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Dans un monde désormais plus ouvert, les flux d’échanges et d’investissements dessinent une nouvelle carte des relations entre acteurs économiques, où qu’ils se trouvent. Au-delà des concepts de globalisation ou de mondialisation (Milliot et Tournois, 2009), qui soulignent des convergences qu’accréditent nombre d’évolutions (notamment dans le domaine des télécommunications, d’internet ou des transports internationaux), c’est un décloisonnement dissymétrique qui sert désormais de cadre à la définition des nouvelles opportunités qui s’offrent à des acteurs économiques qui sont loin d’y être toujours préparés. Si les obstacles aux flux d’échanges de biens et de services, de capitaux, d’investissements, d’informations, de migrants, etc., ont diminué de façon appréciable depuis deux décennies, ils ne l’ont pas fait de la même manière et au même rythme dans l’ensemble des espaces géographiques et pour l’ensemble des activités (Ghemawat, 2007).

La diffusion des crises, facilitée par un tel décloisonnement, comme l’illustre la récente crise financière mondiale que prolonge la crise des dettes souveraines, remet simultanément en question, dans ce contexte spatio-temporel, les systèmes de gouvernance économiques et politiques, les stratégies et les structures organisationnelles des parties prenantes, de plus en plus nombreuses, concernées par cet élargissement de l’ouverture internationale.

Si les entités touchées sont, au premier chef, les entreprises, sont également à considérer les organisations non gouvernementales, les organisations multi-gouvernementales comme, bien sûr, les autorités régionales et nationales impliquées directement ou indirectement dans ce processus. Selon leur déploiement géographique (zone d’origine, zones cibles avec lesquelles elles développent leurs relations), leur(s) secteur(s) d’activité (déjà très « globalisé » ou encore « géo-centré »), mais aussi leur taille, leur image, leur culture organisationnelle, elles seront plus ou moins bien armées pour faire face aux diverses pressions qui seront susceptibles de s’appliquer à l’espace géo-sectoriel dans lequel elles chercheront à poursuivre leurs objectifs de croissance ou à maintenir leurs positions. La multiplication consécutive de leurs interactions réciproques devient, aussi, clairement, une composante importante à prendre en compte pour la compréhension des mutations en cours.

Ces mutations résultent des pressions, tout à la fois politico-réglementaires, économiques, sociales et technologiques (Lemaire, 2000) qui sont à l’origine des défis auxquels les unes et les autres se trouvent confrontées, depuis le début des années 1990, dans un environnement international profondément bouleversé, contrastant avec la relative stabilité des périodes antérieures. Au-delà de la montée en puissance du libéralisme, à la suite de l’ère Reagan et Thatcher de la fin des années 1970 et des années 1980, ce sont la chute du mur de Berlin, la transition politico-économique engagée par la Russie, la Chine, mais aussi l’Inde – parmi les puissances majeures, mais aussi par d’autres, de taille plus modeste, comme le Vietnam – qui sont à l’origine du nouveau système de relations économiques multipolaire. Les positions acquises par la diversité des parties prenantes, comme les pratiques de l’échange et de l’investissement, s’y trouvent profondément remises en question et appellent un renouveau de la réflexion.

Au premier rang des conséquences de ces mutations se situe le déplacement progressif du centre de gravité de ces flux économiques en direction des économies à croissance rapide et des pays émergents. Il est, notamment, le résultat de l’amélioration notable de leur niveau de vie, de leur forte demande d’investissements, liée à leur croissance, comme à la progressive mise aux standards internationaux de leurs infrastructures et du dynamisme dont font preuve leurs agents économiques. En conséquence, un nombre croissant d’acteurs étrangers à ces nouveaux espaces d’expansion s’y implique, comme s’y manifeste la montée en puissance des acteurs locaux. Ceux-ci, appuyés par des autorités nationales de plus en plus conscientes de l’influence que leur donne le dynamisme de leurs marchés et le poids de leurs transactions à l’échelle mondiale, nourrissent des ambitions qui dépassent leur espace de référence national traditionnel. Ils cherchent de plus en plus un accès aux économies matures, non seulement pour profiter des substantiels débouchés qu’elles offrent, mais, également, pour réduire leur retard en matière de technologie, de management et d’image.

