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Introduction

La démarche « Ville amie des aînés » (VADA), déployée par l’Organisation mondiale de la santé en 2007, constitue une stratégie qui permet aux acteurs territoriaux, en particulier aux responsables municipaux, d’innover en matière d’environnements bâti et social afin d’assurer un vieillissement actif. De fait, il est généralement admis qu’un environnement sain et adéquat permet aux personnes âgées de demeurer dans leur communauté le plus longtemps possible (Lord et al., 2017), un souhait réclamé par la majorité d’entre elles et dont les gouvernements tentent de prendre de plus en plus conscience dans l’élaboration de leur politique publique (Gouvernement du Nouveau-Brunswick, 2017).

La démarche VADA se réalise au travers des efforts du comité directeur intersectoriel qui facilitent le déploiement de trois principales étapes (World Health Organization, 2023). La première consiste à réaliser un diagnostic social approfondi du milieu, permettant d’analyser la situation des aînés dans la communauté et de cerner les problèmes auxquels ils font face. La deuxième vise à élaborer un plan d’action afin de concrétiser une vision commune autour de VADA. Les projets sont sélectionnés en fonction de leur pertinence, de leur faisabilité et de leur impact potentiel sur la vie des aînés. La troisième étape consiste à mettre en oeuvre les projets sélectionnés et à en assurer le suivi. Cette étape implique la mobilisation des ressources communautaires et la collaboration entre les différents acteurs impliqués et, en particulier, les élus municipaux. En résumé, la démarche VADA, à l’instar de tout projet de développement territorial, se caractérise par son approche participative et collaborative qui permet d’améliorer la qualité de vie des aînés au sein d’une municipalité. Au Nouveau-Brunswick, l’approche VADA, aussi connue sous l’acronyme MADA-CADA (Municipalité et communauté amie des aînés), a été mise de l’avant en 2012 par l’Association francophone des aînés du Nouveau-Brunswick (AFANB). En 2024, 27 municipalités (sur un total de 266), principalement francophones et majoritairement urbaines, faisaient partie de ce réseau.

L’objectif de cet article consiste à identifier les difficultés rencontrées par les différents acteurs de la Ville de Bathurst, au Nouveau-Brunswick, ayant entrepris la démarche MADA-CADA à partir du modèle de renforcement des capacités et de la gouvernance collaborative. Ces difficultés ont été telles qu’elles ont miné la mise en oeuvre du projet qui s’est soldé par un échec. Notre contribution revêt donc une double pertinence : scientifique et sociale. Sur le plan scientifique, les études de cas portent généralement sur les histoires à succès. Il existe, en effet, peu de travaux sur les cas d’échec. Notre article débouche sur une typologie des différentes difficultés rencontrées, ce qui constitue l’aspect novateur de celui-ci. Sur le plan social, nous croyons que notre article s’avérera utile aux acteurs d’autres communautés qui souhaiteraient s’engager dans la démarche MADA-CADA, ou dans tout autre projet de développement territorial, afin de surmonter les difficultés qu’a connues celle de Bathurst dans le déploiement de cette initiative.

Notre article comporte quatre parties. La première expose les principaux éléments de notre problématique. La deuxième présente notre cadre conceptuel. La troisième est consacrée à l’analyse de nos résultats. Ces derniers se déclinent en quatre sections, à savoir : 1) la mise en place du projet et la formation du comité de pilotage; 2) l’élaboration du diagnostic et du plan d’action; 3) les principales difficultés rencontrées en cours de route; 4) les retombées et l’évaluation du projet. Enfin, nous clôturons notre article par une discussion.

1. Problématique

L’environnement constitue une dimension déterminante dans la qualité de vie des personnes âgées à tel point qu’elle a donné naissance à un champ de recherche particulier : la gérontologie environnementale. Cette dernière propose un cadre systémique qui rend compte du fonctionnement des relations entre l’aîné et son espace de vie (Wahl et Weisman, 2012; Kendig, 2003). En adoptant une approche à la fois transversale et pluridisciplinaire sur la dynamique personne/environnement et ses impacts en termes de qualité de vie, ce modèle accorde autant de place à l’individu qu’à son milieu (Wahl et Weisman, 2012; Kendig, 2003). Il permet de mieux comprendre comment la personne âgée constitue un acteur incontournable à la transformation de son espace de vie (Hanlon et Skinner, 2022).

En identifiant les facteurs d’un environnement favorable au vieillissement des aînés, la démarche VADA contribue à assurer une gestion territoriale efficace du vieillissement notamment en matière de transport, de services (santé et loisirs) et de logement (Simard, 2023; Keating et al., 2013). Le Québec a valeur d’exemplarité dans la mise en oeuvre de ce programme où pratiquement toutes les municipalités de cette province en font partie (Viriot-Durandal et al., 2018). Au Nouveau-Brunswick, l’approche MADA-CADA, est moins développée. Depuis 2012, le déploiement de cette démarche témoigne néanmoins du dynamisme de l’AFANB pour tout ce qui concerne la question du vieillissement. Parmi les municipalités engagées dans la démarche MADA-CADA, mentionnons, la ville de Bathurst. Située dans le comté de Gloucester, sa population, au dernier recensement de 2021, s’établissait à 16 618 habitants. En raison de la panoplie des services que l’on y retrouve, Bathurst exerce le rôle de centre de services régionaux pour tout le nord-est du Nouveau-Brunswick.

Le choix de Bathurst comme terrain d’investigation est donc attribuable au fait qu’elle a entrepris, en 2017, la démarche MADA-CADA, ce qui reflète la volonté des acteurs locaux d’améliorer les conditions de vie des aînés. La ville abrite une population bilingue minoritairement francophone (47,9 % de la population totale en 2021), mais en croissance. La mise en place du peuplement, la géographie et l’Église ont fortement contribué au fait français de la région. En effet, les premiers habitants étaient des Acadiennes et des Acadiens venus de la Nouvelle-Écosse en 1755. Ceux-ci se sont installés au nord de Bathurst où l’on retrouve aujourd’hui l’essentiel de la communauté francophone. D’ailleurs, la ville de Bathurst est entourée de localités francophones, dont Beresford au nord et Tétagouche-Nord au nord-ouest, ce qui a également façonné son identité culturelle. Le contexte linguistique francophone est aussi attribuable au rôle exercé par l’Église catholique dans le secteur éducatif. En effet, plusieurs institutions d’enseignement, dont le Collège Sacré-Coeur, reconstruit à Bathurst à la suite de l’incendie survenu à Caraquet en 1915, la défunte école Mgr Leblanc et l’Université Sacré-Coeur (devenu le Collège de Bathurst), avaient pour mission de dispenser les services éducatifs en français.

