Charles Doherty Gonthier 1928-2009 : Un HommageCharles Doherty Gonthier 1928-2009: A Tribute

Une justice fraternelle : éléments de la pensée de Charles Doherty Gonthier[Record]

  • Fabien Gélinas

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  • Fabien Gélinas
    Professeur agrégé, Faculté de droit et Institut de droit comparé, Université McGill

Citation: (2010) 55 McGill L.J. 357

Référence : (2010) 55 R.D. McGill 357

Le professeur Gélinas a agi comme auxiliaire juridique auprès de l’honorable Charles Doherty Gonthier de 1989 à 1990.

On a rendu un hommage vibrant au gentilhomme humaniste qu’était Charles Gonthier en relevant tout particulièrement son sens profond de la justice, sa courtoisie exemplaire en toutes circonstances, son sens quasi légendaire de la mesure, ses prises de position nuancées sur les questions difficiles, sa manière d’incarner le bijuridisme, sa défense des plus hauts standards d’intégrité pour la magistrature et son souci de protéger les personnes vulnérables tout en insistant sur les devoirs et la responsabilité des individus. Il y aurait beaucoup à dire sur la vie et la pensée de Charles Gonthier, que j’ai eu le privilège de connaître pendant près de vingt ans. Ce texte est destiné à lui rendre hommage en retraçant les linéaments de sa réflexion sur les rapports entre le droit, la moralité et la communauté. Charles Gonthier a toujours été reconnu comme un homme profondément moral. Sa réserve naturelle ainsi qu’un sens inné du respect de l’autre l’ont toutefois toujours préservé de la tentation de jouer les moralisateurs. Ses années passées à la Cour suprême du Canada et les réflexions qu’elles ont pu susciter sur les rapports entre le droit (et le rôle du juge) et la moralité sont venues selon moi renforcer dans son esprit les raisons d’une position au départ adoptée par tempérament. Des jugements de Charles Gonthier, ainsi que de ses écrits parus avant et après son départ de la Cour, on peut tirer deux propositions fondamentales sur les rapports entre le droit et la moralité. Fortement attiré par certains éléments des théories politiques dites « communautaristes », Charles Gonthier est néanmoins toujours resté attaché aux fondements des théories politiques associées au libéralisme. Réfléchissant sur ces questions à la toute fin de sa carrière de juge, Charles Gonthier affirmait d’ailleurs considérer les divisions entre le communautarisme et le libéralisme comme artificielles. Selon lui, les deux perspectives théoriques partagent un seul et même objectif ultime, celui d’assurer la dignité de l’individu au sein de sa communauté. Le reste est une question de degré. C’est ainsi qu’un document comme la Charte canadienne des droits et libertés peut être considéré comme le reflet à la fois de principes libéraux et de principes communautaristes. À la base, et conformément aux principes du libéralisme, le droit ne saurait imposer la moralité telle qu’elle est conçue par la majorité des citoyens : « The law cannot impose the majority’s moral views of the “good life” on the rest of the population ». Le droit ne pourrait d’ailleurs se maintenir dans un contexte de diversité culturelle considérable en prenant systématiquement position sur toutes les questions de moralité. Mais le droit protège tout de même la communauté dont il émane des menaces que présentent certains comportements et activités. Le droit revendique en effet le contrôle des comportements et activités qu’il ne peut tolérer en raison de la menace fondamentale qu’ils présentent pour la communauté et son environnement moral. Pour autant que le fonctionnement de l’ordre juridique se trouve menacé, cette position demeure dans la lignée des préceptes libéraux, qui admettent que le droit doit endosser certains éléments de la moralité pour maintenir son effectivité. Mais il y a plus. En effet, dans les limites imposées par « une société pluraliste » où « les divers segments de la population ont maintes conceptions différentes de ce qui est bien », il est toujours légitime pour l’État d’intervenir pour protéger « les conceptions fondamentales de la moralité ». Ces dernières se démarquent de la moralité au sens large en ce qu’elles se rattachent à des préoccupations sociales concrètes (et non seulement à une aversion non fondée pour une opinion ou un …

Appendices