Se manifestent aussi, dans ce cadre dynamique et très évolutif, de nouveaux besoins économiques et sociaux, de nouvelles aspirations politiques, sociales ou religieuses, faisant évoluer les valeurs, le plus souvent inspirées par l’Occident, qui dirigeaient jusqu’à il y a peu les relations économiques, commerciales et financières. Ils conduisent à la prise en compte de différences culturelles qui concernent les entités économiques mais également les groupes sociaux et les individus, de plus en plus nombreux à être concernés directement ou indirectement par une telle ouverture, comme consommateurs ou utilisateurs, comme producteurs ou, plus généralement, comme citoyens susceptibles de prendre position face aux différents changements introduits par elle dans leur existence.

Ces défis, pour ne retenir que quelques-uns des plus importants, ouvrent au champ du Management et du Développement International (International Business) quatre nouvelles perspectives de recherche,

  • en suggérant l’adoption plus systématique d’une démarche intégrant, dans un contexte en profonde mutation, de nouvelles logiques de diagnostic et de prise de décision,

  • en prenant en compte davantage l’accélération de l’ouverture internationale et du décloisonnement entre espaces économiques et entre activités ainsi que les déséquilibres qui en résultent,

  • en remettant en question les rapports de force entre ces espaces et entre la diversité croissante des acteurs qui y opèrent,

  • en accordant plus d’importance à la diversité des cultures et aux relations qu’intensifie entre elles le développement des activités internationales.

Ces défis conduisent, en conséquence, à adopter de nouvelles approches pour les prendre en compte. Ils incitent, en particulier, face à l’importance et, souvent, à l’urgence des ajustements qu’ils dictent aux organisations, à privilégier des démarches de recherche qui ne se limiteraient pas à l’analyse, mais engagent à les poursuivre jusqu’à la prise de décision.

Le nécessaire recours, dans un environnement international turbulent, à une démarche partant de l’analyse et allant jusqu’à la décision

Tous ces éléments, qui renouvellent profondément les bases de la réflexion, conduisent à s’interroger sur les problématiques du Management (Mayrhofer et Urban, 2011) et du Développement (Lemaire, 2012) International des organisations. Sans rejeter les théories de référence qui s’y appliquent, ces mutations invitent à mesurer les limites de leur pertinence et de leur capacité à préparer les acteurs à la prise de décision dans un espace élargi, évolutif, complexe et instable. Elles conduisent à le faire à différents niveaux.

Tout d’abord, celui de l’analyse de l’environnement, en mettant en évidence les modes d’approche des transformations qu’on y observe, pour mieux comprendre le sens des nouveaux rapports de force qui s’établissent entre parties prenantes, de plus en plus nombreuses, concernées par le décloisonnement des espaces économiques et des secteurs.

  • Ensuite, celui de la définition des politiques menées par ces différentes catégories de parties prenantes, impliquées dans cet environnement en évolution rapide, en fonction de leurs caractéristiques organisationnelles, comme en fonction des dimensions culturelles (Chevrier et Ségal, 2011; Davel, Dupuis et Chanlat, 2009; Prime et Usunier, 2012) – nationales, sectorielles, fonctionnelles, institutionnelles, etc. – qui peuvent expliquer leur succès ou leur échec et qui le pourront à l’avenir.

  • Enfin, celui des éléments de mise en oeuvre au niveau des fonctions (ressources humaines, recherche-développement-innovation, approvisionnement, production, logistique, marketing, finance, comptabilité-contrôle, juridique, etc.) qui peuvent, les unes ou les autres, occuper une position centrale dans le développement international et qui sont toutes, à un moment ou à un autre, impliquées dans le processus d’internationalisation.

En conséquence, une démarche d’ensemble, de l’analyse à la décision et à l’action, qui articule ces différentes composantes du Management et du Développement International des organisations, peut constituer un fil rouge auquel peuvent se rattacher ces différents niveaux de réflexion s’appliquant à ce champ (figure 1). Elle part de l’analyse, dans les espaces de référence géographiques (macro-économiques) et sectoriels (méso-économiques), dans lesquels se développent ou souhaitent se développer les organisations considérées, pour inspirer la formulation de leurs décisions (micro-économiques) d’internationalisation et de mise en oeuvre de celles-ci.

Figure 1

Passer de l’analyse de l’environnement à la prise de décision et à la mise en oeuvre

Passer de l’analyse de l’environnement à la prise de décision et à la mise en oeuvre
Source : adapté de Lemaire (2012)

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Dans la mesure où il s’agira, aussi, de faciliter la prise de décision des organisations dans le cadre de leur démarche d’internationalisation, l’enjeu sera donc, dans ce champ du Management et du Développement International, de prendre en compte plus directement -mais sans exclusive – les problématiques que soulèvent les différentes parties prenantes, de plus en plus concernées par l’ouverture internationale.