La population de Bathurst est particulièrement encline au vieillissement de sa population. De 1981 à 2021, la proportion de personnes âgées est passée de 8,3 % à 30 %, soit une augmentation de 21,7 points de pourcentage comparativement à 12,7 points pour la province (Statistique Canada, 1981; 2021). Le choix de Bathurst a aussi été effectué en collaboration avec l’AFANB qui nous avait informés de certaines difficultés vécues par les acteurs sociaux dans la mise en oeuvre de la démarche MADA-CADA. Dès lors, nous souhaitions cerner plus spécifiquement les causes de ces difficultés et identifier leurs impacts à la fois sur le projet et sur la dynamique communautaire.

2. Cadre conceptuel

Notre cadre théorique repose sur le modèle de renforcement des capacités des acteurs sociaux et sur le concept de gouvernance collaborative. Ce modèle renvoie au « processus par lequel particuliers, organisations et sociétés acquièrent, accroissent et entretiennent les aptitudes requises pour se fixer leurs propres objectifs de développement et pour les atteindre » (Davis, 2008, p. 3). Il met l’accent sur les dimensions intangibles du développement territorial. Parmi celles-ci, soulignons : le leadership (la capacité des acteurs à influencer un groupe), l’empowerment (la capacité des acteurs ou du territoire à agir sur l’environnement), la résilience (la capacité des acteurs ou du territoire à s’adapter au changement), la mobilisation (la capacité des acteurs à se mobiliser autour d’un projet), la participation citoyenne (l’implication des individus au sein d’une organisation structurée), le capital social (les interactions sociales au sein d’une communauté qui assurent la qualité de vie de ses membres), le sentiment d’appartenance (le rapport des individus à l’égard de leur localité) et le réseautage (la capacité des acteurs à entretenir des réseaux). Ces diverses composantes sont susceptibles de créer une synergie formant un « capital socioterritorial », c’est-à-dire la capacité des acteurs sociaux à se mobiliser autour d’un projet commun, ce capital étant à la fois un déterminant et une conséquence de tout projet de développement (Lacquement et Chevalier, 2016; Fontan et Klein, 2004). Parce qu’elle s’inscrit à l’intérieur du territoire, qu’elle mise en premier lieu sur la participation des aînés dans le but de promouvoir un vieillissement actif et qu’elle promeut une approche à la fois ascendante et transversale, la démarche MADA-CADA cadre en tout point avec les différentes composantes inhérentes au modèle de renforcement des capacités des acteurs sociaux.

Quant à la gouvernance collaborative, elle désigne la capacité de ces mêmes acteurs sociaux à travailler ensemble dans le but de mettre en place un projet de développement territorial (Cain et al., 2020; Ansell et Gash, 2018). Force est de reconnaître qu’il n’y a pas de projet de développement sans qu’il n’y ait une collaboration entre les acteurs provenant de milieux diversifiés permettant de comprendre les différents problèmes et défis qui touchent les aînés, de développer des solutions tournées vers l’amélioration de la qualité de vie des individus, étape nécessaire au processus de développement territorial (Garon et al., 2014).

3. Méthode

La démarche empirique préconisée dans le cadre de cet article repose sur l’étude de cas exploratoire, examinée sous l’angle des représentations sociales des acteurs sociaux (acteurs locaux, intervenants communautaires et personnes âgées). Par représentations sociales, nous entendons une « forme de reconnaissance, socialement élaborée et partagée, ayant une visée pratique et concourant à la construction d’une réalité commune à un ensemble social » (Jodelet, 1994, p. 36).

Nous avons fait appel à quatre instruments de collecte de données. Un premier a consisté en la réalisation d’entrevues semi-dirigées (n=16) effectuées auprès d’élus municipaux et d’intervenants communautaires (cf. tableau 1). Un deuxième instrument visait à saisir, par le biais d’un groupe de discussion (n=1), la perception des aînés francophones à l’égard de la démarche MADA-CADA. Le troisième instrument de collecte a consisté à mener des entrevues individuelles téléphoniques avec des aînés francophones (n=3) et anglophones (n=8)[1]. Enfin, le quatrième instrument a pris la forme d’une activité de dissémination de données tenue le 4 mai 2024 (n=1) à laquelle ont pris part sept participants et participantes francophones.

Ventilation des entrevues semi-dirigées effectuées avec les différentes catégories de participants

Ventilation des entrevues semi-dirigées effectuées avec les différentes catégories de participants

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3.1. Échantillon de recherche

Les noms et les coordonnées des intervenants communautaires nous ont été fournis par un élu de Bathurst. Nous les avons contactés par téléphone durant la deuxième semaine de mai 2021. Nous leur avons exposé les grandes lignes de notre projet. Tous ont accepté de participer à l’étude. Nous leur avons donc fait parvenir une lettre officielle de sollicitation par courrier électronique.

Quant aux personnes âgées, leurs coordonnées nous ont été fournies par un élu municipal et un directeur d’un foyer de soins de la municipalité. Nous en avons contacté 25. Douze ont accepté de participer à un groupe de discussion et 13 à une entrevue individuelle. Deux aînés ne se sont pas présentés le jour de la tenue du groupe de discussion. Celui-ci se composait donc de 10 aînés (cinq femmes et cinq hommes). Parmi ces 23 personnes âgées, 18 avaient entre 65 et 74 ans alors que les autres avaient plus de 75 ans. Vingt et une étaient à la retraite alors que deux occupaient toujours le marché du travail. Durant leur vie active, les participants cumulaient les fonctions et/ou titres suivants : enseignant (5), infirmier (3), inspecteur, médecin, travailleur social, comptable, ingénieur, contremaître, administrateur, planificateur financier, inspecteur de douanes et directeur de district scolaire. Leur profil socioprofessionnel était donc relativement diversifié.

