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Introduction

Les principales théories en management international incluent explicitement les ressources dont disposent les entreprises pour s’internationaliser, mais la nature et la multiplicité des ressources jugées incontournables fluctuent selon les auteurs. Le management stratégique s’est structuré autour de deux conceptualisations majeures, qui ont nourri ensuite d’autres développements : la théorie industrielle et la théorie des ressources. Selon la théorie industrielle (Porter,1985) l’entreprise doit construire des avantages comparatifs lui permettant de mieux maîtriser que les autres firmes l’environnement concurrentiel dans lequel elle évolue. La théorie des ressources (resource-based view) place son analyse, comme son nom l’indique, sur les ressources dont dispose l’entreprise pour créer et exploiter des avantages concurrentiels (Wernerfelt, 1984; Barney, 1991; Conner, 1991). Cette théorie, plus orientée vers les caractéristiques internes des firmes, est l’une des plus utilisées en management stratégique et a permis l’éclosion d’autres approches (Brulhart et al., 2010). On peut citer notamment l’approche par les connaissances (knowledge-based view) présentée par Spender et Grant (1996), l’approche par les capacités dynamiques (dynamic capabilities) de Teece et al. (1997) ou encore l’approche par les compétences (competence-based management) de Prahalad et Hamel (1990).

Le foisonnement des recherches relatives aux ressources des entreprises a été renforcé depuis le début de ce siècle par des thématiques articulant les facteurs externes et internes influant sur les organisations, et parmi ces derniers; les connaissances et compétences immatérielles. Les enjeux s’avèrent en effet nombreux : au-delà des chaînes logistiques, de l’accès aux sources de financement, de la maîtrise technique, de l’expertise marketing ou de la qualité de vie au travail, etc. des problématiques de nature écologique, sécuritaire ou sanitaire par exemples sont à intégrer dans les stratégies d’internationalisation des organisations.

Nous proposons ainsi une lecture des principaux auteurs en management international au travers de la manière dont ils ont abordé et analysé les ressources dans l’ouverture des firmes à l’international. Sans prétendre à l’exhaustivité, nous avons repéré trois groupes d’auteurs présentant des similarités dans leur intégration, incontournable ou plus secondaire, des ressources avec les autres caractéristiques des firmes. Un premier ensemble de travaux insiste sur la nécessité de recourir à des ressources très variées, sans que l’une d’elles n’apparaisse plus indispensable que les autres. Une deuxième approche a été proposée par des chercheurs focalisés sur quelques ressources, fréquemment de type immatériel. Enfin, un troisième groupe de recherches se caractérise par des études orientées sur un ou quelques types de ressources spécifiques, considérées comme plus stratégiques que les autres pour le développement international des firmes. Après une présentation et une discussion synthétique de ces analyses, nous conclurons.

L’identification de ressources diversifiées

Le premier groupe d’auteurs a mis l’accent sur l’importance de nombreuses catégories de ressources, souvent de nature matérielle.

Dans son paradigme éclectique (OLI), Dunning (1988) explique le choix des modes d’entrée d’une firme dans un nouveau pays et la géographie de ses activités à l’international par trois types d’avantages. Les avantages spécifiques (Ownership) sont issus de ressources immatérielles telles que les brevets ou marques. Les avantages de localisation (Location) proviennent de l’existence de ressources naturelles, logistiques ou liées à la demande dans le pays cible. Enfin, les avantages d’internalisation (Internalization) sont générés par le choix de fabriquer en interne plutôt que de sous-traiter, et se traduisent par des ressources financières (économies d’échelle), techniques (savoir-faire) ou logistiques (créatrices de gains de temps). Les types de ressources mises en oeuvre pour l’internationalisation sont donc multiples et variables.

