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[Même si] [n]ous voulons que la vérité soit au singulier [...], l’esprit de vérité est de respecter la complexité des ordres de vérité; c’est l’aveu du pluriel[1].

Comme le soulignait Ricoeur il y a plus de soixante ans, il est vrai que nous souhaitons que la Justice découle d’une seule vérité. Qu’elle découle en toute simplicité d’une version unique, universelle des faits, de la vérité de l’expert unique ou désigné, de la vérité du témoignage non-contredit, de la vérité de l’aveu d’une partie, ou encore, de la vérité du jugement rendu par le magistrat. Or, cette justice plus directive, souvent plus hiérarchique, n’est pas aussi satisfaisante que la justice négociée ou participative. Avec l’évolution des moeurs vers une certaine crise de confiance des justiciables québécois envers leur système de justice civile[2], la justice participative s’est avérée être une voie salvatrice. La justice traditionnelle fut donc graduellement délaissée par le législateur réformateur au prix d’une justice plurielle favorisant le dialogue entre les parties, privilégiant le recours aux modes privés de prévention et de règlement des différends par rapport à la voie judiciaire traditionnelle. C’est bien de ce dialogue et de l’évolution du droit judiciaire dont nous traiterons ici.

Le dialogue est défini comme cette conversation supposée entre deux personnes, tenue raisonnablement, avec discernement, exactitude et sagesse, impliquant une écoute attentive des arguments convergents et convaincants des interlocuteurs; dans le contexte politique, une discussion entre personnes en vue d’aboutir à un accord[3]. Étymologiquement, le terme a pour racine logos, qui signifie la parole[4]. Pour les fins du présent propos, nous considérerons qu’il implique un échange entre deux ou plusieurs parties, tenu avec attention et discernement, dans un objectif de participation et de compromis ou d’entente.

A priori, la nature adversative et contradictoire du différend, du litige[5] — ce combat entre adversaires, en droit — rend le dialogue entre les parties difficile, sinon en toute apparence inapproprié ou impossible, nous en conviendrons. Or, ce dialogue fait maintenant partie prenante de la culture judiciaire véhiculée par le nouveau Code de procédure civile[6]. Le législateur, par le biais du nouveau Code, souhaite que les parties favorisent la résolution des différends; l’entente à l’amiable. De fait, l’ordre de présentation et d’organisation du Code indique au justiciable qu’il s’agit d’un code de justice privée, d’abord, et de justice publique, ensuite. Ce code offre donc une définition nouvelle de la justice civile québécoise, une justice à deux volets.

Bertrand St-Arnaud, l’ancien ministre de la Justice responsable du projet de loi ayant mené à l’adoption du nouveau Code, explique ainsi son ouverture à une forme de justice élargie :

Avec ce nouveau Code de procédure civile, je souhaite insuffler un changement de culture chez tous les intervenants du système judiciaire. [...]

[...]

Nous allons, par cette réforme, moderniser la procédure devant nos tribunaux de manière à ce que la justice civile québécoise passe du 20e au 21e siècle. Un virage qui rendra notre système de justice beaucoup plus accessible, plus rapide, moins lourd, moins coûteux, tout en faisant appel à de nouvelles façons de faire.[7]

C’est donc de ces nouvelles habitudes et culture dont nous traiterons aujourd’hui, notamment de ces manières de « dialoguer » dont il est question au Code, parfois explicitement, parfois à demi-mot seulement. Nous apporterons aussi une réflexion critique sur ces situations de dialogue. Nous entamerons notre propos par un énoncé détaillant l’ambition du nouveau Code sur le plan des valeurs et principes de justice civile, tout en ébauchant un aperçu du système tripartite de dialogue envisagé par le législateur, impliquant un dialogue participatif, proportionné et coopératif. Nous exposerons ensuite le défi posé par le dialogue dans le contexte d’un système de justice contradictoire. Il sera alors question de la raison d’être du dialogue, de la légitimité du juge et de sa décision, de même que du faux dialogisme existant en système contradictoire. Nous conclurons notre propos par une suggestion voulant que le dialogue entre les parties soit perçu comme un devoir civique.

I. L’ambition du nouveau Code et l’ébauche d’un système de dialogue entre les parties

A. Historique d’une nouvelle culture de dialogue

L’adoption du nouveau Code de procédure civile en janvier 2016 fut annonciatrice d’un changement de culture et de paradigme. Retournons toutefois un instant aux sources. Dans l’important rapport intitulé Une nouvelle culture judiciaire, publié en juillet 2001 par le Comité de révision de la procédure civile, des objectifs et principes de réforme furent énoncés, dont un désir de responsabiliser les parties et d’encourager la justice participative[8]. On y énonça alors, à la sous-partie 2.2, que le but du rapport était de rétablir la confiance des justiciables dans le système de justice civile[9]. Pour encourager les parties à avoir confiance et à participer au système, le Comité suggérait que le justiciable puisse être encouragé « à prendre conscience de la place primordiale qui lui revient dans le système judiciaire et de le responsabiliser davantage quant à son choix du mode de règlement, aux démarches qu’il entreprend et à l’importance de ses actions dans le déroulement d’une instance »[10]. Fondamentalement, il importait, selon le Comité, de

tenter de concilier les parties puisque souvent elles se connaissent, ont vécu ou travaillent ensemble, transigent entre elles ou se côtoient régulièrement, et de préserver cette situation de proximité en favorisant l’adoption de règles soucieuses d’encourager le dialogue et de maintenir la qualité de la relation qui doit survivre au dénouement du litige [nos italiques].[11]

