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Le champ de l’économie sociale et solidaire (ESS) est en perpétuelle évolution. Ces dernières font émerger de nouvelles dynamiques socio-économiques (Bouchard et al. 2001). Les financements publics ont permis le développement des entreprises de l’ESS (EESS), leur intervention dans la production de biens et services, notamment en transférant des activités peu lucratives et en favorisant le désengagement de l’Etat. Celui-ci, associé à la forte croissance des besoins, a contribué à ce phénomène d’extension des activités marchandes et de la logique entrepreneuriale des associations (Valéau et Boncler, 2012). En 2010, Laville note l’apparition de trois effets majeurs pour les EESS : la banalisation (les associations se conforment aux modes de fonctionnement des entreprises du secteur marchand); l’instrumentalisation (les associations deviennent progressivement des sous-traitants des pouvoirs publics) et la raréfaction des financements. Les EESS évoluent dans un environnement de plus en plus complexe caractérisé, entre autres, par une imprégnation de plus en plus forte des règles du New Public Management (NPM) (Delalieux, 2010). Les résultats de l’enquête de 2018 sur le paysage associatif de Tchernonog mettent en avant quatre caractéristiques principales. La première montre une baisse du nombre d’associations employeuses (-0,3 %) et ce malgré la création de 33 300 associations par an. La deuxième caractéristique montre une concentration croissante des budgets associatifs dans les plus grandes associations (impliquant une augmentation du poids économique de ces dernières). La troisième caractéristique souligne un mouvement de concentration du secteur associatif avec une baisse des associations employeuses allant de pair avec une augmentation de leur taille et de leur poids relatif et une augmentation significative du poids des très grandes associations. Enfin, cette étude constate que les principaux indicateurs d’activité du secteur associatif (poids des financements publics, la survie selon la taille de l’association…) ont évolué.

Bouchard et al. (2006) ont mis en exergue les trois grandes approches de l’ESS, à savoir : l’approche par les composantes (Desroche, 1983); par les règles de fonctionnement (Vienney, 1994) et par les valeurs et principes (Defourny, 1992). C’est cette dernière approche qui a été retenue dans le cadre de cette recherche. Malgré la difficulté à définir l’ESS, quatre critères peuvent être retenus pour qualifier l’ESS (Bouchard et al. 2006) : l’exercice d’une activité économique; l’existence de règles sociales interdisant ou limitant le partage des excédents éventuels entre les membres; l’association volontaire formelle de personnes et/ou d’entités collectives; et un processus de gestion démocratique. Ces quatre critères traduisent une volonté « d’entreprendre autrement » (Demoustier et Malo, 2012). Cependant, les spécificités des organisations de l’ESS restent négligées (Bouchard et al., 2001). Bouchard et al. (2001, p.41) estiment que l’ESS est « tenaillée entre sa vocation sociale et publique, ses caractéristiques marchandes entrepreneuriales ». Cette situation produit plusieurs modes d’interactions entre l’ESS, le marché et l’Etat qui se manifestent par des cas de substitution, de concurrence, de subsidiarité ou de complémentarité. Les évolutions du cadre juridique français (avec l’agrément d’utilité sociale instauré par la loi ESS du 31 juillet 2014 et l’entreprise à finalité sociale de la loi PACTE en 2019) conduisent à renforcer la porosité des frontières entre les idéologies de l’entrepreneuriat social et de l’ESS. A partir de deux études de cas longitudinales portant sur 24 structures associatives (la Croix-Rouge française et un réseau de 23 groupements d’employeurs), cet article cherche à rendre compte des actions (ou réactions) mises en oeuvre par ces organisations pour s’adapter à leur environnement de façon à maintenir une cohérence entre leurs valeurs et finalités économiques. Les structures associatives étudiées répondent davantage à la définition de l’entreprise de l’ESS telle que décrite par Demoustier et Malo (2012, p. 20) : « l’entreprise de l’économie sociale et solidaire (EESS) comme “une convention entre les parties prenantes qui partagent des valeurs, normes, règles… (Barreto, 2011) et comme une institution sociale (Chevallier, 2011), construite et utile socialement ». Cette définition tente de dépasser la seule considération de la forme juridique et traduit la complexité à élaborer des orientations stratégiques dans le champ de l’ESS (Akingbola, 2013). Demoustier et Malo (2012) interrogent, à partir des travaux de l’école de Montréal relatifs à la gestion des coopératives (Malo et al., 2003), l’existence d’un modèle stratégique évitant une « banalisation destructrice de l’identité » (p. 21). Cette réflexion s’inscrit dans le prolongement de Vienney (1980) pour qui l’entreprise se substitue progressivement à l’association pour définir les activités et les membres provoquant la diffusion et l’adoption des modes de gestion alignés sur ceux des entreprises commerciales créant un risque de banalisation (Demoustier et Malo, 2012, p. 19).

Plus précisément, il s’agit de voir, à l’aide de ces deux études de cas longitudinales, comment les associations ont développé plusieurs types de stratégies pour s’adapter à leur environnement de façon à préserver leur identité à savoir « comme les autres, des entreprises, mais pas des entreprises comme les autres » (Demoustier et Malo, 2012, p. 34), mais également de proposer de nouvelles formes de stratégies adoption-adaptation (Richez-Battesti et Malo, 2012).