3.2. Collecte des données

D’une durée moyenne de 120 minutes, les entrevues individuelles avec les élus municipaux et les intervenants communautaires se sont tenues du 31 mai au 10 juin 2021. Quinze entrevues, d’une durée moyenne de soixante minutes, se sont déroulées en présentiel alors qu’une autre a été effectuée par téléphone. Parmi ces 16 entrevues, 15 ont été réalisées en français et une en anglais. Les propos des participants ont été enregistrés. Les entrevues ont pris fin lorsque ceux-ci ne nous apprenaient plus de nouvelles informations. Par conséquent, la saturation des données a été atteinte (Savoie-Zjac, 2016).

L’organisation d’un groupe de discussion avec des aînés francophones visait à confirmer ou à infirmer les résultats obtenus auprès des élus municipaux et des intervenants communautaires. L’activité s’est déroulée en présentiel le 18 juin 2021 à la salle Florence-Roussy du Centre régional KC Irving. L’un des deux chercheurs a agi à titre d’animateur alors qu’un assistant s’est chargé de l’enregistrement. L’activité a duré deux heures trente.

L’un des inconvénients aux groupes de discussion est de susciter un certain consensus laissant peu de place aux voix discordantes. Dans le but de pallier cette lacune, nous avons réalisé 11 entrevues individuelles, dont huit en anglais et trois en français, auprès de personnes âgées qui se sont déroulées par téléphone le 21 juin et le 7 novembre 2021. D’une durée moyenne de 30 minutes, ces entrevues ont été menées et enregistrées par un assistant de recherche.

Enfin, une activité de dissémination des données s’est tenue en français le 4 mai 2024 à l’Hôtel Atlantic Host de Bathurst. Parmi les participants, nous retrouvions deux intervenants communautaires, dont un faisant partie du comité de pilotage, et cinq aînés. D’une durée de trois heures, cette activité nous a permis de conforter les résultats de notre analyse, de mettre à jour les différentes étapes de la démarche MADA-CADA et de corriger certaines données factuelles en lien avec le projet. L’activité a été animée par le chercheur principal assisté par un preneur de notes.

3.3. Analyse des données

Nous nous sommes assurés de la fiabilité et de la validité des données recueillies en choisissant un cas susceptible d’être reproduit et, de surcroît, pertinent compte tenu de l’objectif de notre contribution en privilégiant une diversité d’acteurs qui interviennent auprès des aînés (Gagnon, 2011).

Nous avons effectué une transcription intégrale des propos recueillis auprès de tous les participants et de toutes les participantes. Ces retranscriptions ont toutes fait l’objet d’une relecture par le chercheur principal dans le but de vérifier leur exactitude et d’éliminer les incompréhensions. Par la suite, nous avons procédé à une analyse catégorielle en fonction des différents thèmes identifiés à partir de nos grilles d’entretien (Van Campenhoudt et al., 2017). Puis, une assistante de recherche a effectué une analyse préliminaire de toutes les données. Nous avons dégagé les dénominateurs communs contenus dans les propos des participants et ensuite, nous avons fait état des éléments de différenciation. De nouveaux thèmes ont émergé à la suite du déroulement des entrevues. Enfin, nous avons procédé à un codage systématique des entretiens et des observations selon une méthode inductive afin de permettre une lecture transversale du matériau recueilli.

4. Résultats

4.1. Mise en place du projet et formation du comité de pilotage

Le projet MADA-CADA a vu le jour en 2017 à la suite d’une séance d’information qui se serait tenue à l’hôtel de ville de Bathurst. Toutefois, celle-ci serait demeurée plutôt nébuleuse pour certains participants, notamment des aînés, présents à cette activité.

Le projet a été lancé grâce à l’implication d’un aîné anglophone, nouvellement retraité et résident de l’Ontario, venu s’installer à Bathurst et ayant participé à un projet de recherche sur le vieillissement à Ottawa. Souhaitant améliorer la qualité de vie des personnes âgées, ce leader aurait joué un rôle d’avant-plan dans le projet, et ce, même s’il était peu familier avec la démarche. Il aurait été appuyé par un autre chef de file, très impliqué dans le milieu, qui offrait des conférences sur le mieux-être des aînés ainsi que par un conseiller municipal qui s’était beaucoup investi dans la démarche MADA à l’échelle provinciale.

Particulièrement dynamique, cet élu municipal aurait été sollicité par le coordonnateur de l’AFANB pour participer au projet. Il aurait été très impliqué dans les premières étapes de la démarche, mais se serait retiré par la suite. Lors de la journée du mieux-être organisée par l’AFANB, ce même élu, ayant à coeur la santé de la population en général et celle des aînés en particulier, aurait demandé à quelques personnes de prendre part au comité directeur du projet MADA. Par conséquent, la sollicitation se serait effectuée assez rondement, essentiellement par du bouche-à-oreille, et ce, bien qu’il ait été difficile de pourvoir tous les postes du comité. Au final, en raison de la pertinence du projet, mais surtout du fait que Bathurst comporte un fort contingent de personnes âgées, celles ayant été sollicitées ont accepté de s’intégrer à la démarche.

Un comité aurait donc été formé. Selon un intervenant communautaire présent à l’activité de dissémination et membre de ce comité, les critères de sélection pour en faire partie auraient été très stricts : « Les gens devaient envoyer leur CV et passer des entrevues. La disponibilité était un critère très important. Le choix des membres était très sélectif » (intervenant communautaire). Cette sélection des membres s’est faite sur le plan individuel et aucun représentant d’organisme oeuvrant directement auprès des aînés ne faisait partie du comité directeur, parce qu’ils n’auraient pas été sollicités à siéger au comité.

