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La maladie d’Alzheimer et les syndromes apparentés sont devenus un problème majeur de santé publique en France ; l’objectif de cet article est de présenter les estimations les plus fiables de prévalence, incidence et durée de la démence, de proposer des projections pour un proche avenir, et de faire le point sur les pistes de prévention possibles.

Prévalence et incidence de la maladie

Estimation de la prévalence

La majorité des cas de démences se rencontre après 65 ans, et même après 75 ou 80 ans. Ce sont ces cas, nombreux, qui constituent un réel problème de santé publique : les données épidémiologiques seront donc présentées uniquement pour ces tranches d’âges.

La maladie existe pourtant avant 65, et même avant 60 ans ; si, individuellement, une maladie survenant précocement est tragique, ces démences précoces représentent en revanche une faible proportion de cas. Pour ces cas plus jeunes, les problèmes posés sont différents de ceux rencontrés pour les cas plus âgés, et nous ne disposons pas de données épidémiologiques vraiment fiables. Des estimations réalisées par le groupe Eurodem (réunissant les données de plusieurs études de cohortes européennes) en 1991 donnaient une prévalence de démence de 0,5 % chez les femmes et 1,6 % chez les hommes entre 60 et 64 ans, et de 0,1 % chez les femmes et 0,2 % chez les hommes avant 60 ans [1], soit une estimation de 32 000 personnes de moins de 65 ans présentant une démence en 2004, en France. Ces démences précoces sont le plus souvent diagnostiquées et médicalisées, même si l’on peut supposer que le délai est parfois long (ce qui n’est pas le cas des démences plus tardives), en raison de la rareté de survenue dans cette tranche d’âge. Pour ces cas précoces, le problème principal est le manque de structures adaptées pour prendre en charge ces sujets relativement jeunes.

En raison du sous-diagnostic de la maladie d’Alzheimer et des syndromes apparentés, et des difficultés du diagnostic de ces maladies en population, des données fiables concernant son épidémiologie ne peuvent être obtenues qu’à partir d’études longitudinales réalisées en population, dans lesquelles un diagnostic actif de démence est réalisé. Dans le même ordre d’idée, le diagnostic différentiel avec un état confusionnel persistant plus de deux semaines peut être difficile et nécessite un minimum de suivi des sujets. Devant les écarts entre les différentes estimations concernant la prévalence et l’incidence de cette maladie, un rapport récent de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) [2] préconisait de se fonder sur les estimations fournies par le groupe Eurodem [3]. Toutefois, le diagnostic de démence a considérablement évolué depuis quelques années, notamment en raison de la commercialisation des premiers inhibiteurs de l’acétylcholinestérase, qui a favorisé une prise de conscience vis-à-vis de cette maladie ; or, les estimations fournies par Eurodem, à partir de données transversales le plus souvent, datent pour la plupart du début des années 90, et nécessitent probablement d’être ré-actualisées. De plus, une évolution réelle de la prévalence de la démence ne peut être exclue (évolution de l’espérance de vie, meilleure prise en charge…).

Du fait de la durée et du coût des études longitudinales en population, il existe peu de publications récentes concernant la prévalence de la maladie d’Alzheimer et des syndromes apparentés. Les estimations les plus récentes ont été publiées en 2003 (pour la France) [4], 2004 (pour les États-Unis) [5] et 2005 (pour l’Italie) [6] (Tableau I) ; ces estimations montrent une grande disparité, avec des prévalences beaucoup plus faibles dans l’étude Eurodem et beaucoup plus élevées dans la Cardiovascular health study (CHS) nord-américaine. Devant la disparité de ces chiffres (les raisons citées précédemment pouvant expliquer les faibles prévalences retrouvées dans Eurodem) et la similarité des estimations retrouvées en France et en Italie, il semble raisonnable de se fonder sur les données de l’étude Paquid (Personnes âgées Quid) pour fournir des estimations françaises de prévalence et d’incidence de démence après l’âge de 75 ans ; les données pour la tranche d’âge 65-74 ans ont, quant à elles, été estimées à partir des données italiennes. Globalement, la prévalence chez les sujets de 75 ans et plus est estimée à 13,2 % pour les hommes et à 20,5 % pour les femmes dans Paquid, et à 11,7 % et 15,4 %, respectivement, dans l’étude italienne ; la prévalence globale chez les 65 ans et plus est bien sûr beaucoup plus faible, 6,1 % chez les hommes et 8,9 % chez les femmes.

