Article body

Dans cet article, nous nous intéressons au rôle que peut jouer une certification éthique – dans ce cas-ci, celle du commerce équitable – dans le développement de collaborations entre entreprises aux logiques partiellement distinctes. Ces collaborations s’observent de façon croissante, en particulier dans le cadre d’activités économiques centrées sur la poursuite d’objectifs sociétaux, par exemple l’insertion socio-professionnelle, la microfinance ou, dans le cas examiné dans cet article, le commerce équitable. Ces activités ont généralement été initiées par des entreprises dites « sociales » qui placent la réalisation de ces objectifs sociétaux au coeur de l’activité économique, à travers des modèles organisationnels limitant la distribution des profits et prônant une gouvernance démocratique et participative (Defourny, 2004). Dans de nombreux cas, pour soutenir la croissance des activités économiques et, par ricochet, de l’impact social, les entreprises sociales tendent à nouer des collaborations avec des entreprises commerciales classiques, permettant d’améliorer la qualité, la logistique ou l’accès à une clientèle plus large (Huybrechts et al., 2006; Semenowicz, 2017).

Ces collaborations comportent de nombreuses opportunités mais également des défis majeurs étant donné la différence d’objectifs ou de « logiques institutionnelles » (Thornton et al., 2012). Ces différences pourraient conduire à une instrumentalisation du partenaire le plus « faible » ou, à défaut, à l’impossibilité de maintenir de telles relations inter-organisationnelles au-delà d’une phase temporaire (Hensmans, 2003). Cette lecture, néanmoins, considère les collaborations d’une façon isolée, comme si chacune d’elle se développait indépendamment des autres et de la trajectoire de structuration du champ dans lequel ces collaborations prennent place (Phillips et al., 2000). Pourtant, le développement de pratiques à la confluence de logiques (partiellement) distinctes s’accompagne d’une infrastructure institutionnelle pour réguler ces pratiques. Dans le cas des activités économiques axées sur la poursuite d’objectifs sociétaux, il s’agira de réguler les conditions à travers lesquelles l’activité économique génère effectivement un impact social pour les bénéficiaires ou la société dans son ensemble. Cette régulation peut être publique, à travers une législation régulant le secteur en question, par exemple dans le cas de l’insertion socioprofessionnelle (Lemaître et al., 2005). La régulation peut également être privée, à travers une certification développée par des acteurs non-étatiques telles que des ONG ou entreprises (Brunsson et al., 2012; Gulbrandsen, 2008). Ces certifications se sont développées autour de questions éthiques dans des secteurs aussi divers que le café (Reinecke et al., 2012), la gestion du bois (Bartley, 2003) ou encore la mode (Mena et Suddaby, 2016).

Selon plusieurs auteurs, le développement d’un système de certification permet de garantir le respect de standards éthiques par les différents acteurs du champ, d’harmoniser les pratiques, et de renforcer la crédibilité du champ auprès de parties prenantes telles que les consommateurs et les pouvoirs publics (Brunsson et al., 2012; Gulbrandsen, 2008). D’autres auteurs ont mis en exergue le fait que la certification éthique pouvait faciliter l’alignement d’intérêts discordants entre acteurs de divers types associés au champ (Fransen et Kolk, 2007), notamment dans le cadre de collaborations inter-organisationnelles (Di Domenico et al., 2009; Nicholls et Huybrechts, 2016; Weidner et al., 2019). Toutefois, les rôles que la certification opère dans les collaborations entre des acteurs guidés par des logiques au moins partiellement distinctes n’a pas été étudié en détails. Notre recherche est dès lors guidée par la question suivante : « quel est le rôle d’un système de certification éthique dans le développement de collaborations inter-organisationnelles entre acteurs aux logiques partiellement distinctes ? ». Cette question est importante non seulement pour enrichir la recherche, mais également pour informer la pratique. En effet, il est important pour les acteurs impliqués dans ces collaborations, et pour ceux qui s’y intéressent, de comprendre la façon dont l’utilisation (ou non) d’un dispositif de certification peut influer sur le fonctionnement de la collaboration, que cette influence consiste à fluidifier ou au contraire à contrarier ce fonctionnement.

Pour comprendre le rôle de la certification dans le développement des collaborations entre organisations aux logiques partiellement distinctes, nous nous intéressons au commerce équitable (CE). Ce champ est particulièrement intéressant par rapport à de telles collaborations car il a été initié par des entreprises de commerce équitable (ECE). Ces entreprises ont noué au fil du temps des alliances avec des entreprises commerciales tout en cherchant à transformer les pratiques de ces dernières, opérant ainsi en quelque sorte « dans et contre » le marché conventionnel (Le Velly, 2006). Nous analysons quatre cas de collaborations entre ECE et entreprises de la grande distribution (EGD) en Belgique. Sur la base de l’étude, nous identifions deux rôles joués par la certification. Premièrement, elle « marchandise » la crédibilité éthique de la collaboration et élargit significativement la gamme des partenaires possibles. Deuxièmement, elle agit comme une interface standardisée limitant les besoins de négociations et recentrant celles-ci essentiellement sur les aspects commerciaux. L’apport de la certification éthique est dès lors paradoxal. D’une part, la certification éthique permet de multiplier les relations inter-organisationnelles avec des entreprises commerciales et de standardiser leur fonctionnement. D’autre part, la certification maintient des rapports de pouvoir essentiellement économiques et limite le potentiel d’apprentissage et d’enrichissement mutuel.

Cet article est structuré comme suit. Nous présentons tout d’abord l’état des connaissances sur les collaborations inter-organisationnelles réunissant des logiques institutionnelles distinctes, ainsi que sur l’émergence des dispositifs de certification. Ensuite, nous introduisons l’histoire et l’évolution du commerce équitable (CE) et nous exposons la méthodologie utilisée. La troisième section présente et commente les résultats de l’analyse des partenariats entre ECE et EGD, mettant en exergue tant les opportunités que les limites de la certification pour leur développement. Enfin, la conclusion résume les contributions de l’article tant pour la recherche que pour la pratique.

Revue de la littérature

Les collaborations entre acteurs aux logiques (partiellement) distinctes

Dans une perspective stratégique, les collaborations inter-organisationnelles résultent d’une quête de bénéfices mutuels et équilibrés par des entreprises cherchant à maximiser leur profit (Brass et al., 2004). Les travaux en sociologie des organisations ont néanmoins mis en avant la répartition inégale du pouvoir de marché qui peut amener des entreprises à se retrouver instrumentalisées dans le cadre de relations de pouvoir asymétriques (Phillips et al., 2000). Plus récemment, les chercheurs se sont intéressés aux situations dans lesquelles les partenaires poursuivent des objectifs partiellement ou totalement divergents reposant sur des configurations de logiques institutionnelles distinctes. Les logiques institutionnelles représentent les règles d’action culturellement ancrées qui orientent le comportement des acteurs dans un champ donné et rendent leurs actions plus compréhensibles et prévisibles (Thornton et al., 2012). Souvent, une logique institutionnelle prédomine un champ et façonne l’identité organisationnelle et les processus de légitimation des acteurs qui la composent – par exemple une logique de marché dans un secteur commercial, une logique bureaucratique dans le secteur de l’administration publique ou une logique d’action sociale dans une organisation sans but lucratif (Thornton et al., 2012). Dans ce contexte, la coexistence de logiques distinctes dans un même champ est généralement présentée comme un phénomène conflictuel et temporaire dont la résolution aboutit à la prédominance d’une logique sur les autres (Hensmans, 2003). Le conflit entre logiques est d’autant plus prégnant dans le cas d’une forte asymétrie de pouvoir dans la mesure où, comme le soulignent Phillips et al. (2000), les règles et les pratiques d’un partenariat seront prioritairement dictées par la partie la plus puissante, qui imposera ainsi sa logique institutionnelle à la partie la plus faible. Les relations inter-organisationnelles peuvent ainsi apparaître comme un lieu de reproduction et de renforcement des rapports de force observables à un niveau plus macro (Phillips et al., 2000).