Dès cette époque, il était question de « règles soucieuses d’encourager le dialogue » entre les parties, de manière à favoriser la conciliation des parties et, éventuellement, les ententes à l’amiable. Si l’on souhaitait alors encourager le dialogue, c’est que les parties au différend avaient, et ont toujours, des positions antinomiques, certes, mais au surplus, des relations contractuelles, commerciales ou parfois simplement amicales qui pourraient survivre au litige et gagneraient à être préservées. Avec un dialogue plus étendu, de meilleures relations s’ensuivraient entre les parties.

À la suite de la remise du rapport final du Comité de révision de la procédure civile, le ministre de la Justice de l’époque décida de procéder rapidement à la réforme législative de la procédure civile et de présenter, dès octobre 2001, un projet de loi à l’Assemblée nationale.[12] Le 6 juin 2002, à l’occasion de l’adoption de la réforme, le ministre souligna que celle-ci avait comme objectif fondamental d’établir un processus « plus rapide, plus efficace, moins coûteu[x], susceptible d’améliorer l’accès à la justice et d’accroître la confiance du citoyen dans le système de justice »[13]. À cette époque, la réforme proposait principalement des mesures visant le resserrement des délais accordés pour mettre une cause en état, la responsabilisation des parties, et l’accroissement du rôle du juge dans la gestion des affaires.

Quelques années plus tard, en 2006, le Code fit l’objet d’une évaluation formelle[14]. En septembre 2011, un avant-projet de loi fut déposé à l’Assemblée nationale par le ministre de la Justice Jean-Marc Fournier[15]. Le 30 avril 2013, le ministre de la Justice de l’époque, Bertrand St-Arnaud, déposa un projet de loi formel[16]. Une étude détaillée du projet de loi débuta en commission parlementaire en octobre 2013 et s’échelonna sur 30 séances. Plus de 300 amendements et sous-amendements furent adoptés. Enfin, le projet de loi remanié, tenant compte de ces amendements, fut adopté le 20 février 2014. Avec cette nouvelle législation, la communauté juridique sentit un vent de fraîcheur, bien qu’elle fut à la fois saisie de nombreuses appréhensions.

B. Naissance d’une obligation procédurale et civique de dialogue

Au nouveau Code de procédure civile, il n’y a mention spécifique du « dialogue » qu’à deux endroits précis – au livre sur la médiation[17] et à celui sur la conférence de règlement à l’amiable[18]. Hormis ces deux articles, il n’y a aucune autre manifestation expresse d’un dialogue entre les parties. De plus, dans la jurisprudence québécoise, nous n’avons recensé aucune jurisprudence exprimant une obligation ou une nécessité de « dialogue » dans un contexte de déroulement de l’instance.

Malgré cela, il est évident que le législateur québécois espère, du moins de manière implicite, que le dialogue entre les parties entraîne une divulgation accrue et plus claire de leurs intérêts juridiques et non-juridiques. De plus, il souhaite permettre aux parties de se rapprocher, de restreindre et de mieux définir le conflit, et éventuellement, de permettre son règlement à l’amiable.

Il s’agit ainsi d’encourager une plus grande divulgation entre les parties, tôt dans l’instance, ainsi qu’une implication serrée du tribunal dans le déroulement de l’instance et la gestion des dossiers. Le dialogue entre les parties se tient ainsi à l’avant-scène, au-delà de l’instance et avant même qu’elle ne soit envisagée. Ce dialogue se tient au cours des démarches des parties : des discussions pré-judiciaires, d’abord, puis durant l’instance, en fonction de l’obligation de considération des modes privés[19], de discussions et de conférences de règlement à l’amiable. S’il y a lieu, le dialogue peut se poursuivre lors de discussions relatives au protocole d’instance, ou encore, d’échanges adversaires tenus tout au long de l’instance à l’occasion d’audiences devant le tribunal, conformément au principe de l’audi alteram partem[20]. Une impression de justice découle alors de ce dialogue; une certaine légitimité est accordée à la décision du juge et à son office.