Tableau I

Prévalence (%) de la maladie d’Alzheimer et des syndromes apparentés en fonction de l’âge et du sexe.

Prévalence (%) de la maladie d’Alzheimer et des syndromes apparentés en fonction de l’âge et du sexe.

CHS : Cardiovascular health study.

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En rapportant ces chiffres à la population métropolitaine française fournie par l’Insee pour 2004 [7], on peut estimer le nombre de sujets déments en France métropolitaine à 856 662 chez les personnes de 65 ans et plus (Tableau II) ; ces cas surviennent pour 72 % chez des femmes, et pour 73 % chez des personnes âgées de 80 ans et plus. L’estimation du nombre de cas de démence varie selon les études, en raison essentiellement des cas les plus difficiles à diagnostiquer, notamment au stade de début de la maladie ; il existe moins d’imprécision sur les cas à un stade plus avancé. Dans Paquid, le degré de sévérité de la démence a été évalué grâce au MMS (mini mental state) : ce test global d’évaluation des fonctions cognitives est coté de 0 à 30, les sujets ayant un score ≤ à 15 étant considérés comme ayant une démence à un stade modérément sévère ou sévère. Chez les 75 ans et plus, 43,4 % des démences sont à un stade au moins modérément sévère. En appliquant cette proportion au nombre de cas estimés de démence, on peut estimer que 332 628 personnes de 75 ans et plus présentaient une démence à un stade modérément sévère ou sévère en France en 2004. La prise en compte de ce stade de sévérité est importante : en effet, si 57 % de l’ensemble des démences présentent une dépendance pour les activités de base de la vie quotidienne (toilette, habillage, locomotion, alimentation, aller aux toilettes), cette proportion s’élève à 89 % pour les démences à un stade modérément sévère ou sévère.

Tableau II

Estimation du nombre de personnes atteintes de démence en 2004 en France métropolitaine (d’après [4, 6]).

Estimation du nombre de personnes atteintes de démence en 2004 en France métropolitaine (d’après [4, 6]).

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Estimation de l’incidence

Comme pour les données de prévalence, les estimations d’incidence sont très variables dans les données publiées (Tableau III). Devant ces différentes estimations, nous avons ré-analysé l’incidence de la démence sur les 13 années de suivi de Paquid, avec des modèles biostatistiques adaptés, permettant de prendre en compte les différents biais rencontrés dans les études de cohorte pour l’estimation de l’incidence. Les résultats sont présentés dans la Figure 1.

Tableau III

Incidence de la maladie d’Alzheimer et des syndromes apparentés en fonction de l’âge et du sexe.

Incidence de la maladie d’Alzheimer et des syndromes apparentés en fonction de l’âge et du sexe.

*Sur 10 années de suivi, données non publiées.

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Figure 1

Incidence des démences selon l’âge (données Paquid 1988-2001).

Incidence des démences selon l’âge (données Paquid 1988-2001).

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En appliquant ces données d’incidence à la population française de 2004, le nombre de nouveaux cas annuels de démences peut être estimé à 225 263, alors qu’il était estimé à 186 586 à partir des données initiales de Paquid.

Projections pour les prochaines années

Des projections sur le nombre de personnes atteintes de maladie d’Alzheimer ou d’un syndrome apparenté dans les prochaines années peuvent être réalisées en partant des projections de populations fournies par l’Insee [7]. Les scénarios démographiques de l’Insee (scénario central, scénario de fécondité haute et scénario de fécondité basse) montrent une augmentation de la population totale de la France pour les prochaines années, mais surtout une augmentation de la proportion des personnes âgées : à titre d’exemple, selon le scénario central de projection de population, la proportion de personnes de 65 ans et plus, qui était de 16,5 % en 2004, devrait passer à 21 % en 2020 et 28 % en 2040 ; pour les 75 ans et plus, les chiffres sont encore plus impressionnants, puisque ces proportions devraient passer respectivement de 8,0 % à 9,6 %, puis à 16,1 %.