Pour répondre à cette question de recherche, la première partie de cet article a pour objectif de mettre en avant les effets des isomorphismes auprès des entreprises de l’ESS et plus précisément des associations. S’agit-il d’une fatalité ou d’une opportunité pour ces entreprises ? La deuxième partie vise à présenter deux études de cas longitudinales portant sur 24 associations françaises qui ont permis de faire ressortir, dans une troisième partie, des formes de stratégies d’adaptation déployées par les associations dans leur environnement et préserver leur identité. Les résultats mettent en relief la complexité des stratégies mises en oeuvre par les associations. A ce stade, ces premiers résultats restent à approfondir, dans le cadre de recherches futures, auprès d’autres entreprises de l’ESS, comme les coopératives et les mutuelles. Cette recherche constitue une première étape sur l’analyse de la stratégie des EESS.

Isomorphismes institutionnels et stratégies des entreprises de l’ESS

Pour comprendre les stratégies établies par les EESS pour transformer les institutions et s’émanciper, il est nécessaire au préalable de comprendre dans quel environnement elles évoluent. Plusieurs auteurs (Bidet, 2003; Delalieux, 2010; Gardin et Laville, 2017) ont montré la présence des isomorphismes dans l’ESS et en ont recensé les effets.

Les isomorphismes institutionnels dans l’économie sociale et solidaire

L’environnement institutionnel dans lequel évoluent les EESS s’est profondément modifié sous l’influence, notamment, des règles du New Public Management (NPM) (Delalieux, 2010). Selon Laville et Sainsaulieu (2013), les membres des associations se font les porte-paroles de la diffusion du NPM par la mise en conformité du projet associatif avec les modèles dominants des entreprises privées lucratives et du secteur public. Dès lors, Gardin et Laville (2017) s’interrogent sur les compatibilités liées à l’introduction de ces normes afin d’éviter l’éclatement ou la disparition de la structure. C’est donc bien le modèle originel des EESS qui est en danger par les tensions isomorphes (Enjolras, 1998; Richez-Battesti et Oswald, 2010).

Pour Bidet (2003), les effets des isomorphismes dans l’ESS n’auraient pas les mêmes origines selon la nature juridique de la structure. Pour les coopératives et mutuelles, ils seraient le résultat de la concurrence avec les entreprises capitalistes. Pour les associations, Bidet (2003) constate la présence des trois formes d’isomorphismes définis par DiMaggio et Powel (1983). L’isomorphisme normatif se caractérise par la professionnalisation des associations (Bies, 2010; Valéau, 2013), obligées de prouver la qualité de leur gestion (Busson-Villa et Gallopel-Morvan, 2012). L’isomorphisme coercitif est le résultat de l’influence des pouvoirs publics (voire l’adoption de rituels informels pour gagner en légitimité, Milofsky, 1981). Enfin, l’isomorphisme mimétique conduit les organisations à adopter (imiter) les comportements les plus facilement identifiables ou les plus utilisés par les organisations apparaissant comme les plus légitimes dans un champ (Enjolras, 1998; Eynaud et Mourey, 2010). Ces évolutions témoignent d’un affaiblissement de l’identité et de la spécificité des EESS et marquent sa dérive vers la société commerciale capitaliste (Bidet, 2003). Ainsi, le dilemme à résoudre consiste à réaffirmer le respect et l’actualité des principes fondateurs de l’ESS (au risque d’exclure des organisations) ou à continuer de s’éloigner de ces principes en assouplissant sans cesse les règles au risque de perdre son identité.

Les effets du New Public Management auprès des entreprises de l’économie sociale et solidaire

La diffusion du New Public Management (application des méthodes de management du privé jugées efficaces ou du secteur public, s’accompagnant d’une diminution des aides de l’Etat et d’une mise en concurrence des organisations entre elles) a produit plusieurs effets sur le fonctionnement interne des EESS. Delalieux (2010) en a identifié quatre :

  • La mise en concurrence des associations et des pressions commerciales entraînant la transformation du bénéficiaire (ou usager) en véritable client. Ce premier effet a conduit à l’éviction des « clients » les moins solvables.

  • La transformation du militant en professionnel recruté au sein des entreprises privées à but lucratif. Cette évolution implique parallèlement une demande croissante de professionnalisation des bénévoles. Il apparaît une dégradation des conditions de travail tant pour les salariés que les bénévoles (Combes-Joret et Lethielleux, 2015).

  • La commercialisation d’une partie des activités ou de la structure amenant à repenser la forme juridique initiale.

  • Une dégradation des liens de solidarité et de coopération entre les associations suite à leur mise en concurrence.

A ces quatre effets, il faut ajouter ceux constatés par Gontier et Dansac (2012) suite à la raréfaction des financements publics :

  • La nécessité de développer des logiques de survie de type « posture de sous-traitant des pouvoirs publics en modifiant en profondeur leur mode de fonctionnement »;

  • Etre en capacité pour les OESS de répondre à un cahier des charges défini précisément par le financeur.

