ÉditorialEditorial

Remettre un peu d’ordre physico-chimique dans l’exubérance fonctionnelle du vivantSome chemicophysical order in living functional exuberance[Record]

  • Michel Morange

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  • Michel Morange
    Cnrs UMR 8544, École Normale Supérieure,
    46, rue d’Ulm, 75230 Paris Cedex 05, France.
    morange@wotan.ens.fr

L’annotation des génomes, notamment sa deuxième étape qui est l’attribution de fonction(s) aux protéines identifiées dans la première étape est, selon les auteurs d’une revue publiée l’année dernière dans médecine/sciences, le « goulet d’étranglement » de la génomique [1]. La difficulté vient en premier lieu de l’existence de protéines qui « travaillent au noir », c’est-à-dire qui ont plusieurs actions, parfois totalement différentes [2]. Elle vient aussi de la difficulté qu’il y a à attribuer une fonction précise à des protéines appartenant à des voies et des réseaux de régulation, recrutées de multiples fois au cours de l’évolution pour des objectifs différents. Quelle fonction donner par exemple à la protéine Notch? On peut, comme le fait le Gene consortium, décomposer le problème. Dans un premier temps, on décrira l’action de cette protéine à l’echelle moléculaire en tant que récepteur membranaire. Quant aux fonctions de Notch dans le développement de l’organisme et sa physiologie à l’état adulte, elles sont trop nombreuses et diverses pour être résumées en une seule phrase. Ce numéro de médecine/ sciences offre, avec les protéines kinases CK2 [4] et FAK [5], deux autres excellents exemples de protéines essentielles, mais dont la (ou les) fonction(s) dans l’organisme reste(nt) difficile(s) à cerner. Mon objectif n’est pas de discuter la notion de fonction et la place particulière qu’elle occupe en biologie [6]. Plus simplement, j’essaierai de « traiter » la difficulté que représente cette exubérance fonctionnelle. Le vocabulaire utilisé par les biologistes en témoigne. L’expression « jouer des rôles » [7] aremplace ainsi de plus en plus, celle d’« avoir une fonction ». Elle a l’avantage de mieux rendre compte des faits: une protéine participe à la réalisation de nombreux processus; comme au théâtre, l’importance de ces rôles peut être très variable; comme au théâtre aussi, un rôle mineur peut néanmoins être indispensable à la progression de l’intrigue. Comme cela a déjà été analysé dans ces colonnes par Henri Atlan [8], lorsque les biologistes ont décrit, à partir de la fin des années 1970, cette « insoutenable complexité » de l’être (moléculaire), ils ont, à la suite de François Jacob, fait appel aux concepts de « bricolage » [9], de recrutement et de recyclage. La nature, économe de ses moyens, aurait utilisé au cours de l’évolution les mêmes pièces en les assemblant de manière différente pour inventer de nouveaux dispositifs structuraux ou fonctionnels chez les êtres vivants. Une deuxième manière de voir les choses, un regard autre plus qu’une théorie concurrente, est de considérer que l’évolution de la vie s’est accompagnée d’une complexification, et que celle-ci a essentiellement consisté en l’établissement de relations de plus en plus nombreuses entre les constituants élémentaires du vivant: la multifonctionnalité des protéines en est une des composantes. L’objectif actuel de bien des biologistes est de faire le tour de cette complexité et d’essayer de décrire aussi précisément que possible ces multiples interconnexions. C’est ce que proposent les techniques de post-génomique, avec la mise en évidence des réseaux de régulation grâce à l’étude du transcriptome, ou celle des interactions protéine-protéine par l’application systématique de la technique du double hybride. À l’opposé, une part importante du travail des biologistes consiste aussi à expliquer en quoi les cas de recyclage et de multifonctionnalité qu’ils ont sous les yeux, dans les systèmes particuliers qu’ils étudient, sont bénéfiques aux cellules et aux organismes. Les résultats sont-ils satisfaisants? En l’absence d’une quantification des interactions moléculaires souvent hors de portée, les diagrammes qu’élaborent les post-génomistes rappellent trop les figures que les spécialistes des sciences humaines, notamment français, traçaient à la craie dans les années 1960 sur les tableaux noirs, mêlant …

Appendices