Au-delà des distances physiques entre les pays, Ghemawat (2007) aborde, pour sa part, les réalités du management international au travers de quatre dimensions particulières : culturelles, administratives, géographiques et économiques (modèle CAGE). Chaque volet permet à l’entreprise d’identifier les opportunités et menaces liées aux pays, et secteurs d’activités et de mettre en oeuvre les ressources nécessaires pour y faire face. Celles-ci se déclinent suivant les dimensions concernées : culturelles et linguistiques; techniques et industrielles; logistiques; humaines et financières. Cet auteur ne se concentre donc sur aucune ressource en particulier mais privilégie une approche adaptative et contextualisée selon l’environnement dans lequel une firme s’internationalise.

Les travaux de Buckley et Casson (1976) s’inscrivent dans la logique de la théorie des coûts de transaction (Coase, 1937) et montrent que l’internalisation de tâches de production et de R&D permet à l’entreprise de réduire les risques liés au marché et de renforcer le contrôle sur ses activités. Le processus d’internationalisation est alors guidé par une recherche de maîtrise des ressources liées à la production et à la R&D. L’innovation technique, organisationnelle ou commerciale sous-tendent donc un objectif de réduction des coûts afin de maintenir les niveaux de rentabilité et de croissance à l’international (Buckley et Casson, 2009).

La rapidité d’adaptation des firmes à l’international constitue l’un des thèmes des travaux de Doz et Kosonen (2008), qui ont analysé le concept d’entreprise agile. Celle-ci doit être capable de réaliser rapidement l’allocation de ses ressources, en développant des compétences managériales, organisationnelles et stratégiques. A ce propos, les alliances facilitent l’internationalisation en accroissant les ressources accessibles à l’entreprise (Doz et Hamel, 1998) de trois façons : par coopétition (les concurrents deviennent des partenaires et partagent leurs ressources), par co-spécialisation (mise en commun de compétences et ressources techniques), et par l’apprentissage de nouvelles connaissances.

La mise en exergue de plusieurs types de ressources, essentiellement immatérielles

Un deuxième ensemble de chercheurs a mis en avant plusieurs types de ressources importantes pour l’internationalisation, et toutes de nature immatérielle.

Selon le modèle d’Uppsala (Johanson et Vahlne, 1977), l’internationalisation des firmes se réalise progressivement suivant plusieurs étapes. L’entreprise s’étend de son marché domestique vers d’autres pays en s’appuyant sur un agent local, puis sur une filiale commerciale, et enfin sur une filiale de production. Ces phases successives constituent une réponse au manque de ressources et de connaissances concernant les marchés visés. Ces deux auteurs ont identifié, parallèlement à la distance géographique entre le pays d’origine et le nouveau marché, la notion de distance psychique qui inclut les différences linguistiques, culturelles, éducatives, les pratiques managériales et le développement industriel. La compensation du manque de ressources s’opère par le choix du pays avec lequel il existe la plus faible distance psychique. Le niveau d’engagement sur un marché dépend alors des ressources initiales de la firme. Le modèle d’Uppsala a ensuite été révisé par Johanson et Vahlne (1990, 2003 et 2009), qui y ont inclus l’impact du réseau d’affaires de l’entreprise. Cette approche réticulaire conduit à analyser non seulement la distance géographique ou psychique mais le manque d’intégration à un réseau d’affaires dans le pays visé. Les recherches ultérieures de ces auteurs (Vahlne et al., 2012) les ont amenés à prendre en considération également les relations siège-filiales comme ressource pour l’internationalisation.

Les travaux de Kogut et Zander (1993) considèrent l’entreprise comme une communauté sociale localisée, encastrée dans un environnement institutionnel, économique et culturel. Ainsi, l’internationalisation doit tenir compte des spécificités culturelles des firmes et des écarts existants entre les pays ou marchés. L’ouverture d’une firme à l’international implique alors des transferts internationaux de connaissances et requiert un apprentissage organisationnel. Cette ressource interne permet le transfert de pratiques organisationnelles et de connaissances d’un pays à l’autre, via des réseaux d’affaires (Kogut, 2000). Ces derniers permettent localement la diffusion de connaissances et d’informations favorisant les investissements à l’étranger.