Pour développer une stratégie d’adaptation permettant de maintenir la cohérence avec les valeurs de l’ESS, les EESS doivent être en mesure de trouver d’autres sources de financement prioritaires (Quéinnec, 2010; Gontier et Dansac, 2012). Ces structures sont actuellement confrontées à plusieurs tensions qui mettent en péril à la fois leur modèle, tant économique que la gouvernance, mais aussi leur identité (Combes-Joret et Lethielleux, 2017a). Pour gérer ces dilemmes, les EESS tentent de se désencastrer des pratiques institutionnelles en faisant émerger de nouvelles stratégies. A titre d’exemple, Adam-Ledunois, Canet et Damart (2015) proposent une trajectoire de modèles d’affaires vers l’ESS à l’aide d’une étude de cas de façon à gérer les dilemmes des organisations dans le champ de l’innovation sociale entre utilité sociale et performance économique.

Même si les EESS peuvent avoir des objectifs de performance similaires à ceux des autres entreprises, leur hiérarchisation et articulation diffèrent (Demoustier et Malo, 2012) rendant les orientations stratégiques des EESS plus complexes.

La complexité des orientations stratégiques des entreprises de l’économie sociale et solidaire

Contrairement aux entreprises privées lucratives pour lesquelles la stratégie peut se résumer à répondre à la recherche de la maximisation du profit, le renforcement de leur compétitivité et leurs capacités à développer des avantages concurrentiels créateurs de valeur (Barney 1991; Porter, 1980; Hill, 1990), la stratégie des EESS s’avère plus complexe. En cherchant à expliquer les déterminants d’une gestion stratégique des ressources humaines dans les organisations à but non lucratif, Akingbola (2013) évoque cette complexité : « Strategy for nonprofits is further subjected to the complexity of social mission. The nature of the relationships in the environment and the multiple indicators of effectiveness also complicates strategy in nonprofit » (p. 220). Selon lui, les organisations à but non lucratif (OBNL) seraient confrontées à une complexité sociale, les organisations à but lucratif (OBL) à une complexité du marché, et les organisations publiques à une complexité politique. Plusieurs chercheurs expliquent la nature complexe des orientations stratégiques des EESS par le modèle de gouvernance et les finalités de ces entreprises.

Une complexité liée au modèle de gouvernance

Malo (2001) dresse un panorama des formes de gouvernance des coopératives et des associations. Elle en démontre l’hétérogénéité et la complexité du processus de décision par rapport à celui des sociétés de capitaux. De son côté, Enjolras (2009) cherche à comprendre comment les organisations non lucratives arrivent à orienter l’action collective vers l’intérêt général, l’intérêt mutuel ou l’action tribunitienne. Il note que « leur structure de gouvernance leur permet de demeurer comparativement plus efficaces que d’autres formes organisationnelles » (p. 63). Cette efficacité repose, selon l’auteur, sur six dimensions spécifiques (comme les finalités organisationnelles; la propriété collective; les mécanismes de prise de décision…), trois mécanismes régulateurs (la démocratie, l’équilibre des pouvoirs et de contrôle) et deux types d’incitations (les valeurs et la réputation). La prise en compte de cette dimension gouvernance est fondamentale comme le rappellent Demoustier et Malo (2012) pour qui il est nécessaire, pour permettre l’adoption-adaptation des outils, de considérer « les relations entre acteurs et actants stratégiques (…), entre gouvernance et gestion (…), entre autonomie et intégration (…) » (p. 24).

Une complexité liée aux finalités des EESS

Les orientations stratégiques des entreprises de l’ESS englobent à la fois des activités rentables et non rentables. Un défi se pose alors pour les entreprises de l’ESS : comment articuler la perspective de transformation sociale et de positionnement concurrentiel ? (Demoustier et Malo, 2012). Ces tensions expliqueraient l’apparition de différents modes d’interaction (substitution, concurrence, subsidiarité et complémentarité) entre l’économie sociale, le marché et l’Etat. A partir des travaux de Malo (2001), Richez-Battesti et Malo (2012) observent la présence de trois formes de mutations organisationnelles. Les deux premières (intégration-concentration et filière-diversification) ont pour objectif de favoriser la croissance. La troisième forme (la mutualisation) vise à préserver l’autonomie et l’élargissement des parties prenantes pour mutualiser les ressources dans le cadre d’une offre de services relationnels renouvelée. Ces mutations organisationnelles varient selon l’intensité du positionnement concurrentiel et les objectifs de transformation sociale ou du projet. Le tableau 1 ci-dessous, réalisé par nos soins, permet de schématiser la pensée de Malo (2001).

Tableau 1

Mise en tension de la demarche de positionnement concurrentiel et de la perspective de transformation sociale ou de projet

Mise en tension de la demarche de positionnement concurrentiel et de la perspective de transformation sociale ou de projet
Source : réalisation de l’auteur d’après Malo (2001)

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Ces mutations organisationnelles sont perçues par Richez-Battesti et Malo (2012) comme une alternative à la standardisation — banalisation. Pour ne pas négliger la spécificité des associations et OBNL (Richez-Battesti et Malo, 2012) et le risque de la « banalisation destructrice de l’identité » (Demoustier et Malo, 2012, p. 21), les travaux de Richez-Battesti et Malo (2012), comme ceux de Demoustier et Malo (2012), convergent vers la nécessité d’aller vers une « adoption-adaptation » des modèles de gestion des entreprises commerciales et non vers une simple adoption. La transformation sans dénaturation est possible comme le montrent les recherches de Vienney (1994) sur les coopératives comprenant à la fois une détermination associative et entrepreneuriale (Malo et Bouchard, 2002).

