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Chez l’adulte, le bulbe olfactif est une des rares structures nerveuses soumises au renouvellement permanent d’une catégorie de ses constituants cellulaires: les interneurones. Jusqu’à récemment, on pensait que les étapes cellulaires et moléculaires qui participent au renouvellement des neurones adultes récapitulaient les processus embryonnaires. Dans cette revue, nous distinguerons les processus qui participent à la construction du cerveau (neurogenèse primaire) de ceux qui opèrent dans le cerveau mature (neurogenèse secondaire).
Les neurogenèses primaire et secondaire
La production de cellules neurales (neurones et cellules gliales) au cours de la vie foetale constitue une étape primordiale dans la formation du système nerveux central. Une fois produite, la grande majorité des cellules quitte les régions neurogéniques en migrant le long de voies déterminées pour atteindre leurs localisations définitives. La migration des différents types cellulaires, très précisément orchestrée dans le temps et dans l’espace, constitue un processus fondamental pour l’assemblage de réseaux neuronaux et le fonctionnement normal du cerveau adulte.
Les comportements migratoires observés au cours du développement ont été classés selon l’orientation du déplacement par rapport à la surface du cerveau, radiale ou tangentielle [1]. Alors que le mode radial se caractérise par un mouvement cellulaire originaire du télencéphale dorsal et perpendiculaire à la surface du tissu cérébral, les déplacements tangentiels sont quant à eux parallèles à cette surface, et issus du télencéphale ventral [2]. La formation d’un cerveau fonctionnel adulte, où se succèdent et se croisent de nombreuses voies de migration, repose donc sur des processus très complexes.
Si le cerveau est soumis à d’importants remaniements au cours de son élaboration, il n’en reste pas moins extrêmement « plastique » après sa maturation. En 1969, Altman fut le premier à démontrer la capacité du cerveau adulte de mammifères de produire de nouvelles cellules [3]. Depuis, l’existence d’une neurogenèse adulte fut observée chez de nombreuses espèces, homme compris [4]. Le renouvellement neuronal chez l’adulte suppose que de nouvelles cellules sont produites à partir d’une zone germinative, puis acheminées et induites à se différencier en véritables neurones. La zone neurogénique la plus importante chez l’adulte, la ZSV (zone sous-ventriculaire), se situe au coeur du cerveau [5]. Les précurseurs des neurones produits dans cette région se déplacent tangentiellement vers le bulbe olfactif, où ils se différencient en interneurones. Des cellules souches sont aussi localisées dans d’autres structures cérébrales, comme l’hippocampe [6].
L’existence d’une neurogenèse permanente au sein de structures associées à des processus d’apprentissage et de mémorisation (hippocampe et bulbe olfactif) leur confère un rôle potentiellement important. Si différentes études anatomiques ont montré la capacité des nouveaux neurones issus de la ZSV adulte d’intégrer les circuits bulbaires, ce n’est que très récemment que la démonstration de leur fonctionnalité a été apportée. A cet égard, plusieurs travaux dont l’objectif était d’analyser les capacités mnésiques de souris présentant une neurogenèse bulbaire réduite (souris déficientes en N-CAM, neural cell-adhesion molecule) ou accrue (souris élevées dans un environnement enrichi), ont suggéré un lien possible entre neurogenèse et performances olfactives [4].
Malgré cet intérêt nouveau pour l’étude des conséquences fonctionnelles de la neurogenèse secondaire, beaucoup de questions restent encore en suspens. Notamment, comment l’intégration de nouveaux neurones dans un réseau mature peut-elle s’opérer sans altérer la stabilité des circuits préexistants et le maintien des fonctions opérées par ces mêmes réseaux? La conservation chez l’adulte de processus responsables, chez l’embryon, de la mise en place de ces structures, reste une des hypothèses les plus communément admises.
La neurogenèse adulte récapitule-t-elle l’embryogenèse?
Les neurogenèses primaire et secondaire dépendent de processus variés comme la prolifération, la migration, la différenciation et la mort cellulaire. Peut-on affirmer pour autant que l’ensemble des mécanismes qui ont lieu chez l’embryon et l’adulte soient identiques? Du fait de leur apport permanent en neurones, le système olfactif et l’hippocampe sont des modèles adaptés pour tenter de répondre à cette question. Au sein du bulbe olfactif, les diverses populations neuronales se mettent en place à des stades de développement différents et sont originaires de zones germinatives distinctes [7]. Les neurones de projection du bulbe olfactif émanent de précurseurs produits aux stades embryonnaires précoces dans la zone ventriculaire télencéphalique. La genèse des interneurones bulbaires se poursuit quant à elle sur une période beaucoup plus longue, qui débute plus tard chez l’embryon et ne cesse qu’avec la mort de l’animal. Plusieurs travaux ont montré que certaines cellules dérivées des ZSV de régions sous-corticales embryonnaires (septum, éminences ganglionnaires latérale et médiane) se déplacent rostralement vers le bulbe olfactif pour se différencier en interneurones [8]. Après la naissance, ces cellules restent exclusivement issues de la ZSV antérieure [5, 9] ((→) m/s 2002, n° 4, p. 408).
