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Très peu connues en Asie et en Europe il y a 25 ans, ou en tout cas totalement inutilisées par les opérateurs sur les marchés locaux, la notation financière et les agences de rating sont devenues une composante incontournable des marchés financiers internationaux au cours du dernier quart de siècle.

De plus la crise financière de 2008 et 2009 a indirectement accru leur visibilité en dehors des milieux avertis de la Finance, dans la mesure où des observateurs leur ont attribué (sans doute bien rapidement) une part importante de responsabilité dans l’effondrement de certains marchés lors de la crise. Il est vrai qu’une certaine confusion existe sur ce que sont réellement ces agences, sur leur rôle et sur leur mode d’opération.

Il est dans ce contexte opportun de souligner la parution chez Economica d’un livre intitulé « Notation et Agences de rating », par Yves Simon. Le lecteur intéressé par la gestion financière internationale retrouvera dans ce livre des exposés très clairs sur les origines de la notation, sur les méthodologies adoptées et la pratique des principales agences. On trouvera aussi, une présentation de l’éventail des produits soumis à leur inspection ainsi qu’une appréciation des critiques qui leur sont adressées.

L’internationalisation des marchés des capitaux, et d’abord et avant tout des marchés de la dette, à la fin des années 60, s’est fait sous l’impulsion des banques américaines, parallèlement à la création des euromarchés à Londres. Il n’est pas surprenant des lors que les marchés internationaux aient découvert ce qui était une pratique courante aux États unis : la notation. En quelques décennies, les sigles alphanumérique et les noms des 3 géants de la profession (Moody’s, Standard and Poor’s et Fitch Rating) ont fait partie du langage de tous les jours des gestionnaires financiers et des commentateurs de l’actualité financière. Leur rôle n’est pas négligé non plus par les insistances internationales chargées de la réglementation bancaire et de la prévention des crises financières.

Il est vrai que le glissement continu depuis 50 ans de la finance intermédiée à la finance désintermédiée sur les grandes places financières a largement favorisé le succès de la notation, dont le champ originel était celui des obligations.

Dès l’origine aux États unis, au tout début du XXième siècle, les agences de ratings ont été des réducteurs d’incertitude pour les détenteurs de titres de dette. Les agences répondaient à un besoin parce que, contrairement aux actions qui sont des titres de propriétés de format quasi unique aux États unis, les obligations diffèrent profondément les unes des autres. Disparité des taux, des modes de remboursement, de l’amortissement, des garanties éventuelles, ou présence de toute une panoplie de clauses spécifiques à chaque émission.

Bien avant que le terme ne devienne à la mode, les agences avaient saisi qu’il y avait une profonde asymétrie d’information entre les émetteurs et les investisseurs. Et leur contribution a été (et est toujours) de réduire cette asymétrie.

Pour ce faire, les agences formulent une opinion, non pas sur la qualité intrinsèque de l’émetteur, mais sur sa capacité à honorer les engagements qu’il a pris en émettant des titres de créance. La notation porte sur les titres et non sur les émetteurs. Ce point est essentiel et bien mis en évidence par Simon. Les agences ne sont pas des institutions infaillibles, elles émettent des opinions que certains ont eu la faiblesse d’interpréter comme une forme implicite de garantie.

Ce qui a toujours troublé les observateurs de cette industrie, et encore plus ses critiques systématiques, c’est le mode de rémunération des agences. En effet dès leur apparition, elles ont imposé le principe selon lequel non seulement les utilisateurs (les investisseurs) devaient payer pour avoir accès à l’information, mais également que les entreprises dont les titres sont l’objet du rating devaient elles aussi payer pour ces services.