Méthodologie

Cette recherche repose sur deux études de cas longitudinales portant sur 24 structures associatives : la Croix-Rouge française et un réseau de 23 groupements d’employeurs. Ces deux recherches s’inscrivent dans une démarche de recherche-action en ce sens qu’elles permettent de « découvrir des réalités cachées en définissant des concepts nouveaux, mettre en évidence des déterminants non encore identifiés, réfuter des théories existantes » (Liu, 1997, p. 349). L’ensemble de ces cas est révélateur de la grande diversité qui caractérise le monde associatif.

Le premier cas : la Croix-Rouge française

Dans le cadre d’un contrat de recherche signé avec la Croix-Rouge française (CRF) de 2009 à 2014, nous avons pu observer et accompagner des salariés et bénévoles dans la mutation de cette association hors normes. La CRF fait figure d’exception dans le paysage français avec plus de 150 ans d’existence, plus de 56 000 bénévoles et 18 000 salariés, un budget d’un milliard d’euros[1]….. De par sa taille et sa longévité, le cas de la CRF présente l’avantage de catalyser un grand nombre de situations rencontrées par les associations en France. Présente historiquement dans l’urgence et le secourisme (plus de 15 000 secouristes bénévoles, 540 véhicules et 900 centres de formation), cette association a développé son action dans quatre autres grands domaines d’intervention : l’action sociale (90 établissements dans les secteurs de la protection de l’enfance et de la famille, de la petite enfance et de la protection infantile); la santé et l’autonomie (avec près de 550 établissements dans le secteur médico-social et sanitaire); la formation (la Croix-Rouge française est le plus important formateur privé d’infirmières et d’aides-soignants) et l’action internationale (gestion de 79 projets dans plus de 40 pays).

A partir de 2005, la CRF a engagé une profonde réforme de son mode de gouvernance (incarné par les bénévoles élus) et de son mode de management (confié à des salariés) ce qui a conduit la construction d’un modèle économique dual (Combes-Joret et Lethielleux, 2014). Par la suite, de nouveaux statuts (2007 et 2012) ont été adoptés et un nouveau projet associatif rédigé en 2009. Ces changements ont conduit à la mise en place d’un nouvel échelon régional et au lancement de plusieurs chantiers (mise en place de nouveaux outils de gestion, culture du reporting …) avec comme finalité le retour à l’équilibre financier. Ces transformations ont soulevé de nombreuses questions et suscité d’importantes tensions internes dans un contexte de retour à l’équilibre des comptes des établissements.

Au cours de ces cinq années de contrat, l’équipe de recherche a réalisé 65 entretiens semi-directifs d’une durée moyenne d’une heure et demi auprès de salariés et bénévoles (élus et de terrain). D’autres données qualitatives ont été collectées au moyen des focus group réalisés dans quatre des neuf régions du découpage territorial de l’association. Enfin, l’équipe a eu accès aux archives et documents internes (statuts, projet associatif, règlements des établissements, plans d’actions stratégiques, programmes de formation des bénévoles élus, baromètre d’opinion des bénévoles et libre accès à son intranet) ainsi qu’à ses réunions et instances de décision internes (conseils de surveillance, séminaires de formation, journées de travail inter-région…). L’accès à une importante base documentaire, couplé aux participations de l’équipe à des réunions formelles et rencontres informelles ainsi que les richesses des entretiens semi-directifs, permettent d’avoir un contrôle sur les résultats présentés dans cet article.

Le deuxième cas : les Groupements d’employeurs

Le deuxième cas porte sur l’étude approfondie de 23 groupements d’employeurs (GE) associatifs sur la région Grand Est. Ces associations ont pour mission la mise à disposition de salariés en temps partagé auprès d’entreprises adhérentes au groupement. Au 31 décembre 2013, on comptait 711 GE ayant au moins un salarié, soit 12 646 ETP[2] (hors secteur agricole où l’on compte près de 3 000 GE), et 140 GEIQ[3] représentant 3 945 ETP. 98 % des GE sont sous forme associative. 54 % d’entre eux comprennent moins de 10 postes et 8 % plus de 50 postes. Ils proposent une grande diversité d’emplois (de non qualifiés à très qualifiés) et luttent contre la précarisation (les 2/3 des salariés des GE (hors GEIQ) occupent un CDI et 70 % des emplois sont à temps complet)[4].

Une recherche-action, menée de 2015 à 2017, a été financée par le Conseil régional en vue d’accompagner à la structuration d’un réseau des GE sur ce territoire. Le projet était porté par deux GE et une équipe de recherche pluridisciplinaire composée de deux sociologues, une juriste et de deux gestionnaires, membres de la Chaire ESS de l’URCA. Ce travail est parti d’un constat : la méconnaissance des GE et de l’emploi partagé en France, après plus de 30 ans d’existence, à la fois auprès des entreprises, des demandeurs d’emploi, des salariés, des étudiants et des organismes d’aide au retour à l’emploi. Pour sortir de cette invisibilité institutionnelle, la constitution d’un réseau est perçue comme l’une des solutions les plus prometteuses. Cette recherche s’est déroulée en deux phases :

  • Une phase qualitative : établissement d’une cartographie des GE sur la région, recueil de données qualitatives (63 entretiens semi-directifs auprès des 23 GE identifiés);

  • Une phase opérationnelle : mise en place de rencontres régionales pour identifier les points de convergence, réalisation d’études comparatives sur les formes de réseaux de GE existant en France. L’aboutissement de ce projet a été le lancement du réseau en décembre 2017.