Ce dernier était composé d’un travailleur social, d’un médecin à la retraite, d’un bibliothécaire, d’un gestionnaire de foyer de soins, d’un employé de la piscine municipale, d’un agent communautaire et d’un aîné anglophone, celui-ci, comme déjà mentionné, ayant exercé le rôle de leader dans la démarche. Bien que peu représentatif de la participation directe des aînés à la démarche, le comité s’avérerait relativement diversifié.

4.2. Élaboration du diagnostic et du plan d’action

Les membres du comité auraient consacré beaucoup de temps et d’énergie à effectuer des recherches sur le fonctionnement de la démarche MADA-CADA ainsi que sur l’élaboration d’un sondage visant à identifier les besoins des aînés. Le taux de réponse à ce sondage aurait toutefois été très faible dû au fait que ce ne sont pas tous les aînés qui l’auraient reçu, un facteur qui a d’ailleurs été rappelé lors de l’activité de dissémination de données. Néanmoins, ce sondage aurait mis en exergue une satisfaction généralisée des aînés à l’égard des activités qui leur sont offertes, mais ceux-ci auraient également soulevé la nécessité de renforcer l’armature de services (notamment en ce qui concerne l’offre de menus travaux à domicile), les infrastructures (en particulier les trottoirs) et la surveillance policière.

Aucun rapport officiel concernant les résultats du sondage n’aurait été rédigé, ceux-ci ayant été livrés verbalement lors d’une réunion du comité directeur (qualifiée d’« importante » par un intervenant communautaire présent à l’activité de dissémination) ou à d’autres occasions moins formelles. Cette absence de suivi semblerait avoir causé, chez un intervenant, une certaine déception : « Je n’ai même pas eu le rapport de ça. C’est plaisant d’avoir un rapport de ce que tu fais » (entrevue no 55). Toutefois, les résultats du sondage auraient servi à la planification d’activités pour les aînés, dont une journée consacrée à leur intention au Centre KC Irving où la participation aurait été plutôt décevante. De plus, aucun plan d’action n’a été formulé et publicisé auprès de la population constituant, du coup, une faille importante de la démarche.

4.3. Principales difficultés rencontrées

4.3.1. Circulation de l’information

L’une des principales difficultés de la démarche MADA-CADA à Bathurst est sans contredit la circulation de l’information. D’entrée de jeu, mentionnons que la démarche MADA-CADA était très peu connue de la part des participants de notre étude. Premièrement, les personnes âgées rencontrées lors du groupe de discussion, ainsi que les intervenants communautaires, comprenaient mal la démarche ou ne la connaissaient tout simplement pas :

« Je ne connais pas le fonctionnement. Ils ne m’ont pas expliqué comment ça [la démarche MADA] fonctionnait » (entrevue no 49).

« Je suis tellement démuni que, quand tu m’as dit qu’il y avait des choses pour les personnes âgées comme MADA et que je n’étais pas au courant, il y a vraiment une déficience » (entrevue no 51).

« J’ignore ce qu’est MADA. Les membres de mon club ne m’ont jamais parlé de ça » (entrevue no 52).

En ce qui a trait aux personnes âgées que nous avons interrogées individuellement, aucune ne connaissait la démarche.

Deuxièmement, trois participants, dont deux étaient intégrés à la démarche, ne savaient plus où était rendu le dossier en 2021 :

« Je ne suis pas au courant où c’est rendu » (entrevue no 49)

« Je ne sais pas où X est allé avec ça pour être honnête avec vous. Mais je dois le féliciter d’avoir pris cela » (entrevue no 73).

La même situation prévalait lors de notre activité de dissémination qui s’est tenue trois ans après la réalisation de nos entrevues. De fait, parmi les sept participants présents à cette activité, deux aînés ne connaissaient toujours pas le projet MADA, allant jusqu’à dire : « C’est un groupe fantôme, personne ne les connaît. Que font-ils? » (personne âgée). Ces mêmes participants ont déploré la mauvaise circulation de l’information, qui semble prévaloir à Bathurst, pour tout ce qui touche les dossiers concernant les aînés.

Troisièmement, certains intervenants connaissaient le projet MADA, mais ne savaient pas que la Ville de Bathurst s’y était engagée : « Je suis au courant que Beresford en fait partie [du réseau MADA], mais pas Bathurst » (entrevue no 57 et no 59). Étant donné que la majorité des participants du groupe de discussion ainsi que les personnes âgées que nous avons interrogées individuellement ne connaissaient pas la démarche MADA, ils ignoraient également que la Ville de Bathurst avait entamé le projet.

Cette méconnaissance de la démarche MADA et de son fonctionnement ne concernerait pas uniquement les intervenants communautaires et les personnes âgées, mais aussi l’un des leaders du dossier MADA, ce qui aurait nui à son évolution. « Parfois, c’est bon d’avoir une personne qui sait tout » (entrevue no 55). Pour des intervenants, les carences au chapitre de l’information expliqueraient la méconnaissance de plusieurs personnes, qu’elles soient âgées ou non, à l’égard du projet, et ce, bien que celui-ci ait été publicisé (journal, radio, dépliants) :

« Il faudrait mieux les [les aînés] impliquer et les informer lorsqu’il y a des formations offertes ou des projets pour les aînés » (entrevue no 53).

« La question que je me pose, c’est : comment ce programme est connu par le citoyen “ordinaire”? » (entrevue groupe de discussion).

Ne connaissant pas la démarche MADA, la majorité des intervenants que nous avons rencontrés n’étaient pas en mesure de dresser un bilan positif ou négatif du projet. Quant aux participants qui ont pu s’exprimer sur le sujet, il ressort de nos entretiens une évaluation plutôt négative de cette expérience. « Il n’y a pas de grandes tapes à se donner dans le dos » (entrevue no 50). « Je dirais que le projet n’a pas été promu. Il n’a pas été rassembleur. Ce n’est pas un projet rassembleur pour tous les organismes » (entrevue no 61).