Estimations

Dans l’hypothèse d’une prévalence constante de la maladie, le nombre absolu de démences augmentera dans l’avenir (Tableau IV), mais également l’âge des malades : alors que 73 % des déments avaient 80 ans ou plus en 2004, cette proportion devrait augmenter à 79,4 % en 2020, et à 83,1 % en 2040. Du fait de la nature des scénarios choisis, fondés sur une variation de la fécondité, le nombre absolu de personnes atteintes de démence ne devrait pas varier en fonction du scénario employé jusqu’en 2040. Le taux pour 1 000 habitants, en revanche, variera : de 14,5 ‰ en 2004, il devrait passer à 21,3 ‰ en 2020 et 36,3 ‰ en 2040, selon l’hypothèse de fécondité basse, et à 20,3 ‰ en 2020 et 31,9 ‰ en 2040, selon l’hypothèse de fécondité haute.

Tableau IV

Estimation* du nombre de personnes atteintes de démence en France métropolitaine en 2020 et en 2040.

Estimation* du nombre de personnes atteintes de démence en France métropolitaine en 2020 et en 2040.

*Dans l’hypothèse d’une prévalence constante de la démence.

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Sous l’hypothèse d’une répartition constante de la sévérité des démences, les estimations pour les démences à un stade modérément sévère ou sévère chez les 75 ans et plus seraient de 500 330 cas en 2020 et 877 910 (soit plus que le nombre de démences actuelles) en 2040.

Remarques

Tout d’abord, proposer des estimations jusqu’en 2040 est un exercice délicat. On peut en effet espérer que, d’ici 2040, des progrès auront été réalisés et un traitement curatif efficace mis au point. Si tel est le cas, ces estimations seront totalement dépassées. Les récents essais concernant le « vaccin », bien qu’interrompus en raison d’effets secondaires importants, ont fait naître des espoirs dans ce sens [10].

Par ailleurs, les estimations précédentes ont été réalisées dans l’hypothèse d’une prévalence constante de la maladie, alors qu’il est difficile de savoir si, même en l’absence de thérapeutiques innovantes, la prévalence sera constante sur les prochaines années. Dans l’étude Paquid, à âge égal, la prévalence est plus élevée 10 ans après le début de l’étude (1998-99) qu’à la phase d’inclusion (1988-89) [11]. Bien qu’il s’agisse d’une évolution au sein de la même étude de recherche, nous ne pouvons exclure que cette augmentation de prévalence soit en partie expliquée par une meilleure sensibilisation au diagnostic de démence. De plus, les estimations de prévalence réalisées en 1998-99, après 10 ans de suivi des performances cognitives des personnes, reposent sur un diagnostic probablement plus précis qu’à l’inclusion. Néanmoins, les récentes données d’incidence obtenues dans une cohorte italienne présentent des chiffres d’incidence, obtenus entre 1999 et 2004, bien plus élevés que ceux publiés jusqu’à maintenant [9] : ces chiffres pourraient refléter une augmentation réelle de l’incidence des démences.

Plusieurs hypothèses peuvent être formulées concernant l’évolution de l’incidence, et donc de la prévalence des démences : il est possible qu’une meilleure prise en charge des autres pathologies, et notamment des maladies cardiovasculaires, entraîne, pour un âge donné, une augmentation de prévalence des démences. Un des facteurs de risque intervenant dans la maladie d’Alzheimer est un variant allélique (ε4) du gène codant pour l’apolipoprotéine E, impliquée dans le transport des lipides : les personnes présentant un ou deux allèles ε4 sont plus à risque de développer la maladie que celles ayant la forme allélique ε2 [13]. Ce gène est également un facteur de risque de maladie cardiovasculaire [14]. Or, les progrès de la chirurgie cardiaque (pontage, dilatation) réalisés ces dernières années devrait permettre la survie de patients qui, en raison de certains facteurs de risque communs aux deux maladies, sont probablement plus à risque de développer une démence dans l’avenir. Le même raisonnement peut être appliqué à d’autres facteurs de risque potentiels, comme les facteurs de risque vasculaires, notamment, et pourrait aussi se vérifier pour d’autres maladies, comme le cancer.

