Article body

Halte à la plasticité

I.L. Weissman, dont on a pu lire ces derniers mois les mises en garde à propos de l’engouement excessif pour la notion de « plasticité ou trans-différenciation », en faveur de laquelle peu d’arguments solides existent, démontre dans un article de Science que les cellules souches hématopoïétiques (CSH) ne savent pas faire autre chose que des cellules hématopoïétiques, en l’absence de lésion tissulaire majeure [1]. Son approche expérimentale, suivie in vivo du destin de cellules uniques greffées dans des souris irradiées, est la seule capable d’analyser sans ambiguïté le potentiel de cellules souches livrées à elles-mêmes dans un organisme complexe. Afin de s’abstraire de tout stress expérimental, qui, en lui-même, peut modifer les propriétés cellulaires, il utilise un second modèle dans lequel l’anastomose transitoire du réseau vasculaire de deux souris dont l’une est GFP+, permet l’établissement d’une chimère hématopoïétique (> 30 %) par l’intermédiaire des CSH circulantes ((→) m/s 2002, n°3, p. 290). Quel que soit le modèle, la contribution des cellules souches hématopoïétiques à d’autres tissus, comme le foie, le cerveau, ou le muscle est quasiment nulle. En tout et pour tout 8 cellules GFP+ ont été détectées chez les animaux irradiés et greffés (1 dans le cerveau et 7 dans le foie), sur plusieurs millions de cellules analysées, et aucune dans les chimères. Aucune contribution aux lignées épithéliales pulmonaires, intestinales ou rénales n’est détectée. Rappelons que dans les conditions expérimentales décrites ici, il n’y a pas de lésion tissulaire majeure, et qu’il est toujours possible (mais y croit-on vraiment?) que celle-ci permette l’expression d’un potentiel non-hématopoïétique masqué. Que dire, au vu de ces résultats, de ceux publiés par D. Krause en 2001? L’étude, faite également in vivo et à l’échelon unicellulaire, identifiait une cellule ayant un double potentiel hématopoïétique et épithélial ((→) m/s 2001, n°8-9, p. 936)[2]. La sélection initiale est différente: Weissman injecte des cellules Lin-, dépourvues de marqueurs de différenciation, exprimant 3 antigènes caractéristiques de CSH, c-kit, Thy-1, et Sca-1+ ; Krause greffe des cellules sélectionnées par élutriation (qui sont CD34- et Sca-1-) et par leur capacité de migrer dans la moelle osseuse. Peut-être ces populations sont-elles fonctionnellement différentes, et celles de Krause pourraient être proches des MAPC (multipotent adult progenitor cell) isolées récemment par Verfaillie in vitro [3]. Qu’il existe dans la moelle osseuse une très rare population de cellules multipotentes reste une hypothèse très probable, encore faut-il attendre confirmation. Que cette population ait un intérêt thérapeutique futur est pure spéculation. Quant aux CSH classiques, elles ont probablement déjà restreint leur potentiel (irréversiblement?) aux seules lignées hématopoïétiques, et aucune donnée expérimentale fiable n’indique, pour l’instant, qu’elles puissent faire autre chose.

Des cellules de moelle à la rescousse de l’intestin

La capacité de régénération de l’épithélium digestif est proverbiale. Le dogme est que des cellules souches intestinales donnent naissance aux différents types cellulaires présents dans le tractus intestinal. La possibilité que des cellules de moelle osseuse puissent être les précurseurs de cellules épithéliales intestinales a été évaluée chez des femmes recevant une greffe de moelle provenant de donneurs de sexe masculin [4]. La détection du chromosome Y en hybridation in situ fluorescente (Y-FISH) dans des échantillons de biopsies intestinales a permis de montrer que des cellules du donneur avaient acquis un phénotype épithélial (expression de cytokératine, CD45 négatives) tout le long du tube digestif, de l’oesophage au côlon.

La colonisation était plus intense chez les sujets qui ont développé une réaction du greffon contre l’hôte caractérisée par un remaniement épithélial intense. Les épithéliums entrent donc au club de la médecine réparatrice. Plasticité, quand tu nous tiens!