Somme toute, il est aisé de constater que l’on passe effectivement d’une ère de négociations dans un ordre privé, dans l’ombre du droit[21], à une ère de négociations dans un ordre, un système mixte, où l’on accepte, avant l’instance et tout au long de l’instance, que les parties puissent recourir aux modes privés de résolution des différends. Robert Cooter, Stephen Martks et Robert Mnookin expliquent que la négociation à l’amiable avant procès peut être comparée à une partie jouée dans l’ombre du droit, laquelle peut mener à deux résultats possibles :

settlement out of court through bargaining, and trial, which represents a bargaining breakdown. The courts encourage private bargaining but stand ready to step from the shadows and resolve the dispute by coercion if the parties cannot agree.[22]

Or, sous le nouveau Code, le tribunal possède encore d’autres options que celles envisagées par ces auteurs. Il peut diriger les parties vers un mode participatif[23], tout en les encourageant à régler; il peut avoir à participer à une conférence de règlement à l’amiable à tout moment durant l’instance civile[24], de discussions relatives au protocole d’instance ou d’une gestion particulière d’instance[25]; et, enfin, si cette dernière échoue, il peut avoir à entendre le dossier dans un mode purement « judiciaire » (un juge distinct, bien évidemment). Ici, on ne peut que souligner à quel point le législateur québécois innove en permettant que les parties puissent recourir à des modes de résolution des différends et des conflits judiciaires et extrajudiciaires à divers moments dans l’instance, à condition de le faire de manière consensuelle[26]. Il ne faut pas oublier non plus qu’il oblige les parties à considérer les modes privés, en toute nouveauté. Nous y reviendrons.[27]

Comme l’exprimait habilement le professeur Loïc Cadiet, à propos d’un système français de droit judicaire timide à l’égard des modes privés de résolution dans ses pratiques et sa culture, le dialogue des parties est devenu, au fil des réformes et de manière générale, un devoir civique et une responsabilité sociale :

[L]e procès contemporain s’inscrit lui-même dans un système de justice plurielle. [...] [L]e droit du règlement des différends ne se limite pas à la solution des conflits par une juridiction instituée à cet effet. Le juge ne doit pas être conçu comme un premier recours mais comme un dernier recours qui doit être saisi seulement lorsqu’il n’a pas été possible de régler autrement le conflit. Il faut avoir épuisé les voies du dialogue entre soi avant de requérir la tierce parole du juge. C’est un devoir civique et une responsabilité sociale qui incombe à chaque citoyen, qui est un justiciable en puissance.[28]

Sous le nouveau Code de procédure civile, le désir et la nécessité de dialogue se manifestent de trois manières : par la justice participative — « le dialogue participatif » (partie C-1); par le respect du principe de proportionnalité — « le dialogue proportionné » (partie C-2); et par le respect de l’esprit et du devoir de coopération — « le dialogue coopératif » (partie C-3). Nous traiterons de ces trois facettes du dialogue.

C. Le dialogue sous le nouveau Code

1. Le dialogue participatif

Pour mieux comprendre l’esprit du nouveau Code et l’importance accordée à la justice participative, il est utile de revoir la disposition préliminaire du Code. Celle-ci vise à définir cet esprit et à le situer dans l’ensemble législatif, tout en établissant des principes d’interprétation applicables à ses règles[29]. Principalement, le deuxième alinéa de cette disposition précise que pour assurer les finalités de la justice civile, il importe d’agir dans un esprit d’équilibre et de coopération, dans le respect des personnes qui participent à l’administration de la justice, dont les témoins. En fait, le Code établit une série de principes de justice civile fondateurs, confirmant certains des principes directeurs du Code et établissant l’existence de quelques nouveaux principes, le tout en harmonie avec les principes généraux du droit. Les procédés du Code doivent ainsi être efficients, empreints d’un esprit de justice et favoriser la participation des personnes, tout en assurant l’accessibilité, la qualité, et la célérité de la justice civile, ainsi que l’application juste, simple, proportionnée, et économique de la procédure[30].

Concrètement, le dialogue participatif prévu au Code s’amorce au moment des démarches pré-judiciaires. Ainsi, l’article 1, alinéa 3 dispose que « [l]es parties doivent considérer le recours aux modes privés de prévention et de règlement de leur différend avant de s’adresser aux tribunaux ». Cette nouvelle obligation est préjudicielle en ce qu’elle permet au défendeur, en cas de défaut, de requérir la suspension de l’instance et l’exécution de l’obligation avec célérité[31]. Plus tard dans l’instance, le tribunal pourra tirer une inférence négative de l’absence de mention au protocole de la considération des modes privés requise à l’article 148, alinéa 1 C.p.c.

Or, la considération d’un mode n’implique pas nécessairement une communication, un dialogue. Selon le dictionnaire Le Petit Robert, elle implique, l’« [a]ction d’examiner avec attention »[32], ou encore, le fait d’ « [e]nvisager, par un examen attentif, critique »[33]. Ainsi, chacune des parties pourra avoir considéré les options possibles, de son côté, sans échange réel de positions, sans communication ni dialogue. Il pourra s’agir de simples formalités échangées par courriel par lesquelles on s’entendra avoir « considéré » une autre voie que la voie judiciaire. Les tribunaux interpréteront certainement cette obligation, peut-être même en fonction d’exigences plus élevées que celles prévues formellement au Code. Après tout, l’article 148 C.p.c. dispose que les parties se doivent de coopérer pour d’abord (dans l’ordre littéral de la disposition du Code) régler le litige. De plus, elles doivent indiquer à leur protocole d’instance la considération qu’elles auront porté aux modes privés. Quelle sera la sanction applicable pour ne pas avoir « considéré » ces modes? Il pourra être question d’une sanction pour abus de procédure[34], d’une sanction pour le non-respect d’un principe directeur de la procédure[35], ou encore, d’une sanction pour un manquement important aux engagements dans le déroulement de l’instance[36].