L’équipe de recherche continue de suivre et d’accompagner les fondateurs de ce réseau naissant (en participant aux conseils d’administration et à l’animation d’ateliers pour les directions des GE adhérents), faisant progressivement évoluer la méthodologie vers de la recherche intervention telle que définie par Xhauflair et Pichault (2009).

Pour répondre aux évolutions de leur environnement, les associations, étudiées dans le cadre de ces deux recherches-actions, ont déployé plusieurs stratégies d’adaptation avec comme objectif principal : maintenir et pérenniser leurs activités en préservant leur identité.

Principaux résultats : vers la construction d’une typologie de stratégies d’adaptation des associations

Les résultats des études de cas font ressortir deux situations particulières selon les isomorphismes rencontrés par les associations. Dans le cadre de l’étude de la CRF, deux types d’isomorphismes ont pu être identifiés : l’un normatif et l’autre mimétique. Les réponses apportées par la CRF, pour s’adapter à ces changements et maintenir une cohérence identitaire, ont consisté en l’adoption et l’adaptation (au sens de Richez-Battesti et Malo, 2012) de différentes stratégies.

Concernant le cas des 23 GE associatifs, les structures se sont retrouvées en présence d’isomorphismes coercitif et mimétique. Dans cette situation, une seule orientation stratégique a été retenue.

Savoir s’adapter pour durer : le cas de la CRF

Sur la période étudiée, l’équipe de recherche a relevé deux types d’isomorphismes auxquels la CRF s’est trouvée confrontée. Le premier concerne l’isomorphisme normatif. La CRF a entrepris un programme de formation à destination des bénévoles élus. Ce processus de professionnalisation est décrit avec précision par Combes-Joret et Lethielleux (2012) et a conduit à questionner le sens du travail mais aussi de l’engagement au sein de l’association. Le second isomorphisme observé est de nature mimétique. Face à la concurrence des entreprises privées lucratives dans le champ médico-social (accueil de la petite enfance, établissements de soins et centres de formation), la CRF a dû faire face à une crise identitaire (Combes-Joret et Lethielleux, 2017a) et réfléchir à son positionnement : être une entreprise-association (comme énoncé lors de la première version du plan stratégique en 2011) ou une association-entreprise ? Pour maintenir l’activité de la CRF, la réduction du déficit budgétaire est devenue prioritaire et s’est traduite par des réorganisations de filières métiers ou une intensification du travail salarié.

En 2005, la CRF a abordé un virage gestionnaire, sous l’impulsion de son président, Jean-François Mattéi, pour pérenniser une association en difficulté financière. « La grande mue » de la CRF (Mattei, 2011) a conduit à repenser le modèle économique de l’association pour faire face à la raréfaction des subventions publiques et de garantir la pérennité de ses activités :

(…) Maintenant qu’elle fonctionne comme une entreprise relevant du secteur de l’économie sociale et solidaire, le mot « entreprise » ne me choque absolument pas. Dans le mot « entreprise », il y a entrepreneuriat et il y a un exergue dans notre association c’est d’avoir l’esprit d’entreprise. Ce n’est pas le sens entreprise au sens CAC 40, par contre dans la vulgarisation que l’on peut faire du vocabulaire utilisé, le mot entreprise dans l’oreille de nos concitoyens n’est pas toujours compris comme esprit d’entreprise, esprit d’entrepreneuriat.

témoignage d’un directeur d’établissement en région

Dorénavant, l’activité commerciale (actions de formation des personnels de santé) finance les actions sociales et caritatives. L’introduction de ce nouveau modèle a produit une réaction en chaîne impliquant une crise identitaire (Combes-Joret et Lethielleux, 2017a) s’accompagnant de la mise en place de nouveaux outils de gestion et de la nécessité de créer « une communauté d’acteurs » pour resserrer les liens entre salariés et bénévoles. Cette stratégie n’est pas sans rappeler la stratégie de rupture telle que définie par Dumoulin et Simon (2005) pour les PME. Cette approche s’avère pertinente dans le cas de la CRF (tableau 2) qui, comme les PME, s’est retrouvée face à des ressources limitées. Selon Dumoulin et Simon (2005), la rupture permet à la firme d’acquérir un avantage concurrentiel grâce à un phénomène de bouleversement radical dans sa chaîne de valeur. Ils s’appuient sur la définition de Hamel (1996) selon qui une stratégie de rupture peut se définir comme une innovation stratégique qui modifie la concurrence et qui implique la remise en cause du modèle économique dominant. Le succès d’une stratégie de rupture dépend de la capacité de l’entreprise à apprendre et à changer son modèle d’affaires (Dumoulin et Simon, 2005), c’est-à-dire à assimiler l’information, mais également à la faire évoluer en modifiant, augmentant et corrigeant le stock de connaissances et de savoir-faire (Divry et al., 1998). La CRF illustre parfaitement l’application de cette stratégie (tableau 2) et plus particulièrement dans son approche réactive (modification radical du modèle économique de l’association). Cette approche correspond à la définition proposée par Pin et al. (2003) selon laquelle l’entreprise développe une stratégie de rupture pour pouvoir demeurer dans son environnement. L’étude longitudinale n’a pas permis de retenir les approches proactive (modification par l’entreprise de son environnement) ni d’imbrication (adaptation de l’entreprise tout en modifiant son environnement).