4.3.2. Mobilisation et concertation

Une autre difficulté a été le manque de mobilisation autour de la démarche MADA ainsi que l’absence d’une réelle concertation des acteurs locaux. Qu’il s’agisse des aînés, des élus municipaux ou des gestionnaires des organismes oeuvrant auprès des personnes âgées, aucun acteur ne se serait véritablement mobilisé autour du projet, si ce ne sont que les deux principaux leaders qui l’ont entrepris, soit la personne anglophone et l’élu. Un participant est catégorique : « Ça fait trois ans que je suis ici et je n’ai pas entendu parler de mobilisation » (entrevue no 49). Cette absence de mobilisation peut, elle-même, être imputable à la mauvaise circulation de l’information et à la faiblesse du capital socioterritorial qui règne dans le milieu. En effet, aucun acteur ne semble avoir été en mesure de mobiliser des ressources, tant endogènes qu’exogènes, en vue de déployer la démarche MADA-CADA. De plus, pour diverses raisons : surcharge de travail, syndrome du TLM (toujours les mêmes qui s’impliquent), déménagement, manque de temps, problèmes familiaux, maladie, plusieurs membres du comité auraient démissionné, mettant ainsi à mal le projet. Deux intervenants ont particulièrement insisté sur le syndrome du TLM qui semblait omniprésent au sein du comité : « Il y a des bénévoles qui sont fatigués. On a besoin d’aller chercher du sang frais. On a essayé de faire ça. Au fait, c’est ça. Ça l’a été difficile […] » (entrevue no 50). « Ce sont trop souvent les mêmes personnes qui sont impliquées. Il faudrait avoir d’autres personnes qui s’impliquent » (entrevue no 55). La surcharge de travail aurait donc occasionné un découragement entraînant une certaine forme de démobilisation. Enfin, la Ville de Bathurst n’aurait pas suffisamment soutenu la démarche, laquelle ne constituerait pas une priorité pour les élus municipaux. À ce titre, la faiblesse de leur implication à l’avancement du projet a également été soulignée :

« À Bathurst, j’ai l’impression qu’il y a tellement d’autres projets ou d’autres choses qu’ils ont en tête que ça ne fait pas partie de leurs priorités […]. Moi, il me semble que ça devrait venir de la Municipalité, de la Ville […] » (entrevue no 57).

« La Ville n’a rien mis dans MADA. Je me rappelle que l’on avait demandé des lumières pour les aînés et X m’avait dit que la Ville ne pouvait pas. La Ville n’a pas d’argent. Quand tu leur demandes de quoi, ils disent qu’ils n’ont pas d’argent » (entrevue no 55).

Sur le plan de la concertation, deux aspects ont été notés par les participants. D’une part, ceux du groupe de discussion constatent que les différents intervenants travailleraient en silo au sein du milieu. D’autre part, aucune concertation n’aurait été formée avec la localité voisine, c’est-à-dire Beresford, où la démarche semblerait déjà très bien fonctionner : « Pourquoi Bathurst n’a pas d’alliés? Pourquoi Bathurst ne s’est pas concertée avec Beresford, surtout qu’il y a le groupe MADA qui marche bien à Beresford? » (entrevue no 55). Dès lors, la démarche MADA à Bathurst n’aurait pas contribué à la formation d’alliances entre les acteurs locaux ou régionaux. Or l’une des finalités du modèle MADA-CDA consiste justement à valoriser la concertation interventionnelle, et donc la gouvernance collaborative.

4.3.3. Leadership partagé

Une difficulté majeure du projet MADA-CADA à Bathurst a été l’absence d’un leadership partagé entre l’échelon municipal et les aînés. Le manque de suivi, l’épuisement de certains membres, le décès d’une des personnes instigatrices du projet, la maladie auquel aurait été confronté l’un des deux leaders, le départ d’un autre de la région et la faiblesse du capital socioterritorial constitueraient autant de facteurs qui, en l’absence de relève, auraient contribué à miner le leadership et à favoriser la léthargie de la démarche. En effet, plusieurs commentaires abondent dans ce sens :

« […] Il n’y a comme personne qui appelait des réunions […]. Je n’avais peut-être pas la détermination de pousser ça plus vite que ça, parce que j’en avais déjà trop dans mon assiette » (entrevue no 50).

« Mais il faut quelqu’un pour organiser tout ça, là. Il faut trouver quelqu’un […]. J’ai demandé à X de venir travailler avec nous autres. Il faudrait qu’il vienne nous le développer […]. Il n’a pas toujours le temps et moi non plus » (entrevue no 55).

L’un des leaders aurait eu de la difficulté à travailler en collaboration avec certains partenaires, ce qui aurait occasionné des tensions en plus de se répercuter négativement sur le leadership. « […] X travaillait plus par lui-même qu’avec une équipe » (entrevue no 49). À cela s’ajoute, selon un intervenant communautaire présent à l’activité de dissémination, la possibilité d’un conflit d’intérêts attribuable à la présence d’un conseiller municipal siégeant au comité de pilotage.

Deux aînés du groupe de discussion ont bien illustré l’importance du leadership, en particulier municipal, dans un projet comme celui de MADA-CADA :

J’aime beaucoup le mot « leadership ». Il y a beaucoup de gens ici, je pense à X et à Y qui assurent le développement de choses dans la communauté. On a besoin de plus. On ne peut pas se fier toujours sur les mêmes épaules. Mais on a besoin de se prendre en main, d’identifier nos besoins. Ce n’est pas, parce que nous avons plus de 55 ans que l’on ne peut pas penser. Il faut se regrouper, communiquer et s’impliquer.

entrevue groupe de discussion

La faiblesse du leadership a d’ailleurs été remise en exergue par une personne âgée présente à l’activité de dissémination de données : « Quand tout le travail repose sur un seul leader et qu’il se retire, tout s’écroule » (personne âgée).

Pour une personne âgée, il en reviendrait à la Ville de prendre le leadership du dossier et de le faire connaître auprès de la population : « Si la Ville, avec ce groupe MADA dont vous parlez, existe ici, alors la Ville devrait pousser un peu plus et faire participer les personnes âgées et nous faire réaliser que cela existe » (personne âgée).