Plusieurs auteurs ont documenté les défis des collaborations entre acteurs guidés par des logiques distinctes, en particulier celles entre les entreprises commerciales « à but lucratif » et les associations (Amblard, 2004). Ces collaborations sont dites « inter-sectorielles » (« cross-sector » dans la littérature anglophone) dans la mesure où les partenaires sont alors guidés par des objectifs et des logiques propres à des « secteurs » distincts (Amblard, 2004; Di Domenico et al., 2009; Huybrechts et al., 2006). Le défi consiste alors non seulement à trouver des modes de collaboration satisfaisant les deux partenaires, mais également à permettre à chacun des partenaires de maintenir sa légitimité par rapport à ses parties prenantes majeures (Nicholls et Huybrechts, 2016; Weidner et al., 2019). Pour les associations, ces parties prenantes correspondront aux employés, aux bénéficiaires et aux éventuels bénévoles et donateurs qui se posent souvent en gardiens de la mission sociale telle que définie initialement (Weidner et al., 2019); pour les entreprises commerciales classiques, on pensera prioritairement aux actionnaires qui ne soutiendront ce type de collaborations que dans la mesure où elles n’affectent pas (ou pas trop) la maximisation du profit.

Néanmoins, les collaborations peuvent également inclure des organisations qui poursuivent déjà en interne une pluralité de logiques. C’est le cas des entreprises sociales qui combinent des logiques « hybrides », commerciale et sociale (Defourny, 2004; Huybrechts et al., 2012). Cette combinaison est fragile et peut être menacée par différents facteurs menant à ce qui a été qualifié de « dérive de mission » (Barinaga, 2018; Cornforth, 2014). Les collaborations avec de grandes entreprises commerciales, mues par une logique principalement commerciale, pourraient ainsi mener l’entreprise sociale à privilégier cette dernière au dépens de leur mission sociale, jusqu’à se transformer en un acteur commercial classique par contrainte ou par mimétisme (Phillips et al., 2000). Pourtant, certaines études mettent en exergue des collaborations qui ne se résument pas en une instrumentalisation de l’entreprise sociale ou une dérive de mission de cette dernière. Ces études ne portent pas uniquement sur le cas du commerce équitable (Bobot, 2009; Gendron et al., 2009; Huybrechts et al., 2006) mais également sur d’autres secteurs de l’entrepreneuriat social tels que l’insertion professionnelle (Lemaître et al., 2005; Semenowicz, 2017), ainsi que dans le domaine de la responsabilité sociale des entreprises (RSE) en général (Seitanidi et Crane, 2009).

Plusieurs outils ont été mis en évidence à travers lesquels les différences d’objectifs des partenaires dans les collaborations inter-organisationnelles et les relations de pouvoir asymétriques peuvent être gérées, entre autres la gouvernance collaborative ou l’intervention d’intermédiaires facilitant la relation (Marchington et Vincent, 2004). Plus récemment, la certification a été mis en exergue comme un outil permettant potentiellement de coordonner des intérêts inter-organisationnels divergents (Nicholls et Huybrechts, 2016; Reinecke et al., 2012). Néanmoins, malgré ces intuitions, les implications de l’utilisation d’un dispositif de certification sur l’alignement de logiques et la gestion des relations de pouvoir dans le cadre de collaborations entre acteurs aux logiques partiellement distinctes restent floues. Le commerce équitable constitue une opportunité empirique intéressante pour étudier ces dynamiques étant donné l’existence de collaborations avec et sans recours à la certification.

La certification éthique : le cas du commerce équitable

Dans le cadre d’un champ où l’activité économique est mise au service de finalités éthiques, la certification pourrait permettre de standardiser les objectifs poursuivis et la méthodologie à suivre pour atteindre ces objectifs (Bartley, 2003). Ceci pourrait se révéler utile lorsque différents types d’acteurs occupent le champ et ne sont pas mus par les mêmes logiques institutionnelles ni confrontés aux mêmes rapports de pouvoir (Fransen et Kolk, 2007). La certification pourrait alors contribuer à harmoniser les pratiques et permettre aux divers acteurs d’appréhender de façon plus précise la façon dont l’activité peut s’aligner – au moins en partie – avec leurs propres objectifs (Nicholls et Huybrechts, 2016; Reinecke, 2010). Dans le cadre de collaborations inter-organisationnelles, certains auteurs ont suggéré que la certification pouvait ainsi clarifier les modalités de collaboration et les apports pour chaque partenaire, facilitant la multiplication et la pérennisation de ces collaborations (Di Domenico et al., 2009; Nicholls et Huybrechts, 2016; Weidner et al., 2019).

Le CE constitue un champ intéressant pour mieux comprendre les rôles d’une certification éthique. En effet, des entreprises de commerce équitable, utilisant le marché tout en cherchant à modifier les règles de ce dernier (Le Velly, 2006), ont noué des collaborations avec des entreprises de la grande distribution depuis le début des années 1990. Ces collaborations se développent avec ou sans l’intervention d’un dispositif de certification (Bobot, 2009), permettant dès lors de comparer ces deux types de collaboration afin de mettre en lumière le rôle de la certification comme facilitateur – ou, au contraire, comme obstacle – du développement de collaborations entre des acteurs aux logiques institutionnelles (partiellement) distinctes.

Le CE a été initié après la seconde guerre mondiale par des associations caritatives développant des initiatives de soutien aux producteurs marginalisés et souvent exclus du commerce international (Roozen et van der Hoff Boersma, 2001). Face aux injustices perçues de ce commerce international, les pionniers du CE ont mis sur pied une série de pratiques alternatives incluant le paiement d’un prix minimum et fixe, des contrats à long terme, des paiements anticipés des commandes, une attention aux normes de travail ainsi que le renforcement des capacités des groupements de producteurs (Roozen et van der Hoff Boersma, 2001). Ainsi, le CE garantit au producteur une proportion des revenus de la chaîne de valeur plus importante que dans le cadre des chaînes d’approvisionnement conventionnelles. Dès les années 1960 et 1970, des organisations se sont ainsi constituées, généralement sous la forme d’associations ou de coopératives, pour importer et commercialiser des produits de producteurs défavorisés selon ces conditions. Dans les années 1980 et 1990, ces entreprises de commerce équitable se sont professionnalisées et sont devenues des exemples de la notion émergente d’entreprise sociale combinant des logiques « hybrides », commerciale et sociale (voire socio-politique) (Defourny, 2004). En effet, les ECE opèrent une activité commerciale sur des marchés concurrentiels avec le but explicite d’aider les producteurs au Sud à améliorer leurs conditions de vie et s’engager dans des actions de plaidoyer et de sensibilisation (Audebrand, 2010; Becchetti et Huybrechts, 2008).