Tableau 2

Applications des éléments constitutifs de la stratégie de rupture à la Croix-Rouge française

Applications des éléments constitutifs de la stratégie de rupture à la Croix-Rouge française
Source : adaptation à partir de Dumoulin et Simon (2005)

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La CRF existe depuis 1864 et fait partie du paysage français. Cette longévité impressionne autant qu’elle questionne. L’association a connu plusieurs changements en plus de 150 ans et a su se renouveler pour répondre à son projet associatif : humaniser la vie. Par humaniser la vie, l’association tente, par ses actions, d’apporter des réponses aux différentes formes de souffrances rencontrées par ses bénéficiaires. Cette approche peut être qualifiée de résiliente au sens de Coursaget et Hass (2014). Pour ces deux auteurs, s’interroger sur la résilience pose la question de la continuité de l’activité. La résilience organisationnelle renvoie à la capacité de rebondir face à l’inattendu, c’est-à-dire à absorber le choc, à se renouveler et à se l’approprier. La résilience organisationnelle consiste à conserver un système d’actions organisées par un groupe confronté à une situation chaotique et inattendue. Selon Coutu (2002), les entreprises résilientes sont caractérisées par un pragmatisme et un optimisme démesuré, un fort système de valeurs partagées et une ingéniosité. Hamel et Välikangas (2003) précisent que les entreprises résilientes sont amenées à soulever quatre défis :

  • Un défi cognitif : elles doivent être réalistes face aux changements et conscientes de ce qui les affectent;

  • Un défi stratégique : elles doivent pouvoir imaginer de nouvelles orientations stratégiques (se renouveler);

  • Un défi politique : elles doivent réallouer les ressources pour supporter les activités prometteuses pour le futur;

  • Un défi idéologique : elles doivent insuffler une attitude proactive et axée sur la recherche continuelle des nouvelles opportunités.

La résilience suppose donc de combiner une approche défensive, proactive (être inventif) et une capacité d’autoréflexion (apprendre des crises passées). Begin et Chabaud (2010) mettent en avant trois dimensions permettant d’appliquer une stratégie de résilience (capacités d’absorption, de renouvellement et d’appropriation). Après plus de 150 ans d’existence, la CRF a su faire preuve de résilience pour rester l’une des plus emblématiques associations en France (tableau 3).

Le processus de résilience présente un intérêt pour les organisations comme le rappellent Robert et al. (2014, p. 60) pour toutes les organisations : « L’organisation et son environnement étant constamment en changement, le développement de la résilience organisationnelle est un processus continu qui devrait être intégré dans les routines de gestion stratégique des organisations, qu’elles soient publiques ou privées ». Toutefois, la mise en oeuvre de ce type de stratégie nécessite que l’organisation soit en capacité de s’analyser et de s’évaluer constamment pour s’améliorer.

Tableau 3

Applications des dimensions de la résilience à la Croix-Rouge Française

Applications des dimensions de la résilience à la Croix-Rouge Française
Source : à partir de Bégin et Chabaud (2010)

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Avec le virage gestionnaire, sont apparus des risques psychosociaux (RPS) interrogeant le sens du travail au sein de la CRF (Combes-Joret et Lethielleux, 2018). L’instauration d’une logique gestionnaire, en 2005 sous la présidence de Jean-François Mattéi, a transformé la CRF en une « association-entreprise » et entraîné la mise en place d’une nouvelle approche se traduisant par un accroissement des procédures (démarche qualité, traçabilité des denrées alimentaires via l’utilisation du logiciel AÏDA…), un accroissement de la charge de travail et un questionnement identitaire observé aussi bien chez les bénévoles que chez les salariés. Cette situation relève d’un cas d’hypocrisie organisationnelle (HO) au sens de Brunsson (1993; 2002). Pour expliquer cette notion, Brunsson (1993; 2002) distingue deux sphères de comportement organisationnel :

  • L’organisation d’action : formulation de règles pour régir le comportement de ses membres dans les environnements stables (hypocrisie interne).

  • L’organisation politique : création d’une légitimité vis-à-vis de l’extérieur (hypocrisie externe).

Ces deux sphères sont distinctes et ne doivent pas se gêner pour éviter tout dysfonctionnement organisationnel. Ce concept comporte certaines limites évoquées par Geoffroy (2012). La première porte sur l’existence d’une frontière poreuse entre les organisations politiques et d’action. La seconde concerne le caractère intentionnel ou non de l’HO.

