Abstracts
Résumé
Le concept de performance appliqué à la sphère publique s’est constitué au fil des réformes administratives de « modernisation » des services publics. L’objet de cette recherche est d’analyser les évolutions des représentations de la performance dans les discours des dirigeants publics, en nous appuyant sur les analyses conventionnalistes (Boltanski et Thévenot, 1991). Dans cette perspective, nous avons réalisé une analyse longitudinale appliquée sur la période 1969-2015 des services publics radiophoniques français et helvétique avec le logiciel ALCESTE.
Mots-clés :
- performance,
- management public,
- discours,
- radio,
- analyse lexicale multidimensionnelle
Abstract
The concept of performance in the public sector has been elaborated over the years with the administrative reforms of modernization. The purpose of this research is to analyze the evolutions of the representations of performance in the discourse of its official members, using conventionalist analyzes (Boltanski and Thévenot, 1991). In this perspective, we have carried out a longitudinal analysis applied over the period 1969-2015 of the French and Swiss radio public services with ALCESTE software.
Keywords:
- performance,
- public management,
- discourse,
- radio,
- multidimensional lexical analysis
Resumen
El concepto de rendimiento aplicado a la esfera pública se constituyó a lo largo de las reformas administrativas de “modernización” de los servicios públicos. El objetivo de esta investigación es analizar cómo la representación de los rendimientos en los discursos de los dirigentes públicos ha evolucionado. La investigación se basó en los estudios de las convenciones (Boltanski y Thévenot, 1991). En esta perspectiva, hemos realizado un estudio longitudinal del periodo 1969-2015 de los servicios públicos radiofónicos francés y suizo, con ALCESTE (Programa de análisis textual, del Centro Nacional de Investigación Científica Francés - CNRS)
Palabras clave:
- rendimiento,
- discursos,
- gestión pública,
- análisis lexical multidimensional
Article body
Depuis les années 1970, s’est développé le New Public Management (NPM) qui a conduit à des réformes multiples dans le secteur public. L’introduction des principes du NPM a entraîné, au cours des quatre dernières décennies, une redéfinition des missions de service public, une redistribution des ressources et des moyens et la mise en place de méthodes de gestion issues du privé (Pollitt et Bouckeart, 2004; Jacob et al., 2011). Ces réformes dites de « modernisation » ont placé le paradigme de la performance au coeur du discours sur le NPM. Mais que signifie la performance dans le secteur public en constante évolution ? Le dirigeant public figure en première ligne pour répondre à cette question dans la mesure où il joue un rôle prépondérant dans l’élaboration et la mise en oeuvre de la stratégie.
Notre démarche est d’identifier l’évolution des représentations de la nature de la performance, telles qu’elles apparaissent dans les discours des dirigeants publics. Nous avons choisi comme discours, la lettre du président dans les rapports d’activité parce qu’elle véhicule les symboles et les valeurs portées par la direction de l’entreprise (Platet-Pierrot et Giordano-Spring, 2010). Par cette lettre, le dirigeant s’exprime au nom de l’institution, recherche l’adhésion à une stratégie et communique sur les objectifs et sur ses valeurs. Nous avons aussi choisi ce support parce qu’il est un « discours-outil » (Piette et Rouleau, 2008). Il permet de « faciliter la gestion des processus et l’atteinte des résultats, de formuler et diffuser la stratégie, de mobiliser les employés, de communiquer une image, d’améliorer la connaissance sur son environnement, de favoriser des prises de décisions efficaces et d’effectuer des évaluations ».
Le secteur public de la radio, qui a principalement en charge l’information et le divertissement, est un terrain d’étude particulièrement intéressant pour ce type d’analyse. Il a connu, en effet, depuis la fin des années 1960, une professionnalisation croissante des modes de gestion avec une recherche de la rationalisation des dépenses, ainsi qu’une remise en cause du monopole de l’information avec les opérations d’alliance, d’acquisition et de fusion réalisées par de grands groupes médiatiques industriels ou financiers (Deslandes, 2008). Ces facteurs pourraient, a priori, avoir facilité la diffusion des préceptes du NPM. Notre choix s’est porté sur les radios francophones européennes : Radio France (anciennement ORTF) et la Société suisse de radiodiffusion et télévision (SRG SSR, anciennement SRG SSR Idée Suisse) parce que, de par leur longue histoire et leur rayonnement, elles ont toujours été au coeur des débats sur la « crise du service public et son relatif renouveau » (Bourdon, 2013).
La question principale de notre recherche est : quelle est l’évolution des représentations de la performance des dirigeants du secteur public de la radio ? Deux questions sont sous-jacentes : Quelles sont les principales conceptions de la performance dans le secteur public ? Quel est l’ancrage identitaire des dirigeants publics dans leur rapport à la performance ? Pour y répondre, nous utilisons, dans une première partie, comme grille d’analyse la typologie des mondes de référence proposée par l’école des conventions. Nous analysons, au travers de cette grille, les représentations de la performance portées par les acteurs institutionnels et étatiques, dans le cadre des réformes des politiques publiques françaises et suisses de la fin des années 1960 à nos jours. Dans une seconde partie, nous développons et discutons des résultats de notre étude empirique après avoir exposé le contexte du secteur médiatique franco-suisse dans lequel se font ces discours et la méthodologie. Nous verrons qu’il existe, suivant les périodes, un phasage ou au contraire un déphasage de la représentation de la performance entre les dirigeants du secteur public de la radio et les pouvoirs publics, institutionnels. Nos résultats mettent en relation la grille d’analyse de l’école des conventions (Boltanski et Thévenot, 1991) et les principes du NPM pour conceptualiser l’évolution des conceptions de la performance des dirigeants dans le secteur public. Ils permettent de construire une typologie des dirigeants basée sur les représentations de la performance et amènent à se poser la question du devenir des réformes instituées par le NPM dans le secteur public de la radio.