En somme, les parties ont un devoir de considérer le bon procédé, le procédé « adéquat », « efficient », « empreint de justice », pour exercer leurs droits de manière proportionnée et économique. Pour réussir cet exercice, chaque partie devra dialoguer avec l’autre. Il s’agira de discuter le plus ouvertement possible, des forces et des faiblesses des positions en demande et en défense et de choisir la meilleure manière — privée ou publique — de régler le différend, le litige. Ainsi, même si l’expression « considérer » ne signifie pas formellement un dialogue, nous sommes d’avis que cette obligation implique nécessairement un dialogue participatif et que c’est de cette manière qu’elle devra être interprétée par les tribunaux. Le dialogue participatif devra se poursuivre ensuite, dans le cours naturel de l’instance, au fil des communications et des échanges, à l’occasion d’audiences ou autrement. Il s’agira ainsi pour les parties de préserver une ouverture constante et continuelle aux autres manières de régler le dossier, de montrer une posture d’écoute face à l’autre, et de maintenir un dialogue continuel et ouvert.

2. Le dialogue « proportionné »

Le dialogue des parties sous le nouveau Code doit également se faire dans le constant respect du principe de proportionnalité[37]. Il doit ainsi s’agir d’un dialogue proportionné. Le principe de proportionnalité est un principe charnière, un principe directeur, une pierre d’assise de la réforme de la justice civile[38]. Sous le Code, il s’agit d’un devoir qui s’impose au juge et aux parties, dans les démarches, dans la preuve et la procédure, d’office et tout au long de l’instance[39]. Ainsi, les parties se doivent d’agir et d’interagir dans l’instance de manière proportionnée et raisonnable, en choisissant des moyens procéduraux adaptés et adéquats par rapport aux coûts et aux efforts requis. Elles devront, lorsqu’elles communiquent entre elles et abordent le litige ou le différend sous un angle ou un autre, garder ce souci de proportion à l’esprit, ce souci de « justice pratique »[40]. C’est donc là que la communication dialogique se fait interactive, contradictoire et dialectique, certes, mais raisonnable et proportionnée aussi. C’est ainsi que des demandeurs qui font montre d’« excès procéduraux, [d’]écarts de langage, [de] tentatives de rendre plus confus les litiges et [d’un] comportement général procédural [contraire] aux ordonnances de la Cour »[41] seront considérés comme ayant un comportement disproportionné et contraire à la bonne foi procédurale et substantielle, de sorte que leurs demandes en justice devront être rejetées par le tribunal.

3. Le dialogue coopératif

L’article 20 C.p.c. énonce que les parties doivent coopérer « notamment en s’informant mutuellement, en tout temps, des faits et des éléments susceptibles de favoriser un débat loyal » et ce, dès les démarches pré-judiciaires et à toutes les étapes du déroulement de l’instance, afin de « résoudre le litige »[42]. Cette nouvelle obligation de coopération, imposée à la fois aux parties et à leur procureur, fut élevée au rang de principe directeur de la procédure et se lit de pair avec le principe de proportionnalité[43]. Elle fut interprétée comme favorisant « la tenue de procès loyal, sans cachettes et qui en l’espèce doit favoriser un échange honnête et transparent tout au long des procédures et où l’équité procédurale doit être priorisée »[44]. Ainsi, les parties n’auront plus seulement l’obligation négative de ne « pas agir en vue de nuire à autrui ou d’une manière excessive ou déraisonnable, allant ainsi à l’encontre des exigences de la bonne foi »[45]; elles devront aussi s’enquérir et s’informer en tout temps et mutuellement des faits pertinents[46]. Il s’agira ici d’interpréter les dispositions du Code relatives à la communication de la preuve à la nouvelle culture et au dialogue judiciaire qui y est préconisé, sans subordonner la divulgation des informations ou documents à des étapes particulières ou des moments précis de la procédure, consignées au protocole de l’instance[47].

Les interprétations jurisprudentielles futures de cette obligation de coopération risquent d’être fort intéressantes, si l’on en juge notamment de l’expression de la bonne foi dans l’arrêt Bhasin c. Hrynew[48] rendu par la Cour suprême du Canada, dans une affaire provenant de l’Alberta. Un lien pourra être fait avec le principe de bonne foi procédurale[49], codifié au Code de procédure civile[50], et cette nécessité développée par la Cour suprême, de « prendre en compte » et de veiller en priorité aux intérêts de l’autre partie contractante tout au long de la relation[51]. Le protocole de l’instance étant considéré comme un contrat supervisé[52], est-il alors possible de soutenir que les parties contractantes ont l’obligation de prendre en compte et de veiller aux intérêts de l’autre, d’informer des faits pertinents à sa position propre, en toute loyauté, de coopérer par le biais du dialogue? Veiller « en priorité aux intérêts de l’autre », tout au long de la relation — qui n’en n’est pas une parfaitement contractuelle, mais plutôt litigieuse — pourra être complexe, voire impossible. L’idée qui découle néanmoins de ce principe en est une de transparence, de bonne foi et de loyauté.