D’un autre côté, on peut supposer que, grâce à une évolution du mode de vie (meilleure prise en charge de l’état de santé, meilleur contrôle des facteurs de risque, meilleure hygiène de vie), l’âge de début de maladie soit, à l’avenir, plus tardif, ce qui s’accompagnerait d’une diminution de la prévalence. En 1998, des estimations sur la population américaine ont été effectuées, montrant que si l’âge de début de maladie reculait de 1 an, la prévalence diminuerait de 7,3 % au bout de 10 ans, et de 8,9 % au bout de 50 ans [12]. De plus, outre l’incidence et l’âge de début de maladie, la durée de la maladie doit également être prise en compte pour prédire la prévalence : si l’on s’occupe mieux des malades, cette durée pourrait augmenter dans les années futures. Néanmoins, la prise en charge doit avoir pour objectif d’augmenter la durée à la phase précoce de la maladie, avant l’apparition des complications.

En raison de la difficulté d’élaborer des hypothèses réalistes dans le sens d’une augmentation ou au contraire d’une diminution de prévalence, il est raisonnable de considérer une fourchette de ± 10 % de variation de prévalence dans laquelle celle-ci a de grandes chances de se situer dans les prochaines années (en l’absence, bien sûr, de la mise au point d’un traitement curatif). Le Tableau V propose les bornes inférieure et supérieure du nombre estimé de personnes atteintes de démences, pour 2020 et pour 2040, ainsi que les taux pour 1 000 habitants.

Tableau V

Estimation des bornes inférieure et supérieure du nombre de cas de démences (n) et de leur taux (pour 1 000 habitants) en 2020 et en 2040.

Estimation des bornes inférieure et supérieure du nombre de cas de démences (n) et de leur taux (pour 1 000 habitants) en 2020 et en 2040.

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Durée de la maladie

La majorité des études s’accordent sur le fait que la démence diminue l’espérance de vie [15-17]. Néanmoins, les données de la littérature concernant la durée de survie des sujets déments sont très variables : ces durées de vie moyennes, obtenues souvent à partir d’échantillons très sélectionnés, suivis dans des centres spécialisés, sont fréquemment surestimées, mettant en évidence des durées de survie pouvant aller de 5 à 10 ans. Pour évaluer correctement cette durée, il est nécessaire de se fonder sur des études en population : dans la Canadian study of aging, la médiane de survie a été estimée à 3,3 ans (2,7-4,0) [15-17]. Toutefois, la durée de vie des personnes démentes varie bien sûr en fonction de l’âge : une telle valeur a été estimée à partir des 13 années de suivi de Paquid, et comparée aux données publiées aux États-Unis [18] (Tableau VI) : les résultats sont très proches, avec des espérances de vie supérieures chez les femmes, mais nettement plus faibles que celles de la population générale française. Cependant, du fait de l’évolution du diagnostic et de la considération apportée à cette maladie, il est impossible aujourd’hui d’indiquer, de façon fiable, si la survie des personnes démentes a augmenté ou non au cours des dernières années.

Tableau VI

Espérance de vie selon l’âge chez les sujets déments et en population générale.

Espérance de vie selon l’âge chez les sujets déments et en population générale.

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Pistes de prévention

De nombreux facteurs de risque ont été incriminés dans la survenue de la maladie d’Alzheimer. Parmi les principaux, l’âge, l’allèle ε4 de l'apolipoprotéine E et le sexe ne sont bien évidemment pas accessibles à la prévention. D’autres facteurs potentiels ont également été évoqués, et des pistes de prévention, passant par le contrôle de ces facteurs de risque, peuvent être envisagées. Il ne s’agit toutefois que de pistes qui ne sont pas encore confirmées. Néanmoins, pour la plupart d’entre elles, les recommandations qui peuvent être faites devraient aussi entraîner un bénéfice pour d’autres pathologies, et participer à une meilleure qualité de vie des personnes âgées.