L’apport des recherches d’Hofstede et al. (2010) se situe, quant à lui, dans le domaine de l’analyse inter-culturelle des pays et de leurs différences. Hofstede a identifié six dimensions permettant de singulariser les cultures nationales : la distance hiérarchique, le degré d’individualisme, le degré de masculinité, le contrôle de l’incertitude, l’orientation à long terme, et l’indulgence. Le processus d’internationalisation d’une firme nécessite d’intégrer les conséquences de ces dimensions, plus ou moins influentes selon la distance culturelle entre deux pays. Les ressources nécessaires pour modérer les écarts entre pays pour chaque dimension sont naturellement en premier lieu de nature culturelle et inter-culturelle (dimensions d’individualisme et de masculinité), mais s’y ajoutent des ressources managériales (place de la hiérarchie, indulgence) et organisationnelles (contrôle de l’incertitude et gestion du temps).

A l’opposé d’une internationalisation progressive telle que proposée par le modèle d’Uppsala, Oviatt et McDougall (1994) se sont intéressés aux firmes nées globales, ou international new ventures. Celles-ci utilisent des ressources limitées mais uniques par leur caractère innovant, la proactivité de l’organisation et la vitesse de l’expansion internationale. L’allocation des ressources devient alors déterminante, parallèlement aux ressources elles-mêmes, dans la capacité à saisir sans délai les opportunités commerciales (Oviatt et McDougall, 2005). Plus une ressource est stratégique pour la firme, plus elle doit être gérée directement par celle-ci et non par les mécanismes du marché. Les firmes nées globales parviennent alors à contrôler leur prise de risque tout en générant une rentabilité élevée. Le passage du stade de PME locale à firme internationale en quelques années à peine montre ainsi le facteur déterminant que représente la maîtrise du temps.

Une focalisation sur des ressources particulières

Le troisième groupe d’auteurs a orienté ses analyses en ne s’intéressant qu’à peu de types de ressources, et pour l’essentiel de nature immatérielle.

Un des points forts des recherches de Cavusgil (1998) est la mise en relief du rôle des réseaux de partenaires internationaux. La complémentarité des compétences dans les réseaux d’affaires constitue selon cet auteur une ressource immatérielle clé pour l’internationalisation des entreprises. Dans les alliances internationales, la firme doit trouver des partenaires présentant à la fois des points communs avec elle sur les plans culturels et managériaux, et des domaines d’expertise différents des siens. Le capital relationnel des entreprises s’en trouve alors accru, tout comme ses compétences partenariales, car plus un réseau est développé plus il est créateur de valeur pour l’ensemble de ses membres. De plus, Zou et Cavusgil (2002) ont souligné la nécessité de posséder de bonnes ressources relatives au marketing pour faciliter l’internationalisation.

L’optique de Rugman et D’Cruz (1996) met elle aussi en relief le rôle des réseaux d’affaires comme élément favorisant l’internationalisation. Les réseaux facilitent l’apprentissage inter-organisationnel et la confiance entre les entreprises et leurs partenaires, malgré la distance culturelle. Selon Rugman (2005), à cette ressource réticulaire s’ajoute l’ancrage régional de la firme multinationale dans sa zone économique d’origine. Il indique la portée géographique des ressources locales que l’entreprise peut employer pour s’internationaliser, que celles-ci soient techniques, commerciales, humaines, matérielles ou autres.

Parallèlement à ces résultats, c’est la capacité de négociation interculturelle de la firme qui a été soulignée par Ghauri (1986) comme une des ressources pour l’internationalisation. Le processus de négociation lui-même sollicite des ressources culturelles et communicationnelles, tant avant, pendant, qu’après la négociation proprement dite. De plus, Liu et al. (2010) ont montré l’importance du capital relationnel dans les alliances stratégiques internationales. Cette ressource, elle aussi immatérielle, se traduit par la confiance, la transparence des relations et la qualité des interactions au sein des alliances. Autant d’éléments qui contribuent à un bon apprentissage organisationnel entre les partenaires et dans chacune des firmes.

