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Se tromper de guerre : Johann Chapoutot sur les sentiers de la gloireJohann Chapoutot (2020) Libres d’Obéir. Le management du nazisme à aujourd’hui, NRF essais, Gallimard, Paris[Record]

  • Marcel Guenoun

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  • Marcel Guenoun
    Institut de la Gestion Publique et du Développement Economique, CERGAM, Aix-Marseille Université

Dans « Libres d’Obéir. Le management du nazisme à aujourd’hui », Johann Chapoutot, s’intéresse au management selon et par les nazis, qu’il considère comme « matrice de la théorie et de la pratique du management pour l’après-guerre ». Selon lui, le nazisme a en effet développé une pensée de la conduite des personnes et des organisations, en particulier de l’Etat, qui, par la survie et le retour aux affaires d’anciens nazis, a imprégné les entreprises, l’armée et les administrations allemandes jusqu’à aujourd’hui et a aussi eu des épigones dans d’autres pays. L’ouvrage s’articule en huit chapitres. Les premiers chapitres montrent la pensée de l’Etat que développent les juristes nazis, dont Reinhard Höhn, personnage central du livre. Face à un Empire de taille croissante et avec toujours davantage de fonctionnaires mobilisés sur le front, il faut administrer plus avec moins de « ressources ». Il est donc nécessaire de « faire mieux » en donnant de l’autonomie, de la liberté et de la joie au travail. Structurellement, ces juristes prônent la déconcentration, la simplification normative, la réduction des dépenses au service d’un démembrement plus profond de l’Etat. Ce dernier est un produit d’importation judéo-romain qui enserre la vitalité germanique et doit laisser la place au parti nazi et à des agences ad hoc. S’installe alors une sorte de marché administratif interne avec prise de décision centralisée censée refléter les lois darwiniennes de la nature : les agences qui performent sont reconnues par le chef et supplantent les autres. Hitler récupère tout pouvoir sur un Etat qui n’est qu’un moyen d’action. Les prémices de l’Etat providence instauré par Bismarck sont alors détruites car, en aidant les faibles, l’Etat gangrène la vitalité du corps du peuple germanique. L’Etat est également inutile puisque les membres d’une même race sont un corps commun, les agents et leurs agences se coordonnent donc spontanément. Il disparaîtra au stade suprême de la victoire finale. La lutte des classes, l’opposition entre gouvernants et gouvernés disparaîtront également par la soumission librement consentie et joyeuse à celui qui a compris les lois de la nature, de l’histoire et la volonté profonde de chaque membre de la race germanique : Hitler guidant le peuple. C’est à ce stade que l’ouvrage bascule dans l’analyse du Menschenführung, le management nazi. L’administration signifiait la servitude du sujet allemand, tandis que le management permet d’accepter d’être guidé par le führer. Selon la vision du monde nazie, le germain est spontanément travailleur au service de la communauté, Il est donc inutile de le contraindre, il suffit de lui indiquer l’objectif à atteindre. Il s’organisera pour mettre en oeuvre les moyens afin d’arriver à l’objectif. Néanmoins, l’intensification de la production industrielle à la fin des années trente pour préparer la guerre fait craindre aux dirigeants nazis une contestation économique et sociale. Plusieurs mesures sont prises pour apaiser le travailleur allemand : bien le nourrir et ne pas l’épuiser complètement, le convaincre que son sort est préférable face à l’horrible condition de vie de l’ouvrier soviétique. Par ailleurs, on achète les allemands par des baisses d’impôts et une hausse des prestations sociales. Obtenir l’adhésion est une préoccupation constante du reich, notamment par des primes et avancements au mérite sur le modèle fordiste américain. On emprunte également au fascisme italien « la force par la joie ». Ainsi, le syndicat unique s’évertue à améliorer les conditions de travail (aménagement des locaux, concerts dans les usines, voyages organisés) sans perdre le souci de productivité accrue. Reinhard Höhn, un des théoriciens de ce management nazi, dirige à partir de 1956 l’Académie des cadres. Il y transpose ses théories …

Appendices