Facteurs de risque vasculaires

Plusieurs facteurs de risque vasculaires, notamment à l’âge moyen de la vie, pourraient être des facteurs de risque de démence, notamment de maladie d’Alzheimer : hypertension artérielle [19-21], diabète [22-24], hypercholestérolémie [21], tabagisme [25-27], alcoolisme chronique [25], surpoids [28], accidents vasculaires cérébraux (AVC) [29-35], fibrillation auriculaire [36], athérosclérose [37] ou, encore, hyperhomocystéinémie [38, 39]… Des études d’observation ont montré que les patients hypertendus traités semblaient avoir moins de risque de démence que les hypertendus non traités [20, 40-43], de même que les patients hypercholestérolémiques traités semblaient avoir moins de risque de démence que les hypercholestérolémiques non traités [44-46]. Cependant, seul le traitement de l’hypertension a confirmé une efficacité sur la prévention de la démence dans des études prospectives randomisées (études Syst-Eur [47, 48] et Progress [49]).

Par ailleurs, si les AVC sont un facteur de risque de démence, la démence est en retour un facteur de risque d’AVC [50-52] ; l’incidence des AVC et celle de la démence sont ainsi liées chez les personnes de plus de 85 ans [53]. Une démence préexistant à un AVC (retrouvée chez environ 15 % des patients de plus de 40 ans hospitalisés pour un AVC [54-57]) est associée à un risque de confusion mentale [58], de symptômes dépressifs [59], d’épilepsie tardive (au-delà de 3 mois) [60], d’un pronostic fonctionnel moins bon [61], de récidive [62] et de mortalité à 3 ans (indépendamment du risque de récidive) [63]. Or la démence, qui est le plus souvent de nature dégénérative, de type maladie d’Alzheimer [64, 65], n’est pas diagnostiquée dans la plupart des cas au moment de l’AVC, et la prévention des complications secondaires n’est pas mise en place.

On ne connaît pas l’influence de la démence sur la tolérance aux traitements de la phase aiguë de l’AVC (thrombolyse, agents antiplaquettaires) ou de sa prévention secondaire (agents antiplaquettaires, chirurgie carotidienne). Certaines indications tendent à montrer que le contrôle des facteurs de risque vasculaires (comme la fibrillation auriculaire [66] ou l’hypercholestérolémie [67]) aurait un effet bénéfique sur la cognition.

À lésions « Alzheimer » (plaques amyloïdes, dégénérescences neurofibrillaires) équivalentes dans le cerveau, la démence est plus sévère, ou s’exprime plus vite, chez les patients ayant également des lésions lacunaires (de nature vasculaire) dans le cerveau, même s’ils n’ont jamais présenté d’AVC [68, 69]. Chez les sujets âgés, les lésions dues à la maladie d’Alzheimer sont rarement isolées, des lésions vasculaires étant associées de façon significative chez au moins un tiers des patients [70-72].

Chez les patients atteints de maladie d’Alzheimer avérée, si la présence de petites lésions vasculaires ne semble pas influencer le déclin cognitif [73-75], elle est associée à des troubles moteurs (de type parkinsonien) et de la marche [76, 77], des symptômes psychologiques et comportementaux (dont des symptômes dépressifs) [78], et une dysautonomie cardiovasculaire (hypotension orthostatique, hypersensibilité vagale) [79].

Autres facteurs

Les facteurs favorisant le maintien d’activités cognitives stimulantes sont probablement une autre voie d’action préventive possible : les personnes ayant un haut niveau d’éducation, de même que celles pratiquant certaines activités de loisirs développeraient en effet la maladie plus tardivement [80, 81]. La promotion d’une vie active et de la pratique d’activités après la retraite pourrait ainsi aider à retarder l’apparition d’une démence.