L’analyse des représentations de la performance publique par la théorie des conventions
Les approches de la performance selon l’école des conventions
Pour identifier et comprendre les représentations et rapports des dirigeants à la performance, nous mobilisons le cadre des Economies de la grandeur de Boltanski et Thévenot (1991) et Boltanski et Chiapello (1999). Le cadre théorique de l’école des conventions paraît, en effet, adapté à l’étude des réformes des politiques publiques et des représentations de la performance publique (Emery et al., 2008; Emery et Martin, 2010; Lux, 2016).
Luc Boltanski et Laurent Thévenot, en 1991, s’intéressent à la justification et à la coordination des actions individuelles afin de comprendre dans quelle mesure se constitue une action collective (Plane, 2012). Ils cherchent les fondements et les voies de construction du social dans le choix de l’accord qui résulte d’une convention (Emery et al., 2008). Ils recensent ainsi six grands « principes » à l’origine des « cités » (cf. tableau 1), qui président à la justification des actions : cité de l’inspiration, domestique, de l’opinion, civique, industrielle et marchande. Boltanski et Chiapello (1999) ajouteront une septième cité : la « cité par projets ». Ces cités désignent une « communauté de sens et d’appartenance » (Emery et Martin, 2010). Elles révèlent des « sphères de légitimation auxquelles les membres d’une organisation se réfèrent pour justifier leurs décisions et leurs comportements » (Emery et al., 2008). Cependant, lorsque les cités sont associées à une situation particulière, à des êtres qui lui sont propres, les auteurs font référence aux « mondes ». Lorsqu’il y a coexistence de différents intérêts et manières de penser, les auteurs parlent de « compromis » qui permet la juxtaposition de différents mondes accroissant l’état de justice pour les acteurs (Taupin, 2012).
Selon Lux (2016), le modèle des cités peut permettre une lecture des représentations de la performance des individus. Le tableau 2 représente une « grille de repérage du discours » basée sur le vocabulaire mobilisé par les individus. A chaque cité est associée une dimension de la performance.
Cette typologie constitue la grille d’analyse de notre étude. L’objectif de notre analyse est d’apporter un éclairage sur les représentations que les dirigeants du service public ont de la performance, avec notamment l’avènement du New Public Management.
L’analyse des représentations de la performance afférente aux politiques de modernisation publique
Les principes du NPM
Le NPM est un concept néolibéral né dans les années 1970, de « modernisation du management des administrations publiques dans le but d’en améliorer le rapport coût/service. Selon Osborne et Geabler (1992), il se caractérise par huit grands principes :
« une séparation de la prise de décision stratégique, relevant du pouvoir politique, de la gestion opérationnelle, relevant de l’administration;
l’orientation des activités administratives et l’allocation des ressources en fonction des produits et services à délivrer plutôt qu’en fonction de règles ou procédures;
la décentralisation et l’instauration d’agences comme instrument de régulation;
l’abandon du statut de fonctionnaire et de l’avancement à l’ancienneté des agents au profit d’une rémunération au mérite;
l’introduction des mécanismes de marché dans l’offre de biens et services d’intérêt général;
la logique de la transparence tant sur la qualité que sur les coûts des prestations;
la recherche de l’efficience dans l’emploi des fonds publics;
la participation des usages dans la définition et l’évaluation des prestations publiques » (Chappoz et Pupion, 2012).
Le NPM met en lumière deux forces antagonistes. Les administrations publiques doivent être gérées non plus uniquement en fonction des inputs politico-administratifs, mais aussi sur la base des outputs, c’est-à-dire des produits et services administratifs (Emery et Giauque, 2005). Comme l’énonce Yvon Pesqueux (2007), « ces forces antagonistes actent l’existence des tensions entre la dimension institutionnelle de l’administration (sa vocation à remplir des missions indiscutables et permanentes de service public) et une dimension managériale conduisant à questionner le fonctionnement des services publics ». La question est de savoir si l’application des principes du NPM remet en cause les accords et les représentations traditionnelles de la performance des services publics. Pour y répondre, nous devons analyser les réformes publiques engendrées par le NPM en France et en Suisse, en nous focalisant particulièrement sur les approches de la performance.
Le NPM et l’inscription du principe de performance dans le cas français
Afin de mieux comprendre l’émergence du concept de performance dans le secteur public en France, nous allons nous baser sur les travaux en Sciences de gestion, d’Annie Bartoli et Hervé Chomienne (2007), Hervé Chomienne (2001), Marcel Guenoun (2009), et en Sociologie de Philippe Bezes (2002, 2009, 2010 et 2012). Annie Bartoli et Hervé Chomienne (2007) analysent les grandes phases de la « modernisation » des services publics français à compter des années 1960 et s’interrogent, au vu des successions de mesures, sur leur cohérence[1].
Les années 1960 sont une période d’approfondissement et d’extension des missions assurées par l’État-providence, donnant aux réformes administratives un caractère intellectuel. C’est à la fin des années 1960, plus précisément par le décret du 4 janvier 1968, que la première réforme « gestionnaire » est apparue sous le nom de Rationalisation des choix budgétaires (RCB). Elle reposait sur un système de planification d’objectifs et de moyens avec contrôle des réalisations budgétaires (Bartoli, 2009). Philippe Huet, chef de la mission RCB au ministère des Finances, la définit comme « une recherche méthodique, appliquée à l’action publique, et qui, utilisant toutes les techniques disponibles d’analyse et de calcul, de prévision, d’organisation et de gestion, vise à la définition cohérente et ordonnée, puis à la concrétisation efficace et fidèle d’une politique » (Huet et Bravo, 1973). L’émergence de questionnements et d’instruments de gestion inscrit la recherche de la performance dans le monde industriel.