Ce modèle constitue une grande originalité : faire payer les émetteurs au même titre que les investisseurs. Dès lors certains ont cru voir que les agences de ce fait se trouvaient en conflit d’intérêt et que parce qu’elles avaient à payer pour leur évaluation il y avait un risque évident de négociation des cotations, les agences étant d’autant plus tolérantes que le client les rémunérait. Y a-t-il un risque ? sans doute oui. A-t-on la preuve que cette pratique a conduit à des abus ? non. Les agences plus que centenaires auraient-elles pu survivre à de tels scandales ? Surement pas. La pérennité de leur existence est la meilleure démonstration de la prudence et de l’éthique de de leur conduite. Par ailleurs, si cette approche de la rémunération de la notation et si critiquable, comment expliquer la multiplication de petites agences dans le monde entier qui se sont inspirées des pionniers américains.

Alors, les grandes agences ont-elles été victimes de leur succès ou imprudentes face aux innovations financières ?

Il est vrai qu’elles ont élargi leur domaine d’intervention, suivant en cela la transformation des marchés; la méthodologie initiale conçue pour les obligations émises par les entreprises, pouvait elle s’appliquer à de nouveaux domaines ? Les agences ont elles commis des erreurs, en particulier dans le cas de la titrisation ? Il est une réalité indéniable : on a enregistré sur ce marché des comportements de certains instruments qui n’étaient pas ceux qui étaient généralement attendus. Alors, si les agences se sont trompées, elles ne sont pas les seules. Des chercheurs de renom et des techniciens avertis ne manquaient pas d’enthousiasme lors de l’avènement de ce marché. Mais y a-t-il eu imprudence, saut trop rapide dans l’inconnu ou comportement délictuel ? Le rédacteur de l’introduction du livre semble en être convaincu. Simon est beaucoup plus circonspect.

Simon rappelle que les grandes agences avaient retenu des méthodologies spécifiques sur chacun des trois grands segments de leur marché (notation des obligations corporatives, des produits structurés et des obligations souveraines des États,) même si le système alpha numérique est le même pour la notation de ces trois types de produits.

Simon ne fait pas l’apologie des agences de notations, mais il remet les pendules à l’heure. Les critiques, observateurs comme praticiens, ont-ils en fait bien compris (ou ont-ils oublié) ce qu’est réellement l’objet de la notation ? Plutôt que des idées reçues, mieux vaut lire les textes proposés par les agences elles-mêmes. Et le livre de Simon est un bon guide pour s’initier à cette littérature assez ardue.

Face aux opinions divergentes sur l’éthique des agences, peut-être un éclairage nouveau nous viendra des décisions qui seront prises prochainement par des tribunaux. Simon présente les différentes procédures qui sont actuellement en cours aux Etats Unis et en Europe.

Nous avons ici un livre très complet où l’on retrouve les grandes qualités pédagogiques de l’auteur qui depuis de nombreuses années commet des manuels de référence pour les étudiants universitaires.

On exprimera cependant un souhait : Les livres de finance qui abordent la question de la notation nous renseignent principalement sur l’information rendue disponible, sur les étapes de la démarches suivis par les agences, mais on n’aborde jamais la question de savoir comment les entreprisse se préparent à l’exercice de la notation, ou quels sont les points d’accrochage typiques entre les directeurs financiers et les analystes des agences au moment de la notation proprement dite. De même qu’on ne connait que bien peu de choses des réactions internes de la direction financière lors d’une dégradation de la notation. En un mot, il n’existe pas de cas (pour discuter en classe) portant sur les pratiques de l’entreprise face à ce qui est une étape importante lors de l’émission de dettes. Sans doute y aurait-il là un beau projet de développement de matériel pédagogique où l’on devrait retrouver le point de vue managérial et financier.

Il faut signaler ici que si ce livre est d’abord destiné à des étudiants de finance, la clarté de l’exposition le rend accessible à des lecteurs intéressés par d’autres facettes de la gestion internationale. En particulier, dans cette perspective, les lecteurs intéressés par l’analyse de risque-pays trouveront les raisons pour lesquelles la notation souveraine et les analyses de risque-pays ne doivent pas être confondues, même si les facteurs explicatifs utilisés dans l’un et l’autre cas peuvent être les mêmes. Trop souvent les analystes utilisent les notations comme données de risque-pays car elles sont disponibles et ils finissent par oublier la spécificité de l’exercice de notation.

Un excellent ouvrage.