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L’ouvrage collectif coordonné par André Tioumagneng ambitionne de contribuer à la production des connaissances scientifiques utiles sur l’entreprise bancaire africaine. Cet ouvrage, qui a mobilisé quarante-et-un auteurs, chercheurs universitaires ou praticiens, couvre une large palette de thématiques traités à travers vingt-deux chapitres répartis en sept parties : (1) la banque en société, (2) approches intra-organisationnelles, (3) les logiques de la responsabilité des banques, (4) la banque et les normes, (5) questions de gouvernance, (6) le challenge de la performance, et (7) regards des praticiens. Toutes les parties comptent trois chapitres, à l’exception de la septième qui en compte quatre. En plus des remerciements, d’une préface, d’un avant-propos, d’une introduction générale, d’une conclusion générale et d’une postface, chacune des sept parties est précédée d’une introduction rédigée par un expert confirmé de la thématique.

La première partie de l’ouvrage (« La banque en société ») contient les chapitres (1, 2, 3) et a pour fil directeur l’idée que la banque est un acteur social. Le chapitre 1 propose une analyse conceptuelle épistémologique de la perception de la banque en Afrique et explique qu’elle est essentiellement considérée comme un instrument d’allocation de ressources financières au plan macroéconomique, ce qui élude largement le rôle social de la banque. Le chapitre 2 analyse les liens entre digitalisation bancaire et engagement des clients et montre que l’engagement suppose de réelles capacités managériales de la part des banques. Le chapitre 3 s’appuie sur une vision fonctionnelle de la digitalisation bancaire en tant qu’outil de lutte contre l’exclusion financière des particuliers pour montrer que la digitalisation pose aux banques un réel défi de réinvention de leurs pratiques managériales.

La deuxième partie (« Approches intra-organisationnelles ») contient les chapitres (4, 5, 6). Le chapitre 4 présente la digitalisation bancaire comme relevant de la disruption et montre comment, au-delà de son intérêt pour maîtriser la fraude dans les institutions, cette digitalisation modifie dans le monde académique le comportement des apprenants dans les transactions financières avec les banques. Le chapitre 5 étudie les situations dialectiques auxquelles sont confrontés les dirigeants de banques et souligne l’opposition des parties-prenantes (clients, salariés et dirigeants) sur les problèmes identifiés. Le chapitre 6 cherche à comprendre comment, dans le contexte de la banque, la diversité ethnique est traitée dans la gestion des ressources humaines, en particulier dans le processus de recrutement et montre que les salariés ressentent les logiques de tribalité dans le management en place et que beaucoup de responsables ignorent l’existence des normes relatives à la gestion de la diversité ethnique.

La troisième partie (« Les logiques de la responsabilité des banques ») regroupe les chapitres (7, 8, 9). Le chapitre 7 vise à analyser les pratiques de communications sur la RSE par les banques et montre que les facteurs explicatifs s’organisent autour de catégories culturelles et non-culturelles, pour les banques domestiques comme pour les filiales de banques étrangères. Le chapitre 8 conçoit la responsabilité en termes d’altruisme censé conduire les acteurs à développer des activités de type philanthropique et montre que la présence d’actionnaires d’origine extracontinentale, contrairement à l’actionnariat familial et public local, constitue un catalyseur de telles activités. Le chapitre 9 procède à une étude comparative des politiques communicationnelles et des pratiques concrètes des banques en matière de RSE et constate l’existence, dans le secteur, d’une « hypocrisie organisationnelle segmentée » entre les filiales bancaires étrangères (discourant plus qu’elles ne réalisent) et les banques domestiques (réalisant plus qu’elles ne discourent).

La quatrième partie de l’ouvrage (« La banque et les normes ») contient les chapitres (10, 11, 12). Le chapitre 10 analyse le non-remboursement du crédit bancaire, érigé récemment en infraction pénale au Cameroun et met en relief l’insuffisance de cette pénalisation pour maîtriser le risque de crédit. Le chapitre 11 traite le recouvrement forcé des créances et décrit le « chemin de croix » du créancier en Afrique. Le chapitre 12 analyse la responsabilité sous le prisme du contrôle des établissements de crédit banques et entreprises de microfinance et procède à une lecture critique de l’infrastructure normative locale.

La cinquième partie de l’ouvrage (« Questions de gouvernance ») contient les chapitres (13, 14, 15). Le chapitre 13 effectue une étude empirique sur la vulnérabilité des banques qui conclut à un appel au durcissement de la régulation sur les fonds propres et à une action conjointe sur la liquidité bancaire en Afrique centrale. Le chapitre 14 traite de « l’indiscipline transparentielle » des banques et propose un renforcement de la régulation. Le chapitre 15 porte sur l’efficacité des mécanismes de gouvernance des entreprises de microfinance et prône la prise en compte de l’interaction ou de la complémentarité des mécanismes de gouvernance lorsqu’on s’intéresse à leur efficacité.