Dans les années 1970, l’administration devient un objet politique. Selon Philippe Bezes (2002), le contenu des réformes est modifié : « il ne s’agit plus de revendiquer le contrôle de l’administration par la compétence économique mais de revendiquer un contrôle politique en proposant de renforcer le pouvoir d’acteurs politiques (nationaux et locaux) ou des citoyens administrés, au nom d’un contrôle démocratique ». La performance se caractérise ici par la volonté de restituer au politique la maîtrise de la définition des fins et de l’allocation des ressources. L’expérience de la RCB se poursuit, mais il s’agit d’instaurer un système plus décentralisé incitant les responsables centraux à fixer des objectifs précis et quantifiés (Bartoli, 2009). La performance, ayant pour but de renforcer le contrôle politique, s’inscrit a priori dans le monde civique mais est, en fait, guidée par le poids de l’expert et du monde industriel. D’ailleurs, sont invoquées comme sources d’échec de ces réformes, un contexte politique insuffisamment pris en compte dans le rapport expertise/décision (Perret, 2006).
Les années 1980 sont marquées par la professionnalisation des politiques de modernisation publique où la performance se définit par la recherche d’une efficacité économique et financière. Nous observons une juxtaposition d’initiatives de communautés réformatrices, parcellaires et concurrentes (ministères, établissements ou collectivités) (Bartoli, 2009; Bezes, 2012; Bartoli et Chomienne, 2007). La professionnalisation se manifeste par la diffusion des savoirs d’experts (gestionnaires, consultants, etc.) relayés en interne par de hauts fonctionnaires. La démarche ne s’appuie pas sur une doctrine générale mais s’inscrit dans la promotion d’une démarche managériale : évaluation de politiques, contrôle de gestion, cercles de qualité (Bezes, 2009). Plus tard, celle-ci sera intégrée dans la dynamique du « renouveau du service public », institué par Michel Rocard en 1989, qui a ouvert le marché du secteur public aux sociétés de consultants (Chaty, 1997). La démarche de performance s’inscrit alors pleinement dans les principes marchands issus du privé.
Les années 1990 s’illustrent par l’institutionnalisation des réformes de l’État. Les programmes publics répondent aux caractéristiques des politiques publiques : « ils sont financés, revendiqués par des institutions publiques, structurés autour d’objectifs affichés publiquement » (Bezes, 2002). La « Réforme de l’État » et la « Modernisation de l’État » sont les principaux projets de modernisation publique française. Les emprunts implicites ou explicites aux principes du New Public Management deviennent récurrents, voire systématiques. Ces principes sont portés par « plusieurs groupes de hauts fonctionnaires qui, dans les années 1990, importent les thèses en vogue dans les pays anglo-saxons de la « nouvelle gestion publique » et proposent une adaptation française » (Bezes, 2012). La performance inspirée de la logique libérale s’inscrit dans le monde de l’opinion avec le souci de légitimation et de réputation.
Les années 2000 et 2010 sont caractérisées par l’opérationnalisation et le développement de l’évaluation des politiques publiques au moyen de certains instruments issus du New Public Management recommandés ou expérimentés au sein de la direction du Budget (Bezes, 2012, p. 31). De manière non exhaustive, trois principales dispositions dominent cette période : la Loi organique relative aux lois de finances (LOLF), la Révision générale des politiques publiques (RGPP) et la Modernisation de l’action publique (MAP). La LOLF, adoptée en France en 2001 et mise en application en 2006, a pour but de favoriser la transparence et le débat budgétaire. Elle fait passer la gestion de l’État d’une logique de moyens à une logique de résultats, avec des objectifs d’efficacité socio-économique, de qualité et d’efficience de la gestion. La RGPP, engagée en 2007, vise à faire examiner par des équipes d’audit les objectifs, les dépenses, les résultats et les modus operandi des grandes politiques publiques ministérielles. La MAP centre son action sur le développement de l’évaluation des politiques publiques. La performance publique devient donc « la recherche de l’efficience des services publics, obtenue en s’inspirant des méthodes de gestion privée » (Pupion, 2012) et se caractérise par le résultat du compromis des mondes civique et industriel.
Dans un contexte de réformes administratives, un cadre de gestion des affaires publiques axé sur la performance a donc émergé dans les années 1960 (cf. tableau 3) et a connu une évolution représentée schématiquement en cinq phases, correspondant chacune à une décennie. Les mondes de référence liés au caractère de la performance évoluent passant d’un monde industriel (années 1960), industriel et civique (années 1970), marchand (années 1980), de l’opinion (années 1990) et civique et industriel (années 2000 et 2010).
Le NPM et l’inscription du principe de performance dans le cas helvétique
Quatre phases consécutives marquent la modernisation de l’appareil administratif suisse.
Dans les années 1960-1970, « l’administration publique suisse a largement fait appel aux consultants privés pour conduire des exercices de rationalisation et réaliser des analyses de la valeur, qui s’apparentaient à de vastes opérations de radiographie organisationnelle visant à générer des économies » (Emery, 2005). Deux commissions d’experts ont été constituées (Varone, 2014) à l’issue desquelles deux rapports ont été édités. Le rapport Hongler de 1967 porte sur les améliorations à apporter à la conduite des affaires gouvernementales et de l’administration. La performance s’inscrit dans le monde civique. Le rapport Huber de 1971 est chargé de réviser la loi sur l’organisation de l’administration fédérale (Portmann, 2008). La performance est caractérisée ici par la volonté de restituer au politique la maîtrise de la définition des fins et de l’allocation des ressources dans une approche où la parole de l’expert est déterminante, comme dans le monde industriel. Par la suite, deux lois marquent une phase réformatrice. La loi du 4 octobre 1974 interdit pendant trois ans toute augmentation des effectifs du personnel fédéral. La loi du 19 septembre 1978 porte sur l’organisation et la gestion du Conseil fédéral et de l’administration fédérale (LOA). Du fait du « gel » des effectifs, la performance se caractérise par un renforcement d’une logique du monde industriel et s’inscrit dans une recherche d’efficacité et d’efficience.
