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Kwe!

D’abord, migwtec pour l’invitation à signer cette préface! Heureusement que j’avais déjà écrit des messages et des réflexions sur cette décennie! Alors je fais des recherches, et voilà le résultat de mon passé d’écrivain. Vous pouvez utiliser mes paroles comme bon vous semble. Elles sont en action, en mouvement, pendant que je cherche à écrire mes nouvelles découvertes dans ma langue. Le vrai sens des mots anicinabe[1]. Nous sommes en effervescence dans le moment présent. Anicinapemo8in / Langue anicinabe

La langue anicinabe, ou anicinabemowin, est la connexion entre notre esprit et le tangible, elle nous lie à un territoire en particulier. Comme toutes les langues autochtones, elle est née du contact entre la terre, les arbres, les animaux, tout ce qui nous entoure, et nos esprits[2]. A8esi / Awesis / Animal

Ses racines sont ancrées dans la Terre-Mère, qui les porte autant qu’elle la porte elle-même, car bien qu’elle soit issue d’un territoire, elle nous permet de transporter ce territoire avec nous, à travers l’identité. Dans l’espace sécuritaire que représentait le canot, au centre de la famille, assis entre le père et la mère, l’enfant anicinabe apprenait sa langue. Tciman / Tciman / Canot[3]

Image : Elie Croteau Basile

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L’anicinabemowin est une langue imagée et enracinée dans le territoire. Elle met en image les caractéristiques du territoire, les propriétés médicinales des plantes, les sites sacrés, le cycle des saisons, etc. Avec elle, les savoirs traditionnels peuvent être transmis sans la déformation inévitable qu’entraîne toute traduction.

L’anicinabemowin possède les secrets des mets traditionnels, elle préserve la toponymie et toutes les connaissances de nos ancêtres. Contraints à demeurer dans des réserves, nous avons perdu le territoire et, avec lui, par leur connexion intime, la langue. Aujourd’hui, la destruction des écosystèmes, les changements climatiques, la sédentarisation, survenus au cours des dernières décennies, sont des facteurs qui peuvent expliquer l’érosion de la langue et le fossé entre les générations. Nitaki / Nitaskinan / Territoire

Il est impératif de créer du temps et des espaces protégés. La langue est absente des maisons et des lieux de travail parce qu’elle n’a pas l’espace nécessaire pour y vivre. Les parents sont trop pris par les tâches du quotidien et la nécessité de nourrir leur famille pour apprendre la langue et les enfants n’ont pas le temps non plus dans les écoles. Il faut dès maintenant donner du temps, donner de l’espace pour que la langue puisse s’apprendre dans le territoire, dans son habitat naturel. Actuellement, la langue anicinabe se retrouve un peu comme les caribous de Val-d’Or : affaiblis, moins nombreux et enchâssés dans un territoire qui ne correspond plus vraiment à leur écosystème. Et bien que tout le monde sait qu’ils sont sur le point de disparaître et qu’ils ont besoin que l’on crée pour eux une aire protégée, personne n’agit. Tout comme pour ces caribous, nous devons créer du temps et des espaces protégés pour l’anicinabemowin. Atik / Atikw / Caribou

Image : Elie Croteau Basile

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C’est la mise en place de ces espaces protégés, dans tous les domaines de la vie — éducation, santé, économie et travail, justice, territoire, etc. —, qui constitue le coeur de la décennie de la langue anicinabe. Otei / Otehi / Coeur

Cela se fera dans une approche humaine qui donne une grande place à l’expérimentation, aux erreurs et aux ajustements, et dans un rythme qui respecte les gens et qui fait preuve d’empathie.

Il nous faudra retrouver la mémoire et les enseignements de nos ancêtres pour affirmer notre appartenance, notre identité et notre dignité. Anicinape / Nehirowisiw / Humain. Accéder à toute la connaissance qui nous concerne est primordial pour nous permettre de créer l’espace où la langue pourra évoluer librement, d’un arbre à l’autre, d’un portage à l’autre, dans l’éducation à la santé, jusqu’à ce que l’écosystème de la langue envahisse l’entièreté de notre territoire. Cela signifie également de faire reconnaître nos droits linguistiques.

Ce numéro spécial est publié pour souligner la Décennie internationale des langues autochtones. L’introduction rappelle le lancement de cette décennie en 2022 et présente quelques initiatives et instruments juridiques internationaux qui visent à apporter une contribution à la revitalisation et à la préservation des langues autochtones. L’introduction présente ensuite les six articles du numéro spécial ayant pour objet les langues autochtones à travers des thèmes aussi divers que les savoirs, l’éducation, la justice et le commerce, en plus du témoignage personnel que partage une auteure à propos de la transmission des langues au sein de sa propre famille.

Un pas à la fois. Mikan / Meskano / Chemin. Cela nous obligera à tout repenser autrement, mais pekatc, (pekatc : lentement (a.n)) prenons le temps de bien faire les choses et soyons conscients aussi que chaque petite chose compte, chaque pierre lancée dans l’eau dérange, chaque petit texte que vous écrirez ou lirez crée un impact et produit des cercles concentriques qui s’étendent. Ainsi, le changement ne se fait jamais par la masse, mais par des manifestations de quelques personnes, par de petits mouvements. 8as8ia / Waska / Cercle

Image : Elie Croteau Basile

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Avec le chant des oiseaux, avec le cri des animaux, avec le vent dans les arbres, on apprenait la langue. Et je l’espère, nous parlerons nos langues parmi le chant des oiseaux, le cri des animaux et le vent dans les arbres.

Nin Richard Kistabish