  • Répondre à un tel enjeu, pourra suggérer l’adoption plus fréquente d’approches inductives, partant d’études de cas, renouant dans ce sens avec certaines démarches; comme celles des fondateurs de l’école d’Uppsala (Johanson et Vahlne, 1977 et 2009), qui y avaient ancré leurs réflexions. Celles-ci portaient, certes, sur l’internationalisation, encore prudente et limitée, qui caractérisait la période antérieure aux deux décennies qui viennent de s’écouler et qui ont mené à la situation actuelle. Elles n’en ont pour autant rien perdu de l’intérêt qu’elles présentent en reliant la réflexion académique à la réalité et aux problématiques concrètes des organisations.

  • Dans une telle perspective, pourra, aussi, être davantage systématisée la recherche d’incidents critiques (récurrents ou nouveaux), de signaux (faibles ou forts) à travers des systèmes de veille adoptés par les organisations qui s’en dotent (entreprises, institutions financières et/ou assureurs crédit internationaux) (Xiao et Jianmei, 2011). Les uns comme les autres, aux différents niveaux de l’analyse (environnementale ou sectorielle) et aux différents niveaux de la décision (stratégie et mise en oeuvre) pourront susciter ou suggérer de nouveaux thèmes de réflexion et de meilleure compréhension des contextes, des politiques, comme des actions à engager.

Face aux mutations précédemment évoquées, intervenues particulièrement depuis le début des années 1990, une telle démarche pourrait, de plus en plus, présenter un caractère de nécessité, dans la mesure où, au-delà des qualités de réactivité et de flexibilité que les organisations auront pu cultiver par ailleurs, en dépendra leur capacité à faire face à la diversité des changements et des déséquilibres résultant de cette ouverture internationale élargie.

La prise en compte de parties prenantes de plus en plus nombreuses, répondant à des incitations et suscitant des interactions plus complexes

Pendant longtemps le Management International a été centré sur l’entreprise, comme en témoignent l’intérêt particulier porté à la « multinationale » et l’abondante littérature qui lui a été consacrée au début des années 1970, époque à laquelle l’expansion des grandes entreprises américaines en Europe était considérée (par exemple, Servan-Schreiber, 1968), soit comme une menace à redouter, soit comme un exemple à suivre. Depuis, les analyses qui leur sont consacrées ont permis des approches rationalisées qui prennent en compte les réalités actuelles (Mayrhofer, 2011).

Ont été, aussi, longtemps, privilégiées la dimension « export » et l’horizontalisation (Markusen, 1984; Glass, 2008), autrement dit la recherche de parts de marché par rapport à d’autres dimensions, comme, surtout, le redéploiement international de la chaîne d’approvisionnement et de production (supply chain). Dans le développement hors frontières des organisations, la verticalisation (Barthélémy, 2009) représente désormais une modalité d’internationalisation qui correspond, pour nombre d’entre elles, à la nécessité d’optimiser leurs coûts et, plus généralement, de trouver le meilleur accès possible aux facteurs de production, comme à se rapprocher de leurs clientèles ou partenaires-clés dans un environnement plus décloisonné.

Au-delà des flux intrants et extrants, des entreprises multinationales (Rugman et Oh, 2011) et des entreprises se situant à des stades de leur internationalisation moins avancés (Douglas et Craig, 1989), suivant une progression longtemps prudente, telle que décrite par les modèles en vigueur, comme les modèles d’Uppsala (Meier et Meschi, 2010), d’autres entreprises, « nées globales », ont fait leur apparition. Ces organisations ont mis à profit les nouvelles possibilités offertes par l’éventail élargi d’opportunités qu’offre le décloisonnement accru des espaces géo-sectoriels, comme de la dématérialisation des services et des modes de transmission accélérée qu’améliorent sans cesse les nouvelles technologies de l’information et de la communication (Zucchella et Scabini, 2007).

Ce sont donc, aussi, les incitations à l’internationalisation qui ont évolué par rapport aux modèles de référence, comme le modèle OLI (Ownership, Location, Internalization) de Dunning (1977), qui, sans préjudice de la pertinence qu’il conserve et des ajustements auxquels il a donné lieu (Dunning et Lundan, 2008), engage à une poursuite et à un renouvellement de la réflexion dans le nouvel environnement dans lequel évoluent les organisations.