Les années 1980 sont jalonnées par des réformes de type managérial qui plafonnent les effectifs du personnel fédéral. Les projets EFFI (1984-1987) et EFFI-QM-BV (1986-1996) sont mis en place pour augmenter l’efficacité de l’administration fédérale en visant une économie de 3 % des postes permanents, 5 % des heures de travail et 5 % des dépenses de fonctionnement. Le caractère du monde industriel de la performance est ici renforcé.
Les années 1990 sont marquées par la Réforme du gouvernement et de l’administration (RGA) déclenchée par les parlementaires G. Petitpierre et R. Rhinow. Un groupe de travail, Structures de direction de la Confédération (GSDC), sous la direction du professeur K. Eichenberger, a été constitué en juin 1992 dans le but de réviser la LOA de 1978. Deux phases se sont succédées. La première s’est concentrée sur la réforme du gouvernement et de l’administration, avec la loi sur l’organisation du gouvernement et de l’administration (LOGA) du 21 mars 1997, qui attribue au Conseil fédéral (et non plus au Parlement) la compétence d’organiser l’administration et la possibilité de gérer certaines unités par mandat de prestations et enveloppes budgétaires (GMEB). La seconde phase est consacrée à la réforme de la direction de l’État. Dans le cadre de la RGA, le Conseil fédéral a défini quatre objectifs : l’efficacité, la rentabilité, les économies au niveau des ressources humaines et financières et l’optimisation des processus de gestion et des structures organisationnelles (Chancellerie fédérale, 2000). La performance se caractérise ici, comme dans un monde industriel, par la recherche d’une efficacité constitutionnelle.
Les années 2000-2010 voient la mise en place d’une stratégie globale d’assainissement des finances publiques. Les structures et processus sont jugés trop complexes et rigides, empêchant les pouvoirs publics de répondre aux besoins des citoyens. En septembre 2005, le Conseil fédéral a approuvé « plus de trente projets spécifiques visant à réformer l’administration fédérale dont vingt-quatre projets départementaux destinés à améliorer les structures et processus de l’administration fédérale » (Huerta Melchor, 2008). Le caractère de la performance du monde industriel est renforcé.
Le tableau 4 représente cette évolution.
Ainsi, nous pouvons constater une cohérence dans le contenu des réformes successives, mais des différences apparaissent dans les mondes de référence dans l’application du NPM en France et en Suisse (cf. tableaux 4 et 5). En France, le monde dominant est industriel jusque dans les années 1970, puis marchand dans les années 1980. Les années 1990 sont marquées par le monde de l’opinion avec, cependant, un attachement particulier aux valeurs de service public. Dans les années 2000-2010, la performance est caractérisée par le résultat de compromis des mondes civique et industriel. En Suisse, le caractère dominant de la performance est civique dans les années 1960 et bascule vers le monde industriel à partir des années 1970. Cela conforte les résultats d’Emery et Martin (2010) qui y voient le reflet de la culture suisse, caractérisée par le modèle de la « machine bien huilée », expression empruntée à Bergmann (1994, cité par Emery et Martin, 2010), caractéristique du monde industriel.
Étude longitudinale des représentations des dirigeants des radios publiques françaises et helvètes
Avant d’identifier et caractériser le rapport à la performance des dirigeants du secteur public de la radio français et suisse, il est nécessaire de préciser le contexte dans lequel leurs discours ont été faits et la méthodologie retenue pour l’analyse.
Le contexte du secteur médiatique français et helvétique
Le secteur français
Cinq phases témoignent de la libéralisation du marché de l’audiovisuel depuis la création de l’ORTF en 1964.
La première période, 1964-1974, est marquée par la naissance de Radio France dans le paysage audiovisuel. Le 27 juin 1964, par la loi dite « Peyrefitte », la RTF devient l’Office de radiodiffusion-télévision française (ORTF). Les contestations croissantes à l’égard de la mainmise de l’Etat sur l’audiovisuel se cristallisent en mai 1968 (Chupin et al., 2009). La publicité est introduite en octobre 1968, et de ce fait, une attention particulière est portée à l’audience (Chauveau, 2009). En 1974, l’ORTF connaît une réelle transformation structurelle. L’ORTF est divisé en sept sociétés autonomes : TF1, A2, FR3 (créées en 1973), Radio France, TDF (TéléDiffusion de France, pour la gestion et la réception des images et des ondes), l’Institut national de l’audiovisuel (INA) et la Société française de production (SFP). Jusqu’à cette période, la référence au monde civique est prédominante.
La deuxième période, 1974-1981, est l’ère des radios « pirates » qui ravive le débat sur le monopole de l’État. La libéralisation des marchés audiovisuels s’accompagne d’une diversification des supports et des modèles économiques, contribuant à une croissance exponentielle de l’offre et des pratiques de consommation médiatique (Chupin et al., 2009). La performance est le reflet d’un compromis des mondes civique et marchand.
La troisième période, 1981-1986, sonne le glas des monopoles de la radio et de la télévision et marque le temps de la régulation. La première mesure est la loi du 9 novembre 1981 autorisant les radios locales privées. La seconde mesure est la loi du 29 juillet 1982 qui confie à des entreprises privées l’utilisation des ondes hertziennes (Brochand, 2006). Pour attribuer les fréquences et contrôler l’usage, la loi crée aussi une instance de régulation, la Haute Autorité de communication audiovisuelle (HACA) qui marque l’abandon de la prééminence du monde civique pour le monde marchand.
