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Propriété[Record]

  • Pierre-Emmanuel Moyse

Professeur agrégé, Faculté de droit, Université McGill. La version originale de ce texte a été acceptée et intégrée au McGill Companion to Law lors d’une réunion en septembre 2015.

Citation: (2020) 66:1 McGill LJ 145

Référence : (2020) 66:1 RD McGill 145

La propriété est le concept du XIXe siècle, écrira Hermitte. Mais elle est plus qu’un site historique de la pensée juridique moderne. Son examen est une invitation à une entreprise archéologique. À travers elle se lit la construction du savoir juridique; elle est génératrice de sens. L’exercice de consigner dans ces lignes quelques-uns des enseignements fondamentaux que le sujet nous fournit montre également la posture idiosyncrasique du juriste pris dans un réseau de rationalités qu’il prend pour autant d’axiomes; une pathologie affligeante, mais ô combien rassurante, car au-delà des mots et de leur fausse robustesse : le vide. C’est finalement ce que Josserand nommait la « plasticité » de l’idée de propriété et sa force descriptive qui seront examinées brièvement. La question se pose : la réduction du monde qui nous entoure en impulsions électriques annonce-t-elle l’obsolescence de la propriété? Le concept de propriété ouvre traditionnellement sur deux dimensions d’un même sujet. La première est politique. L’idée de propriété est d’abord le siège de la réflexion sur l’État et son gouvernement. Un outil de planification sociale. S’y engouffrent ici toutes les théories politiques, du nominalisme au libéralisme. Le droit de propriété fait apparaître alors d’un coup l’individu et le citoyen; il est le point de confluence. L’État est la source des droits que l’individu peut faire valoir contre tous, y compris contre l’État. C’est un positionnement essentiel qui fait apparaître la taxonomie générale droit public et droit privé. À l’intérieur, l’idée se poursuit dans la figure du droit subjectif et celle de son Janus, le droit objectif. Ce qui explique très bien que le droit de propriété ne peut pas être asocial ou antisocial puisqu’il est droit — certains diront pouvoir — avant d’être prérogative. Osons l’annoncer : le droit est donné in-trust, il est une notion trempée dans la raison sociale. De là une autre proposition fondamentale : la notion d’État a une portance différente selon les traditions, ce qui donne à la notion de droit (right) un trait plus ou moins prononcé. Le droit de propriété peut constituer, selon le cas, le trait d’union entre l’individu et l’État ou, si l’on opte pour une vue plus éthérée de la collectivité, dessiner cliniquement l’ensemble des droits et obligations dans une chose à travers laquelle on aperçoit les autres et des intérêts concurrents (bundle of rights). Il est intéressant d’ailleurs de remarquer que les tentatives de réconciliation du droit civil et de la common law, si l’on se limite à l’examen des équivalences possibles de l’abus de droit en common law, procèdent d’une élévation de la notion de right par l’apport d’idées d’ordre métaphysique, telles que celles de juridiction, de Justice ou d’éthique; des idées qui permettent d’enrichir la notion de right pour y placer les conditions principielles de sa fonction sociale. Le droit civil fait tout cela à la fois et intègre dans son schéma des éléments de la science politique. Le texte de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 avait établi le programme : « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l’oppression. » L’État est retenu aux clôtures des fonds, laissant le propriétaire à ses rêves de jouissance, mais il en contrôle subtilement les usages. Cette jouissance limitée est accompagnée de surcroît par l’impôt. La propriété devient le lieu de l’émancipation personnelle, une sphère de liberté. Sans surprise, Reich proposera la même description : « Property draws a circle around the activities of each …

Appendices