Les parties ont, au deuxième alinéa de l’article 20 C.p.c., l’obligation de s’informer des faits sur lesquels reposent leurs prétentions et des éléments de preuve qu’elles entendent produire, aux moments prévus par le Code ou le protocole, lesquels pourraient aussi inclure les éléments de preuve qui seront favorables à la partie adverse! Or, cette deuxième obligation ne semble pas s’appliquer à tout moment dans l’instance et ne permet pas, à mon avis, des demandes d’informations et de communications de preuve outre mesure. Il faudra respecter les dispositions du Code et les moments de divulgation qui y sont prévus, quoique certains juges aient plutôt élargi la communication judiciaire à d’autres moments de la procédure[53].

Au moment de l’élaboration du protocole d’instance, le législateur dispose à l’article 148 C.p.c. que les parties devront coopérer pour régler l’affaire (d’abord) ou pour établir le protocole de l’instance. C’est donc dire qu’à cette étape, une fois que les parties auront « considéré » les modes privés, et « choisi » de ne pas y recourir ou constaté leur incapacité à négocier, elles devront soit coopérer pour essayer de régler, soit établir une entente ou un protocole, le tout à travers le dialogue. L’axe central de l’article est le devoir de coopération imposé aux parties, en tout respect du principe de proportionnalité.

Somme toute, il s’agit, au nouveau Code, de règles favorisant le dialogue, sans le forcer ni même sanctionner directement son absence. Le législateur encourage les parties à se parler en les forçant à « considérer » les modes privés dès les démarches pré-judiciaires[54], en envisageant le protocole pré-judiciaire[55], en obligeant les parties à coopérer pour régler ou pour conclure un protocole de l’instance dans les quarante-cinq jours de la signification de l’avis d’assignation[56] — d’une manière qui implique nécessairement le dialogue — et, enfin, en prévoyant la nécessaire préservation et communication des preuves, tout au long de l’instance[57]. À travers ces obligations de dialogue seront communiquées toutes les informations utiles à la recherche de la vérité. Or, ce dialogue ne se fait, ni se fera, sans défis.

II. Le défi du dialogue en contexte de système de justice contradictoire

A. La raison d’être du dialogue

On pourra se demander pourquoi le dialogue entre les parties est nécessaire. D’abord, parce que l’importance accrue accordée aux modes privés permet aux parties de régler leur conflit en amont. Ensuite, parce qu’il permet une meilleure administration de l’instance, en facilitant sa gestion, en remplissant les objectifs d’efficience, d’efficacité et d’économie de la justice, par des procédés adéquats choisis par les parties. Ensuite, le dialogue permet l’accomplissement de l’objectif de proportionnalité, ou plutôt, encadre cet objectif, puisqu’à travers le dialogue, les parties ont une meilleure conception de leur dossier propre, de ses forces et ses faiblesses, des enjeux respectifs, des concessions réciproques possibles, des délais et des problématiques probatoires. Elles réussissent à être plus proportionnées dans leurs procédures et leurs preuves, car elles sont mieux informées de la position de l’autre.

Plus généralement, le dialogue permet l’accomplissement des objectifs directeurs de la procédure. Il permet au juge d’être un plus fin gestionnaire, à la bonne foi d’être assurée, aux abus procéduraux d’être évités, à l’instance d’être plus efficace et efficiente, aux principes de justice naturelle d’être respectés. Enfin, le dialogue permet de rendre la justice plus accessible et d’en assurer la qualité. En effet, le droit doit avoir un caractère juste et équitable : il doit permettre et mettre en place une équité procédurale et substantielle[58]. L’équité procédurale est influencée par l’implication des parties dans leur instance, puisque cette implication leur donne un sentiment de justice[59]. En obtenant une justice de qualité, le juge remplit son rôle et son office est légitimisé.

B. La légitimité du juge et le dialogue des parties

La légitimité passe par une forme de reconnaissance publique, par une acceptation chez les autres de qui l’on est. L’office du juge est considéré légitime à travers le regard du justiciable sur sa décision. Cette légitimité est nécessaire dans une perspective de respect des droits et des lois, et éventuellement, d’encourager un plus grand dialogue entre les parties, le tout pour leur meilleur et plus grand bénéfice. L’office juridictionnel du juge passe par le respect des règles et des principes et donne le sentiment de justice, ou d’accomplissement légitime de la tâche du juge chez le justiciable. Or, la légitimité est liée à l’adhésion aux valeurs dominantes de la société, comme l’énonçait Andrée Lajoie[60]. Selon nous, ces valeurs incluent l’accès à la justice et la participation du citoyen à la justice par le biais du dialogue.

