes diverses affichent une performance supérieure aux équipes homogènes de par un supplément de créativité. Malgré la pluralité de recherches concluant à l’impact positif de la diversification (cognitive plus que démographique) des équipes sur leur créativité et la qualité de leur processus décisionnel (Milliken et Martins, 1996 ; Milliken et al, 1998; Kilduff et al., 2000; Jayne & Dipboye, 2004; Landrieux-Kartochian, 2005, 2007), toute un autre pan de la littérature (Richard, 2000; Ely and Thomas, 2001; Pitts, 2005 ; Kochan et al., 2003) conteste l’existence d’une relation causale directe et significative entre la diversification des équipes et l’accroissement de leur performance.

Il en ressort donc que si dans certaines configurations la diversité peut constituer une ressource clé pour l’organisation, elle peut, dans d’autres contextes, constituer un facteur d’accroissement des tensions, des rivalités et des conflictualités internes (Klarsfeld, 2010).

Tableau 1

Diversité-performance, des résultats empiriques contrastés

Diversité-performance, des résultats empiriques contrastés

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Le tableau récapitulatif ci-dessus retraçant les résultats contrastés des principales études menées sur le sujet du lien diversité/performance nous conforte dans cette observation (Tableau 1). Cela nous amène à souligner le caractère non-généralisable des conclusions (non-reproductibilité des études empiriques, dimension contextuelle des résultats obtenus) et leur sensibilité à l’égard de la conjoncture politique et économique, de l’échelle temporelle adoptée (analyse de court, moyen ou long terme), de la présence ou non d’une masse critique de la diversité[1] et du contexte et de la culture organisationnels.

Origines de l’hétérogénéité des résultats dans la littérature

La forte sensibilité des résultats à la conjoncture politique et économique, à l’échelle temporelle d’analyse mobilisée (court, moyen ou long terme) ou au contexte organisationnel empêchent la généralisation des conclusions de ces travaux empiriques. C’est pourquoi Kossek et al. (2006) et initialement Cox (1993) recommandaient d’apprécier le « climat de la diversité » d’une organisation à la lumière de trois dimensions principales : individuelle (structure d’identité des acteurs, type de personnalité, préjugés dominants), groupale (différenciation culturelle, dynamiques psychosociologiques de groupe, ethnocentrisme/altéro-phobie…), organisationnelle (culture d’entreprise, dynamiques intégratives structurelles vs informelles, processus d’acculturation professionnelle, « partialité institutionnelle »).

De plus, le lien diversité/performance est modérée par la « performance égocentrée » des acteurs (carrière professionnelle) et le niveau d’efficacité de l’organisation.

Il convient donc de dévoiler l’influence exercée par une pluralité de facteurs (Jackson et al., 2003) sur la relation diversité/performance : le contexte sociétal, le contexte organisationnel (secteur, taille, histoire, stratégie, culture de l’entreprise…), les dynamiques groupales se déployant au sein de l’entreprise (modes d’intégration et de régulation - hiérarchique, endogène, conjointe-; formes de leadership…), la structure des relations et des interactions dyadiques entre collègues et enfin les comportements individuels. Par conséquent, il sera préjudiciable d’enfermer la diversité dans les seules dimensions méso-organisationnelles (entreprises/équipes) en ne considérant ni le niveau sociétal (macro) ni l’échelle individuelle (micro) (Jackson et al., 2003).

Inscrit dans de multiples conditionnalités, l’impact de la diversité sur la performance s’avère d’autant plus contextuel que ces deux notions manquent d’une unité définitionnelle et conceptuelle. Ce constat peut concrètement être relevé dans la littérature récente consacrée au sujet. En effet, par le biais de sa revue de littérature effectuée sur la période 2000 – 2009, McMahon (2010) constate un délaissement des seules dimensions démographiques (la « race », l’ethnicité ou le sexe notamment) au profit d’une perspective pluridimensionnelle. La différenciation liée aux fonctions exercées dans l’entreprise (parcours, ancienneté et expérience), les caractéristiques psychosociologiques des acteurs (amabilité, ouverture à l’expérience, contacts, sentiments et comportements) ainsi que les capacités d’interaction avec l’équipe (attitude envers les autres, acceptation des différences…) constituent en effet autant de facteurs de diversification à même d’influencer la performance plus significativement que les dimensions démographiques.