Doivent désormais être pris en considération les différents types de partenariat et les réseaux qui tendent à se développer entre organisations, en jouant de leurs complémentarités ou de leurs similitudes pour mieux appréhender des espaces et des interlocuteurs étrangers peu familiers, pour faire face à une concurrence accrue, pour mutualiser des ressources dans le but d’atteindre des objectifs qu’elles ne pourraient isolément espérer envisager. Ces partenariats, qui peuvent sur le plan international prendre des formes très différentes, ne concernent d’ailleurs pas que les entreprises entre elles. Les autres entités de plus en plus concernées par l’ouverture internationale (organisations non gouvernementales, organisations multi-gouvernementales, autorités locales, fondations, etc.) peuvent également être parties prenantes en poursuivant des finalités d’une grande diversité (Hennart, 2009).

Ces acteurs, autrefois moins présents sur la scène internationale, méritent aussi qu’on s’attache à mieux cerner le rôle qu’ils sont amenés à y jouer (Jensen et Sandström, 2011). Ainsi, les organisations non gouvernementales – à vocation humanitaire, culturelle, religieuse, etc. – souvent porteuses d’intérêts spécifiques à caractère politique, économique ou social, essaiment largement sur le plan géographique. N’ayant pas, en général, dans leurs objectifs la réalisation de profit, tout en entretenant parfois une certaine ambigüité sur ce point (Baur et Palazzo, 2011), elles n’en interfèrent pas moins avec les entreprises, les institutions inter-gouvernementales, comme avec les autorités régionales ou nationales. Agissant en tant que groupes de pressions, productrices de services et, parfois, de biens, elles peuvent s’impliquer en complément des entreprises ou en coordination avec elles et/ou à l’instigation d’organisations intergouvernementales dans le cadre de l’élaboration de projets éducatifs ou sanitaires, de la réalisation d’infrastructures, du soutien au commerce équitable, etc. Tout comme elles peuvent chercher à peser sur les décisions de ces différentes entités, lorsque sont en jeu les objectifs qu’elles se sont fixés ou les valeurs qu’elles défendent. Ceux-ci peuvent aller de la préservation des intérêts catégoriels ou communautaires, à la protection de l’environnement et à l’amélioration des relations entre les organisations et les nouveaux espaces géographiques qu’elles abordent ou dans lesquels elles se développent; par exemple, en les aidant dans leur démarche éthique et de mise en oeuvre de leur responsabilité sociale (Amann, Jaussaud et Martinez, 2010; Kolk et van Tulder, 2010).

C’est donc, sur un plan plus large, le thème de l’interaction entre ces différents acteurs dans une perspective internationale qui ouvre de nouveaux axes de recherche. Pas uniquement dans une perspective client-fournisseur dans laquelle se situent de nombreux auteurs (notamment dans le cadre du groupe IMP – Industrial Marketing and Purchasing Group [Lowe et Hwang, 2012]), mais, sur un plan plus large, pouvant faire appel à l’analyse néo-institutionnaliste, associant la théorie des coûts de transaction et la théorie du changement institutionnel (Milliot, Tournois et Jaussaud, 2011).

C’est dans cette perspective d’ailleurs, que peut être évoquée une dernière catégorie – essentielle – de parties prenantes : les autorités en charge des territoires vers lesquels se déploient les autres organisations. Celles-ci sont amenées à s’impliquer sans cesse davantage dans les flux d’échanges et d’investissements, cumulant plusieurs rôles (Lemaire, 2012).

  • Un rôle de développeur pour le compte de leurs ressortissants, étant comparables en cela à d’autres organisations – telles les entreprises, pour leurs actionnaires -, face à des concurrents similaires, de tailles différentes, qui cherchent à valoriser leurs atouts spécifiques : villes capitales, carrefours maritimes, métropoles, etc., tendant à développer leur rayonnement géographique. Il peut s’agir également des régions ou des pays, cherchant à affirmer leurs avantages compétitifs propres par rapport à leurs homologues, proches ou distants, que, notamment, les investisseurs pourraient préférer pour y localiser une implantation.

  • Un rôle de support – sinon de « protecteur » – des agents économiques locaux et étrangers (investisseurs directs, particulièrement) qui contribuent à leur richesse et fondent leurs ambitions, en leur procurant un environnement favorable doté d’infrastructures tangibles (routes, ports, aéroports, services collectifs, etc.) et intangibles (cadre juridique, système éducatif, sécurité, etc.) indispensables à leur développement. Cela n’exclut pas de favoriser les acteurs locaux par rapport à la concurrence étrangère ou même d’ériger des barrières propres à l’entraver, parfois à la limite des engagements que les autorités ont pris et des règles auxquelles elles sont assujetties, ou même, qu’elles doivent faire appliquer.