Le diagramme reproduit ci-dessous illustre la relation de cause à effet découlant du dialogue des parties. Ainsi, selon nous, parce que le dialogue implique une divulgation plus claire et étendue des faits et de la preuve, une meilleure application des faits et de la preuve par le magistrat s’ensuit, de pair avec un usage plus adéquat du droit. La décision rendue par ce magistrat devient alors plus légitime, ce qui entraîne un plus grand sentiment de justice chez les justiciables[61]. Ces justiciables respectent alors davantage et mieux les lois, et dans cet ordre positif des choses, sont encouragés à continuer à dialoguer.

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C. Le faux dialogisme en système contradictoire

1. Les facteurs contribuant à l’utopie du dialogue

Nous nous ferons ici avocats du diable. À notre sens, rendre obligatoire le dialogue reste utopique dans un système typiquement contradictoire comme le nôtre ou, sans être utopique, fait face à de nombreux défis.

D’abord, les parties resteront a priori hostiles au dialogue, car l’opposition est fortement ancrée dans la culture du litige. La posture de base est trop fortement adversative. Ensuite, quels sont ces incitatifs au dialogue pour les avocats, pour les parties elles-mêmes? Au-delà du désir puissant de gagner, omniprésent pour les avocats et les parties, il y a celui de se satisfaire d’une procédure qui aura rempli notre désir participatif, comme partie. Alors que les avocats facturant au taux horaire seront heureux de dialoguer dans une perspective économique, il y aura pour les parties un souhait de rationner les coûts de la procédure et de limiter les heures facturées. À cet égard, le règlement à l’amiable suivant un dialogue conciliatoire présentera un intérêt certain.

Enfin, on peut penser qu’il y aura nécessairement ici un faux dialogisme, compte tenu de l’iniquité traditionnelle des positions des parties au litige. Il pourra y avoir des guerres de pouvoir qui rendront le dialogue difficile. Le dialogue est-il donc réellement possible en système contradictoire?

2. Le système contradictoire et la démonstration de la vérité

Le sens juridique du contradictoire implique que l’on contredise une affirmation, que l’on s’oppose à l’autre en affirmant le contraire de ce qu’il dit. Les parties au litige québécois sont des combattantes, du moins traditionnellement, dans un système que l’on dit contradictoire[62]. Il s’agit d’un débat d’où sortira vainqueur le plus fort, celui qui aura eu raison, dont l’argument aura primé. Cette interaction n’est pas typiquement amiable ou consensuelle. Le litige est souvent considéré comme étant une guerre[63] et l’avocat doit agir dans le meilleur intérêt de son client, tout en respectant ses obligations déontologiques et éthiques. Si la devise est « Que le meilleur gagne! », comment amorcer et soutenir ce dialogue dont nous évoquons l’existence et la nécessité en vertu du nouveau Code?

La communication entre les parties est informée par des preuves et des faits, échangée entre elles de sorte que l’une puisse répondre à l’autre. La règle de l’audi alteram partem, qui implique le droit d’être entendu, est codifiée à l’article 17 C.p.c.[64] et inclut aujourd’hui le principe du débat contradictoire. Comme l’expliquait la Cour supérieure dans G.G. (N.) c. E.A:

Le droit d’une personne de présenter une défense pleine et entière, et d’avoir l’opportunité de présenter tous ses arguments, est un droit fondamental protégé, dont l’importance a été réitérée par la Cour d’appel du Québec à l’occasion de l’affaire Bourse de Montréal. [...] [C]haque partie doit donc avoir la possibilité de corriger ou de contredire tout argument pertinent porté contre elle [notre traduction].[65]

Principe d’équité procédurale fondamental et universel, l’audi alteram partem implique que

nul ne doit être condamné ou privé de ses droits sans être entendu [.... Ce principe est] d’une équité universelle et [...] le silence de la loi [ne peut] être invoqué pour en priver quelqu’un. [I]l ne faudrait rien moins qu’une déclaration expresse du législateur pour mettre de côté cette exigence qui s’applique à tous les tribunaux et à tous les corps appelés à rendre une décision.[66]

Le principe du contradictoire est essentiel à la procédure, étant d’ordre public[67]. Sans opposition des prétentions respectives aux deux parties, le litige et son procès ne pourraient exister. De cette dialectique constructive émane la vérité[68], la solution la plus juste pour le juge. À travers les versions contradictoires présentées par les parties et s’entrechoquant devant lui, le juge est censé percevoir, du moins symboliquement, la solution que le droit doit apporter au dossier et comprend comment ce droit s’applique à la situation posée. Essentiellement, il choisit comment faire un usage bon et équitable du droit.