De même, l’environnement social des personnes âgées semble très important, et les personnes célibataires, ou ayant un faible entourage social, semblent plus à risque de développer une démence [8, 82] ; là encore, il semble nécessaire de favoriser les contacts sociaux chez les personnes âgées. La dépression pourrait aussi être un facteur favorisant la survenue d’une démence [83], et une prise en charge adaptée de la dépression, souvent négligée chez les personnes âgées, pourrait être bénéfique.

L’alimentation pourrait aussi jouer un rôle. Une consommation modérée de vin, une consommation régulière de poisson, et une consommation suffisante de fruits et de légumes pourraient être associées à un risque moindre de développer la maladie [84-86] : plusieurs mécanismes sous-jacents, passant par des effets anti-oxydants, vasculaires ou anti-inflammatoires ont été proposés. Les bénéfices observés ne sont peut-être pas uniquement dus à l’alimentation, mais également à tout ce qui accompagne les repas : choix des aliments, environnement et convivialité des repas. Les recommandations faites dans le cadre du Programme national nutrition santé (PNNS) semblent adaptées également pour la prévention du risque de démence [87].

Enfin, trois études récentes ont mis en évidence que la pratique de la marche ou du sport pourrait être associée à un risque moindre de développer une démence [88-90]. L’activité physique pourrait en effet jouer un rôle par différents mécanismes ; quel que soit le mécanisme impliqué (que l’activité physique agisse directement ou en favorisant les contacts sociaux entre les personnes), de tels résultats devraient inciter à conseiller aux personnes âgées la pratique d’une ou plusieurs activités physiques adaptées à leur âge.

Essais thérapeutiques de prévention

Outre ces pistes de prévention visant à mieux prendre en charge des facteurs de risque ou à inciter à la pratique d’activités préventives, un effet préventif de certains traitements a été évoqué. Pour l’instant, aucun essai thérapeutique n’a pu confirmer l’efficacité réelle d’un traitement préventif, hormis le traitement de l’hypertension artérielle, mais toutes les conditions n’étaient pas réunies pour apporter une réponse définitive.

Hypolipémiants

In vitro, le cholestérol favorise la formation de peptide β-amyloïde [91, 92] et accélère le développement de la pathologie amyloïde chez l’animal transgénique [93, 94] ; une étude autopsique a aussi montré un lien entre hypercholestérolémie, dépôts amyloïdes et dégénérescence neurofibrillaire [95]. De plus, l’hypercholestérolémie est associée à une augmentation de l’activation de la microglie et à une infiltration leucocytaire, comme on peut l’observer dans les plaques amyloïdes. Cette activation microgliale contribuerait à la neurodégénérescence via la production de cytokines et de radicaux libres [96]. Les statines réduisent le niveau intracellulaire de cholestérol et ont un effet inhibiteur sur la production de bêta-amyloïde dans les cultures cellulaires [97, 98] ; elles ont également des effets pléiotropes qui pourraient ralentir la progression de la maladie [99]. Si certaines études d’observation ont montré un effet bénéfique des statines sur le déclin cognitif [44-46], deux essais thérapeutiques n’ont pu confirmer leur efficacité pour la prévention des démences [100, 101] : ces essais n’ont pas mis en évidence d’effet statistiquement significatif sur la cognition, que ce soit avec la pravastatine ou avec la simvastatine [100, 101]. Toutefois, la cognition était analysée comme critère secondaire dans ces essais.