Simultanément, les recherches récentes révèlent un élargissement de la notion de performance au-delà du seul champ financier. Bien que l’estimation des résultats d’une entreprise continue de reposer sur des indicateurs chiffrés de performance financière (retour sur actif, rendement des ventes, parts de marché…), les chercheurs intègrent comme critères d’appréciation du lien diversité/performance des descripteurs extra-financiers tels que la qualité des résultats, le niveau d’intégration sociale et de créativité des équipes, la qualité de la prise de décision et des modes de résolution de problèmes, en sus d’indicateurs plus traditionnels tels que les compétences, les capacités, les expériences, les conflits relationnels ou liés au périmètre d’action des acteurs. Ainsi observe-t-on une redéfinition des termes de diversité au travail et de la performance d’entreprise.

On retient donc au final que la diversité à elle seule ne peut rendre compte du différentiel de performance existant entre les entreprises, puisque certains facteurs tels que les ressources, les capacités et les compétences sont beaucoup plus à même d’expliquer ces variations. Seul un management des ressources humaines, soucieux de l’intégration et de la valorisation des collaborateurs « a-typiques » (au sens d’Alter, 2012), saurait convertir la diversité en avantage concurrentiel pour l’organisation via notamment ses implications sur la propension à innover. Ainsi, ce n’est pas la diversité de manière intrinsèque qui est source de performance, mais bien son management.

Manager la diversité pour qu’elle soit source de performance : niveau sociétal, niveau organisationnel, niveau individuel

A l’aune des analyses présentées ci-dessus, manager la diversité s’avère une activité complexe, engluée dans un cadre multifactoriel nécessitant la prise en compte d’éléments contextuels multiples. Développer une approche diversité au sein d’une organisation requiert donc une prise en considération globale, à tous les niveaux de l’entreprise (Kossek et al., 2006; Cox, 1993). En effet, appréhender le lien performance-diversité incite à mettre en place des propositions managériales envisagées à un niveau de généralité du plus ample (niveau sociétal) au plus restreint (niveau individuel). Pour cela, il convient d’adopter un mode de management transversal de la diversité et de l’encastrer dans une refonte globale des procédures RH, destinée à la fois à définir une nouvelle gouvernance des entreprises et un nouveau modèle de leadership soucieux de la pluralité des profils et des parcours individuels.

En s’appuyant sur une analyse conséquente de la littérature scientifique, des études de cas issues de recherches en cours (Bruna, 2012; Bruna, Dang, Vo, 2012; Chauvet & Fernandez, 2010; Chauvet, 2012) ainsi que sur la fréquentation d’entreprises partenaires de la Chaire « Management et Diversité » de la Fondation Dauphine et/ou membres de l’Association Française des Managers de la Diversité et de l’Observatoire Social International[2], les recommandations suivantes s’adressent prioritairement à de grandes entreprises confrontées à une diversification croissante de leurs équipes. Elles se nourrissent tant de la participation à des réunions professionnelles que de séances d’observation participante et d’entretiens individuels avec des directeurs et responsables diversité et des managers opérationnels de grands groupes, de culture organisationnelle tant française qu’anglo-saxonne.

Au niveau sociétal, prendre le temps d’accompagner le changement

Fortement reliée à des enjeux sociétaux multiples et de grande envergure, la gestion de la diversité amène à réinvestir trois champs majeurs de réflexion et d’action :

  1. le Juridique, à savoir comment s’assurer que les pratiques des entreprises ne contreviennent pas au principe d’égalité de traitement et de non-discrimination;

  2. l’Economique en percevant la diversité comme une ressource organisationnelle susceptible de créer, sous condition de management, un avantage compétitif pour l’entreprise[3]. Une telle perspective amène à réinsérer la gestion de la diversité dans la problématique générale du management des ressources humaines.