La prise en compte des ressources réticulaires tient également une place majeure dans les travaux de Bartlett et Ghoshal (1992), qui ont souhaité dépasser l’opposition entre l’horizontalité et la verticalité des relations entre siège et filiales. En effet, ces deux modes d’organisation sont vecteurs de difficultés potentielles : d’une part, une autonomie de filiales parfois trop petites et inaptes à gérer d’importantes ressources, doublée d’une sous-utilisation des capacités du siège, d’autre part, une hiérarchisation trop forte qui rigidifie la structure de l’entreprise et freine sa réactivité. Les auteurs proposent alors une utilisation des ressources au sein d’un réseau transnational intégré, qui comprend des flux de ressources réparties selon les capacités des membres du réseau, et coordonnées essentiellement par le siège. Il en résulte une distribution des responsabilités en parallèle à une forte interdépendance entre les composants du réseau.

Suivant l’optique des coûts de transaction, Beamish et Bartlett (2011) reconnaissent le rôle majeur des ressources dans le processus d’internationalisation des firmes. Cependant, ils n’analysent pas spécifiquement les ressources que l’entreprise doit internaliser pour maximiser sa valeur. Leurs travaux sur les joint ventures permettent toutefois d’identifier une ressource précieuse au sein des alliances internationales, à savoir la capacité à coopérer. Il ne s’agit pas d’éviter tout conflit entre les partenaires, mais d’adopter un comportement plus altruiste qu’opportuniste afin que les situations de blocage se raréfient.

Présentation synthétique des résultats

Les précédentes analyses permettent de présenter une synthèse des principaux types de ressources analysés dans les travaux des grands auteurs en management international, indiqués ici suivant l’ordre alphabétique de leur nom (Cf. Tableau 1).

Tableau 1

Les grands auteurs en management international et leur focalisation sur les ressources

Les grands auteurs en management international et leur focalisation sur les ressources
Source : Élaboré par les auteurs

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En plaçant les différents auteurs selon deux axes, avec en abscisse le nombre de ressources qu’ils mettent en avant, et en ordonnée l’aspect matériel ou immatériel de celles-ci, nous proposons le schéma suivant.

Schéma 1

Type et nombre de ressources stratégiques selon les principaux auteurs en management international

Type et nombre de ressources stratégiques selon les principaux auteurs en management international
Source : Élaboré par les auteurs

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On distingue, selon la nature des ressources mobilisées lors de l’internationalisation, les trois groupes d’auteurs identifiés précédemment. Le premier met l’accent sur la nécessité de posséder des ressources diversifiées, dont l’aspect matériel s’avère assez important (pour Dunning) ou moins prégnant (pour Doz). Le deuxième groupe de travaux renvoie essentiellement aux ressources immatérielles, qu’elles soient multiples (pour Johanson et Vahlne) ou plus spécifiques (telles les six dimensions culturelles d’Hofstede). Enfin le troisième groupe englobe des chercheurs dont les analyses portent davantage sur des types spécifiques de ressources, en partie (pour Cavusgil) ou en majorité immatérielles (pour Beamish) et souvent à dominante réticulaire.

Conclusion

La mise en perspective des travaux des grands auteurs en management international montre que les ressources considérées comme incontournables pour l’internationalisation des firmes varie selon les situations analysées. Ainsi, le besoin de s’appuyer sur un réseau de partenaires, la mobilisation de ressources culturelles ou la nécessité d’un apprentissage organisationnel font partie des ressources immatérielles indispensables. Elles coexistent avec les ressources matérielles, relatives à la production, la logistique ou l’investissement par exemple, et voient leur influence évoluer en fonction du stade d’internationalisation (précoce ou avancé), de la taille de l’entreprise (PME ou groupe avec filiales) et des pays considérés (avec faible ou forte distance culturelle, administrative, géographique, économique ou encore psychique).

Autant de dimensions qui ont amené à proposer une typologie de trois groupes d’auteurs, suivant la diversité des ressources qu’ils intègrent dans leurs modèles et l’importance de l’aspect immatériel de celles-ci.