Pour certains auteurs, le principe du contradictoire sert à l’élaboration du jugement[69], tandis que pour d’autres, il permet de protéger les droits de la défense[70]. De toute évidence, il sert principalement de garantie fondamentale des droits de la défense, de l’égalité des armes. À tout évènement, comme le proverbe français le dit si bien, « Qui n’entend qu’une cloche n’entend qu’un son ». Sans cette vérité plurielle, la Justice serait imparfaite, car incomplète.

Or, le principe du contradictoire a une importance renouvelée sous le nouveau Code. C’est qu’il est formellement codifié, d’abord, à l’article 17, puis structuré et encadré par la nouvelle obligation de collaboration à l’article 20, par l’énoncé de la disposition préliminaire et les autres principes directeurs de la procédure ancrés au Code, tels celui de la proportionnalité. Ces nouvelles protections sont rendues nécessaires par les pouvoirs étendus des tribunaux sous la nouvelle codification, particulièrement les potentialités d’intervention d’office par le juge à divers moments de l’instance[71].

Il est donc fondamental d’avoir la chance de présenter à l’autre sa position, en tout respect de l’égalité des armes et des droits de la défense. Chacun souhaite et doit présenter « sa » vérité. Mais l’exercice ne s’apparente-t-il pas davantage à un monologue pour chaque partie, tenu en parallèle? Il ne s’agit pas de discourir pour s’entendre, pour rejoindre l’autre. Il s’agit de plaider sa cause, chacun de son côté. Ainsi, le principe du contradictoire empêcherait qu’un dialogue ne soit réellement possible entre les parties.

La nouvelle obligation de coopération, ancrée à la disposition préliminaire du Code et codifiée plus formellement à l’article 20, favorise un débat loyal et, pour Denis Ferland et Benoît Emery,

est susceptible de transformer substantiellement l’administration traditionnelle de la justice civile favorisant le débat contradictoire, « adversarial », de confrontation, selon la théorie sportive (« the sporting theory of justice ») du combat dans l’arène judiciaire et du procès par embuscade (« trial by ambush »), contraire à l’objectif du procès civil de la découverte de la vérité [notes omises].[72]

L’obligation d’information mutuelle et continuelle du premier alinéa laisse certes suggérer un changement notoire dans la manière de divulguer les faits et les éléments susceptibles de favoriser un débat loyal, le tout dans un objectif d’éviter les surprises. On peut se demander, toutefois, quelle sera la nature de ces faits qui devront être divulgués en vertu de l’alinéa 1 et ne seront pas visés par l’alinéa 2 de l’article 20. L’effet réel de cet article pourra être de diminuer la fréquence des demandes de précisions et l’étendue des questionnements durant les interrogatoires au préalable. Selon les débats parlementaires, l’obligation en cause implique une coopération qui n’irait certes pas jusqu’à requérir des parties qu’elles dévoilent l’ensemble de leur preuve, mais qui pourrait par exemple interdire d’une partie qu’elle ne cache un élément essentiel à la cause. « Il y a une obligation de transparence, de coopération »[73].

En fait, il ne faut pas oublier que la recherche de la vérité est un principe fondamental de notre système de justice, situé au coeur du système de justice civile[74]. Comme l’énonçait la Cour d’appel du Québec dans l’arrêt Mascouche (Ville de) c. Houle :

Le procès civil est un débat contradictoire conduit selon des règles qui en assurent l’équité et l’efficacité devant un tribunal indépendant et impartial, et au terme duquel sont départagés les droits et obligations des parties généralement privées. La recherche de la vérité est donc au coeur du procès civil, et toutes les normes édictées en vue de son déroulement visent à en assurer le dévoilement ou la manifestation [nos italiques, note omise].[75]

De plus, la démonstration de vérité incombe aux parties qui en sont les maîtresses :

Même si les pouvoirs d’intervention du juge dans la conduite de l’instance civile sont devenus de plus en plus importants, en règle générale, ce dernier ne participe pas activement à la recherche de la vérité. En effet, dans un système accusatoire et contradictoire, la délicate tâche de faire apparaître la vérité revient d’abord et avant tout aux parties. Dans ce contexte, où l’objectif de recherche de vérité continue de primer, le législateur québécois a instauré un régime général de preuve destiné à encadrer et à faciliter la mise en oeuvre de ce processus dont les parties demeurent les maîtres [références omises].[76]

C’est donc dire que par le dialogue coopératif entre les parties, le législateur souhaite rendre l’objectif de vérité prédominant dans le litige, tel que l’a préconisé la Cour suprême à plus d’une reprise[77]. La justice n’émane plus du procédé ou du processus judiciaire, mais bien du dialogue entre les parties. Ces parties sont en charge de la démonstration de la vérité; elles sont les maîtresses de la manière de faire apparaître cette vérité. Or, le nouveau Code trace aussi une limite à cette liberté des parties. À l’article 19 C.p.c., les parties possèdent une maîtrise du dossier « sous réserve » du pouvoir de gestion d’instance des tribunaux. À l’article 18, elles ont une maîtrise du dossier sous réserve du respect du principe de proportionnalité. Il y a donc ici au moins deux signes d’une hésitation du législateur à laisser aux parties la responsabilité entière de la démonstration de la vérité.