Oestrogènes

Les données épidémiologiques montrent que les femmes ont un risque plus élevé de maladie d’Alzheimer que les hommes après l’âge de 80 ou 85 ans ; la diminution post-ménopausique des oestrogènes endogènes pourrait en partie expliquer ce risque. Les oestrogènes exerceraient des effets neuroprotecteurs sur le cerveau âgé, notamment via l’inhibition de la formation de peptides bêta-amyloïde [102], la stimulation de l’activité cholinergique et la diminution des lésions cellulaires liées au stress oxydatif [103]. Plusieurs études ont exploré le rôle du traitement hormonal substitutif (THS) sur le risque de maladie d’Alzheimer chez les femmes âgées ; les résultats sont mitigés : une méta-analyse incluant 10 études d’observation, dont 8 études cas-témoins et 2 études prospectives, a montré que le risque de maladie d’Alzheimer chez les femmes ménopausées ayant été traitées par oestrogènes était réduit de 29 % par rapport aux femmes qui n’avaient jamais reçu d’oestrogènes [104]. Cependant, dans ces études, les femmes sous THS pourraient avoir un niveau d’éducation, un statut économique et un accès aux soins médicaux meilleurs que les autres femmes. L’étude prospective Cache study montre que le THS est surtout utile au moment de la ménopause, au moment où la déplétion en oestrogènes pourrait avoir les conséquences les plus importantes sur les neurones [105]. Deux autres études vont dans ce même sens d’un rôle neuroprotecteur d’autant plus efficace que le traitement est appliqué longtemps avant l’apparition des signes cliniques de maladie d’Alzheimer [106, 107] ; les oestrogènes ne se montrent d’ailleurs pas efficaces lorsque la maladie est installée [108-110].

L’essai négatif de la Women’s health initiative memory study (WHIMS) [111, 112], réalisée avec des oestrogènes équins non utilisés en France, n’est pas complètement concluant dans la mesure où les femmes ont été traitées à l’âge de 65 et plus, alors que c’est au moment de la ménopause (chute brutale en oestrogènes) que le traitement serait le plus pertinent [113] ; cette étude ne devrait pas mettre un frein à l’exploration de cette voie thérapeutique [114]. Il est également possible que le polymorphisme génétique entraîne une variation des effets des oestrogènes selon les femmes [115] : il a notamment été montré que les traitements par oestrogènes avaient un effet différent sur la cognition des femmes selon qu’elles étaient ou non porteuses d’un allèle ε4 de l’apolipoprotéine E [18, 116].

La génétique, outre son intérêt en recherche fondamentale, aurait donc un intérêt clinique non seulement diagnostique, mais aussi, peut-être, dans la détermination des traitements ou des associations de traitements de prévention les plus favorables, à l’échelon individuel ou à celui d’une population.

À juste titre, le rapport d’orientation réalisé par l’Anaes (Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé) sur ce sujet ne recommande pas, à l'heure actuelle, la prise d’un traitement hormonal substitutif pour la prévention des démences.

Anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS)

Les essais de traitement par les AINS, reposant sur l’observation que les sujets ayant reçu des anti-inflammatoires au long cours avaient moins de risque de démence que les sujets n’en ayant pas reçu, n’ont pas confirmé l’efficacité des AINS ; par ailleurs, un essai sur le sujet (Alzheimer’s disease anti-inflammatory prevention trial, Adapt) a été interrompu, en raison d’une augmentation des effets secondaires cardiovasculaires dans le groupe des sujets traités.

Conclusions

La maladie d’Alzheimer et les syndromes apparentés concernent donc aujourd’hui un peu plus de 855 000 personnes en France métropolitaine, avec chaque année plus de 225 000 nouveaux cas ; si les choses n’évoluent pas, près de 1 300 000 personnes devraient être atteintes en 2020. Les études de cohorte sont indispensables pour suivre l’évolution de cette maladie. Les personnes participant à la cohorte Paquid ont maintenant vieilli (elles ont aujourd’hui 82 ans et plus), ce qui rendra impossible le suivi de cette maladie chez les plus jeunes dans les années à venir. Dans un proche avenir, la cohorte des 3 Cités [117], même si elle n’est pas représentative de la population des personnes âgées, devrait pouvoir fournir des indications, notamment sur l’adéquation entre l’allocation personnalisée d’autonomie (APA) et la démence. Néanmoins, il semble nécessaire de se donner les moyens de surveiller cette maladie à plus long terme, en mettant en place et en suivant des cohortes de grande envergure, représentatives de la population des personnes âgées. Idéalement, afin d’assurer une meilleure représentativité et un meilleur suivi, ces cohortes pourraient être développées à partir des données de l’Assurance maladie. Enfin, afin de tester l’efficacité de stratégies préventives, la mise en place d’essais d’intervention de grande taille, associant des actions sur plusieurs facteurs de risque, semble nécessaire.