Dans le cas de la CRF, l’HO s’est manifestée par le discours, diffusé sur les antennes à une heure de grande écoute, du directeur des ressources humaines de l’époque. Ce dernier expliqua cette accélération et le dépassement des horaires (non-respect des dispositions juridiques relatives au repos journalier) par le caractère urgent des missions de l’association. Face à ces observations, la valeur « primauté donnée à l’individu » est mise à mal. Dans le cas de la CRF, on voit que l’HO, une fois découverte, a eu des conséquences à la fois sur l’image de l’association et sur l’implication de ses acteurs (salariés comme bénévoles) dénonçant une dégradation des conditions de travail (Combes-Joret et Lethielleux, 2017b). Dès lors, toute la question est de savoir s’il faut adopter ou non ce type de stratégie et quel en serait l’intérêt dans le champ de l’ESS. De prime abord, considérer l’hypocrisie organisationnelle comme une stratégie d’adaptation pourrait interpeler au regard du système de valeurs défendues par ces organisations. Il n’en demeure pas moins que les EESS, comme les OBL, peuvent se retrouver face à une situation d’hypocrisie organisationnelle.

L’étude de cas longitudinale de la CRF a montré que les différentes orientations stratégiques de cette association ont permis de surmonter une crise identitaire et de pérenniser les activités. La CRF a su amorcé le virage nécessaire pour s’adapter aux mutations socio-économiques de son environnement.

« L’union fait la force » : le cas de la création d’un réseau associatif

L’étude de ce cas porte sur la structuration d’un réseau régional de 23 GE associatifs réalisée entre 2015 et 2017. La création de ce réseau régional répondait à la volonté des GE associatifs de faire connaître leurs missions (la mise à disposition de salariés en temps partagé) auprès des demandeurs d’emploi, collectivités et entreprises sur leur territoire. Les résultats ont conduit à l’identification des formes d’isomorphismes auxquels font face les GE. Le premier est de nature coercitive notamment en raison d’un ensemble de modifications du droit du travail comme une durée minimale de 24h hebdomadaire pour un contrat de mise à disposition. Le second est davantage d’ordre mimétique. Les GE peinent à exister face à la concurrence des sociétés d’intérim qui peuvent désormais proposer un contrat de travail intérimaire à durée indéterminée. Les GE ont pris conscience de la nécessité de se structurer à un niveau local suite à l’échec des différentes tentatives nationales. L’idée de la création du réseau est apparue en 2015 et est à l’initiative de deux GE associatifs du territoire. Les deux porteurs de projet ont pris contact avec une équipe de recherche universitaire pour répondre à un appel à projet régional (dispositif Innov’action) et les accompagner dans leur démarche. En 2017, le réseau PROGREST (réseau des GE du Grand Est) voit le jour. En 2019, après deux années d’existence, le bilan est positif. En effet, cette stratégie s’est révélée payante car les GE adhérents de ce réseau apprennent progressivement à travailler ensemble et ont pris conscience de la nécessité de faire vivre ce réseau pour gagner en visibilité sur leur territoire. Cette recherche-action illustre parfaitement la stratégie de réseau dite « inter-organisationnelle » où le réseau créé est assimilable à une méta-organisation au sens d’Ahrne et Brunsson (2008). Parmi la variété de définitions (réseaux informels (Birley, 1985; Aldrich et Zimmer, 1986)), nous avons retenu celle de Lecoq (1999), citée par Marcon (2012, p. 12), pour qui le réseau constitue « une nouvelle forme d’organisation dont l’existence est liée à la mise en place d’une stratégie face à une modification de l’environnement concurrentiel. Cette orientation conduit à considérer les réseaux comme des formes d’organisations volontaristes pouvant être placées sous la responsabilité de managers ».

De prime abord, nous aurions tendance à considérer que la culture du réseau, de la coopération fait partie intégrante de l’ADN des OESS. Or, comme le constate Marival et al. (2015), c’est loin d’être le cas. Pour les GE, le réseau représente un moyen d’améliorer les pratiques de ressources humaines de ses membres et de développer une gestion des ressources humaines mutualisée (Loubès, Bories-Azeau et Fabre, 2012). Le réseau présente de nombreux avantages, notamment pour les TPE/PME (Géniaux et Mira-Bonnardel, 2003) comme de renforcer des apprentissages collectifs; de créer des compétences environnementales (Defélix, Dietrich et Retour, 2007); de constituer un rempart contre la faible expertise RH de ses petites et moyennes entreprises (D’Amboise et Garand, 1995); de formaliser des politiques et pratiques de GRH sur un territoire; et enfin, d’éviter l’isolement des dirigeants de PME. Pour caractériser cette stratégie de réseau déployée par les GE sur le Grand Est, la typologie proposée par Douard et Heitz (2003) et reprise par Maisonnasse et al. (2010), s’est révélée utile et nous a permis de conclure que la structuration en réseau des GE sur un territoire relevait à la fois des caractéristiques des réseaux d’adjonction (par la mutualisation de moyens humains et matériels) mais également des réseaux heuristiques en recherchant, par ce maillage territorial, à créer une forme d’avantage concurrentiel par rapport aux sociétés d’intérim.