  • Un rôle de régulateur et garant de la souveraineté, qui se traduit par la volonté manifestée – particulièrement au niveau des Etats, mais sans exclusive – d’exercer un contrôle étroit de secteurs et de fonctions considérées comme stratégiques (services publics ou exploitation de ressources naturelles, appels d’offre ou octroi de financements publics). Il peut même les conduire, au nom de leur souveraineté territoriale – si l’influence des acteurs étrangers est jugée excessive – à encadrer leur gestion ou à en limiter les ambitions, dans un cadre pouvant se révéler très astreignant, pouvant, à l’extrême, les contraindre au retrait.

C’est donc dans une posture, tout à la fois, offensive et défensive qu’il faut envisager les stratégies d’internationalisation des territoires – quel que soit leur niveau (supranational, national, régional ou municipal) – dans un contexte d’ouverture accrue. Ce qui conduit à envisager les interactions entre les autorités qui les administrent et les autres entités – par exemple, les investisseurs directs étrangers -, comme le contexte de prise de décision de localisation, qui suppose de rapprocher les intérêts respectifs des deux catégories de parties prenantes concernées, peut en fournir l’illustration (figure 2).

  • Pour les autorités locales, la volonté d’attirer des flux d’investissements croissants, en faveur desquels elles déploient des politiques de mise à niveau des infrastructures et d’ajustement des cadres réglementaires, n’est pas sans conditions et sans restrictions. Si l’objectif premier de ces politiques est de maximiser les bénéfices attendus – tant en termes d’afflux de ressources financières, de création d’emplois, de transferts de technologie et de mise à niveau des pratiques managériales locales - elles n’en comportent pas moins des limites tangibles susceptibles de contrarier, voire de décourager, les investisseurs étrangers. Les autorités procèdent, en effet, souvent, de manière antinomique, encourageant le renforcement des relations avec l’extérieur, mais, sans pour autant, leur laisser toute latitude d’expansion :

    • d’une part, par souci de protéger les acteurs locaux contre une concurrence exacerbée venant de l’extérieur qui pourrait mener à leur exclusion de certains secteurs à fort potentiel de croissance, tout en leur interdisant, dans le futur, la possibilité de se déployer, à leur tour, vers l’extérieur;

    • d’autre part, par volonté d’exercer un contrôle étroit des secteurs stratégiques (services publics, secteur bancaire, ressources naturelles, distribution, etc.) pouvant les conduire à contrarier les initiatives étrangères visant ces secteurs pour autant qu’elles risqueraient de menacer l’orientation privilégiée pour l’économie locale.

  • Pour les investisseurs directs étrangers, désireux d’engager les moyens nécessaires, ces espaces – souvent nouvellement ouverts – offrent parfois de grandes possibilités, mais comportent aussi des risques supérieurs à ceux auxquels ils sont confrontés dans d’autres zones. La taille et le potentiel qu’offrent nombre d’entre eux, les ressources naturelles (physiques et humaines) qui y sont accessibles – à un coût souvent très attractif – incite à s’y développer dans une perspective de conquête de parts de marché et/ou d’optimisation internationale de leur chaîne de valeur. Ces investisseurs n’en restent pas moins soucieux :

    • d’une part, de minimiser leur exposition aux risques en limitant les actifs (tangibles et intangibles) susceptibles d’être soumis localement à des défis structurels, aussi bien que conjoncturels, en abaissant, notamment, au maximum, les barrières à la sortie;

    • d’autre part, de se ménager, dans un contexte en évolution de plus en plus rapide, le plus haut niveau de flexibilité pour être en mesure de tirer parti sans tarder des opportunités qui se présenteraient ailleurs ou de réagir le plus efficacement possible aux nouvelles contraintes susceptibles de se manifester (Goerzen, Sapp et Delios, 2010; Reuer et Leiblein, 2000).

Figure 2

Le contexte de prise de décision de localisation

Le contexte de prise de décision de localisation
Source : adapté de Lemaire (2012)

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De nouvelles voies à explorer s’offrent aussi à la recherche avec l’élargissement du cercle des parties prenantes concernées par l’ouverture internationale qui, comme les autorités locales, la vivent comme des opportunités et des menaces propres à favoriser ou à contrarier leur développement et leurs intérêts prioritaires. Elles invitent, bien sûr, à se concentrer sur les spécificités que présente dans cette perspective d’internationalisation, chacune de ces entités ou catégories d’entités. Mais les interactions qu’elles peuvent avoir les unes avec les autres constituent aussi des sujets de réflexion propres à apporter, au-delà d’une meilleure compréhension de leurs mécanismes, de nouvelles ouvertures pour les différentes parties prenantes concernées (Hadjikhani, Elg et Ghauri, 2012).