La quatrième période, 1986-2000, voit la libéralisation totale du marché de l’audiovisuel. La loi du 30 septembre 1986 abroge celle de 1982, même si elle en reprend les principes, engageant tout le secteur de la communication dans le système de la concurrence. Dans les années 1990, tandis que les autorités cherchent à définir un modèle de régulation adéquate, l’offre de programmes ne cesse de croître, se segmentant de plus en plus en fonction des publics (Cavelier et Morel-Maroger, 2008). L’analyse sectorielle montre un renforcement du monde marchand et de l’opinion.
La cinquième période, de 2000 à nos jours, voit le décuplement des modes de diffusion. Les nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) s’installent réellement dans les usages et la consommation des médias (Deslandes, 2008). C’est la recherche ici d’une efficacité organisationnelle propre au monde marchand. Cependant, l’idée de développer la solidarité d’adhésion est présente renforçant ainsi la référence au monde civique.
Le tableau 5 représente cette évolution.
Le secteur helvétique
La période 1960-1970 voit l’ouverture progressive à la concurrence. En 1960, la « Société suisse de radio diffusion » prend le nom de « Société suisse de radiodiffusion et télévision ». En 1964, une nouvelle concession commune à la radio et à la télévision est à l’origine de la première réorganisation de la SSR en régions linguistiques. La publicité à la télévision est aussi autorisée (Darck, 2000). La performance se caractérise par la recherche d’utilité sociale et d’une efficacité économique et financière. C’est la référence aux mondes civique et marchand qui prédomine.
Durant la période 1970-1983, la restructuration organisationnelle et institutionnelle de la SSR est confiée à une société de conseil zurichoise, Hayek Engineering. Le rapport Hayek remis en 1975 prévoit de regrouper radio et télévision selon les régions linguistiques et de leur donner une plus grande autonomie (Darck, 2000). Une commission d’experts propose, en 1982, un modèle dit des trois échelons correspondants aux trois marchés radiophoniques : programmes locaux/régionaux financés par la publicité, programmes nationaux/régions linguistiques financés par la redevance et les programmes internationaux. La référence au monde civique est abandonnée au profit de celle du monde marchand.
La période 1983-1991 est marquée par la remise en question du monopole de la SSR avec l’ouverture à la concurrence progressive. Le 1er novembre 1983, une concession est accordée à trente-six radios locales et pour sept essais de télévisions. Trois projets successifs (intitulés respectivement « Adminus », « Optimus » et « La SSR en route vers les années 1990 ») ont permis à la SSR de mettre en place des actions ciblées pour améliorer l’efficience (Mäusli, Steigmeier et Valloton, 2012) tant internes (comme la mise en place de la comptabilité analytique et l’assouplissement des conditions de travail) qu’externes (comme l’enrichissement de l’offre radio et télévision). La performance se caractérise par la prééminence des mondes marchand et industriel.
Lapériode 1991-1999 voit la poursuite de la libéralisation du marché de l’audiovisuel. Les conditions d’accès au marché sont fixées par deux lois sur la radio et la télévision (1991 et 2006). L’Office fédéral de la communication (OFCOM) est fondé en 1992 et assure l’ensemble des tâches de régulation et d’autorité nationale. Face à ce contexte, la SSR opère une réforme structurelle. Elle devient une union privée d’associations et se dote des structures d’une holding, gérée comme une société par actions[2]. La spécificité helvétique du service public, à savoir la défense des minorités linguistiques, est affirmée. Les mondes marchand et de l’opinion prédominent ici.
A partir de 1999, la SSR cherche à étendre son offre sur Internet malgré les difficultés budgétaires (Mäusli et al., 2012). Une nouvelle loi fédérale sur la radio et la télévision est votée le 24 mars 2006, avec comme principaux changements : une part plus importante de la redevance accordée aux radios et aux télévisions privées (splitting), une obligation de diffuser des émissions télévisées conformes aux malentendants et malvoyants et une interdiction de la publicité et du parrainage sur Internet. Du fait des restrictions budgétaires, la SSR lance en 2009 un projet « Convergence et Efficience » afin de maintenir sa place sur le marché[3] renforçant la référence aux mondes marchand et industriel.
Le tableau 6 représente cette évolution.
En conclusion, dans le secteur radiophonique français et helvétique, nous distinguons cinq phases d’évolution du concept de la performance : l’ouverture à la concurrence (années 1960-1970), la remise en cause du monopole (années 1980), la libéralisation du marché (1990), la montée en puissance du multimédia et d’internet (2000) et la mise en place de stratégie de création de valeur appliquée aux médias (2010).
La méthodologie d’analyse des discours
En nous basant sur les travaux réalisés en management public (Lux, 2016; Emery et al., 2011), on pourrait penser que la « bonne » diffusion du NPM repose sur un alignement entre le caractère de la performance liée à la réforme publique mise en oeuvre et la représentation que peuvent en donner les dirigeants au travers des rapports d’activité. Afin d’évaluer cette adoption des dimensions de la performance par les dirigeants, nous allons expliciter la méthode d’analyse.
Le corpus
Notre corpus (ensemble de données textuelles) est composé de soixante-et-onze messages du président dont trente-quatre pour le cas français et trente-sept pour le cas helvétique. Pour le cas français, sur les trente-quatre messages du président, neuf préambules réalisés par deux présidents successifs sont non signés.
Le choix de la période est lié à la parution des rapports d’activité. Le premier rapport d’activité français date de 1969, année qui traduit une étape marquante, post-1968, dans un monde audiovisuel marqué par un mouvement de libéralisation de l’information. Nous avons choisi de porter notre étude sur la même période (1969-2015) concernant les rapports d’activité de la SRG SSR.