Pour accompagner leur croissance, à partir de 1988, les ECE ont développé un système de certification, se traduisant par un label affiché sur les produits. Les différents labels nationaux (tels que Max Havelaar en France) ont ensuite été harmonisés en 1997 au sein d’une structure internationale nommée « Fairtrade International ». L’émergence des normes de certification a apporté un changement fondamental dans le développement du CE, ouvrant le secteur aux entreprises « à but lucratif » et entrainant une croissance exponentielle des ventes via la grande distribution (Bobot, 2009). En France par exemple, les ventes de produits labellisés ont bondi de 166 millions d’euros en 2006 à près de 800 millions d’euros douze ans plus tard (Max Havelaar France, 2018). Tandis qu’une large partie des collaborations avec les EGD est désormais régulée par la certification équitable, certains collaborations se passent de cette certification, soit parce que les produits concernés ne font pas l’objet d’une certification (par exemple dans l’artisanat), soit par choix des ECE. Cette absence de certification n’empêche pas la commercialisation des produits dans la grande distribution et le développement de partenariats entre des ECE et des EGD, même si les volumes commercialisés par ces partenariats est faible au regard de ceux régulés par la certification équitable (Huybrechts et al., 2017).

Une partie de la littérature voit dans l’implication des EGD dans le CE un signe de l’essor de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE), en particulier dans leurs chaînes d’approvisionnement (Bobot, 2009). Le CE représenterait une forme de RSE avancée dans la mesure où elle ne dépendrait pas de critères définis par les entreprises elles-mêmes mais qu’elle s’appuierait sur l’expertise d’acteurs tiers pouvant garantir la crédibilité de la démarche et son impact pour les producteurs (Seitanidi et Crane, 2009). D’autres auteurs, au contraire, voient l’introduction des produits du CE dans la grande distribution comme un processus reflétant des rapports de pouvoir inégaux et renforçant la domination d’une logique commerciale par rapport aux logiques sociale et socio-politique à la base du mouvement (Audebrand, 2010; Becchetti et Huybrechts, 2008). En témoignent par exemple la maximisation par les EGD des marges par le ciblage de clients « éthiques » haut de gamme tout en réduisant les coûts des matières premières et l’assouplissement des termes « équitables » de la collaboration (Ballet et Carimentrand, 2010).

Entre ces deux points de vue, de nombreux travaux mettent en exergue la diversité des acteurs et des pratiques d’un champ complexe agissant au sein du marché tout en cherchant à réformer celui-ci (Le Velly, 2006; Roozen et van der Hoff Boersma, 2001). Au même titre, à un niveau méso, les collaborations entre ECE et EGD sont intéressantes dans la mesure où elles associent des entreprises aux logiques hybrides, sociale et commerciale (les ECE), avec des acteurs qui, malgré leurs démarches de RSE, restent mus par une logique commerciale prédominante. Le propos ici n’est pas tant de définir dans quelle mesure la collaboration avec les EGD transforme ou non les valeurs initiales du CE et instrumentalise les ECE partenaires. En nous appuyant sur l’état de la littérature sur les collaborations entre acteurs aux logiques partiellement distinctes et sur la certification éthique, et en étudiant l’exemple emblématique du commerce équitable, nous pourront mettre en exergue les rôles que peut jouer le recours à un système de certification éthique. Ce rôle sera observé au niveau de l’alignement des logiques et de l’évolution des rapports de pouvoir au sein de collaborations inter-organisationnelles entre acteurs aux logiques partiellement distinctes.

Méthodologie

Cette recherche s’inscrit dans un projet plus large d’étude sur les entreprises de commerce équitable (ECE) et leurs dynamiques de collaboration inter-organisationnelle dans différents pays européens. Pour cet article, nous ciblons le cas de la Belgique, qui tout comme le Royaume-Uni et la France a la particularité d’avoir à la fois un système de certification bien implanté dans la grande distribution, et des marques fortes portées par des ECE spécialisées. Cette combinaison n’est pas observée partout dans la mesure où certains pays ont fortement développé la certification au dépens des marques spécialisées (les Pays-Bas et la Suisse notamment), ou l’inverse (l’exemple de l’Italie) (Huybrechts et Reed, 2010). En outre, en Belgique, certaines ECE spécialisées ont dès le départ renoncé à utiliser une certification équitable même pour les ventes via la grande distribution; d’autres ont, comme dans de nombreux pays, privilégié cette certification; et d’autres enfin y ont renoncé récemment. Cette diversité des modalités de certification est particulièrement riche en Belgique, ce qui en fait un cas adéquat pour l’étude comparative de différentes modalités de collaboration. Grâce à notre bonne connaissance du secteur et à des contacts privilégiés avec les acteurs de l’écosystème (notamment la « Belgian Fair Trade Federation » et le « Trade for Development Centre »), nous avons identifié six ECE ayant développé des collaborations avec des EGD : trois reposant sur la certification Fairtrade International, deux ne recourant à aucune certification, et une dernière mobilisant des certifications alternatives à Fairtrade International. Parmi ces six ECE, nous en avons sélectionné quatre qui ont développé les collaborations s’étalant sur une longue durée (minimum 10 ans) et qui présentent une diversité de cas de figure en termes de mobilisation de certification.

La première collaboration rassemble ECE1, un des pionniers du CE en Belgique, et EGD1, chaîne de moyenne/grande distribution dans le domaine de la décoration et de l’ameublement. ECE1 est réputée pour son réseaux de points de vente spécialisés, les « magasins du monde », et pour la commercialisation de produits « non alimentaires » à savoir l’artisanat, le textile et les cosmétiques. Historiquement réticent à s’engager dans la grande distribution, ECE1 a initié en 2006 une collaboration avec EGD1 suite à un processus exigeant de sélection. La collaboration a démarré avec quelques objets ciblés (vaisselle et décoration) et a ensuite été étendue à des produits textiles. Initialement centrée sur l’artisanat, ECE1 n’a pas eu pour habitude de recourir à un dispositif de certification externe. Cette option s’est poursuivie même après la disponibilité de la certification pour ses produits plus récents tels que le coton et les cosmétiques. Ceci n’a pas empêché EGD1 de faire confiance à ECE1 et à son expertise sociétale reconnue, dans le cadre d’une politique RSE volontariste. Au niveau de la collaboration, cela s’est traduit par une croissance progressive du volume des ventes, et une communication relativement faible des deux partenaires par rapport à leur collaboration.

La deuxième collaboration implique ECE2, un autre pionnier du CE en Belgique, et EGD2, une chaîne de supermarchés belge bien établie et réputée pour ses engagements sociaux et environnementaux. La vente de produits ECE2 dans les rayons de EGD2 a été la première expérience de la grande distribution en 1993. Initialement focalisée sur le café et le cacao, la collaboration s’est progressivement étendue à une grande diversité de produits alimentaires tels que le café, le chocolat, les jus de fruits, le riz et le vin. Entre 2005 et 2012, ECE2 a également noué des partenariats avec deux autres EGD, dont EGD4 (voir ci-dessous). Alors que tous ces produits étaient initialement certifiés Fairtrade International, ECE2 a décidé en 2013 de cesser sa collaboration avec l’organisme de certification en raison de désaccords importants. Cette décision a été prise en concertation avec EGD2 mais pas avec les deux autres EGD, avec qui ECE2 a clôturé la collaboration pour se recentrer sur son partenariat historique avec EGD2. Au moment de cette étude, cette décision n’a eu aucune incidence ni sur l’assortiment et le volume des échanges avec EGD2, ni sur la crédibilité d’ECE2 comme l’un des porte-drapeaux du CE en Belgique.