La prise en compte des nouveaux rapports de force qui tendent à s’établir entre espaces économiques et les acteurs qui en sont issus

Pour ce qui concerne les rapports de force qui s’instaurent entre espaces économiques, les évolutions statistiques de 1990 à 2010, comme les projections allant jusqu’à 2020 ou 2030, soulignent la perte de poids relatif, en termes de PNB, entre économies matures (essentiellement les pays de la Triade : Amérique du Nord, Europe occidentale, Japon) et économies émergentes (notablement les économies à croissance rapide [ECR], telles que la Chine, l’Inde et les cinq plus grands pays de l’ASEAN). Il suffit de rappeler que de 60 % environ du PNB mondial en 1990, la part des premières est passée à 50 % en 2000 et à 45 % en 2010; cette part pourrait être de 35 % en 2020 et de 30 % en 2030 (UNCTAD, 2011).

Mais c’est le mécanisme de cette inversion de poids, entre les deux groupes d’économies, qui mérite la plus grande attention pour, précisément, mieux appréhender, au-delà des projections statistiques, la signification du phénomène, ses conditions de pérennisation et ses conséquences pour les acteurs ressortissant de ces zones.

Une composante sectorielle mérite, tout d’abord, d’être approfondie, et surtout, suivie de près pour mieux comprendre les contraintes et les perspectives favorables que ces économies comportent pour les acteurs concernés. Des secteurs entiers de production de biens et de services se sont trouvés décloisonnés et déréglementés, à plus ou moins grande échelle, facilitant une redistribution de la donne entre territoires, activités et organisations. Ainsi, dans les secteurs de service, ce mouvement, amorcé il y a maintenant une trentaine d’années avec la dérégulation du transport aérien, s’est, ensuite, étendu à de nombreux services, tels que la finance, les télécommunications et, à un moindre titre, la banque ou la grande distribution. Il n’a pas encore particulièrement favorisé les économies émergentes qui accusent encore un certain retard et qui tendent, en conséquence, à y maintenir un certain niveau de protection (Lemaire, 2012). Mais il en a été différemment dans d’autres secteurs : ainsi l’abandon des quotas d’exportation par pays et par produits, qui avaient été mis en place en 1974 pour protéger la filière textile des pays industrialisés, a sensiblement fait évoluer la structure des échanges, en permettant, à partir de 2005, l’accroissement dans ce secteur de la pression concurrentielle de pays comme la Chine et l’Inde sur les économies matures. D’autres secteurs, comme l’électronique et, désormais, l’automobile, les trains à grande vitesse, les équipements de télécommunication, en attendant l’aéronautique, font ou vont faire l’objet d’une concurrence plus intense qui débouche déjà sur une redistribution des activités entre zones géographiques (Dufour, 2012).

Au-delà de l’ère des délocalisations des organisations originaires des économies matures vers les économies émergentes, encouragées par la différence des coûts de main-d’oeuvre ou par le souci de se rapprocher des marchés en forte croissance, se dessine – dans certains secteurs à tout le moins – une nouvelle ère. Celle de la « remontée de filière » des organisations locales des ECR, à l’image de ce qui s’est produit au Japon il y a plus de trente ans et, plus récemment, en Corée du Sud, à Taiwan ou à Hong Kong. Ce phénomène est particulièrement observable aujourd’hui dans les économies les plus en pointe, comme la Chine ou, à un moindre titre, l’Inde, dont certaines organisations qui en sont issues tendent à devenir les leaders industriels mais aussi technologiques au niveau mondial (Ghemawat et Hout, 2008).

En termes de flux d’échanges, cette évolution sensible des soldes extérieurs se traduit par un accroissement des déficits extérieurs des économies matures, au bénéfice des économies émergentes, asiatiques en particulier (Hadjikhani, Elg et Ghauri, 2012). En termes d’investissements, c’est à une montée en puissance des « champions internationaux » des économies à croissance rapide que l’on assiste (Guillén et García-Canal, 2009). Ce sont eux qui ouvrent de nouvelles voies à la recherche en management international.