Une recette de levure : respirer fort pour vivre longtemps

Le moyen le plus sûr d’augmenter la longévité est la restriction calorique, aussi bien chez la levure, le ver C. elegans ou les rongeurs. On a longtemps pensé que cela était dû à la baisse générale du métabolisme et de la respiration cellulaire accompagnée d’une diminution du relargage d’espèces réactives de l’oxygène. Cette hypothèse était fondée sur l’augmentation des signes de toxicité dus à des phénomènes oxydatifs avec l’âge et à une série de manipulations génétiques ou nutritionnelles. Un travail récent chez la levure Saccharomyces cerevisiae remet en question l’hypothèse « oxydative » de la détermination de la longévité [5]. Dans cette espèce, la longévité est définie par le nombre de divisions que fait la levure mère avant d’engendrer des levures filles et disparaître. Lorsque les levures sont placées dans un milieu pauvre en glucose, leur longévité est augmentée et leur consommation d’oxygène aussi. L’augmentation de la respiration dans un milieu pauvre en glucose n’est pas illogique, la levure privilégiant le métabolisme le plus rentable sur le plan énergétique, à savoir la combustion complète plutôt que la fermentation. De même, chez des levures transformées surexprimant plusieurs gènes de la chaîne respiratoire, la durée de vie est aussi prolongée. La longévité accrue pourrait s’expliquer par l’augmentation de l’oxydation du NADH en NAD, ce dernier étant le coenzyme de l’histone désacétylase, Sir2. De nombreux arguments suggèrent que Sir2 est requise pour l’accroissement de la durée de vie aussi bien chez la levure que chez le ver C. elegans. Enfin, les auteurs ne trouvent aucun argument suggérant un rôle du stress oxydant dans les modifications de longévité observées dans leur modèle. Ainsi, le rôle des espèces réactives de l’oxygène et de la respiration dans la détermination de la durée de vie est pour le moins un sujet de controverse. Néanmoins, il ne serait pas étonnant qu’un phénomène aussi complexe que la détermination de la longévité soit dépendant de multiples facteurs, et que, selon l’espèce ou le modèle étudiés, un facteur prenne le pas sur l’autre. Quant à décider quel facteur serait le plus déterminant chez l’homme, il est un peu tôt pour se prononcer. Cela n’empêchera pas les amateurs de restriction calorique et de toutes sortes de privations d’y croire fermement.

L’engourdi, l’échancré et l’endocytose

Les recherches en génétique de la mouche du vinaigre ont produit de très nombreux mutants aux noms exotiques. L’analyse des phénotypes correspondants a permis d’identifier les gènes importants pour les grandes étapes du développement et les grandes fonctions. De plus en plus d’études rapportent maintenant des liens quelquefois inattendus. C’est le cas du travail que l’équipe de J.A. Knoblich (Vienne, Autriche) vient de publier. La différenciation des organes sensoriels chez la mouche du vinaigre requiert Numb (« engourdi » en anglais), une protéine de signalisation répartie de manière inégale au cours de la division. Chez les mutants numb, la division des cellules précurseurs des organes sensoriels est symétrique et il n’y a ni neurone ni cellule gliale dans cet organe. L’équipe de J.A. Knoblich montre que Numb polarise l’α-adaptine, une sous-unité de l’adaptateur AP-2 de la clathrine dans les cellules précurseurs des organes sensoriels et ne peut pas agir en son absence. Par ailleurs, les auteurs confirment une interaction biochimique entre Numb et l’α-adaptine. De plus, il était connu que Numb et Notch interagissent. Notch (« encoche » en anglais, à cause de la présence d’encoches dans les ailes des mouches mutantes pour ce gène) code pour un récepteur transmembranaire impliqué, entre autres, dans un mécanisme de signalisation intercellulaire qui établit une différence d’identité cellulaire entre les deux cellules filles produites lors des divisions asymétriques des cellules précurseurs du système nerveux de la mouche. Les nouvelles données permettent donc de proposer un modèle reliant la signalisation dépendante de Notch, la division asymétrique dépendante de Numb et l’endocytose contrôlée par l’α-adaptine. Numb pourrait servir de molécule adaptatrice pour l’endocytose de Notch, bloquant ainsi la réception du signal d’inhibition dans la cellule fille dans laquelle Numb se concentre, diminuant ainsi la signalisation dépendante de Notch et permettant la différenciation neuronale. L’endocytose, encore et toujours…