  3. le Management, au travers de la mise en place d’une politique RH soucieuse de la diversité. Il s’agit là d’interroger l’impact des politiques de recrutement, rétention et mobilisation de collaborateurs aux profils sociologiques de plus en plus différenciés au regard des évolutions démographiques affectant les sociétés civiles. Ainsi, le management de la diversité peut contribuer à répondre aux défis du vieillissement de la population active, de l’exclusion tendancielle des jeunes (en particulier ceux issus de l’immigration) du marché du travail, de la pénurie de main-d’oeuvre sur certains sous-marchés de l’emploi (avec pour conséquence une nécessaire diversification des sources de recrutement…) mais aussi aux enjeux de prévention des discriminations subies par certaines catégories de collaborateurs.

Or, les politiques diversité ne sauraient avoir un impact sociétal significatif si elles ne prenaient pas suffisamment en compte un facteur primordial : le temps. La variable temporelle s’avère essentielle en vue d’interroger l’impact de la diversité sur la performance (Watson et al., 1993; Roberson & Park, 2007) : il s’agit là de saisir, au travers de la dichotomie classique court terme / long terme, l’importance de la permanence au sein des organisations. De plus, cela amène à ré-envisager l’impact sur la performance de la diversité des collaborateurs à l’aune d’un principe central en sciences des organisations : lorsque l’on entame un processus de changement (ici l’introduction et la promotion de la diversité), l’impact de court terme diffère souvent de celui de long terme.

Comme le soulignent Robert-Demontrond & Joyeau (2006), la diversification des équipes est susceptible d’accroître à long terme la performance des entreprises après une période transitoire d’apprentissage organisationnel. Ainsi, les organisations sont appelées à développer un management intégré des ressources humaines soucieux d’internaliser la dimension temporelle dans l’appréciation des effets de la diversité sur la performance (Chanlat & Bruna, 2011).

Ré-envisager l’introduction et la valorisation de la diversité sous le prisme du changement (Alter, 2005) plaide en faveur d’un renforcement de l’attention portée envers les dimensions temporelles. Et ce, car le temps est une ressource stratégique au sein des organisations : sa maîtrise partielle et toujours oligopolistique confère à ses détenteurs du pouvoir et de l’autorité relationnelle (Crozier & Friedberg, 1977; Osty et al., 2007; Lazega, 2008). Les acteurs s’emploient donc, dans un contexte concurrentiel, à en acquérir un contrôle partiel. Zone d’incertitude par excellence, le temps (de la latence comme de l’action, de l’entre-deux comme de la date-boutoir) est un enjeu sans cesse renouvelé de négociation au sein des entreprises. En tant que nouveauté organisationnelle, la promotion de la diversité est appelée, pour être collectivement signifiée et appropriée, à s’inscrire dans une dynamique sociale de longue durée. Cependant, cette prise en compte temporelle n’est pas aisée dans les entreprises.

En effet, comment satisfaire à un impératif de permanence (Dameron, 2002) alors que la société tout entière idolâtre l’instantanéité qu’elle prétend atteindre moyennant l’utilisation des nouvelles technologies interconnectées ? Comment négocier et accompagner le changement que représente l’introduction et la nouvelle valorisation des diversités dans les dispositifs managériaux tout en satisfaisant à l’injonction court-termiste que la publication trimestrielle des comptes pour les entreprises cotées en bourse incarne de manière impérative ?

De manière pourtant évidente, apprécier l’impact de la diversité sur la performance sonne comme une injonction à inscrire les programmes d’égalité des chances dans la longue durée, à ne pas remettre en cause des politiques déjà engagées au gré de résultats de court-moyen terme jugés pas assez satisfaisants. Par ailleurs, l’introduction d’une politique de diversité se doit d’être préalablement concertée avec les représentants des personnels ainsi que co-construite et co-portée avec les collaborateurs de l’organisation. C’est seulement à ce prix que la diversité peut se révéler un réel atout pour l’entreprise. La mise en exergue du rôle du temps dans le management de la diversité invite à adopter, à l’échelle organisationnelle, dans une perspective transversale.

Au niveau organisationnel, culture d’organisation et management global des R.H.