D’ailleurs, cette démonstration de vérité se fait de manière tout à fait hybride au Québec, en comparaison avec d’autres systèmes. En France, la vérité émane de ce qui est présenté par les parties, suite à la tenue d’un dialogue, d’un débat équitable[78]. Il s’agit d’une vérité qui apparaît de la légitimité probatoire[79]. Aux États-Unis, la vérité se déduit du combat entre les parties, du combat d’où ressortira un vainqueur. Ainsi, la justice américaine souhaite que la vérité apparaisse, mais il s’agit vraisemblablement d’une vérité de nature autre que la nôtre, d’une vérité qui émane d’un rapport de force impliquant des risques, des défis et de la provocation.[80] Le but du procès américain n’est pas d’établir la vérité, mais plutôt de produire une forme de justice par le biais de la loi du plus fort, encadrée par des principes d’équité et de loyauté. En comparaison, au Québec, la vérité émane d’un processus complexe de participation des personnes par le dialogue et la collaboration. La vérité, concrètement, ne ressort pas directement de la confrontation, mais bien de la participation des personnes dans une instance encadrée et structurée par des principes directeurs de la justice civile. Il s’agit donc pour les québécois, encore et toujours, et même au-delà du Code réformé de 2016, d’un système qui demeure mixte.

III. Vers des rapports dialogiques plus équilibrés

Comment mieux dialoguer dans l’instance civile, dans une perspective de mise en forme et d’application du nouveau Code et de sa culture?

La justice préconisée par le Code réformé est audacieuse. Le législateur a entrepris de règlementer au sein du Code le système privé de résolution des différends, d’encadrer des pratiques privées et confidentielles de règlement. De plus, il a osé exiger pour l’exercice d’un recours judiciaire que les parties aient « considéré » les modes privés et ce, de manière inusitée[81].

La réforme de 2016 requiert, pour sa mise en application, des changements importants dans les moeurs et les pratiques. Comme l’expliquaient les membres de l’Observatoire du droit à la justice dans un mémoire présenté à la Commission des institutions, pour effectuer un changement réel, les parties doivent être incitées à changer et doivent expérimenter le changement :

Aucune réforme de la justice civile ne peut être réellement effective sans que les parties et leurs avocats ne soient tenus (ou à tout le moins fortement encouragés), aux moyens de mesures incitatives ciblées, pratiques et concrètes, d’accomplir de nouveaux devoirs, de poser de nouveaux gestes, d’adopter de nouvelles conduites et de développer de nouvelles pratiques. Sans mesures de cet ordre, il est à craindre que toute réforme, aussi ambitieuse et louable qu’elle soit, demeure sans effet et que les parties et leurs avocats ne lui attribuent qu’une valeur purement théorique et symbolique : « Theoretical culture change will not succeed. Participants will need to experience the change before they can internalize it and accept it » [italiques dans l’original].[82]

L’instance civile québécoise et son procès (s’il a lieu) s’inscrivent dans un système de justice plurielle, un système qui permet la résolution des différends et des conflits au dehors et au-delà de la juridiction civile traditionnelle existante pour ce faire. Ainsi, le juge sera saisi en dernier ressort seulement, lorsque le règlement à l’amiable ne sera pas faisable ou envisageable, en présentant aux parties des solutions diversifiées, incluant la solution transigée[83]. Avant d’envisager le litige traditionnel, il faudra avoir épuisé toutes voies de dialogue et considéré d’autres avenues que la voie judiciaire, le tout par devoir procédural et éthique. Mais nous oserons pousser l’argument plus loin encore.

Nous sommes d’avis que le dialogue est non seulement essentiel pour le bien-être de l’instance et de l’administration judiciaire, mais il est essentiel dans une perspective sociétale, sociale. L’obligation de dialoguer doit être perçue comme impliquant un devoir civique pour le justiciable, tel que le suggère le professeur français Loïc Cadiet[84], une obligation visant un bien-être social. Le dialogue aura pour objectif plus immédiat de permettre une résolution à l’amiable ou encore, plus discrètement, de maintenir une proportion dans le litige, autant sur le plan économique que sur le plan procédural et probatoire. Le litige qui aura été bien informé, bien discuté, mènera à une ou des décision(s) juste(s), équitable(s) et bien informée(s) par ce dialogue. Enfin, la décision rendue sur la base d’informations plus claires, intègres, et transparentes obtenues via le dialogue satisfera davantage les parties et les justiciables, tout en servant à légitimer l’office du juge.

Au final, nous concluons nos propos en revenant sur l’idée d’un aveu du pluriel, véhiculée par l’écrivain Paul Ricoeur dans la citation en épigraphe. Cet aveu du pluriel implique le dialogue ouvert entre les parties pour la découverte de la vérité. Il s’agira d’un dialogue pluriel et contradictoire mais non batailleur ou agressif, toujours dans l’optique de favoriser la participation des personnes au débat plutôt que les guerres de pouvoirs.