La bradykinine est anti-fibrosante

Les inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine (IECA) freinent la progression de la fibrose tubulo-interstitielle qui accompagne de nombreuses néphropathies, en particulier celles résultant d’une obstruction urétérale. Cet effet est habituellement attribué à la diminution de la production rénale d’angiotensine II, d’autant plus que les antagonistes des récepteurs AT1 de l’angiotensine II sont aussi efficaces. Comme l’enzyme de conversion hydrolyse d’autres substrats que l’angiotensine I telle la bradykinine, il était logique de se demander si l’action anti-fibrosante des IECA ne passait pas aussi par l’inhibition de la dégradation de ce peptide. La démonstration vient d’en être apportée par Schanstra et al. [7], dans un modèle de souris invalidées pour le gène du récepteur B2 de la bradykinine B2-/- et de rats transgéniques surexprimant le gène de la kallikréine, enzyme responsable de la production de bradykinine. La fibrose tubulo-interstitielle est plus intense après ligature de l’uretère chez les souris B2/- que B2 +/+, mais elle l’est moins chez les rats surexprimant la kallikréine que chez les rats témoins. Le mécanisme d’action passe probablement par l’effet stimulateur de la bradykinine, via les récepteurs B2, sur l’activité des activateurs du plasminogène et celle de la métalloprotéase matricielle 2 (MMP2), deux enzymes dégradant la matrice extracellulaire. La bradykinine stimule directement ces deux activités enzymatiques dans des cellules tubulaires proximales de souris en culture prétraitées par des facteurs pro-inflammatoires (TNF-α, IFN-γ), puis exposées à la bradykinine. Mais la bradykinine n’est peut-être pas seule en jeu… L’infiltration du tissu rénal par les macrophages était en effet diminuée chez les souris B2-/-suggérant un effet positif de l’activation des récepteurs B2 sur l’attraction des macrophages. Comme souvent en biologie, les effets de la bradykinine sont donc à double tranchant, anti-fibrosants d’un côté et pro-inflammatoires de l’autre.

La calcycline est induite par l’hormone antidiurétique

L’hormone antidiurétique ou arginine-vasopressine (AVP) exerce des effets précoces (moins d’une heure) et tardifs (quatre heures) sur les transports trans-épithéliaux d’eau et d’électrolytes dans le canal collecteur du rein. Les effets précoces consistent en la translocation, du cytosol vers la membrane apicale, des canaux à eau (aquaporine 2) et des canaux à sodium sensibles à l’amiloride. Les effets tardifs sont transcriptionnels et augmentent la synthèse de ces mêmes canaux (aquaporine 2 et sous-unités β et γ du canal sodique) ou d’autres protéines telles que la Na+,K+-ATPase et la protéine CFTR (cystic fibrosis transmembrane regulator) impliquées dans les transports ioniques avec, comme conséquence, l’accroissement prolongé de la réabsorption de Na+, de Cl- et d’eau dans le canal collecteur. Cependant, la totalité des protéines induites par l’AVP n’est pas connue avec précision. Pour combler cette lacune, Courtois-Coutry et al. [8] ont analysé les transcrits de cellules épithéliales rénales, traitées ou non par l’AVP, par la technique d’hybridation soustractive. Une des séquences isolées correspond à la calcycline, protéine déjà connue de 10,5 kDa, se liant au calcium et impliquée dans l’exocytose. Elle est exprimée dans les cellules épithéliales, tout le long du canal collecteur, dans le glomérule et l’épithélium de la papille. Le traitement des cellules épithéliales RCCD1, préalablement perméabilisées de façon transitoire, par des anticorps anti-calcycline atténuent les effets tardifs du traitement par l’AVP sur les transports ioniques comme le montre la mesure du courant de court-circuit. Si ces résultats prouvent bien l’implication de la calcycline dans les transports transépithéliaux d’électrolytes dépendant de l’AVP, ils n’en dévoilent pas le mécanisme. Celui-ci peut être cherché dans l’action possible de la calcycline sur les voie de signalisation impliquant le calcium, par exemple dans l’adressage à la membrane de protéines ou l’activation de kinases sensibles au calcium.