Concernant les dirigeants, nous nous référons à l’étude, réalisée par Daguaud et Miehl (1990, cité dans Deslandes, 2008) sur les patrons de chaînes télévisées, qui distingue l’élite professionnelle, l’élite managériale et l’élite politico-administrative, et la transposons aux patrons de Radio. Remy Rieffel (2005, cité dans Deslandes, 2008) commente cette classification :
L’élite professionnelle est composée d’anciens réalisateurs, producteurs, mais aussi de journalistes, sortis du rang et qui supervisent un aspect des programmes : le divertissement, la fiction, le sport… Ces « saltimbanques » concourent donc à la fabrication d’un produit télévisuel, se situent du côté artistique, intellectuel, s’opposent aux « géomètres » que sont les spécialistes de la gestion administrative ou du management. L’élite managériale est essentiellement constituée du président de la chaîne, du directeur général, du directeur des programmes, qui décident de la diffusion ou non des émissions et surtout de la programmation. Elle jure par la logique entrepreneuriale. L’élite politico-administrative provient essentiellement de la haute fonction publique : beaucoup sont des énarques qui allient expérience dans des cabinets ministériels et direction d’une chaîne ou d’un secteur donné de la chaîne.
D’après cette classification, les P.-D.G. de l’ORTF, de Radio France et de la SSR ont alternativement fait partie de l’élite professionnelle, managériale et politico-administrative. Les tableaux 7 et 8 ci-après examinent le corpus de l’étude pour les cas français et helvétique.
L’analyse du contenu
Sur le plan méthodologique, nous avons retenu la méthode ALCESTE (Analyse des Lexèmes Co-occurrents dans les Énoncés Simples d’un Texte), développée par Reinert (1983, 1999, 2003). Cette méthode repose sur l’hypothèse selon laquelle l’occurrence des mots est le reflet de la thématique générale des discours (Chekkar et Onnée, 2006). Cette méthode a déjà été utilisée dans des études portant sur le contenu de l’information financière (Duyck, 2002; Chekkar et Onnée, 2006; Giordano Spring et al., 2015), la RSE (Pierrot-Platet, Spring, 2011), les modes de gestion de l’Éducation nationale (Pupion et al., 2006) mais aussi sur l’art de gérer les impressions dans les lettres de président (Point, 2007; Bournois et Point, 2006).
L’objectif du traitement du corpus avec le logiciel ALCESTE est l’identification et la compréhension des représentations de la performance par les dirigeants. La typologie de Boltanski et Thévenot (1991) nous permet d’identifier et d’analyser les valeurs et les jugements portés par les dirigeants.
Après l’étude des classes de mots constituant les représentations de la performance des dirigeants, nous procédons à une analyse thématique et chronologique.
L’analyse de la nature de la performance dans les discours des dirigeants
Pour chaque décennie, nous allons, selon les catégories de mots et de vocabulaires mobilisées qui émergent, pouvoir identifier une représentation de la performance des directeurs. Dans un second temps, nous allons, grâce à l’analyse thématique, retracer l’évolution des représentations de la nature de la performance par les dirigeants du secteur public français et suisse de la radio.
Le cas français
Pour la classification double, le corpus est constitué des trente-quatre discours des directeurs généraux. Il comprend 25 972 formes dont 4 158 distinctes. À l’issue du traitement par ALCESTE, une classification en quatre classes portant sur 70 % des UCE est apparue. Le dendrogramme est présenté dans la figure 1.
Dans le tableau suivant, nous avons regroupé les classes de mots et les citations associées aux notions de performance. Chaque classe de mots évoque une légitimation qui s’apparente à une cité de Boltanski et Thévenot (1991). Cependant, certains arguments peuvent être liés à plusieurs mondes. Comme Emery et al. (2008), « nous avons tenté de les associer à la légitimation la plus probable en tenant compte du contenu global des déclarations » (cf. tableau 9).
La classe 1 fait référence à un compromis des mondes civique et opinion. Pour ces directeurs, la performance se caractérise par la recherche d’utilité sociale, l’obtention d’une légitimité et la capacité à mobiliser les ressources externes. Les affirmations sur la performance sont en lien avec les services offerts et non avec le fonctionnement interne de l’organisation. Il est intéressant de relever que les éléments en lien avec le monde de l’opinion témoignent de l’importance accordée aux auditeurs. Ce constat met en évidence un paradoxe du management des médias. Le directeur est le garant à la fois d’un contenu éditorial avec un idéal de neutralité et d’objectivité, mais aussi d’objectifs de rentabilité avec la nécessité de plaire au plus grand nombre.
La classe 3 est relative au compromis des mondes industriel et domestique. Pour ces directeurs, la performance se caractérise par la recherche d’une efficacité organisationnelle avec une importance accordée à la dimension RH. Nous retrouvons un vocabulaire centré sur la performance fonctionnelle du monde industriel : l’efficacité de la gestion du personnel et les structures à mettre en place pour s’adapter au changement. Nous y retrouvons aussi les valeurs de dialogue social inscrites dans le monde domestique : la proximité, la confiance, le dialogue ou la négociation d’accords. Il s’agit d’une performance caractérisée par la recherche d’une satisfaction des salariés avec la mise en place d’indicateurs fondés sur les contrats d’objectifs fixés avec l’Etat.
