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La leucémie myéloïde chronique (LMC) est une affection maligne clonale de la cellule souche hématopoïétique caractérisée cliniquement par une évolution inéluctable vers une phase de leucémie aiguë, et biologiquement par la présence de l’oncogène BCR-ABL dans toutes les cellules leucémiques. Au cours de la phase aiguë (blastique) de la maladie, l’expression de BCR-ABL dans les cellules leucémiques augmente progressivement, cause probable d’événements génétiques secondaires responsables d’une instabilité génétique qui pourrait être à l’origine de la chimiorésistance observée au cours de cette phase. Le traitement de la LMC a changé de manière progressive au cours des deux dernières décennies, les approches de greffe laissant la place à une thérapie ciblée, conçue grâce aux résultats de la recherche effectuée sur les voies de signalisation activées par l’oncogène BCR-ABL, et à la disponibilité des modèles expérimentaux. En effet, la greffe de moelle allogénique, applicable à une minorité des patients, a la première permis d’obtenir des rémissions à long-terme et des guérisons. Deux étapes majeures marquent l’évolution de l’approche médicamenteuse: l’introduction de l’interféron α (IFN-α) ((→) m/s 1991, n° 5, p. 453) et celle, récente, de l’imatinib mésylate. Les résultats prometteurs obtenus avec l’IFN-α ont été considérablement améliorés, notamment en ce qui concerne la survie, par son association avec l’aracytine (ARA-C) [1]. Cette association était considérée jusqu’à une date très récente comme le traitement standard de la LMC, et entraîne des réponses cytogénétiques complètes [absence de détection de la translocation t(9; 22)] dans 30 % des cas environ, dont certaines se traduisant en des réponses moléculaires complètes. Chez les patients résistant à l’IFN, ou chez lesquels on notait une rechute, les options thérapeutiques étaient limitées, toxiques et peu efficaces.

En 1996, un inhibiteur des molécules à activité tyrosine kinase (TK) a été identifié, conduisant à la synthèse d’une molécule inhibant l’activité TK induite par le PDGF (platelet-derived growth factor) mais aussi celle de v-abl et de BCR-ABL ((→) m/s 2001, n° 8-9, p. 952). Cette molécule, un dérivé de la 2-aminopyrimidine, agit au niveau de la poche à ATP de la portion ABL de BCR-ABL de manière sélective alors qu’elle n’a aucun effet inhibiteur sur l’activité TK d’autres récepteurs comme le VEGF-R et EGF-R. Cette sélectivité a conduit rapidement à l’introduction de cet inhibiteur (initialement appelé CGP57148, STI571 puis l’imatinib mésylate) en clinique, et depuis 1998, plusieurs milliers de patients atteints de LMC ont été traités avec cette molécule. Ainsi, l’imatinib mésylate (IM) a montré une efficacité majeure chez les patients résistant à l’IFN et chez les patients dont la maladie était en phase aiguë ou blastique. De même, le médicament est actif chez les patients présentant une leucémie aiguë lymphoblastique et porteurs de la translocation t(9; 22) ou chromosome Ph1, avec une proportion de réponses hématologiques majeures, approchant 50 %. Cependant, ces réponses ne sont pas durables et les rechutes surviennent alors que les patients sont sous traitement par l’imatinib. De même, des résistances ont été observées chez les patients réfractaires à l’IFN et traités par la suite par l’imatinib. Les mécanismes de la résistance ont été étudiés et on trouve, chez la plupart des patients mais pas tous, une mutation de la région SH1 (kinase) d’ABL, avec dans certains cas, un changement ponctuel du site de liaison de l’imatinib ((→) m/s 2001, n° 11, p. 1192). Chez certains patients, on a pu documenter la présence d’une mutation dans un clone minoritaire avant même l’introduction de l’IM, qui serait dans ce cas, responsable d’une sélection clonale. On pouvait donc faire l’hypothèse que si le clone leucémique était rapidement éradiqué, la fréquence de survenue de mutations, témoignant de l’instabilité génétique du clone Ph1+, pourrait être considérablement réduite. Pour valider cette stratégie, il fallait démontrer que l’IM pouvait remplacer le traitement classique (IFN-ARA-C) chez les patients au cours de la première phase chronique et n’ayant reçu aucun traitement. On pouvait s’y attendre, compte tenu des réponses majeures obtenues par l’utilisation de l’IM chez les patients à des phases avancées de leur maladie (soit résistants à l’IFN+ARA-C, soit en phase accélérée au moment du diagnostic). Une étude prospective, multicentrique et randomisée, désignée sous le terme d’IRIS (international randomised study of interferon and STI571) a été complétée entre juin 2000 et janvier 2001, grâce à une collaboration de 177 hôpitaux dans 16 pays. Cette étude a comparé en termes de progression, de réponse hématologique et de réponse cytogénétique, une série de 1106 patients qui ont été traités soit par l’association classique IFN et ARA-C (553 patients) soit par l’IM seul (553 patients). Le premier bilan de cet essai clinique publié dans the New England Journal of Medicine [2] montre clairement qu’avec un recul de 19 mois, les résultats obtenus par l’IM sont très largement supérieurs à ceux obtenus par l’association IFN-ARA-C, toutes variables confondues, si l’on considère les taux de rémissions cytogénétiques majeurs (87 % versus 35 %), de rémissions moléculaires complètes (76 % versus 14 %) et de rémissions hématologiques complètes (95 % versus 55 %). La mesure de la survie sans progression, un des critères majeurs de l’étude, était à 12 mois nettement en faveur de l’IM avec un taux d’absence de progression de 96 % dans le groupe IM et de 79 % dans le groupe IFN+ARA-C. La survie globale au moment de l’étude n’était pas significativement différente entre les deux groupes, en raison probablement du faible recul. Enfin, la tolérance à l’administration d’IM était nettement meilleure que celle observée avec l’association IFN-ARA-C, expliquant en grande partie le nombre important de patients qui ont changé de groupe en cours de traitement.

Les résultats de cette étude multicentrique sont importants car ils représentent un des milestones dans les progrès obtenus dans le traitement de la LMC: ils permettent de démontrer sans ambiguïté que l’IM est le traitement de choix de la LMC dans la phase chronique initiale. Qu’en est-il des traitements standards qui ont déjà fait la preuve de leur efficacité? En effet, la greffe allogénique de cellules souches hématopoïétiques a déjà fait la preuve de sa capacité curative et cette approche, compte tenu de l’absence de recul suffisant avec le traitement par l’IM et des inquiétudes suscitées par l’apparition de résistances à ce traitement, restera certainement une arme thérapeutique majeure pour certains patients jeunes ayant un donneur HLA-compatible. L’association IFN-ARA-C entraîne aussi des rémissions longues et persistantes et l’une ou l’autre de ces drogues pourrait agir en synergie avec l’IM. Des études ultérieures testeront cette hypothèse, avec notamment pour objectif de réduire les possibilités d’induction de résistance ou de sélection clonale sous IM, un phénomène qui peut survenir même chez les patients recevant l’IM en première intention. La possibilité d’utiliser l’IM en première intention peut faire espérer réduite la fréquence de ce phénomène de résistance par rapport à celle observée qui est observée chez les patients traités à une phase avancée de leur maladie.