À chacun ses mutations de Ras

On savait que les mutations de Ras observées chez l’homme dans la quasi-totalité des cancers du pancréas et dans la moitié des cancers du côlon ou de la thyroïde ne produisaient pas le même type de tumeurs chez la souris. Une publication de chercheurs américains (Duke University) [9] met à présent en exergue, dans le processus de transformation de la cellule humaine, le rôle joué par le facteur Ral-GEF (guanine nucleotide exchange factor) responsable de l’échange GDP à GTP sur la protéine Ral. L’oncogène Ras peut activer trois effecteurs : (1) la kinase Raf en amont de la voie des MAP kinases ; (2) la lipide kinase PI3K de la voie anti-apoptotique Akt ; mais aussi (3) le facteur Ral-GEF régulateur de Ral, une GTP-ase monomérique qui intervient dans le trafic vésiculaire. Les auteurs ont comparé le pouvoir de transformation induit par différents double-mutants de Ras déjà porteurs de la mutation activatrice Val 12. Il s’avère que Ras-Val12 muté dans le site de reconnaissance de Ral-GEF peut transformer différentes cellules humaines in vitro, et in vivo, mais est totalement inactif sur des cellules d’origine murine [9]. Il est donc probable que l’oncogène Ras emprunte pour son pouvoir transformant des voies d’activation qui diffèrent selon les espèces, ce qui confirme que l’extrapolation à l’homme des résultats acquis en cancérogenèse expérimentale chez l’animal est peut-être trompeuse. Cette étude place aussi sur le devant de la scène les facteurs d’échange Ral-GEF, dont le rôle dans la transformation apparaissait jusque-là mineur. La GTP-ase Ral intervenant dans le trafic intracellulaire des vésicules, plusieurs protéines cruciales pourraient voir leurs signaux d’adressage ou de régulation post-traductionnelle suffisamment perturbés pour induire, ou au moins participer, au processus de cancérisation de la cellule: le défi maintenant est de trouver lesquelles!

Enfin, un ciblage vraiment spécifique des néo-vaisseaux ?

Dans la lutte anti-cancéreuse, le ciblage de l’angiogenèse a fait l’objet de tant de publications qu’il est difficile parfois de trier le bon grain de l’ivraie. Pourtant, les travaux récents de l’équipe de David Cheresh à l’Institut sud-californien Scripps permettent d’envisager avec optimisme de pouvoir cibler spécifiquement la néo-vascularisation tumorale [10]. Les auteurs ont d’abord synthétisé une nano-particule formée d’un cation lipidique couplé à un petit ligand très spécifique de l’intégrine αvβ3 très exprimée à la surface de cellules endothéliales néo-formées. Ce vecteur ayant été couplé aux gènes rapporteurs de la GFP ou de la luciférase, il est possible de vérifier, dans le premier cas, le bon ciblage vers un nouveau système endothélial en formation et, grâce au second marqueur, l’efficacité de transduction génique du vecteur. L’équipe a ensuite effectué le couplage de ce type de vecteur lipidique avec le gène d’une forme de la protéine Raf-1 déficiente en activité kinase [11] et connue pour avoir un comportement dominant-négatif inhibiteur des voies stimulées par les facteurs de croissance VEGF ou bFGF. L’injection i.v. de ce dernier vecteur [10] chez des animaux ayant reçu une xéno-greffe de cellules de mélanome humain M21-L naturellement dépourvues d’intégrine αvβ3, a entraîné dans les 24 heures une apoptose massive des vaisseaux néo-formés, suivie, deux jours après, d’une apoptose importante des cellules tumorales situées autour des vaisseaux apoptotiques. De plus, les auteurs ont enregistré la régression totale et définitive (> 250 jours) de la tumeur primitive chez 4 des 6 souris testées, et, chez les deux autres animaux, une réduction de plus de 95 % de la masse tumorale et de moins de 75 % de la densité des vaisseaux tumoraux. Enfin, la même étude montre que ce vecteur entraîne également la régression de métastases hépatiques et pulmonaires détectées après implantation de cellules carcinomateuses du côlon CT-26 [10]. Ces résultats très encourageants apportent donc la preuve qu’un gène anti-angiogénique peut non seulement être apporté sélectivement mais aussi être activé efficacement dans les vaisseaux alimentant une tumeur primitive, voire au niveau des métastases à distance.

Un « axone » pour la migration des cellules invasives

Au stade 9 de l’ovogenèse chez la mouche du vinaigre, les cellules de la bordure migrent pour atteindre l’ovocyte. Cette invasion met en jeu la formation de longues extensions cellulaires qui ressemblent à des axones. La formation de ces extensions (dont la longueur peut atteindre 40 μm) dépend du système actine-myosine, et de l’adhérence au substrat [12]. Ces extensions pourraient servir de grappins qui s’accrochent à la cible que les cellules invasives doivent atteindre, la différence avec les axones étant que ces derniers sont stables. Il va être intéressant d’étudier si ce mécanisme existe aussi pour les cellules cancéreuses en migration.