La troisième collaboration, rassemblant ECE3 et EGD3, est la seule dont les produits sont intégralement et exclusivement certifiés Fairtrade International. ECE3 est la filiale d’une ECE néerlandaise qui est présente en Belgique depuis le milieu des années 1970. ECE3 ne dispose pas d’un réseau de magasins établi ni d’une marque forte en Belgique, néanmoins elle écoule des volumes relativement importants via un partenariat avec EGD3, une grande enseigne internationale. Les produits concernés sont le café, le cacao, le sucre et les jus. En 2011, EGD3 a proposé à ECE3 de l’approvisionner en café pour sa marque propre, permettant de proposer un café EGD3 certifié équitable. ECE3 a accepté, permettant d’augmenter fortement le volume de café vendu. Néanmoins, cela a également augmenté la fragilité du partenariat, dans la mesure où la marque ECE3 n’étant plus présente, EGD3 peut facilement changer de fournisseur s’il le souhaite.

Enfin, la quatrième collaboration rassemble ECE4, filiale d’une ECE française, qui a débuté ses activités en Belgique en 2008, et EGD4, une enseigne de grande distribution se reposant en majorité sur des magasins franchisés. À la suite de l’expérience de son organisation mère française, ECE4 a ciblé différentes EGD de taille moyenne, dont EGD4, pour la vente au détail d’une large gamme de produits alimentaires. Parmi les 4 collaborations, il s’agit de celle qui a connu la croissance la plus importante tant en volumes qu’en nombre de produits. Jusqu’en 2011, tous les produits étaient certifiés Fairtrade International. A partir de 2012, ECE4 a recouru pour certains produits à d’autres certifications équivalentes tels qu’Ecocert et, plus récemment, le label de petits producteurs (SPP).

Le tableau 1 résume les informations principales de chaque collaboration.

Tableau 1

Présentation des 4 collaborations

Présentation des 4 collaborations

-> See the list of tables

Sur les quatre collaborations identifiées, nous avons mené des études de cas comparatives, permettant de faire émerger des propositions théoriques sur la base d’observations empiriques guidées par une question de recherche relativement générale (Yin, 2009). Nous avons ainsi mené 21 entretiens semi-directifs et analysé 48 documents, le tout entre 2014 et 2016. Ces données ont été collectées dans trois types d’organisations : les quatre ECE qui importent et commercialisent des produits du CE; les quatre EGD qui distribuent des produits de ces ECE; et des représentants d’organismes de certification ainsi que des experts du champ.

Tout d’abord, 9 entretiens ont été menés auprès des 4 ECE impliquées dans les collaborations étudiées : les directeurs de chaque organisation, les responsables marketing ou ventes, et dans un des cas une personne spécifiquement dédiée aux relations avec les EGD. Deuxièmement, afin de mieux cerner le point de vue des EGD sur leurs interactions avec les ECE, 7 entretiens ont été réalisés entre 2014 et 2016 avec des acheteurs et responsables RSE d’EGD implantées en Belgique qui s’approvisionnent auprès des quatre ECE étudiées. Troisièmement, 5 entretiens ont été réalisés avec des responsables d’organismes de labellisation au niveau belge (Fairtrade Belgium) et international (Fairtrade International), ainsi qu’un expert du secteur. Le tableau 2 détaille l’organisation et la position de chaque personne interrogée.

Tableau 2

Récapitulatif des personnes interrogées

Récapitulatif des personnes interrogées

-> See the list of tables

Dans ces trois contextes, les entretiens étaient semi-structurés et traitaient des questions relatives aux objectifs des parties, à leur expérience en termes de relations inter-organisationnelles, et à leur vision du CE et en particulier de la certification équitable. Enfin, une analyse documentaire comprenant 48 documents provenant de trois types d’acteurs, a été réalisée afin de structurer les discours et pratiques à la fois des ECE et des EGD (rapports annuels et rapports RSE, notes stratégiques, sites web, etc.).

Sur la base des entretiens et de l’analyse documentaire, nous avons procédé à un codage progressif en suivant la méthodologie proposée par Gioia et al. (2013). Nous nous sommes tout d’abord concentrés sur l’esprit sous-tendant les collaborations, à savoir la façon dont la sélection des partenaires s’opère et le véhicule à travers lequel la crédibilité sociale des collaborations est assurée. Ensuite, nous avons identifié les composants du mode de collaboration, à savoir la façon dont les règles de collaboration sont définies et mises en oeuvre, et les implications de la collaboration sur la gestion des logiques par chaque partenaire. Enfin, à partir de l’analyse comparative des collaborations avec et sans certification, nous avons mis en exergue les rôles de la certification éthique, que nous discuterons après l’analyse des deux types de collaborations. Pour chacun des codes, nous avons sélectionné un certain nombre de citations illustratives, soit directement pour les entretiens réalisés en français, soit après traduction pour les entretiens réalisés en néerlandais.

Résultats

L’analyse du développement des différentes collaborations révèle des similitudes et des différences, que nous mettons en relation avec l’utilisation ou non d’un dispositif de certification. Ces différences s’articulent autour des deux thèmes principaux identifiés dans le processus de codage, que nous avons nommés l’esprit de collaboration et le mode de collaboration – voir le schéma ci-dessous qui reprend la structure de codage qui sert de fil rouge à cette section.

Nous abordons ces deux thèmes en détail, avant de développer dans la discussion une analyse transversale des rôles de la certification dans un contexte d’interaction entre des acteurs guidés par des logiques (partiellement) distinctes.

Esprit de collaboration

En l’absence de certification : esprit de collaboration sélectif

Dans le cas des collaborations sans certification, la plupart des personnes interrogées mettaient en avant l’important travail d’alignement ayant lieu avant même le début de la collaboration. Les ECE, en particulier, investissaient un temps considérable pour passer en revue les partenaires potentiels et identifier lesquels correspondraient le mieux avec leurs propres valeurs. Les ECE insistaient sur l’évaluation sélective des entreprises et les contacts personnalisés avec celles-ci comme gage de collaborations équilibrées.

Et maintenant, l’EGD avec laquelle nous travaillons depuis le début est [EGD1], ils ne sont pas dans cette logique [commerciale]. Nous sommes vraiment dans une logique de partenariat où il y a une notion de don et de contre-don

ECE1

Et aujourd’hui, si nous avons pu intégrer [EGD2] aussi rapidement, c’est parce que l’acheteur se sentait personnellement concerné par ce [commerce équitable] et qu’il avait suffisamment de poids en interne pour que cette [collaboration] soit acceptée

ECE2

ECE1 rapportait que plusieurs opportunités de collaboration avaient ainsi été refusées, reflétant une sélection exigeante des EGD partenaires sur la base de leur pertinence économique mais aussi sociale. En effet, la crédibilité de l’EGD en matière d’engagement social apparaissait comme un critère de sélection important permettant une convergence minimale des logiques ainsi qu’un soutien de parties prenantes-clés tels que les bénévoles :

Je ne suis pas prêt à collaborer avec tout type de grande surface, nous n’avons pas envie d’être perçus d’une manière qui ne corresponde pas à nos valeurs

ECE1

Nous recherchons des partenaires commerciaux susceptibles de tirer profit d’une relation à long terme.