De nombreux facteurs de transcription et signaux extracellulaires interagissent afin de contrôler les différentes étapes qui accompagnent la naissance, la maturation et l’intégration fonctionnelle du futur neurone. Dans la mesure où ces facteurs intrinsèques et extrinsèques diffèrent d’une zone germinative à l’autre, nous proposons que les mécanismes impliqués dans la neurogenèse des interneurones bulbaires puissent changer selon le stade étudié (embryonnaire ou adulte). En accord avec cette hypothèse, nous venons de montrer que chez l’adulte, la faculté de produire de nouveaux neurones relève de mécanismes uniques, adaptés au cerveau mature [10]. Pour la première fois, nous avons décrit comment un précurseur neural acquiert progressivement les propriétés fonctionnelles d’un véritable neurone. La séquence d’apparition des récepteurs synaptiques, détaillée dans la Figure 1, se distingue nettement de celle que l’on observe au cours du développement. Fait notable, ces neurones reçoivent leurs premiers contacts synaptiques durant leur migration alors qu’ils ne sont pas encore capables de produire des potentiels d’action. En fait, les néo-neurones qui sont produits dans le cerveau adulte ne deviennent excitables qu’après avoir accompli leur migration et s’être insérés dans le réseau bulbaire. Cette observation suggère que les règles qui gouvernent l’incorporation de nouveaux neurones diffèrent chez l’adulte et l’embryon. L’acquisition précoce de synapses fonctionnelles durant la migration neuronale et le retard de l’apparition de l’excitabilité offrent la possibilité aux cellules migrantes de répondre aux sollicitations des neurones préexistants et de s’intégrer dans des réseaux matures sans perturber leur fonctionnement, ni les processus cognitifs qui leur sont associés.
Nous proposons qu’au cours du développement, l’activité électrique puisse jouer un rôle instructif. Elle permettrait de préciser les connexions qui ont préalablement été établies indépendamment de cette même activité. En revanche, chez l’adulte, elle jouerait un rôle plutôt informatif en contrôlant le lieu d’insertion, le destin et la survie des néo-neurones. Cette distinction entre les processus qui contrôlent la neurogenèse primaire et secondaire indique que les cellules issues des différentes vagues neurogéniques (embryonnaire, postnatale ou adulte) puissent exercer des fonctions distinctes.
L’importance de la neurogenèse primaire dans la formation des circuits sensoriels et l’établissement d’une balance fonctionnelle entre excitation et inhibition est évidente. Il est par contre plus difficile d’appréhender les conséquences fonctionnelles de la dynamique neuronale qui s’opère chez l’adulte. La neurogenèse secondaire semble contribuer à l’ajustement progressif, et à long terme, du cerveau mature. La découverte récente d’une origine embryonnaire des interneurones bulbaires soulève de nombreuses questions, notamment celle de la contribution réelle des différentes phases de neurogenèse (embryonnaire, postnatale ou adulte) au développement et au fonctionnement normal du bulbe olfactif adulte. Dans quelle mesure pouvons-nous distinguer, comparer ou regrouper la production neuronale chez l’embryon et celle de l’adulte? Comment une cellule nerveuse émergeant chez l’adulte migre-t-elle pour trouver sa cible? Comment choisit-elle son devenir cellulaire? Autant d’interrogations auxquelles nombre de chercheurs tentent aujourd’hui de répondre.
Appendices
Références
- 1. Hatten M. Central nervous system neuronal migration. Annu Rev Neurosci 1999; 22: 511-39.
- 2. Marin O, Rubenstein JL. A long, remarkable journey: tangential migration in the telencephalon. Nat Rev Neurosci 2001; 2: 780-90.
- 3. Altman J. Autoradiographic and histological studies of postnatal neurogenesis. IV. Cell proliferation and migration in the anterior forebrain, with special reference to persisting neurogenesis in the olfactory bulb. J Comp Neurol 1969; 137: 433-57.
- 4. Gheusi G, Rochefort C. Neurogenesis in the adult brain. Functional consequences. J Soc Biol 2002; 196: 67-76.
- 5. Alvarez-Buylla A, Garcia-Verdugo JM. Neurogenesis in adult subventricular zone. J Neurosci 2002; 22: 629-34.
- 6. Gage FH. Neurogenesis in the adult brain. J Neurosci 2002; 22: 612-3.
- 7. Farbman AI. Developement and plasticity. In: Barlow PW, Bray D, Green PB, Slack JMW, eds. Cell biology of olfaction. New York: Cambridge University Press, 1992 : 167-206.
- 8. Long E, Garel S, Depew MJ, Tobet S, Rubenstein LR. DLX5 regulates development of peripheral and central components of the olfactory system. J Neurosci 2003; 23: 568-78.
- 9. Goldman SA, Luskin MB. Strategies utilized by migrating neurons of the postnatal vertebrate forebrain. Trends Neurosci 1998; 21: 107-14.
- 10. Carleton A, Petreanu LT, Lansford R, Alvarez-Buylla A, Lledo PM. Becoming a new neuron in the adult olfactory bulb. Nat Neurosci 2003; 6: 507-18.