On l’a vu, « promouvoir la diversité dans l’entreprise devrait conduire « naturellement », à augmenter le nombre de rapports sociaux entre des salariés possédant des profils plus diversifiés » (Falcoz (2007, p.258). Si la similitude entre acteurs constitue un facteur puissant de socialisation, la recherche de complémentarités (de compétences, croyances, profils…) pousse à la socialisation hétérogame, ne fusse que pour satisfaire aux besoins et pallier aux insuffisances de chaque acteur. Cette dynamique relationnelle basée sur la complémentarité n’en est pas moins freinée par la stéréotypie et le conformisme (Falcoz, 2007).

Malgré tout, la socialisation professionnelle induit un tissage identitaire marqué par l’interaction avec les différences de chacun. Ces différences sont généralement reconductibles à deux catégories : « attributs de surface » comme le phénotype, l’âge, le sexe, et « attributs plus profonds » à l’instar du système de valeurs, des croyances et de la culture (Harrison et al, 1998; Falcoz, 2007). Ainsi, les crispations identitaires et les germes de la conflictualité inter-groupale se structureront, dans un premier temps, autour des « attributs de surface » pour se focaliser, au fur et à mesure du murissement de la relation, sur les « attributs culturels » des acteurs. Là où la « diversité d’attributs » induit des impacts fortement différenciés (en intensité, significativité et signe) d’un facteur à l’autre, la différence de métiers s’avère bien plus fréquemment source de conflits au sein des équipes (Pelled et al., 1999). Ce qui plaide finalement en faveur de l’adoption d’un management intégrateur, fondé sur une culture d’organisation forte et cohésive, sans être annihilatrice des singularités.

Le déploiement d’un management transformatif est d’autant plus essentiel qu’en l’absence d’une intégration professionnelle suffisante, le potentiel de créativité propre aux « acteurs-minoritaires » ne saurait alimenter la propension collective à l’innovation. Comme le prévoit la théorie de l’identité sociale, il faut veiller à ce que le renforcement du sentiment d’appartenance groupale des individus ne sombre ni dans l’ethnicisation des relations sociales ni dans la communautarisation des équipes. Et ce car de telles dérives identitaires seraient susceptibles d’engendrer à la fois une intensification des luttes de positionnement entre groupes de statuts différents, une moindre efficacité de la collaboration entre collègues, une hausse de la conflictualité interne, voire même une désagrégation du collectif de travail (Jehn et al., 1999). Pour cela, seule une culture organisationnelle inclusive, à la fois suffisamment structurée et nécessairement poreuse, serait à même de contrer la tendance naturelle à la socialisation par proximité (culturelle, statutaire…).

A cet égard, une attention particulière doit être portée à la culture organisationnelle définie comme un ensemble cohérent de postulats sédimentés dans le temps et érigés en paradigme normatif par les membres de l’organisation (Schein, 1992). Celle-ci exerce en effet une influence déterminante quant à l’impact de la diversité sur la performance des équipes-projets (Dameron & Joffre, 2007). Cette assertion mérite d’être mise en parallèle avec l’importance de la culture nationale (et singulièrement de la langue) dans les processus d’identification des membres à leur organisation, ainsi que dans la mise en oeuvre de stratégies de coopération entre collègues. Jouant un rôle déterminant dans la construction identitaire et sociale des individus, la langue interagit avec la culture organisationnelle de l'entreprise (Vaara, et al. 2005). La prise en compte des dimensions linguistiques et culturelles amène à interroger la pertinence d’un management global des R.H. dans le cadre d’entreprises multinationales (Özbilgin & Nishii, 2007).

Il s’en suit que la réussite d'une politique globale de diversité nécessite de la prise en compte de « l'identité », de la culture et des pratiques de l'organisation étudiée (Chanlat et al., 2008) ainsi que de tout un ensemble de drivers aux niveaux national, sectoriel, organisationnel, discursif et individuel (Özbilgin & Tatli, 2008). Ainsi, aux côtés du déploiement d’une politique diversité cohérente et durable, à la fois top-down et bottom-up (Bruna, 2012), l’adoption d’un management transformatif, l’investissement des compétences collectives (au sens de Retour et Krohmer, 2006) et des coopérations transversales, la capitalisation des savoirs constituent autant de conditions pour tirer partie d’une diversité qui, sinon, pourrait freiner la performance.