ECE1, Rapport annuel 2012

Au niveau de l’alignement des logiques, les ECE travaillant sans certification équitable acceptaient la logique commerciale des EGD mais en s’assurant que celle-ci pouvait alimenter leurs objectifs socio-économiques de développement des producteurs du Sud :

Avons-nous besoin d’eux ? Eh bien, oui, nous en avons toujours besoin, car ils apportent des volumes. Et ces volumes apportent les revenus qui nous permettent ensuite de faire ce que nous voulons faire

ECE2

Nous nous sommes beaucoup concentrés sur la discussion en volume […], mais il ne s’agit pas seulement d’un langage commercial, c’est aussi un langage de développement. […] nous devons constamment trouver un équilibre entre ces deux langages

ECE1

schEma 1

Structuration du codage

Structuration du codage

-> See the list of figures

De l’autre côté, les EGD se sont également engagées dans ce type d’alignement « ex ante » afin de justifier leur collaboration avec les ECE auprès de leurs actionnaires et de leurs clients. En l’absence de la certification équitable, les EGD mettaient en avant le choix de travailler avec des ECE particulières en raison de la cohérence avec leurs propres valeurs :

Nous avons défini certaines valeurs d’entreprise dans le cadre de notre programme de responsabilité sociétale et l’une d’entre elles a été la sélection de partenaires faisant preuve d’intégrité […]. Travailler avec [ECE2] était un choix facile, car leur profil correspond à notre ADN

EGD2, Rapport RSE 2012

Les valeurs de [ECE1] sont très complémentaires de notre marque. Travailler avec eux reflète le fait que nous avons des normes très élevées, cela montre que notre engagement envers le commerce équitable a cette crédibilité

EGD1, Rapport annuel 2013

Dès lors, dans le cadre des collaborations sans certification, la crédibilité sociale reposait principalement sur l’expérience et la légitimité des ECE. Les EGD semblaient compter principalement sur cette expérience, plus que sur la certification :

Indépendamment de l’utilisation ou non d’un label, le plus important est de pouvoir raconter l’histoire du produit et du producteur aux clients, et en cela [ECE2] est bien meilleur que nous

EGD2

Les ECE, de leur côté, investissaient dans des emballages permettant de transmettre leur message dans le contexte de la grande distribution, sans le contact personnalisé des magasins spécialisés :

Au dos de nos emballages, le consommateur trouve des explications sur l’origine du produit, ainsi que sur l’impact environnemental, social et économique de son achat. Il faut expliquer ce qu’implique le commerce équitable de la manière la plus simple et la plus didactique possible.

ECE2, Rapport annuel 2014

En conclusion, sans certification, les collaborations s’établissaient à travers un processus de sélection mutuelle dans lequel les partenaires cherchaient un maximum de convergence entre leurs valeurs. Pour les ECE, cela impliquait un processus de sélection exigeant reposant sur un réel investissement RSE de la part de l’EGD et la possibilité de transformer leur convergence dans les logiques commerciales, à travers la vente de produits aux conditions du CE, en opportunités réelles de développement pour les producteurs du Sud. Pour les EGD, la sélection était également importante pour identifier des ECE à la fois solides d’un point de vue commercial et capables d’amener une crédibilité sociale auprès des consommateurs. Ce recours à une sélection personnalisée et à la crédibilité sociale spécifique de l’ECE concourent à la création d’un esprit de collaboration sélectif qui diffère significativement de ce qui a été observé dans les collaborations recourant au dispositif de certification.

En présence de la certification : Esprit de collaboration pragmatique

En comparaison, en présence de la certification équitable, la sélection des partenaires semblait guidée par des raisons plus pragmatiques, à savoir la pertinence commerciale de la collaboration. Dans la mesure où la certification régit et uniformise les critères éthiques à satisfaire (en particulier le prix à payer aux producteurs), les ECE avaient une palette de possibilités plus large et semblaient plus enclines à tolérer l’engagement des EGD pour des raisons commerciales. Certaines ECE, revendiquant cette position pragmatique, critiquaient la position « idéaliste » d’autres ECE dans la sélection des EGD :

Je ne vois aucune raison de dire « nous n’allons pas travailler avec vous si vous le faites du point de vue de votre intérêt personnel »

ECE4

Les EGD engagées dans des collaborations fondées sur la certification semblaient moins sensibles aux valeurs des ECE avec lesquels elles travaillaient, utilisant souvent le terme de « fournisseur » plutôt que de « partenaire ». Suivant leur logique commerciale, elles interprétaient le CE également sous ce prisme, par exemple :

Je n’ai pas de motivation personnelle pour le commerce équitable […] mais j’en ai une perception positive parce que les consommateurs le reconnaissent vraiment.

EGD4

Ce que nos clients veulent, c’est qu’ils entrent dans nos magasins et sachent [que] tout ce qu’ils achètent chez nous a été produit dans des conditions raisonnablement décentes, de sorte qu’il n’y a pas d’enfants impliqués, qu’il n’y a pas de travail forcé et qu’il n’y a pas de discrimination dans la chaîne d’approvisionnement. Ils ne veulent pas nécessairement plus de détails mais ils veulent être rassurés

EGD3

Vu les standards éthiques prévus dans la certification, la collaboration reposait moins sur la crédibilité particulière des ECE. Pour les EGD, contrairement à celles ayant construit des collaborations personnalisées avec des ECE spécifiques tel que décrit dans la partie précédente, celles utilisant la certification accordaient une importance particulière à la crédibilité de cette dernière pour rassurer les clients et offrir une valeur tant économique que sociale. Néanmoins, le fait d’avoir une certification, quelle qu’elle soit, semblait plus important que l’identité particulière de cette certification ou de l’ECE partenaire :

Lorsqu’’il y a [la] perception que [certaines] conditions de production peuvent être problématiques, alors la certification est rassurante pour les clients. Le label a une très bonne réputation […] auprès des clients. Cela ajoute beaucoup de valeur à notre marque

EGD4

Et la façon dont nous travaillons sur n’importe lequel de ces problèmes est de trouver une certification indépendante, une norme ou un partenaire avec lequel nous pouvons travailler, et qui nous donnera de la crédibilité. […] Nous avons donc trouvé des partenaires qui, à notre avis, ont cette crédibilité dans leur travail [afin que] nos clients [..] aient confiance en ce que nous vendons. Et c’est ce qu’un label tiers fait

EGD3

L’utilisation de la certification équitable semblait donc « dépersonnaliser » davantage les collaborations, en cohérence avec ce qui a été observé pour la chaîne de valeur dans son ensemble (Ballet et Carimentrand, 2010).

En conclusion, en l’absence de certification, le projet et la crédibilité spécifique de l’ECE semble jouer un rôle plus central dans la collaboration et les EGD sont plus à même d’adapter leurs pratiques en tolérant des (modestes) exceptions à leur logique de maximisation des profits. En présence d’une certification qui représente en elle-même la garantie éthique, la collaboration se profile davantage sur une logique commerciale que les ECE semblent disposées à tolérer. Ces collaborations se sont avérées guidées par une démarche plus pragmatique, chaque partie envisageant ce qui peut servir ses propres objectifs.