Une GFP photo-activable

L’un des manques importants des études de dynamique cellulaire par vidéo-microscopie est maintenant comblé grâce à un nouveau variant de la green fluorescent protein (GFP), qui, à la différence de la GFP classique excitée uniquement à 488 nm, peut être activée par irradiation à 413 nm, ce qui augmente d’un facteur 100 l’intensité d’émission. Cette propriété permet de photo-activer la GFP en un endroit spécifique de la cellule et de suivre la destinée des molécules ainsi rendues fluorescentes [13]. Après photo-activation, la fluorescence de cette GFP est suivie en l’excitant à 488 nm comme pour la GFP classique. On peut ainsi suivre la diffusion de molécules à travers la membrane nucléaire ou le trafic de protéines membranaires d’un compartiment à l’autre. Dommage que l’activation nécessite une raie laser qui n’équipe pas les microscopes confocaux de base.

Voiture avec chauffeur pour les classes II des cellules dendritiques ?

Les cellules dendritiques sont les sentinelles du système immunitaire. Localisées dans de nombreux tissus y compris la peau, elles sont les premières à rencontrer des agents pathogènes. Elles ingèrent et digèrent ces corps étrangers dont elles présentent des fragments à la surface cellulaire, associés aux molécules du complexe majeur d’histocompatibilité de classes I et II (CMH I et II). Par ailleurs, le contact avec un agent pathogène induit leur maturation et leur migration vers les ganglions lymphatiques où elles activent les cellules T. Initialement, les molécules du CMH-II sont concentrées dans des lysosomes situés près du centre organisateur des microtubules. L’activation des cellules dendritiques par un agent pathogène stimule le transport de ces organites vers la surface cellulaire en quelques heures. Deux équipes, celle de H.L. Ploegh [14] et celle d’I. Mellman [15], montrent que les molécules du CMH-II sont transportées le long des microtubules par des tubules membranaires qui partent des lysosomes et fusionnent avec la membrane plasmique. Ces endosomes tubulaires se dirigent préférentiellement vers la zone de contact avec une cellule T, appelée synapse immunologique. Pour démontrer ce résultat, l’équipe de H.L. Ploegh a produit des souris dans lesquelles le gène codant pour la protéine fluorescente verte (green fluorescent protein, GFP) a été introduit par recombinaison homologue de telle manière que les molécules du CMH-II sont fluorescentes. Le système immunitaire des souris ainsi obtenues est normal. L’équipe d’I. Mellman a utilisé des rétrovirus pour transfecter le gène codant pour une forme de CMH-II étiquetée avec la GFP dans des cellules dendritiques en culture. Dans les deux cas, l’étiquetage avec la GFP a permis de suivre in vivo le trafic des CMH-II avec une excellente résolution et de voir, enfin, ce que l’on ne pouvait que soupçonner. Une nouvelle fois, l’apport de l’imagerie cellulaire se révèle crucial pour comprendre la physiologie cellulaire.

Le mécanisme d’activation biologique de la trinitrine est-il enfin élucidé ?

Depuis les travaux de F. Murad dans les années 1970 couronnés en 1998 par le prix Nobel de Médecine obtenu en association avec R. Furchgott et L. Ignarro, on admet que le mécanisme de l’effet anti-angoreux de la trinitrine (TNG) passe par la libération de NO dans les cellules musculaires lisses vasculaires, particulièrement celles des veines. Cependant, la formation de NO libre à partir de TNG n’a pas pu être démontrée jusqu’à présent dans les vaisseaux, peut-être pour des raisons techniques. L’équipe de J. Stamler (Duke University) vient d’identifier une enzyme qui pourrait être responsable de l’activation biologique de la TNG [16]. Il s’agit de l’aldéhyde déshydrogénase mitochondriale (ALDH), capable de produire stoechiométriquement un nitrite et un 1,2-dinitroglycérol (le principal métabolite de la TNG dans les vaisseaux) à partir de TNG. Cette activité réductase d’un type nouveau requiert l’utilisation d’un thiol comme co-facteur, ce qui pourrait expliquer la dépendance de l’effet vasodilatateur envers la présence de thiols libres dans le tissu. Les auteurs suggèrent que les mitochondries seraient capables de transformer le nitrite en NO. Ils apportent plusieurs arguments expérimentaux en faveur du mécanisme qu’ils proposent. Dans l’aorte isolée de lapin, l’activité de l’ALDH diminue lorsque le vaisseau est rendu tolérant à la trinitrine par exposition à celle-ci. De plus, plusieurs inhibiteurs de l’ALDH inhibent l’augmentation du GMP cyclique et le relâchement du muscle lisse dans ce vaisseau, ainsi que l’hypotension artérielle produites par la TNG. Les auteurs, soutenus par un commentaire de L. Ignarro [17], pensent avoir identifié le mécanisme enzymatique de l’activation biologique de la TNG. Outre le mécanisme de réduction du nitrite en NO, il reste à élucider pourquoi la TNG agit préférentiellement sur les veines, alors que l’ALDH est présente dans les mitochondries de nombreux tissus.