L’approche business case de la diversité illustre bien ce type de développement, notamment à travers la perspective de management des ressources humaines appliquée à la diversité des équipes de travail qu’elle préconise (Garner-Moyer, 2006). Selon l’approche business case, les organisations diversifiées en termes de genre, d’âge ou d’origines ethniques seraient plus à même d’augmenter leur performance globale (Cornet & Warland, 2008). Les enjeux en termes de management des ressources humaines se constitueraient d’abord en enjeux stratégiques pour l’entreprise avant de stimuler, à moyen-long terme, la performance de ces mêmes organisations. Erigeant la conduite de politiques diversités en défi stratégique de l’entreprise, l’approche business case permet notamment d’expliquer le lien entre, d’une part, le déroulement des processus de recrutement, de sélection et d’animation des ressources humaines ou, encore, la diversification des équipes de travail et, de l’autre, l’atteinte d’objectifs économiques ou la réalisation d’éventuels avantages comparatifs.

Kossek et al. (2006) proposent ainsi une vue globale des stratégies de management de la diversité impliquant la mise en place d’objectifs précis au niveau organisationnel -mais aussi individuel et de groupe-, leur transformation en programmes et initiatives RH concrètes au sein de l’organisation et l’identification d’instruments de mesure ou indicateurs permettant de savoir si les objectifs ont finalement été atteints. Si, par exemple, l’objectif stratégique RH d’une organisation est de développer des programmes et des politiques s’adaptant à la diversité de profils démographiques de ses employés, cela appelle à prendre en compte l’évaluation de l’efficacité et de l’efficience de ces programmes par ces mêmes employés, ou l’établissement d’intéressements valorisant la diversification des équipes (en termes d’attentes personnelles, de besoins familiaux…). Le niveau de turnover, la rentabilité, l’augmentation des parts de marché ou l’appui accordé par les top-managers à la politique diversité vont constituer autant d’indicateurs permettant de mesurer l’impact des initiatives RH mises en place dans la perspective de promouvoir la diversité à l’échelle intra-organisationnelle. L’approche business case de la diversité permet finalement de concilier prospective de long-terme et quotidienneté de l’exigence managériale, inscrivant ainsi la thématique même de la diversité dans les grilles traditionnelles de la stratégie et de la GRH.

Au niveau individuel : concevoir un leadership transformatif et développer le mentoring

A l’orée des paragraphes précédents, il apparaît clairement que la gestion de la diversité doit être considérée comme une compétence managériale à développer au sein des organisations. Le rôle du leadership au sein des démarches de promotion de la diversité s’avère là absolument central car le leader est appelé à reconnaître et à valoriser la diversité des membres de ses équipes. Outre un positionnement hiérarchique élevé lui permettant d’exercer un impact réel sur le management en entreprise, le leader se doit d’afficher une propension personnelle à la reconnaissance de la diversité, ainsi qu’une crédibilité à promouvoir une appropriation collective de la diversité -processus créateur (Alter, 2005). Son rôle est enfin également de justifier l’importance de mener une politique pro-active de la diversité, à la fois au nom de la mission intégratrice et sociétale de l’entreprise, mais aussi et surtout de l’intérêt stratégique de l’organisation (Mutabazi et al., 2008).

L’amélioration du management de la diversité doit passer par une attention particulière accordée aux capacités de leadership des individus, et notamment l’adoption d’un style de leadership transformatif. A cet égard, l’accent sera mis sur quatre mécanismes fondamentaux développés à l’aide d’activités de mentoring ou de formation (Bennis & Nanus, 1985) :

  • le ralliement par la vision, en proposant aux individus une projection claire du futur;

  • la transmission d’une vision partagée de manière à susciter l’adhésion de tous;

  • la capacité à gagner la confiance en promouvant la stabilité, la sincérité et la fiabilité;

  • l’auto-déploiement, consistant pour le leader à promouvoir son « auto-image » positive, représentant l’adéquation entre ses points forts et les besoins de l’entreprise.