Mode de collaboration

En l’absence de certification : Mode de collaboration ad hoc

En l’absence d’une certification, les deux parties étaient amenées à définir les règles de la collaboration de manière à créer un terrain d’entente garantissant le bon fonctionnement de leur collaboration. Dans ce cas, les règles et les modalités de la collaboration dépendaient davantage des caractéristiques spécifiques de chaque organisation. Ceci permettait d’amener des enjeux spécifiques dans la collaboration, en particulier pour les ECE désireuses de s’impliquer dans des actions de sensibilisation et de plaidoyer. Par exemple :

J’essaie de les sortir de la relation classique [acheteur-vendeur], je leur dis « Oui, nous faisons des affaires, c’est vrai, mais pas des affaires où je dois tout donner et vous, vous ne faites rien. » Il doit y avoir une collaboration et dans les accords que j’ai conclus avec [EGD1], […] je veux être dans une relation où nous partageons, où chacun contribue à la réussite du projet

ECE1

Les deux EGD engagées auprès des ECE ne recourant pas à la certification équitable ont indiqué de façon notable qu’elles étaient disposées à établir une relation privilégiée pour laquelle elles seraient prêtes à faire des exceptions à leur logique de maximisation des profits, par exemple :

C’est un produit issu du commerce équitable, nous ne devrions donc pas commencer à négocier [sur les prix]. C’est un peu plus cher mais c’est le principe [du commerce équitable].

EGD2

Non, il ne s’agit pas d’une négociation commerciale classique [avec les ECE]. Nous sommes plus ouverts parce que ce sont des entreprises particulières.

EGD2

De la même manière, en comparaison avec les entreprises impliquées dans des collaborations reposant sur la certification, les EGD dans ces collaborations-ci semblaient s’investir davantage dans la définition des missions du CE au-delà de sa simple mise en oeuvre commerciale :

Les gens du commerce équitable semblent avoir peur du mot « profit », mais je veux que les agriculteurs gagnent de l’argent, qu’ils fassent du profit pour alimenter leur développement.

EGD1

Du côté des ECE, le refus de travailler avec les organismes de certification révélait des divergences de fond croissantes avec ceux-ci :

La tragédie est que les labels donnent trop de marge de manoeuvre aux entreprises. Les labels ne sont pas tellement intéressés de se focaliser sur les producteurs et les coopératives, ils sont davantage focalisés sur les volumes, le commerce, l’argent

ECE1, Note de positionnement, 2015

Après avoir longtemps travaillé avec la certification Fairtrade International, ECE2 a cessé la collaboration, rejoignant le mouvement de « dé-certification » observé ailleurs en Europe. Le développement des « Fairtrade Sourcing Partnerships » semble avoir été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase.

Nous pensons maintenant que nous n’avons pas réellement besoin du label pour convaincre le consommateur de ce que nous représentons

ECE2

Il y a eu certains changements dont nous ne sommes pas satisfaits. L’un de ces changements est l’inclusion des plantations. L’autre est le développement récent des Fairtrade Sourcing Partnerships. Il s’agit là de deux évolutions qui ne sont pas, ou très peu, liées à notre compréhension du commerce équitable

ECE2

Contrairement à certaines craintes, cet abandon de la certification équitable ne semble pas avoir invalidé la possibilité de poursuivre le travail avec les EGD partenaires des ECE. Lorsque ECE2 a cessé de travailler avec la certification équitable, EGD2 a poursuivi la collaboration, soulignant qu’elle faisait toute confiance à l’expertise d’ECE2 dans le travail avec les producteurs :

Indépendamment de l’utilisation ou non d’un label, le plus important est de pouvoir raconter l’histoire du produit et du producteur aux clients, et en cela [ECE2] est bien meilleur que nous

EGD2

L’engagement avec les EGD s’est donc poursuivi, néanmoins cela s’est fait de manière très ciblée, avec des acteurs dont l’engagement était perçu comme sincère et dont les valeurs et les pratiques étaient considérées comme partiellement cohérentes par rapport à celles des ECE.

En conclusion, en l’absence de certification équitable, les ECE et les EGD ont structuré les règles et modalités de collaboration de façon à faire converger le plus possible leurs objectifs, à savoir générer des volumes de vente et des marges pour les deux parties tout en transférant un maximum de valeur vers les producteurs et en contribuant à l’objectif plus global de sensibilisation et de plaidoyer pour un commerce plus équitable. Cette volonté s’est traduite par une considération forte pour les logiques de l’autre partie et une dynamique d’apprentissage mutuel et de co-création. Ainsi, les EGD ne se contentaient pas de suivre les critères proposés par les ECE mais s’engageaient d’une façon volontariste pour investir et se réapproprier le CE. Ces processus d’influence mutuelle permettent un alignement plus fort des logiques de chaque partenaire sans pour autant remettre en cause ses objectifs propres.

En présence de la certification : Mode de collaboration standardisé

Dans les collaborations reposant sur une certification équitable, les règles de collaboration étaient intégrées à celle-ci, à travers un cahier des charges précis quant aux conditions de commercialisation et de distribution. La facilité d’utilisation de la certification tant pour les ECE que pour les EGD, ainsi que sa grande notoriété permettant de toucher un plus grand public, contribue à expliquer son utilisation importante dans les collaborations.

Auparavant, nous [les différentes ECE] parlions avec les grandes entreprises de différentes manières. Nous étions ceux qui devions raconter toute l’histoire. Ensuite, nous avons créé les organisations de certification. Maintenant, ce sont eux ils font le travail, ils travaillent de façon plus efficace, plus directe, plus ciblée. […] Cela permet d’ouvrir de nouveaux marchés et d’engager le grand public

ECE3

Le fait de se reposer sur les modalités de collaboration dictées par la certification équitable semblait confortable même pour les ECE pionnières dont la réputation n’était plus à faire :

Nous pourrions dire : « Nous faisons du commerce équitable depuis 1971, et c’est beaucoup plus éthique qu’un label ». Mais c’est une position que nous n’avons pas encore prise […]

ECE3

ECE4 a également envisagé d’abandonner l’utilisation de la certification équitable mais reste convaincue par la valeur d’une garantie par une tierce partie. Cependant, plutôt que de rester attachée au seul label Fairtrade International, ECE4 s’est ouverte à une diversité de labels, par exemple le label « Petits producteurs » lancé en collaboration avec des producteurs d’Amérique latine.