La sixième partie de l’ouvrage (« Le challenge de la performance ») contient les chapitres (16, 17, 18). Le chapitre 16 porte sur l’étude du phénomène d’amoncellement des prêts non-performants dans les banques locales et trouve que l’insolvabilité des emprunteurs s’explique autant par la qualité managériale des acteurs (banque, emprunteur) que par le coût de la dette. Le chapitre 17 porte sur la sociologie de la relation banque-fonctionnaire à la fin du mois et le chapitre 18 sur les technologies de l’information bancaire.

La septième partie (« Regards des praticiens ») contient quatre chapitres (19, 20, 21, 22). Le chapitre 19 porte sur l’éducation des clients, facteur de risque bancaire; le chapitre 20 examine les enjeux des normes dans la microfinance; le chapitre 21 étudie l’individualisme actionnarial dans la microfinance et le chapitre 22 analyse les problèmes rencontrés par les gestionnaires).

Cet ouvrage collectif diffère nettement de ce qui a traditionnellement été publié sur la banque en Afrique : il s’agit d’un véritable travail scientifique, issu en grande partie de l’activité du laboratoire de recherche du coordonnateur qui a réussi en outre la prouesse de mobiliser de nombreux experts de la question bancaire, en Afrique ou à l’international, chercheurs ou praticiens. L’ouvrage identifie, traite et analyse scientifiquement des problèmes variés liés au fonctionnement interne des banques et à leur rapport avec d’autres acteurs sociaux, dans le contexte des pays de l’Afrique centrale. La question de recherche était : quelle démarche adopter pour explorer efficacement l’entreprise bancaire africaine compte tenu de sa complexité. Cette question générique impliquait deux questions spécifiques. Premièrement, qu’est-ce que l’entreprise bancaire africaine ? Deuxièmement, comment le chercheur devrait-il aborder l’analyse de cette entreprise bancaire africaine en vue de produire des connaissances scientifiques actionnables ? L’ouvrage mobilise une approches historique, pluridisciplinaire (management, économie, droit…) et coopérative entre universitaires et praticiens. La fertilisation croisée du regard des auteurs aide ainsi à décrypter des questions aussi différentes que celles relatives à la gouvernance informationnelle, la digitalisation, la responsabilité sociale, l’éducation des clients, la gestion des risques, les normes, l’opportunisme des actionnaires, l’hypocrisie organisationnelle, l’investissement technologique, la gestion ethnique et les problèmes décisionnels complexes ou dialectiques.

Il ne fait aucun doute que l’ouvrage coordonné par André Tioumagneng représente une contribution majeure à l’étude de la banque en Afrique centrale. Il vise un public large : des chercheurs universitaires, des étudiants inscrits en Master (parcours recherche et professionnel) et en doctorat qui s’intéressent aux problématiques de banque, des pouvoirs publics dont les ministères des finances, des cadres en poste dans les banques, des consultants, des institutions nationales (Conseil National du Crédit, Association Professionnelle de Banques, etc.) et supranationales spécialisées (Banques Centrales, Commission Bancaire de l’Afrique Centrale...). Il applique dans l’examen du contexte africain une rigueur remarquable favorisant l’atteinte de résultats actionnables. Mettre la recherche en management au service de l’Afrique est en totale phase avec la vision de SAM (Société Africaine de Management; Servir l’Afrique par le Management) que nous avons fondée il y a dix ans et que nous avons l’honneur de présider. L’ouvrage occupe une place importante dans le champ de la recherche sur la banque africaine. Ce résultat n’est pas le fruit du hasard mais résulte d’un mix tenant, à la fois, à l’ambition du coordonnateur, à sa détermination et à sa méthode. Ambition sans limite, Détermination sans faille et Méthode fondée sur les savoirs scientifiques : ADM, l’autre credo de SAM.

En ayant pris le soin d’asseoir l’ouvrage sur une base scientifique solide (laboratoire de recherche, journée d’études scientifiques), en ayant sollicité de nombreux experts à tous les niveaux et en ayant combiné les compétences de chercheurs et de praticiens ainsi que les disciplines, André Tioumagneng s’est donné le maximum de chances d’atteindre son objectif de produire de la connaissance scientifiquement valide et hautement actionnable.

C’est un plaisir de voir la jeune génération africaine se fixer des objectifs ambitieux, rester déterminée en toutes circonstances et travailler avec méthode pour produire des résultats de grande qualité. L’ouvrage est intéressant par la richesse de son contenu. Certains textes mobilisent les méthodes quantitatives et des approches déductives et d’autres font appel aux démarches qualitatives dans une perspective inductive. La variété des thèmes d’investigation est remarquable puisque les analyses portent autant sur les banques domestiques, les filiales bancaires panafricaines et extracontinentales que sur des entreprises de microfinance. Cette variété est également de mise relativement aux thématiques de recherche. Au demeurant, une des forces de l’ouvrage réside incontestablement dans ses innovations épistémologiques, l’originalité des nombreuses découvertes résultant de son processus de lecture des banques locales avec différentes lunettes théoriques. On ne peut par conséquent que recommander cet ouvrage utile à un large public de professionnels (consultants, pouvoirs publics, cadres et dirigeants de banques et d’organisations spécialisées), d’étudiants (de Master et de doctorat) et d’universitaires expérimentés ou non.