L’innovation au coeur de la stratégie d’adaptation des associations

Les études de cas ont également mis en lumière des innovations sociales développées par les associations. Parmi celles observées, la création d’une halte-répit Alzheimer en Champagne-Ardenne (région Est de la France) par la CRF constitue un exemple significatif de ce type de stratégie. En effet, la CRF est la première structure française à avoir proposé ce type d’accueil alors que le nombre de malades ne cesse de croître. Les malades sont accueillis deux à trois heures par semaine au sein de ces haltes (lieux collectifs) par des bénévoles formés à cette pathologie et encadrés par un personnel de santé. Il est proposé aux malades des activités adaptées. Cette initiative permet aux aidants familiaux de retrouver un peu de temps personnel pour eux. Cette innovation correspond à une diversification des actions sociales de l’association et montre la capacité de la CRF à s’adapter (voire à être avant-gardiste) face aux défis sociétaux de manière à répondre au plus près aux besoins des bénéficiaires. L’innovation est considérée comme un facteur essentiel pour le développement des entreprises (Hamouti et al., 2014). Dans le cadre des associations observées, il s’agit davantage d’innovations sociales telles que définies par Harrison et Vezina (2006, p. 130) pour qui « les innovations sociales concernent la coordination de relation entre les acteurs sociaux dévolus à la résolution de problèmes socio-économiques en vue d’une amélioration des performances et du bien-être des collectivités ».

Pour les GE, c’est également l’innovation sociale qui est au coeur de leur démarche de structuration du réseau régional. La stratégie de coopération s’est révélée comme la réponse la plus adéquate pour mutualiser leurs ressources et compétences (échanges de bonnes pratiques lors des ateliers trimestriels des directions des GE membres du réseau). Cette approche correspond à celle observée par Dyer et Singh (1998) ainsi que Pfeffer et Salancik (2003).

Il ressort de ces études de cas longitudinales plusieurs stratégies d’adaptation déployées par les associations en réponse aux effets induits par les isomorphismes institutionnels. Une première classification peut être établie à partir de deux catégories : les stratégies défensives et offensives (figure 1).

Figure 1

Typologie des strategies d’adaptation des eess face aux isomorphismes institutionnels

Typologie des strategies d’adaptation des eess face aux isomorphismes institutionnels

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Discussion

Cette recherche s’est attachée à souligner l’importance pour les associations de penser leur stratégie de développement en vue de s’adapter aux changements de leur environnement. Ainsi, à partir de deux recherches-actions portant sur un panel de 24 associations, les résultats ont permis de mettre en lumière les différentes formes d’adaptation stratégiques des associations. Deux grandes catégories ont émergé de ces études : les stratégies défensives (rupture/mise en réseau/résilience voire d’hypocrisie organisationnelle) et offensives (innovation). Il s’agit d’une première typologie qui a le mérite de proposer une classification des orientations stratégiques des associations et de souligner une forme de conscientisation stratégique de ces structures. Par conscientisation, il est entendu l’idée de prendre conscience de la capacité comme de la nécessité de penser le développement stratégique des associations. Dans les cas étudiés, la présence d’isomorphismes a agi comme un révélateur, source d’opportunité (au sens de Germain, 2010), pour les associations concernées qui souhaitaient concilier équilibre économique (indispensable à la pérennisation de l’activité) et valeurs de l’ESS (primauté de l’individu, démocratie, solidarité, lucrativité limitée, adhésion volontaire et ouverte…). Cette typologie peut s’avérer fort utile pour les associations qui n’auraient pas encore réfléchi à un réel développement stratégique, respectueux de leur identité et valeurs, dans un environnement où les règles du NPM sont de plus en plus prégnantes.

Cette recherche s’inscrit également dans la poursuite des travaux d’Akingbola (2013) sur la complexité de la stratégie des entreprises de l’ESS. Les résultats montrent que les associations ont recours à différentes formes de stratégies d’adaptation dans des proportions différentes en fonction du contexte environnemental et/ou temporel, confirmant la nature contingente de la stratégie des associations. Au-delà du caractère contingent de ces stratégies, il existe d’autres sources de complexité. Premièrement, il convient d’ajouter une complexité d’ordre politique liée à l’exercice de la gouvernance associative où les compétences et l’implication des présidences restent très hétérogènes. La question de la gouvernance se pose d’autant plus dans le cas de la stratégie en réseau comme le montre le cas du réseau des GE (Géniaux et Mira-Bonnardel, 2003; Assens, 2003). Deuxièmement, l’adaptation étant liée, pour partie, à la capacité d’innovation des associations, se pose alors la complexité pour ces dernières de dupliquer leurs innovations (souvent sociales) de façon à contribuer réellement à un changement sociétal et territorial (Hillier et al., 2004). La stratégie d’innovation des associations rencontre des difficultés pour être institutionnalisée (cas du réseau des GE). Or, l’institutionnalisation (processus de cristallisation de l’action collective) est perçue comme l’étape ultime du processus d’innovation sociale en vue de pérenniser la nouveauté (Bourque et al, 2007).

Pour conclure, la typologie des stratégies d’adaptation proposée par cette recherche constitue une première étape de recensement et de classification des stratégies associatives. Elle met en exergue la complexité des politiques stratégiques de ces structures. Il n’en demeure pas moins, qu’aujourd’hui limités à la forme associative, ces premiers résultats demandent à être enrichis, par de futurs travaux, auprès d’autres entreprises de l’ESS comme les mutuelles ou les coopératives.