Nous n’avons jamais voulu cesser de travailler avec un label, car nous sommes toujours dans la logique de dire « qui sommes-nous pour nous certifier nous-mêmes comme ‘équitables’ ? ». Mais nous voulons faire preuve de souplesse dans l’utilisation des labels et favoriser ceux qui correspondent réellement à nos valeurs et à notre philosophie »

ECE3

Les EGD, par rapport à leurs homologues impliqués dans les collaborations sans certification, semblaient moins ouvertes aux exceptions destinées à s’adapter aux valeurs spécifiques des ECE fournissant les produits. La certification constituait en effet un engagement éthique suffisant de sorte qu’ils n’avaient pas besoin d’engagements supplémentaires par rapport aux ECE. Au-delà de la convergence avec leur programme de RSE, les entreprises soulignaient en particulier la plus-value commerciale de la vente de produits CE en attirant des clients fidèles dans des segments de prix plus élevés :

Ce que je demande, c’est un produit qui se vende bien avec une marge suffisante pour que je puisse gagner suffisamment pour vivre. […] Et même si les marges sont très faibles, comme pour les produits du commerce équitable, s’il existe une demande des clients, je les placerai dans les supermarchés. Pour satisfaire mes clients et dans l’espoir qu’ils achèteront le reste [des produits]

EGD4

Le commerce équitable rend les gens plus fidèles à notre marque. C’est l’une des briques qui construit notre marque

EGD3

Les ECE, de leur côté, ne semblaient pas trouver problématique ce positionnement exclusivement commercial assumé par les EGD. A partir du moment où les règles prescrites par la certification étaient respectées, elles semblaient accepter plus facilement la logique commerciale guidant l’EGD et leur rôle assez réduit en termes d’éducation du partenaire :

Nous aidons les entreprises à raconter une histoire vraiment positive, qui a un effet de halo sur leur marque... afin de soutenir leurs objectifs de RSE et les valeurs plus larges de leur entreprise

ECE3

Ce positionnement était proche de celui des organismes de certification, dont les programmes récents, en particulier le FSP, visent à s’adapter aux réalités commerciales des grandes entreprises :

Nous voulons développer différentes façons de travailler avec les entreprises. Dans les cas où il est compliqué de certifier tous les ingrédients d’un produit, nous voulons laisser la possibilité à l’entreprise de se focaliser sur une chaîne d’approvisionnement particulière pour augmenter les volumes au profit des producteurs

Rapport de présentation FSP, Fairtrade International, 2014

En conclusion, en présence d’une certification éthique, nous n’avons pas observé le même processus d’adaptation à la logique du partenaire et d’apprentissage mutuel que dans les collaborations sans certification. Contrairement à ces dernières collaborations, en présence de la certification chaque partenaire semblait rester davantage ancré dans sa logique de base et ne cherchait pas tellement à influencer l’autre partenaire ou à co-créer des règles de collaboration spécifiques. L’approche consistait davantage, pour chaque partenaire, à s’engager dans la collaboration en suivant ses modalités pré-établies et en tirant le plus possible d’avantages par rapport à ses objectifs de base.

Discussion et conclusion

Cet article a exploré un phénomène peu étudié, à savoir le développement de relations inter-organisationnelles dans des conditions de logiques partiellement distinctes. L’étude des collaborations entre entreprises de commerce équitable et entreprises de la grande distribution confirme que les différences de logiques ne sont pas nécessairement des obstacles à une collaboration pérenne (Di Domenico et al., 2009). Néanmoins, l’étude comparative des collaborations avec et sans certification permet de mettre en exergue le rôle de cette dernière, contribuant à enrichir et affiner les facteurs adjuvants aux relations entre acteurs aux logiques (partiellement) distinctes tels que mis en avant dans la littérature (Di Domenico et al., 2009; Nicholls et Huybrechts, 2016; Weidner et al., 2019).

Comme dans d’autres secteurs alliant activité économique et mission sociale (Defourny, 2004), les ECE ont créé un système de certification pour harmoniser leurs normes respectives et garantir la dimension « équitable » de leurs pratiques (Gendron et al., 2009). Néanmoins, pour augmenter les volumes et l’impact, la certification des produits a été progressivement étendue à tout type d’entreprise, permettant aux EGD de distribuer des produits du CE (Becchetti et Huybrechts, 2008). L’analyse comparative des collaborations avec et sans recours à la certification fait apparaître deux rôles majeures, comme indiqué sur le schéma suivant.

Une première implication de la certification réside dans le maintien de rapports de pouvoir essentiellement basés sur une dimension économique. En effet, dans la mesure où elle établit les règles de collaboration et vérifie le respect de ces règles par les partenaires, la certification n’oblige plus l’ECE à nouer une relation personnalisée avec l’EGD et à évaluer sa crédibilité éthique (Ballet et Carimentrand, 2010). Ceci permet à toute EGD de s’impliquer dans le CE, y compris les « hard discounters » et les EGD peu impliquées dans les questions de durabilité, qui y ont vu une opportunité facile de se forger une image plus éthique (Huybrechts et al., 2017). Dans ce contexte, les EGD sont en mesure de profiter de leur taille et de leur position sur le marché pour comparer différentes offres correspondant à la même certification éthique, et à substituer une ECE par une autre en cours de route si cette dernière offre des conditions commerciales plus avantageuses. Cette évolution a été fortement critiquée à partir du moment où les EGD profitent de leur position de pouvoir pour imposer la certification à leurs fournisseurs qui, en outre, doivent assumer la plus grande partie du coût de certification (Jaffee, 2010). L’interchangeabilité concerne surtout les ECE, d’autant plus si elles n’ont pas une marque forte. C’est le cas en particulier lorsque les produits sont commercialisés par l’EGD sous la marque du distributeur, comme c’est le cas pour ECE3.

Deuxièmement, en conséquence de ce qui précède, la certification a également pour effet de contribuer à la marchandisation de la crédibilité éthique (Jaffee, 2010). En effet, elle recentre la collaboration autour de la logique commerciale (Di Domenico et al., 2009) et sert d’interface limitant les besoins de négociations (Barinaga, 2018). Le travail d’alignement spécifique entre les logiques des partenaires et d’influence mutuelle pour augmenter la cohérence entre ces logiques, tel qu’observé dans les collaborations sans certification, ne semble plus nécessaire en présence d’une certification qui, en quelque sorte, préétablit un alignement minimal autour des éléments de base de la négociation commerciale (Reinecke, 2010). Les ECE n’intervenant plus vraiment dans la garantie de la mission sociale de la collaboration, c’est la certification qui assume ce rôle et qui peut être acquise comme une marchandise, un « bien de confiance » pouvant être commercialisé (Becchetti et Huybrechts, 2008; Jaffee, 2010). Si ce bien de confiance facilite l’émergence et standardise le fonctionnement des collaborations, il en limite dès lors le potentiel d’apprentissage et d’hybridation des logiques pour les partenaires impliqués.

schEma 2

Les rôles de la certification éthique

Les rôles de la certification éthique

-> See the list of figures

En résumé, l’apport de la certification éthique est dès lors à double tranchant. Alors que la certification éthique permet de multiplier et de standardiser les relations inter-organisationnelles avec des entreprises commerciales, elle uniformise parallèlement les règles et les pratiques des collaborations, maintenant les rapports de pouvoir dans leur dimension économique et limitant également le potentiel d’apprentissage et d’enrichissement mutuel. En l’absence de certification, au contraire, les négociations sont spécifiques à chaque collaboration, ce qui limite leur potentiel de réplication mais permet un plus grand enrichissement mutuel des partenaires.