Cette tendance engage, par exemple, à vérifier la pertinence, pour ces « champions internationaux » issus des économies à croissance rapide, des différentes catégories d’incitations internes, telles que les relevait Dunning (1977) pour expliquer l’internationalisation d’entreprises, alors en majorité originaires des économies occidentales. Pour autant, il apparaît aujourd’hui essentiel de mieux comprendre comment d’autres incitations – d’ordre externe, cette fois – peuvent se combiner avec ces incitations internes, toujours à prendre en considération, pour expliquer la forte progression que l’on peut observer parmi un certain nombre d’entités issues de pays comme la Chine, en premier lieu, mais, aussi, comme l’Inde ou le Brésil, sans préjudice d’autres provenances comme le Mexique, la Russie ou l’Argentine et, bientôt, d’autres pays constituant une véritable « armée de réserve » des ECR (O’Neill, 2008) (figure 3).

  • Tout d’abord, « l’effet de grand marché » leur permet de disposer d’une base de clientèle nationale – existante et potentielle – considérable et de réaliser des économies d’échelle significatives, propres à augmenter leur compétitivité prix; indépendamment de l’avantage que leur procure, par ailleurs, le faible niveau de coût de leur main-d’oeuvre.

  • Un second élément à retenir provient des opportunités des zones de proximité, tant pour les débouchés qu’elles sont susceptibles de procurer à leurs produits, que pour les ressources naturelles qui leur font défaut et qu’elles pourraient leur fournir, et les possibilités de sous-traitance qu’elles pourraient leur offrir et qui leur permettraient d’optimiser la structure de leur chaîne de production[1].

  • Une troisième dimension se révèle aussi importante pour stimuler la croissance des « champions internationaux ». C’est le poids relatif et l’influence des investissements directs étrangers dans leur espace d’origine qui leur apportent par « effet de diffusion » de nouvelles technologies, de nouveaux savoir-faire fonctionnels (dans le domaine de la production et de la qualité, dans celui du marketing, etc.) ainsi que des modèles d’organisation leur permettant d’évoluer plus rapidement (Fu, 2012). Ces nouveaux éléments leur permettent de faire face à la concurrence sur leur grand marché intérieur et d’être mieux armés pour se développer hors frontières.

  • Enfin, le quatrième déterminant, plus décisif encore, l’appui de l’Etat, particulièrement dans ces ECR – mais pas uniquement -, joue un rôle central dans le positionnement international de ces « champions internationaux », à travers les politiques économiques, financières et monétaires. Indirectement, tout d’abord, en améliorant les infrastructures, ou en ménageant avec les entités supranationales (mondiales, comme l’OMC, ou régionales, le cas échéant) des périodes de transition propres à renforcer leur position compétitive dans certains secteurs clés et, ainsi, leur donner de meilleures chances de faire face à l’entrée de leurs concurrents étrangers, comme de se développer hors frontières. Les autorités nationales, ainsi que les collectivités locales, peuvent aussi leur apporter un soutien direct, notamment sous forme de subventions ou dans le cadre de la négociation internationale de certains marchés stratégiques.

Figure 3

Déterminants externes et incitations internes à l’internationalisation

Déterminants externes et incitations internes à l’internationalisation
Sources : Dunning (1994) et Lemaire (2007)

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Ainsi, les raisons qui expliquent le succès de ces champions internationaux, qui ont déjà conquis une place de leader[2], commencent à susciter des interrogations dans la communauté économique et même politique, et engagent à mieux cerner les raisons de leur progression et ses conséquences (Caldentey, 2008).

La prise en compte des interactions multiculturelles dans les schémas de développement international des organisations

Avec l’accroissement de l’ouverture internationale et le développement accru des organisations hors frontières, se multiplient, entre entités étrangères et locales (de plus en plus variées) des situations d’interaction culturelle qui peuvent être la source de difficultés, mais aussi d’opportunités et même doter les organisations qui les maîtrisent d’avantages compétitifs supplémentaires vis-à-vis de leurs concurrents; surtout si elles cherchent à enrichir leur propre culture d’entreprise à partir de cette diversité (Scott, Heathcote et Gruman, 2011).

Celles-ci tendent à adopter de nouveaux schémas organisationnels, caractérisés par une « flexibilisation » accrue, qui génère, en interne et en externe, de nombreuses relations de nature très différente (figure 4). La complexité qui en découle peut être illustrée par le concept d’ « usine mondiale » avancé par Buckley et Ghauri (2004) et Buckley (2011).