4.3.5. Langue

Le fait que le principal leader était unilingue anglophone aurait été un autre obstacle majeur à la progression du dossier en plus d’alourdir la tenue des réunions, les autres membres du comité étant francophones, mais tous bilingues. En outre, certaines personnes ne se seraient pas jointes au comité parce que les réunions se déroulaient principalement en anglais : « D’après ce que mes collègues me disent, c’est toujours un obstacle [la langue]. C’est toujours difficile » (entrevue no 54). Qui plus est, les élus et les employés municipaux ne seraient pas tous bilingues, ce qui aurait pu compromettre la démarche. Au surplus, le fait que la documentation de la AFANB aurait été acheminée au comité de pilotage uniquement en français, ce qui va de soi, aurait causé un problème pour le principal leader du projet.

Les difficultés liées à la langue ont été soulevées de nouveau par deux personnes âgées lors de notre activité de dissémination de données. Pour ces aînés, la langue serait effectivement considérée comme l’une des causes probables de l’insuccès du projet : « Est-ce que Bathurst est trop bilingue pour qu’une MADA fonctionne? » (personne âgée). « Le problème est peut-être dû au fait que le groupe était bilingue? » (personne âgée).

4.4. Retombées et évaluation du projet

En dépit des difficultés rencontrées, les réunions se seraient toujours déroulées de façon harmonieuse et à un rythme régulier, du moins au début du projet. « On n’a pas eu de tensions […]. Ça l’a toujours bien été. X est un amour. Y était bien correct, Z de la bibliothèque aussi. On plaisantait. Ça l’a toujours bien été, notre groupe » (entrevue no 55). De plus, une demande aurait été effectuée auprès du gouvernement du Nouveau-Brunswick afin d’intégrer officiellement la Ville de Bathurst au réseau MADA-CADA de la province. Bien que cette démarche traduise une volonté de la part de la Municipalité de joindre le réseau, elle demeure néanmoins questionnable, puisqu’aucun plan d’action n’a été élaboré.

En raison de l’absence de budget, mais surtout de la mise sur pause du projet, très peu d’initiatives auraient émané de la démarche MADA-CADA. Par conséquent, le projet n’aurait eu que de très faibles retombées en matière de développement territorial. « Je n’ai pas vu de nouveaux projets » (entrevue no 73). Durant l’activité de dissémination des données, il a été mentionné qu’un groupe de bénévoles aurait assuré le suivi du transport en commun qui constituait la priorité numéro un des aînés. Toutefois, leurs interventions n’auraient pas permis d’améliorer le service.

La démarche aurait aussi contribué à consolider, du moins jusqu’à un certain point, les activités à l’intention des aînés. « Je sais qu’ils [les membres du comité de pilotage] font beaucoup de choses, comme pour l’âge d’or afin de faire des activités » (entrevue no 62). Un festival du homard aurait également vu le jour. Toutefois, cette activité aurait probablement eu lieu sans l’existence du comité MADA-CADA.

Des trottoirs auraient fait l’objet de réfection alors que l’éclairage de certaines rues aurait été amélioré. En outre, la surveillance policière aurait été bonifiée. Par ailleurs, personne n’a été en mesure de confirmer si ces améliorations étaient imputables à la démarche MADA-CADA. La Ville aurait aussi apporté certaines améliorations en ce qui a trait aux infrastructures, aux équipements et aux aménagements mis en place il y a quelques années. Mais ces améliorations ne seraient pas nécessairement imputables à la démarche MADA-CADA. « Nous avons vu des choses, mais je ne sais pas si c’est en lien avec MADA » (entrevue no 52).

Il s’ensuit que pratiquement aucun changement n’aurait été observé depuis que la Municipalité de Bathurst a enclenché la démarche MADA-CADA. « Ça n’a pas abouti. Je n’ai rien vu ce que MADA a fait pour les aînés » (entrevue no 55). « Non, je n’ai rien remarqué » (entrevue no 56). « À ma connaissance, je n’ai pas vu de changement » (entrevue no 57). « Je n’ai vu aucun changement » (personne âgée). Par conséquent, les conditions des personnes âgées seraient sensiblement demeurées inchangées, même qu’elles auraient été pires si Bathurst n’avait pas entrepris la démarche MADA-CADA.

Ne connaissant pas la démarche MADA-CADA, la majorité des intervenants que nous avons rencontrés n’étaient pas en mesure de dresser un bilan positif ou négatif du projet. Quant aux participantes et aux participants qui se sont exprimés sur le sujet, il ressort de nos entretiens, comme nous l’avons vu, une évaluation plutôt négative de cette expérience.

En raison des multiples problèmes rencontrés au cours de ce projet, il n’est guère étonnant que les sept personnes présentes à l’activité de dissémination l’aient considéré comme un échec. « Si on considère ce qui se fait ailleurs, oui, c’est un échec » (personne âgée). « Le projet est définitivement un échec » (intervenant communautaire).

5. Discussion

L’intégration de la Ville de Bathurst au réseau MADA-CADA témoigne de la volonté des élus municipaux à intervenir en matière de gestion territoriale du vieillissement et à améliorer la qualité de vie des aînés. Force est toutefois d’admettre que cette initiative ne s’est pas avérée une réussite, tant au regard de la démarche (ex. : plan d’action non réalisé) que la dynamique communautaire, deux éléments essentiels au déploiement de MADA (Paris et al., 2012). Le projet semble avoir été soumis à trois catégories de carence, celles-ci touchant 1) le renforcement des capacités, 2) la gouvernance et 3) la langue.