Les classes 4 et 2 sont représentatives du monde industriel. Nous pouvons distinguer deux types de performances : celle de la classe 4 que nous nommerons « industriel – gestionnaire » et celle de la classe 2 que nous nommerons « industriel – expert technique ». Dans le monde « industriel – gestionnaire » (classe 4), la performance se caractérise par la recherche d’une efficacité organisationnelle des dispositifs de gestion. Le vocabulaire mobilisé est celui d’une performance centrée sur les outputs et l’efficience, c’est-à-dire sur les moyens à mettre en oeuvre pour un « bon fonctionnement ». Dans le monde « industriel – expert technique » (classe 2), la performance se caractérise par la recherche d’une efficacité organisationnelle des dispositifs techniques. Tandis que le vocabulaire de la performance dans le monde « industriel – gestionnaire » renvoie à la gestion organisationnelle et la mise en place d’outils de gestion, celui du monde « industriel – expert technique » évoque les moyens techniques de diffusion, comme les fréquences, le téléchargement, les podcasts.
Pour chaque décennie, nous pouvons identifier l’évolution des représentations de la performance des directeurs (cf. tableau 10).
Nous observons un glissement des mondes de référence dans le temps, à l’ORTF puis Radio France. Dans les années 1960 et 1970, prédomine un monde « industriel – gestionnaire » dans un contexte d’ouverture à la concurrence du secteur public de la radio. Lorsque le monopole est abandonné dans les années 1980, devrait prédominer une vision de la performance marchande, mais ce sont les mondes civiques et de l’opinion qui prédominent. Lorsque le marché se libère, dans les années 1990, le monde de l’opinion est fortement présent dans les réformes publiques. Cependant, celui-ci n’est pas prépondérant dans les discours des dirigeants qui privilégient une vision « industriel – expert technique ». Avec la montée en puissance des NTIC, dans les années 2000 et 2010, les dirigeants mettent en avant une vision « industrielle – domestique » avec la mise en place de stratégie de création de valeur appliquée aux médias.
Le cas helvétique
Pour la classification double, le corpus est constitué des trente-sept discours des présidents-directeurs généraux. Il comprend 37 876 formes dont 4 287 distinctes. À l’issue du traitement par ALCESTE, une classification en six classes portant sur 68 % des UCE est apparue. Le dendrogramme est présenté dans la figure 2.
De façon symétrique au cas français, le tableau 11 regroupe les classes de mots et les citations associées aux notions de performance.
La classe 3 est relative au monde marchand. La performance est économique et financière. Nous retrouvons le monde marchand et les références à la culture d’entreprise dans un environnement décrit comme concurrentiel. Le vocabulaire mobilisé est celui d’une performance centrée sur l’efficience, c’est-à-dire l’utilisation rentable des ressources publiques.
Nous retrouvons dans les classes 4 et 1 les références au monde industriel. Comme dans le cas français, les représentations de la performance du monde industriel sont de deux sortes : « industriel – expert technique » (classe 4) et « industriel – gestionnaire » (classe 1).
Le monde civique est fortement présent dans trois classes (classes 2, 5 et 6) qui sont finalement des subdivisions du monde civique : la classe 2 nommée « civique – respect des procédures », la classe 5 « civique – respect de la loi » et la classe 6 « civique – utilité sociale ». Nous retrouvons des visions de la performance en lien avec les services offerts et non avec le fonctionnement interne de l’organisation. Dans le monde « civique – respect des procédures », la performance se caractérise par des représentations liées au rôle du comité central (celui d’assumer les tâches dévolues à la haute direction en vertu du droit des sociétés anonymes). Dans le monde « civique – respect de la loi », la performance se caractérise par des représentations liées aux différents débats parlementaires suscités en faveur de l’autonomie. Dans le monde « civique – utilité sociale », la performance se caractérise par la recherche d’un « fonctionnement transparent et démocratique au niveau de la hiérarchie » (Emery et Martin, 2010).
Pour chaque décennie, nous pouvons identifier l’évolution des représentations de la performance dans le discours des directeurs (cf. tableau 12).
Dans les années 1960, dans un contexte d’ouverture à la concurrence, prédomine le monde « industriel – expert technique ». Avec l’abandon progressif du monopole, nous observons un glissement des mondes. Les représentations prédominantes de la performance font référence principalement au monde civique (subdivisé en trois catégories : « civique – respect de la loi », « civique – respect des procédures », « civique - utilité sociale »), pour ensuite glisser dans les années 1990 vers le monde « industriel – gestionnaire ». Alors que le monde marchand est très présent dans le secteur des médias, les dirigeants vont privilégier une représentation de la performance en référence aux mondes civique et industriel.
Discussion
Notre discussion porte sur les principales conceptions de la performance dans le secteur public et l’ancrage identitaire des dirigeants publics dans leur rapport à la performance.
Les conceptions prédominantes de la performance
La grille d’analyse de l’école des conventions a permis l’identification des cités de référence de la performance (cf. tableau 13).
À partir de ce tableau, nous pouvons distinguer trois points.
Premièrement, la performance n’est pas représentée de la même manière lorsqu’il s’agit de l’appropriation du NPM par les acteurs institutionnels du secteur radiophonique. Les compromis apparaissant dans le secteur français (civique-marchand et marchand-opinion) et helvétique (marchand-industriel, marchand-civique et marchand-opinion) révèlent une conception de la performance où les médias ne sont pas des « produits comme les autres » : ils font certes l’objet d’une marchandisation mais ils répondent aussi à l’idéal de neutralité et d’objectivité.
Deuxièmement, les résultats font apparaître une évolution des mondes de référence avec, pour le cas français, une prédominance pour le monde industriel subdivisé en deux : « industriel – gestionnaire » et « industriel – expert technique » dans les années 1960-1970. Cette subdivision est particulière et représente une alternative au monde marchand très présent dans la politique médias du gouvernement et au monde civique très présent dans les projets modernisateurs publics. La performance se caractérise par la recherche d’une efficacité organisationnelle centrée sur les outputs et l’efficience (« monde industriel – gestionnaire »). Dans les années 1990, le monde prédominant est le monde « industriel – expert technique ». Toutefois, les mondes civique, de l’opinion et domestique sont présents dans le discours des dirigeants. Le cas français présente ainsi une association particulière des mondes industriel, civique, de l’opinion et domestique. Pour le cas helvétique, les résultats font apparaître le passage d’une prédominance du monde civique (subdivisé en trois : « civique – respect de la loi », « civique – respect des procédures » et « civique – utilité sociale ») jusque dans les années 1980 à une prédominance du monde industriel (subdivisé en deux : « industriel – gestionnaire » et « industriel – expert technique ») à partir des années 1990. La performance publique se définit, dans ce cas, par la recherche d’utilité sociale et le respect de la loi et des procédures.
