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Consommateur[Record]

  • Geneviève Saumier

Professeure titulaire de la chaire Peter M. Laing Q.C., Faculté de droit, Université McGill. La version originale de ce texte a été acceptée et intégrée au McGill Companion to Law lors d’une réunion en décembre 2015.

Citation: (2020) 66:1 McGill LJ 27

Référence : (2020) 66:1 RD McGill 27

L’être humain consomme depuis le début des temps, c’est un acte nécessaire à sa survie. Mais la notion de l’être humain « consommateur » n’est apparue en droit que récemment. Si les Égyptiens de l’Antiquité avaient développé des contrôles sur le vin et la bière, il a fallu attendre l’évolution des connaissances scientifiques en chimie et en biologie au XIXe siècle pour voir l’émergence d’une réglementation générale des aliments. C’est ainsi qu’au tournant du dernier siècle le Codex Alimentarius Austriacus a vu le jour en Autriche, établissant les premiers standards alimentaires. La protection économique, elle, passait surtout par la réglementation des poids et mesures. Alors qu’il existait des règles depuis des millénaires, Talleyrand proposa à la France, en 1790, de collaborer avec l’Angleterre pour uniformiser les poids et mesures, notant que ce serait utile à l’industrie et à la consommation. Malgré ces quelques instances de réglementation, c’est l’arrivée de la production de masse qui a donné naissance à la conception moderne de consommateur, soit l’individu qui achète des biens ou des services à des fins personnelles ou familiales. Le consommateur se définit de manière négative dans une relation essentiellement économique : il n’est pas commerçant, distributeur, fabricant. L’intersection entre le droit et la consommation appelle à une conception plus éclatée du consommateur, entendue dans un sens relationnel, reliant le consommateur aux activités économiques et sociales qui constituent son quotidien. Ainsi, l’enseignement et la recherche en « droit de la consommation » se doivent de regarder au-delà du droit des contrats pour examiner la responsabilité civile, le droit de la concurrence, la résolution des différends, le droit alimentaire (y inclus la certification des aliments et la réglementation de l’emballage), le droit environnemental (y inclus la consommation durable), la gouvernance (y inclus le rôle des consommateurs et des associations dans l’élaboration de normes privées et de politiques publiques), etc. Cet élargissement de la notion de « consommateur » et du « droit de la consommation » n’est pas nouveau. Dès le début du XXe siècle, la distance entre le consommateur et le producteur de biens ou de services a profondément modifié les relations de consommation. Les célèbres affaires Donoghue v. Stevenson et MacPherson v. Buick Motor Co., qui ont créé un droit d’action directe contre le fabricant par le consommateur lésé dans son intégrité physique, illustrent bien l’impact de ces changements socio-économiques sur le droit de la responsabilité civile du fabricant en common law, imposant une responsabilité directe de celui-ci en dehors de la sphère contractuelle. La jurisprudence française (d’influence au Québec à l’époque) a plutôt reflété les effets de l’industrialisation dans le contexte des accidents du travail par le biais d’une responsabilité du fait des choses ayant essentiellement pour but de pallier les problèmes de causalité. En effet, au Québec comme en France, le consommateur — contractant ou simple usager — avait toujours pu rechercher la responsabilité du fabricant sur la base d’une faute causale. En 1962, le discours de John F. Kennedy au Congrès américain invoque le rôle et la responsabilité de l’État pour assurer la protection de l’autonomie et de l’intégrité du consommateur, soulignant les droits de ce dernier à la sécurité, à l’information et au libre choix ainsi qu’à la revendication de ces droits. Le mouvement de « protection du consommateur » prend son essor; son universalisme est déclaré en 1985 dans les Principes directeurs pour la protection du consommateur adoptés par les Nations Unies. Malgré l’élargissement du domaine de la protection du consommateur au-delà du seul contexte contractuel, il demeure que la notion juridique de « consommateur » résiste à cette mutation. …

Appendices