En ce qui a trait au renforcement des capacités, une première difficulté concerne la faiblesse du leadership. Assumé par deux individus, le leadership ne semblait pas faire l’unanimité. Ce leadership a été remis en question par certains acteurs en plus de s’être essoufflé rapidement. Ainsi, des tensions se seraient manifestées dans le milieu, ce qui aurait affaibli la participation citoyenne et le capital socioterritorial, deux facteurs déterminants au renforcement des capacités. Le faible intérêt manifesté au départ par les élus municipaux à l’égard du projet aurait également contribué à ralentir la démarche. En l’absence d’un leadership partagé et stable, il devient difficile, voire impossible, de mettre en oeuvre un projet de développement territorial comme celui de MADA-CADA (Mc Garry, 2022; Simard, 2018). Une deuxième lacune concerne l’absence de concertation, de partenariats (notamment avec la localité voisine, Beresford, où la démarche semble s’être avérée une réussite) et la formation de nouvelles alliances alors que la littérature met l’accent sur ces trois aspects pour assurer le succès d’un projet de développement territorial (Lachapelle et Bourque, 2020). Or, il faut aussi reconnaître que la concertation et le partenariat émanent la plupart du temps dans un milieu disposant d’une forte dynamique communautaire, ce qui ne semble pas être le cas de Bathurst (Lachapelle et Bourque, 2020; Bisson, 2013). En outre, la démarche n’a pas permis de solidifier le sentiment d’appartenance des aînés à l’égard de leur communauté. Enfin, le projet n’a eu aucun effet direct, que ce soit sur la résilience des individus ou sur celle du territoire (Tanguy et Charreryon-Perchet, 2013-14; Hamdouch et al., 2012).

Au chapitre de la gouvernance, le projet a subi de nombreuses embûches. Outre les tensions auxquelles nous avons déjà fait référence, plusieurs autres facteurs ont considérablement miné la gouvernance collaborative, une condition incontournable à tout projet de développement territorial (Paris et Garon, 2020). Nous pensons notamment à la méconnaissance du projet, imputable en partie à la mauvaise circulation de l’information, à l’absence de mécanismes de résolution de conflits, au manque de représentativité du comité de pilotage, à l’absence de suivi en ce qui a trait au sondage et au plan d’action ainsi que le faible soutien financier et logistique de la Ville. De plus, si l’on se fie au discours des personnes interrogées, les leaders ne semblent pas avoir relayé l’information ni au groupe ni à la communauté, une bonne pratique pourtant reconnue par de nombreux auteurs (Breux et Couture, 2022). Or la communication représente, elle aussi, un facteur essentiel à toute démarche de développement, car il s’avère primordial de rejoindre les aînés si on souhaite favoriser leur capacité d’agir (Viriot-Durandal et al., 2018). En outre, il est généralement admis que l’absence d’information contribue à ralentir la progression de projets (Jahon et Leclair, 2010). Le passage d’une coordination verticale à une coopération horizontale permet d’agir positivement sur la gouvernance territoriale (Epstein, 2015). Ce passage aurait pu s’effectuer en misant sur la concertation et une collaboration intermunicipale, particulièrement dans un contexte de réforme municipale, ce qui se serait avéré un atout précieux au déploiement du projet MADA-CADA et au renforcement de la cohésion territoriale (Simard, 2022). La capacité des individus et de la communauté à fournir et à transmettre l’information est aussi essentielle au processus de prise de décision et de gouvernance (Johnson et al., 2021). Enfin, la question du budget apparaît comme un problème récurrent dans la mise en oeuvre des initiatives émanant de la démarche MADA (Miller, 2017).

L’absence de gouvernance collaborative a pu avoir pour effet d’effriter le capital socioterritorial, lequel semblait déjà fragile en raison d’une économie traditionnellement tournée vers l’appareil industriel, ce qui a contribué à miner le projet. Le capital socioterritorial s’est notamment traduit par la faiblesse de la participation citoyenne, l’absence de mobilisation entre les divers acteurs impliqués dans le projet, c’est-à-dire entre les élus municipaux, les intervenants communautaires, les aînés et la population en général ainsi que par l’émergence du syndrome de TLM, entraînant la démobilisation et l’épuisement des personnes associées à la démarche (Sarate et al., 2020; Lacquement et Chevalier, 2016). Or, le capital socioterritorial favorise la mobilisation des individus et leur implication au sein d’un projet. En l’absence d’un tel capital, tout projet de développement est susceptible d’échouer (Black et Oh, 2022; Lacquement et Chevalier, 2016, Fontan et Klein, 2004).

Par ailleurs, les quelques points forts dont le projet aurait bénéficié (capacité d’agir des élus et des aînés en s’intégrant à la démarche, réseautage entre les membres du comité de pilotage et les élus) ne se sont pas avérés suffisants pour que celui-ci puisse se concrétiser. Dans un tel contexte, il n’est guère surprenant de constater que les retombées engendrées par le projet MADA-CADA, en dépit de ses nombreux avantages et du fait qu’il est considéré comme une innovation sociale, aient été très limitées et qu’aucun changement significatif n’ait été observé au chapitre de l’amélioration de la qualité de vie des aînés (Miller, 2017). Même s’il a effectivement agi sur certaines dimensions liées au modèle de renforcement des capacités des acteurs sociaux, c’est-à-dire l’empowerment et le réseautage, le projet n’a pas favorisé la consolidation des autres composantes de ce modèle. Pour toutes ces raisons, il n’a pas contribué de manière notable au développement de la communauté (Garon et al., 2012).

En ce qui concerne la langue, celle-ci semblerait effectivement en effet avoir été la source de nombreux problèmes, à commencer par l’unilinguisme du principal leader, ce qui serait aussi susceptible de se répercuter négativement sur la gouvernance collaborative et la solidarité territoriale (Forgues, 2023; Landry, 2015). Les réunions se seraient tenues uniquement en anglais, ce qui aurait dissuadé des citoyens à s’impliquer dans la démarche, contribuant ainsi à accentuer la faiblesse de la participation (Forgues et al., 2020; Forgues et Landry, 2018). De plus, le fait que la correspondance de l’AFANB soit distribuée exclusivement en français aurait également nui à la démarche. Par ailleurs, les informations dont nous disposons ne nous permettent pas d’imputer directement à la langue la faiblesse de la dynamique communautaire, mais il est fort possible qu’il s’agisse d’un facteur contributif. Finalement, l’identité linguistique, qui semble se heurter à un contexte municipal bilingue et à des aspirations sans doute spécifiques chez les aînés francophones que nous avons interrogés, explique aussi, probablement, l’échec de la démarche MADA-CADA à Bathurst. Nous insistons sur l’adverbe « probablement », car les données dont nous disposons ne nous permettent pas, encore une fois, de valider une telle affirmation. Pour ce faire, il aurait fallu tenir un groupe de discussion avec des personnes âgées anglophones, ce qui n’a pas été possible en raison de la crise de la Covid, ou alors réaliser des enquêtes quantitatives, ce qui pourrait constituer l’objet d’une autre recherche.