Troisièmement, les mondes de référence absents des discours des dirigeants nous renseignent aussi sur leurs positionnements idéologiques. Nous observons que les références aux mondes de l’inspiration et marchand sont absentes pour le cas français. Ils ne communiquent pas sur l’atteinte de la légitimité par les résultats économiques et financiers. Pourrait-on en conclure que cette performance financière n’est pas recherchée par les dirigeants publics ? Concernant la référence au monde de l’inspiration, seul le discours de 1973 en France, écrit par Arthur Conte, journaliste, écrivain et historien, y fait référence. Il n’apparaît pas toutefois dans le rapport ALCESTE car il n’est pas représentatif (un discours parmi les trente-quatre analysés). Pour le cas helvétique, les références aux mondes de l’inspiration, de l’opinion et domestique sont absentes. Les références au monde marchand sont présentes dans une moindre mesure. Il est étonnant de constater que, dans les deux pays étudiés, le monde de l’inspiration est quasiment absent dans le secteur médiatique radiophonique où la culture et la créativité sont une priorité. Au contraire, la performance référente au monde marchand est présente en Suisse, à partir des années 1990. Ceci s’expliquerait par une logique marchande plus présente à la télévision qu’à la radio. La SRG SSR est la Société suisse de radiodiffusion et de télévision tandis que Radio France possède une autonomie de gestion depuis 1975.
L’ancrage identitaire des directeurs
Le deuxième élément de conclusion concerne l’ancrage identitaire des directeurs dans leur rapport à la performance en utilisant la grille d’analyse de Boltanski et Thevenot (1991) (cf. tableau 14).
À partir de ce tableau, nous pouvons distinguer deux points.
Premièrement, nous remarquons le parallélisme existant entre l’élite d’appartenance du dirigeant (professionnelle / politico-administrative / managériale) et les concordances et/ou dissonances des mondes de références prédominants entre les projets modernisateurs de l’État et les discours des dirigeants (cf. tableau 13). Nous observons que le phasage des mondes référents est meilleur lorsque le dirigeant est issu de l’élite politico-administrative. Et inversement, nous observons des dissonances lorsqu’il n’en est pas issu. L’impact des projets modernisateurs de l’État est conditionné par le profil individuel du dirigeant.
Deuxièmement, les directeurs issus de l’élite politico-administrative mettent l’accent, dans leurs discours, sur la performance du monde « industriel – gestionnaire » se caractérisant principalement par une « bonne organisation » permettant d’assurer la qualité des services offerts. Ils vont surtout rechercher le traitement équitable et l’accessibilité aux services, mais aussi dans une moindre mesure l’utilité sociale. Pour les directeurs issus de l’élite professionnelle, les représentations de la performance sont multidimensionnelles. Pour eux, les médias ne sont pas des objets de consommation comme les autres. Ainsi, leur gestion revient à reconnaître tout à la fois « la responsabilité managériale soumise aux lois économiques et une exigence éthique constituée d’indépendance éditoriale, de transparence dans la gestion, de représentation des minorités, d’accès universel et de promotion de règles éthiques strictes » (Deslandes, 2008). Cette gestion s’inscrit dans la conception de Redmond et Trager (2004), selon laquelle quatre critères permettent d’apprécier l’efficacité d’une entreprise médiatique : l’efficacité perçue par les actionnaires, la qualité des productions perçue par les utilisateurs, un environnement de travail positif pour les employés, et enfin son rôle en matière culturelle et sociale dans une société démocratique.
Conclusion
Cette recherche vise une meilleure compréhension de l’évolution des représentations de la performance dans les discours managériaux des dirigeants. Le NPM véhicule un langage managérial qui est interprété différemment par les dirigeants. Certaines représentations de la performance sont en correspondance ou au contraire en discordance avec le concept de performance diffusé par le NPM. Cette correspondance/discordance des mondes de référence des projets de modernisation et des dirigeants amène à se poser la question du devenir des réformes instituées par le NPM dans le secteur public de la radio, en particulier, et dans le secteur public au sens large.
Une typologie des dirigeants basée sur les représentations de la performance est construite sur la base de leurs discours présent dans les rapports d’activité. Cette typologie est exploratoire. La mise en application des principes du NPM par les dirigeants amène des représentations de la performance très diversifiées selon les projets de modernisation publique et selon leur élite d’appartenance.
Ces analyses se fondent cependant sur un nombre limité et un discours spécifique : celui des mots du président présent dans les rapports d’activité. Elles gagneraient à être prolongées par des recherches complémentaires sur l’évolution de la perception de la performance chez les agents publics.
Appendices
Notes
-
[1]
Cette chronologie est non exhaustive et propose de résumer les principaux projets « modernisateurs » des services publics français.
-
[2]
Site internet consulté le 20/09/2017, http://www.srgssr.ch/fr/srg-ssr/histoire-dentreprise/la-ssr-de-1931-a-nos-jours/
-
[3]
Site internet consulté le 20/09/2017, http://www.srgssr.ch/fr/medias/archives/communique-de-presse/date/2009/convergence-des-medias-srg-ssr-idee-suisse-nomination-des-chefs-de-projet/
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