Les deux grands rôles mis en exergue contribuent tout d’abord à la littérature sur les relations inter-organisationnelles entre acteurs aux logiques entièrement ou partiellement distinctes (Fransen et Kolk, 2007), en particulier les entreprises sociales et commerciales (Di Domenico et al., 2009; Nicholls et Huybrechts, 2016; Weidner et al., 2019). Alors que la littérature suggère que les entreprises commerciales, mues par une logique principalement commerciale, pourraient mener les entreprises sociales à privilégier cette dernière au dépens de leur mission sociale, nos résultats apportent une image plus nuancée. Dans le cas des collaborations avec la certification, les négociations se recentrent sur la dimension commerciale mais laissent chaque partenaire centré sur sa logique de base. Malgré les relations de pouvoir basées sur la dimension économique et donc plutôt défavorables aux entreprises sociales, ces dernières peuvent maintenir leurs logiques hybrides, d’autant plus si les collaborations avec les entreprises commerciales n’occupent pas une part trop grande de leur volume d’activités.

Deuxièmement, nous contribuons à la littérature sur la certification éthique (Bartley, 2003). Dans le cadre de collaborations inter-organisationnelles, certains auteurs ont suggéré que la certification pouvait favoriser la multiplication des collaborations tout en facilitant l’alignement entre les logiques partiellement distinctes (Di Domenico et al., 2009; Nicholls et Huybrechts, 2016; Weidner et al., 2019). Si la contribution à multiplier les collaborations a bien été confirmée, l’alignement des logiques à travers la certification s’avère néanmoins mis en cause dans le cas du CE. En effet, le rôle d’alignement suppose une dynamique d’apprentissage et d’enrichissement mutuel qui, dans cette étude, a été observée précisément en l’absence de la certification. Ceci s’explique, selon nous, par les importantes asymétries de pouvoir qui persistent lorsque la relation est recentrée sur la logique commerciale, ce que la certification contribue à susciter à partir du moment où elle « marchandise » la crédibilité éthique. Nos résultats montrent que cette marchandisation se renforce à partir du moment où l’organisme certifiant s’aligne sur les intérêts du partenaire qui représente le plus gros potentiel commercial, sous l’impulsion de la concurrence entre dispositifs de certification (Reinecke et al., 2012). Les rapports de pouvoir défavorables à travers la certification expliquent également l’évolution de certaines ECE qui se lancent dans un processus de « dé-certification », confirmant ce qui est observé dans le champ du CE depuis quelques années (Huybrechts et al., 2017). En effet, les labels, en particulier le label Fairtrade International, sont de plus en plus remis en question par les ECE en raison de leur alignement sur les attentes des EGD, qui ont intégré les organes de gouvernance de Fairtrade International et y font entendre leur voix (Reinecke, 2010).

Au-delà de ces contributions théoriques, l’analyse du potentiel des relations entre partenaires aux logiques distinctes, et la mise en exergue des rôles paradoxaux de la certification, peut inspirer les praticiens tant du monde des entreprises « conventionnelles » que des entreprises sociales. Pour les premiers, plutôt que d’exploiter les seconds comme des partenaires commerciaux dont il s’agit d’extraire un maximum de valeur économique à court terme, une collaboration plus symétrique peut amener de multiples bénéfices à plus long terme, par exemple la crédibilisation de la démarche RSE, la construction d’une chaîne d’approvisionnement pérenne ou encore une démarche de sensibilisation des consommateurs. Les cas analysés ici montrent que les pratiques commerciales, dans ce cas-ci avec les fournisseurs, peuvent s’écarter des règles économiques conventionnelles, sans remettre en cause la rentabilité globale de l’entreprise à long terme. Pour les praticiens des entreprises sociales, l’étude montre qu’il est possible de concevoir ce type de partenariats sans remettre en cause la primauté de la mission sociale, en orientant vers cette dernière le développement économique induit par le partenariat. Les outils de certification, s’ils assurent précisément ce lien entre activité économique et mission sociale et permettent de s’étendre dans le marché via des collaborations avec un grand nombre d’entreprises, doivent néanmoins être appréhendés avec prudence pour s’assurer que le développement économique ne devienne pas une fin en soi et que la mission sociale ne devienne pas un « produit » comme un autre permettant d’acquérir une crédibilité éthique avec peu d’efforts.

Le caractère exploratoire de cet article lui confère un certain nombre de limites. Tout d’abord, certains éléments observés dans l’étude n’ont pas été exploités dans ce cadre-ci et mériteraient une attention spécifique dans des recherches futures. Par exemple, il semble que les relations personnelles jouent un rôle important dans le fonctionnement des collaborations (Marchington et Vincent, 2004), permettant précisément des collaborations « personnalisées ». Il serait utile d’étudier comment les collaborations évoluent en fonction des relations entre les interlocuteurs dans chaque organisation, et comment cet élément interagit avec le rôle de la certification. Nous nous sommes également concentrés sur les conséquences des choix de certification mais pas sur les éléments qui fondent ces choix. Il serait intéressant d’approfondir les processus à travers lesquels ces choix sont opérés, en particulier pour analyser dans quelle mesure ces choix intègrent les conséquences potentiellement attendues par rapport aux collaborations avec les EGD. Par ailleurs, nous n’avons pas analysé en détail les différences entre les certifications équitables, dans la mesure où la certification historique, Fairtrade International, est toujours largement dominante par rapport aux autres qui ont émergé plus récemment. A l’avenir, il serait utile de mener une étude comparative sur la façon dont le type de certification, notamment ses objectifs et sa gouvernance, peuvent influencer de façon variable l’évolution des collaborations.

Ensuite, l’étude repose sur des cas spécifiques qui, par définition, sont façonnés par le contexte dans lequel ils s’insèrent. De futures recherches pourraient dès lors étudier les rôle de la certification dans différents contextes géographiques et secteurs d’activité. En termes géographiques, si l’intégration internationale forte des pratiques et règles du commerce équitable laisse penser que les rôles mis en avant ici seront observés pour d’autres collaborations entre ECE et EGD, il est probable que le rôle de la certification dans ces collaborations variera en fonction des caractéristiques du secteur telles que la présence d’ECE avec une réputation forte, les comportements des consommateurs en matière d’achats éthiques, ainsi que la configuration du secteur de la grande distribution (Huybrechts et Reed, 2010). Ensuite, vu le développement de certifications sociales et environnementales dans de nombreux secteurs tels que l’alimentation locale (Dubuisson-Quellier et al., 2011) ou la mode (Bartley, 2003; Mena et Suddaby, 2016), il serait également intéressant d’examiner si les mêmes rôles sont observés dans ces secteurs, et d’analyser les éventuelles différences identifiées. Il se pourrait par exemple que nos observations rencontrent plus de similitudes dans les secteurs qui, comme le CE, reposent sur une ambition d’alternative au marché conventionnel, par rapport aux secteurs dans lesquels les entreprises sociales cherchent davantage à combler les vides laissés par ce marché, comme c’est le cas notamment de l’insertion socioprofessionnelle (Lemaître et al., 2005).

Ceci permettrait de mieux comprendre si et comment la certification éthique permet de faciliter et d’« institutionnaliser » les collaborations entre acteurs aux logiques distinctes, sans pour autant développer un agenda propre susceptible de s’éloigner des objectifs de base de l’initiative (Jaffee, 2010). En d’autres termes, comment la certification peut-elle faciliter et aiguiller les relations inter-organisationnelles entre acteurs distincts tout en éviter les risques de « dérive de mission » et d’instrumentalisation (Barinaga, 2018; Cornforth, 2014) ? Le cas du CE s’avère dans tous les cas un laboratoire intéressant amenant de nouvelles perspectives concernant les différentes manières dont les organisations ancrées dans des logiques partiellement distinctes peuvent collaborer.