Un inhibiteur méconnu de l’angiogenèse : le PTHrP

On savait déjà que le peptide apparenté à l’hormone parathyroïdienne, ou PTHrP, était un modulateur important du métabolisme phosphocalcique dans des situations pathologiques, un acteur du développement osseux et une substance capable de contrôler le tonus vasculaire. Ce peptide exerce ses effets en se liant au récepteur PTH1 qui appartient à la grande famille des récepteurs à sept domaines transmembranaires, couplés aux protéines G, qui activent la protéine kinase A et la phospholipase C.

La production abondante de PTHrP par certaines cellules tumorales a incité une équipe californienne [18] à évaluer les effets de ce peptide sur l’angiogenèse. En combinant plusieurs modèles expérimentaux, les chercheurs mettent en évidence des propriétés anti-angiogéniques du PTHrP, propriétés qui mettent en jeu l’activité de la protéine kinase A qui, à son tour, réduit l’activité de la petite GTPase Ras. Cette cascade aboutit à bloquer la migration de cellules épithéliales et l’angiogenèse.

Cet effet du PTHrP joue probablement un rôle majeur au cours du développement osseux, comme en témoigne le phénotype des animaux qui en sont dépourvus. Quant à savoir si l’effet anti-angiogénique peut être exploité en thérapeutique anticancéreuse, la multiplicité des effets du PTHrP rend la réponse malaisée à ce jour.

L’aspirine du XXIe siècle

L’agressivité des anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) vis-à-vis de la muqueuse gastrique est un effet secondaire bien connu de ces médicaments qui agissent en inhibant les cyclo-oxygénases (Cox). C’est même ce qui a conduit à synthétiser des inhibiteurs sélectifs de la Cox-2, sensés être dénués de toxicité gastrique. Néanmoins, dans un modèle expérimental d’ulcère gastrique, les deux classes de médicaments retardent de manière équivalente la cicatrisation de cette lésion. En revanche, une troisième et plus récente classe d’AINS, qui inhibe la Cox tout en libérant du monoxyde d’azote, possède la remarquable capacité d’accélérer la cicatrisation de tels ulcères. Le mécanisme de ces effets est mieux compris depuis que des chercheurs franco-canadiens ont étudié l’angiogenèse gastrique et ses perturbations par les 3 classes d’AINS [19]. Ils montrent que le fluobiprofène, AINS « classique » et le celecoxib, inhibiteur sélectif de la Cox-2, ont des effets similaires en retardant la cicatrisation ulcéreuse et en inhibant l’angiogenèse, un phénomène lié à un déséquilibre de la balance endostatine-VEGF au profit de l’endostatine. Cet excès relatif de substances anti-angiogéniques diminue la prolifération cellulaire et accroît l’apoptose des cellules endothéliales. Rien de tout cela ne se produit avec un inhibiteur de Cox producteur de NO, le HCT-1026 qui, au contraire, maintient un rapport VEGF/endostatine favorable à l’angiogenèse, et ne retarde en rien la cicatrisation.

Nouvelles molécules, nouveaux mécanismes d’action… Ces « aspirines » du XXIe siècle n’ont pas fini de livrer leurs secrets…

Récepteurs adrénergiques : ni trop, ni trop peu

Les effets physiologiques exercés par l’activation des récepteurs adrénergiques α2A sont maintenant bien connus grâce aux études pharmacologiques et, plus récemment, aux études de transgenèse surexprimant ou invalidant ce sous-type de récepteurs. Les effets des agonistes α2A sont multiples et incluent une hypotension, une analgésie, un effet sédatif et une hypothermie.