Figure 4

La « flexibilisation » de l’organisation multinationale

La « flexibilisation » de l’organisation multinationale
Sources : adapté de Buckley et Ghauri (2004) et Buckley (2011) par Lemaire (2012)

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Se pose alors la question de savoir comment peuvent s’y appliquer un certain nombre d’interactions culturelles – tout comme d’autres, qui seraient encore à définir – associées à l’internationalisation. Procèdent notamment de ces interactions la négociation interculturelle, l’animation d’équipes multiculturelles et les relations entre elles, ou encore, la conception et l’adaptation de produits à partir et à destination de contextes géographiques et culturels différents. Ce qui conduit aussi à s’interroger sur les formes qu’elles prennent, les paramètres qui les caractérisent, comme la manière d’en tirer le meilleur parti, sur le plan économique et social, commercial et managérial, pour l’ensemble des entités et individualités impliquées.

L’internationalisation – avec la multiplication des activités, leur adaptation, l’approche puis la conquête de nouveaux territoires – encourage de plus en plus le métissage des cultures au sein même de l’organisation et la mutation de sa propre culture (Samnani, Boekhorst et Harrison, 2012). Si la croissance organique, avec une progression concentrique dans les zones géographiques de proximité, se prête à une évolution progressive, les cessions, fusions et acquisitions (amicales ou hostiles), comme les partenariats développés dans des cadres géographiques plus larges, placent les organisations, de façon parfois brutale, devant des situations complexes et tendues (Hennart, 2009).

Au fil de son développement et de son déploiement géographique, il conviendrait donc de mieux mesurer l’importance de la culture de l’organisation internationale et d’envisager plus précisément ses transformations et sa diffusion (Lemaire et Prime, 2007). Tendant à s’inscrire dans des contextes de plus en plus variés, il lui faudra intégrer à sa culture d’origine la diversité et la richesse des apports des implantations et des environnements distants en mettant en oeuvre, comme certains responsables internationaux semblent en corroborer l’existence – chez Bouygues, Degrémont, Accor, Carrefour, etc., en particulier -, un véritable « levier » culturel (Lemaire, 2012; Prime et Usunier, 2012). Ce « levier » peut constituer un atout pour l’organisation internationale, vis-à-vis de ses clients et parties prenantes, et un avantage compétitif face à ses concurrents dans l’ensemble de l’espace géo-sectoriel (régional, continental, multi-continental ou mondial) dans lequel elle opère (figure 5).

Figure 5

Développer le « levier culturel » au fil du développement international

Développer le « levier culturel » au fil du développement international
Source : adapté de Lemaire et Prime (2007) par Lemaire (2012)

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Cette mise en relation des mutations des schémas organisationnels et des évolutions des interactions culturelles constitue elle-même, dans l’environnement turbulent dans lequel évoluent les organisations, un domaine de recherche qui intéresse nombre d’entre elles. Pour celles-ci, en effet, l’innovation, les transferts de savoirs et de savoir-faire (Cohendet et Gaffard, 2012), en particulier dans une perspective internationale, sont devenus des enjeux vitaux, dans le but, par exemple, de créer de nouveaux produits (Jensen, 2012).

Conclusion

Ces différents axes, qui ne sont nullement exhaustifs, mais qui couvrent des aspects essentiels du champ du Management et du Développement International des organisations, indiquent différentes orientations qui fédèrent d’ores et déjà un certain nombre de réflexions et d’analyses. Ces travaux peuvent contribuer à répondre aux nouvelles problématiques que soulèvent un nombre croissant d’organisations de plus en plus « exposées » dans un espace international de plus en plus ouvert.

Les perspectives identifiées privilégient, tout d’abord, des approches transversales, qui intéressent l’analyse de l’environnement et les approches d’ensemble de l’internationalisation, en accordant, notamment, aux phénomènes de crise, comme aux mesures de régulation concertées et aux efforts de structuration des flux d’échanges et d’investissements, toute l’importance que dicte l’évolution des deux dernières décennies.

Elles engagent, aussi, à mieux appréhender les incitations et les orientations plus novatrices qui peuvent être observées parmi les acteurs concernés par l’ouverture internationale (traditionnels et nouveaux, par leur statut ou par leur origine géographique). Ce qui conduit également à approfondir les dimensions organisationnelles et culturelles que suggèrent les modalités de développement des organisations à l’international.

Elles encouragent, enfin, à prendre en compte l’impact de l’internationalisation sur les fonctions, en les mettant en relation les unes avec les autres, en soulignant leur interdépendance dans le cadre de la formulation et de la mise en oeuvre des stratégies d’internationalisation qui tendent à devenir, pour nombre d’organisations, l’axe central de la stratégie d’ensemble.