Parmi les pratiques concrètes de leadership appropriées à la gestion de la diversité, le mentoring et la formation s’avèrent cruciaux car permettant à l’organisation de tirer un profit supérieur des compétences et des potentialités des collaborateurs issus de la diversité. S’appuyant sur la capacité des leaders à faciliter les relations entre individus aux profils diversifiés, le mentoring facilite leur acculturation et leur intégration organisationnelle. Cela passe par un processus de médiation relationnelle et symbolique par lequel le mentor, à la fois supérieur hiérarchique et figure tutélaire, confère au mentoré une légitimité de transfert et accroît son patrimoine relationnel (Kram, 1988).

Ces initiatives de mentoring s’inscrivent directement dans la perspective de Burt (1998), décrivant deux stratégies possibles du point de vue relationnel pour faire carrière en entreprise :

  • l’auto-construction d’un capital social basé sur un réseau large, dense et riche en trous structuraux : cette stratégie qualifiée d’entrepreneuriale serait privilégiée par les cadres-hommes,

  • la mobilisation d’un capital social d’emprunt induisant une hiérarchisation du réseau égocentré du mentoré.

En supportant l’accès aux ressources-clés de son protégé, le mentor contribue finalement à positionner cet individu dans une relation d’égalité des chances – aux niveaux symbolique (légitimation) et pragmatique (accès à des ressources stratégiques) – par rapport à ses collègues. Mais cette pratique s’avère également être une stratégie de réduction des risques, la fréquentation des candidats permettant de mieux apprécier leurs capacités et aptitudes (Athey et al., 2000; Persson, 2009).

Malgré tout, comment peut-on s’assurer du succès et de la mise en place concrète de telles pratiques de mentoring au sein de l’organisation ? Répondre à cette question amène à interroger indirectement l’articulation entre la performance égocentrée des acteurs (carrière, promotion symbolique, augmentation de salaire…), leur performance collectivement-orientée (productivité, créativité du salarié) et la performance globale de l’organisation (Kram, 1988). Du point de vue d’un management de la diversité, un leadership favorisant le mentoring permettrait à l’entreprise de mobiliser au mieux des collaborateurs à fort potentiel issus de la diversité qui pourraient être tentés par le retrait par la peur de se voir refuser des postes à responsabilités (Athey et al., 2000). La collaboration entre équipes diverses reposant sur la sédimentation d’un sentiment d’appartenance et sur une once de pression sociale, le mentoring favorise à la fois l’intégration et l’acculturation organisationnelle des acteurs issus de la diversité et l’épanouissement des dynamiques de groupe.

Conclusion

Notions polysémiques et plurivalentes sans cesse requalifiées, la diversité et la performance font l’objet d’une ré-investigation constante au sein du champ académique. A la lumière d’une telle observation, il est d’autant plus aisé de comprendre l’hétérogénéité relative des conclusions auxquelles aboutissent les études empiriques testant l’impact de la diversité sur la performance.

Soulignant le rôle central joué par la culture organisationnelle, ces recherches insistent sur l’impact exercé par des facteurs contextuels, temporels, organisationnels et relationnels sur la performance d’équipes diversifiées. La diversité se révèle ainsi une ressource-clé pour l’entreprise, une gestion avertie de celle-ci étant susceptible de constituer un avantage compétitif.

A l’encontre de la rhétorique du volontarisme désintéressé des organisations et de l’illusion de leur pure soumission aux contraintes légales, il s’agit là d’envisager la promotion de la diversité comme un double vecteur de légitimation de l’entreprise (Barth, 2007) et de stimulation de sa performance économique. S’inscrivant à la confluence de l’éthique, du normatif et de l’économique, la diversité se constitue ainsi en problématique centrale pour les entreprises dont elle conduit à réinterroger la stratégie tout autant que le management.

Par delà l’hétérogénéité des résultats auxquels aboutit la littérature académique, cet article conclut que la diversité n’est pas de manière automatique et intrinsèque source de performance pour les organisations. Au-delà de la nécessaire prise en compte de dimensions contextuelles, c’est bien la manière de manager la diversité qui peut être source, ou non, de performance pour les entreprises. Ainsi les organisations ont-elles tout intérêt à concevoir des politiques diversité en prêtant attention aux dimensions temporelles à l’échelle sociétale, aux dimensions managériales au niveau organisationnel et aux dimensions intégratives et relationnelles à l’échelle individuelle. Et ce afin d’ériger la diversité en levier potentiel et conditionnel de performance économique.