L’équipe de L. Limbird [20] a fait une observation surprenante: chez des souris hétérozygotes pour la délétion du gène des récepteurs α2A (α2A-AR+/-), les agonistes forts α2A, tels que la dexmédétomicine, entraînent bien l’hypotension attendue, mais pas de sédation. Ces mêmes agonistes sont dépourvus de tout effet hypotenseur chez les animaux homozygotes α2A-AR-/-. Les auteurs ont alors émis l’hypothèse selon laquelle la réponse hypotensive sélective observée lors de l’activation des récepteurs α2A chez des animaux hétérozygotes, probablement liée à une diminution de la densité des récepteurs, pourrait être mimée par des agonistes partiels. Hypothèse confirmée par l’administration de moxonidine. Cet agoniste entraîne bien une hypotension chez des animaux normaux, α2A-AR+/+, mais pas sédation. La preuve que l’effet hypotenseur est bien un effet α2A réside dans l’absence complète d’effets chez des souris invalidées pour ces récepteurs. Cette démonstration est passionnante car elle illustre brillamment la passerelle entre les modèles transgéniques et la pharmacologie, ainsi que sa puissance pour disséquer les effets de nouvelles molécules. Accessoirement, elle redonne le beau rôle aux animaux hétérozygotes, souvent parents pauvres de la ménagerie génétique…

Une nouvelle approche thérapeutique potentielle en neuropsychiatrie

Le récepteur H3 a été caractérisé pharmacologiquement dans les années 1980 par Arrang et al. en tant qu’« auto-récepteur » présynaptique inhibant la libération de l’histamine cérébrale [21]. En dépit d’efforts intenses, il a fallu attendre 1999 avant que son gène ne soit cloné. A cette époque, de nombreux ligands puissants et sélectifs du récepteur H3 avaient déjà été synthétisés. Plusieurs « antagonistes », tels le ciproxifan, augmentent la libération d’histamine dans le cerveau non seulement in vitro mais aussi in vivo. Cette réponse a tout d’abord été attribuée au blocage de l’effet inhibiteur de l’histamine endogène sur l’auto-récepteur H3. Cependant, Morisset et al. montrèrent que le ciproxifan et de nombreux autres antagonistes se comportaient en fait comme des agonistes inverses du récepteur H3 et que les auto-récepteurs H3 cérébraux présentent une forte activité constitutive qui les conduit à être spontanément actifs in vivo en l’absence de toute histamine [22]. La forte libération d’histamine induite par les agonistes inverses du récepteur H3 en fait des outils de choix pour mieux comprendre les fonctions des neurones histaminergiques cérébraux. Parmi ces fonctions, les mieux étayées concernent l’éveil et les fonctions cognitives (attention, vigilance) [23]. Ces données faisaient des agonistes inverses du récepteur H3 des agents thérapeutiques potentiels pour contrebalancer les déficits cognitifs de la personne âgée ou malade (symptômes négatifs du schizophrène, Alzheimer). Très récemment, la même équipe de l’Inserm, vient de montrer un autre effet des antagonistes/agonistes inverses du récepteur H3 qui augmente encore l’intérêt de ces composés. En effet, le ciproxifan potentialise les effets neurochimiques et comportementaux d’un neuroleptique, le halopéridol. Ainsi, l’administration chez le rat de ciproxifan ne modifie pas l’expression des transcrits pour la méthionine enképhaline et la neurotensine dans le striatum, mais potentialise fortement les augmentations induites par le halopéridol. De plus, le ciproxifan n’a pas d’effets moteurs par lui-même mais potentialise fortement l’hypoactivité locomotrice et la catalepsie induites chez le rat par ce neuroleptique [24]. Ces observations suggèrent des interactions étroites entre récepteurs H3 et récepteurs D2 dans le striatum et confortent l’intérêt potentiel des antagonistes/agonistes inverses du récepteur H3 dans le traitement symptomatique de la schizophrénie.