Conclusion

Il est indéniable que la démarche MADA-CADA constitue une avenue à préconiser pour améliorer la qualité de vie des aînés, en particulier de ceux et de celles qui résident en milieu minoritaire francophone. En effet, ces derniers font trop souvent l’objet d’inégalités de toutes sortes qui se répercutent négativement sur leur bien-être. La relance du projet MADA-CADA nous apparaît donc comme un impératif, particulièrement dans un contexte comme Bathurst, où la population est très vieillissante. Cette relance nécessite d’instaurer des dispositifs de gouvernance collaborative, ce qui implique de renforcer la dynamique communautaire en concentrant les efforts des diverses parties prenantes de la démarche (Piraux et Tonneau, 2023; Gonyea et Hudson, 2015), de renouveler le leadership et de mettre en place une politique de communication. Cette dernière permettrait de mieux faire connaître le projet MADA-CADA en plus de susciter une meilleure participation des aînés (Paris et al., 2013). En outre, l’implication soutenue des acteurs locaux est décisive, voire incontournable pour donner une nouvelle impulsion à la démarche (Miller, 2017; Lacquement et Chevalier, 2016). Un engagement fort et authentique des personnes âgées est aussi primordial, car leur capacité d’agir est un facteur essentiel à leur bien-être comme au succès de la démarche MADA (Bédard et Beaulieu, 2015). De plus, tous les acteurs du milieu, à commencer par les aînés eux-mêmes, doivent demeurer au courant des avancées et de l’évolution de la démarche afin de favoriser leur implication, la communication et le dialogue, exerçant ainsi un rôle essentiel en matière de gouvernance collaborative (Torre, 2018). À cet égard, un agent de communication, une solution qui a notamment été mise en place à Tracadie, pourrait servir de catalyseur parmi la multiplicité des intervenantes et des intervenants impliqués dans la gestion territoriale du vieillissement, à savoir les élus municipaux, les aînés, les intervenants communautaires et la population en général. Il s’agit ici de créer une véritable synergie porteuse de développement (Paris et al., 2012). Des initiatives comme l’organisation d’une journée pour les aînés ou encore la publication d’un bulletin d’information favoriseraient sûrement le renforcement de cette synergie. Des outils de résolution de conflits doivent aussi être déployés de façon à ce que la mise en oeuvre du projet se fasse dans un climat harmonieux. Un environnement stimulant est, en effet, indispensable pour renforcer la capacité d’agir des acteurs sociaux, en particulier celle des aînés (Bédard et Beaulieu, 2015; Matte et Jones, 1997). Cet agent pourrait également établir une collaboration avec les acteurs de la ville voisine, Beresford, qui a entamé la démarche MADA-CADA, ce qui permettait de regrouper les forces vives de ces deux communautés, car c’est à l’échelle du territoire que le projet MADA-CADA peut s’avérer un gage de réussite (Paris et Garon, 2020; Paris et al., 2015). Dès lors, la démarche pourrait être déployée à l’échelle supralocale (Broussy, 2014; Paris et al., 2013). Cette dernière nous apparaît d’autant plus pertinente que la majorité des services se retrouvent à Bathurst et que les espaces de vie des aînés sont de plus en plus à géométrie variable (Dumont, 2006).

Autrement dit, il s’agit de « cerner un optimum territorial pour les personnes âgées, c’est-à-dire le territoire le plus pertinent eu égard aux caractéristiques de la population ciblée » (Viriot-Durandal et al., 2012, p. 14). C’est donc toute la gouvernance collaborative autour du projet MADA-CADA que les différents intervenants qui oeuvrent auprès des aînés sont appelés à revoir de manière à créer une cohésion sociale au sein du milieu permettant ainsi d’enclencher une réelle démarche de développement (Mendriks et Dzur, 2022).

Étant donné qu’ils disposent de moyens et d’outils limités, les élus municipaux et les aînés doivent être soutenus dans leurs démarches par le gouvernement du Nouveau-Brunswick à travers les politiques sociales qu’il déploie, tout en favorisant sa contribution à l’élaboration d’une stratégie territoriale du vieillissement (Rican et al., 2013). À cet égard, la création d’un ministère des Aînés serait sûrement un dispositif à envisager pour favoriser le vieillissement sur place et mieux coordonner les actions de l’État avec celles des autres organismes, acteurs et ministères qui oeuvrent dans ce domaine (Frattallone-Kieffe, 2023; Broussy, 2014). Une vision d’ensemble du vieillissement pourrait être confiée à un comité interministériel qui aurait également pour mandat d’assurer le déploiement d’approches transversales, favorisant ainsi une cohérence des actions (Vachon, 2024; Lacovino, 2020). Conséquemment, les Commissions de services régionaux pourraient servir de relais au ministère, notamment par l’élaboration d’un schéma de cohérence territoriale, comme on en retrouve en France. Ce schéma pourrait s’harmoniser avec cette éventuelle stratégie territoriale du vieillissement dont un volet porterait sur la mise en place de la démarche MADA-CADA. Autrement dit, il s’agit, comme le mentionne Dumont (2006), de passer d’un territoire de projet à un projet de territoire gérontologique où chaque acteur peut exercer ses compétences au bénéfice des personnes âgées tout en améliorant l’efficacité des interventions dans le but de mieux répondre à leurs besoins (Sencébé et Lépicier, 2014). Ce projet de territoire gérontologique doit aussi avoir comme principal vecteur l’équité territoriale afin que tous les aînés, quel que soit leur lieu de résidence ou leur langue, puissent être véritablement en mesure de vieillir sur place (Rican et al., 2013).