Grâce aux claudines, les jonctions serrées filtrent les ions de façon sélective

Les mouvements de l’eau et des solutés chargés ou neutres à travers les épithéliums ont lieu par voie trans-cellulaire ou para-cellulaire. La voie para-cellulaire est celle des jonctions serrées qui réunissent les cellules épithéliales. Leur perméabilité est importante dans les épithéliums « lâches » comme ceux de l’intestin ou du tube proximal des reins, leur conférant ainsi un rôle majeur dans les transports trans-épithéliaux. À l’inverse des canaux ioniques trans-membranaires, la voie para-cellulaire fait preuve de sélectivité vis-à-vis des charges électriques plutôt que des atomes qui les portent. Les bases moléculaires de cette sélectivité des jonctions serrées vis-à-vis des ions sont encore mal connues. Colegio et al. [25] viennent de démontrer que les variations dans la sélectivité aux ions et la résistance électrique des différents épithéliums étaient déterminées par la distribution et l’abondance de petites protéines trans-membranaires, les claudines, qui possèdent deux domaines extracellulaires et une queue intracytoplasmique. L’approche expérimentale a consisté à tester la perméabilité de cellules épithéliales exprimant, de façon inductible, les claudines-4 et -15 mutées à des positions très précises. Il est apparu très clairement que la charge du résidu en position 65 de claudine-4, et celle des résidus en position 46, 64 et 55 de claudine-15 influence directement la sélectivité aux ions Ces études expliquent comment des mutations dans les molécules de claudines entraînant des changements de charge sont à l’origine de maladies. C’est le cas de la surdité autosomique récessive décrite chez des patients porteurs de mutations du gène de la claudine-14 [26]. La possibilité de manipuler par transfert génétique la charge nette des claudines et, ainsi, leur sélectivité aux substances chargées, ouvre une voie prometteuse pour favoriser le passage de médicaments ou de leurs métabolites à travers les barrières limitant le secteur plasmatique comme la barrière hémato-méningée qui protège l’encéphale.

Trisomie 21, leucémie et GATA1

Le risque 10 à 20 fois plus élevé de survenue de leucémies, en particulier mégacaryoblastiques (AMKL), chez des enfants trisomiques 21 était jusqu’à présent resté une énigme. Un groupe de chercheurs américains a identifié la présence de mutations acquises du gène GATA1 chez 6 trisomiques atteints de AMKL [27]. Le gène GATA1, porté par le chromosome X, code pour un facteur de transcription à doigt de zinc essentiel à la différenciation des lignées érythrocytaire et mégacaryocytaire. Dans certaines familles, des mutations faux sens de GATA1 sont associées à une thrombocytopénie chez les garçons qui en sont porteurs [28], par l’incapacité qu’a la protéine mutée d’interagir avec son co-facteur FOG1 (friend ofGATA1). Or les mutations trouvées chez les trisomiques agissent différemment: elles introduisent un codon stop dans le premier exon codant, avec perte d’expression de la protéine GATA1 (de 50 kDa). Toutefois, une autre protéine plus petite (40 kDa) est produite, capable d’interagir avec FOG1 et de se lier à la séquence d’ADN consensus GATA1. Chez des souris où GATA1 a été invalidé, la protéine de 40 kDa restaure l’érythropoïèse in vivo mais l’absence du domaine d’activation N-terminal (Δnt) nécessite de plus grandes quantités de cette protéine Δnt-GATA1. En l’absence de la protéine GATA1 normale et probablement en présence d’un excès de protéine(s) codée(s) par un ou des gènes portés par le chromosome 21, la protéine anormale délétée Δnt-GATA1 se comporte comme un médiateur de la transformation leucémique. Elle doit favoriser le trouble myéloprolifératif pré-existant chez les trisomiques 21, qui se traduit par un syndrome myéloprolifératif le plus souvent transitoire chez les nourrissons trisomiques 21. Il s’agirait donc une fois de plus d’un processus à plusieurs étapes, comme on le voit pour les leucémies aiguës survenant chez des patients atteints de maladie de Fanconi. On retrouve, dans les leucémies aiguës myéloblastiques, un phénomène analogue avec le gène CEBPA (CCAAT enhancer binding protein alpha): des mutations de la région 5’ ont pour conséquence une perte de la protéine normale avec expression d’une protéine plus petite qui bloque de façon dominante- négative la transactivation des gènes cibles granulocytaires [29]. Peut-être d’autres facteurs de transcription se comportent-ils de la même manière. C’est ce qu’il conviendrait de rechercher maintenant.