Chroniques bioéthiques (5)Tales of Bioethics (5)

Sur les rivages de la misèreÉpisode 1 : le marché des médicaments essentielsOn misery coastEpisode 1 : the market of vital drugs[Record]

  • Hervé Chneiweiss

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Cancun est réputée pour son sable blanc et son soleil des bords du Pacifique. Riant décor pour nombre de sommets internationaux dont celui où se retrouveront, du 10 au 14septembre 2003, les ministres du commerce extérieur des 146 pays membres de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Ils y discuteront de l’avancement du dossier des droits de propriété intellectuelle - les brevets - sur les médicaments. Un dossier ouvert à Doha, au Qatar, lors de leur réunion de novembre 2001 et dont la conclusion est fixée au 1er janvier 2005. Un dossier où les chiffres donnent le vertige, ainsi le chiffre d’affaire annuel 2001 de l’industrie pharmaceutique a dépassé les 400milliards de dollars, mais aussi la nausée : 19000 personnes meurent chaque jour de maladies curables telles que le sida, la tuberculose, le paludisme ou la maladie du sommeil. Chaque jour, 9 500Africains contractent le virus du sida (14 000personnes sont contaminées quotidiennement dans le monde) et 6500 vont en mourir faute de médicaments, pourtant disponibles pour 1 euro par jour. Pour mémoire, et simplement pour fixer l’échelle des chiffres, une vache laitière européenne reçoit une subvention de l’ordre de deux euros par jour. Nous ne reviendrons pas sur la définition du brevet((→) m/s 2003, n°4, p. 501) et nous connaissons l’argumentation centrale en sa faveur. Le brevet permet de diffuser la connaissance grâce à la publication systématique des demandes de brevets avant même que le brevet soit délivré (à l’exception des États-Unis où la publication n’intervient que lors de la délivrance, d’où un maintien au secret de l’invention dans ce pays pouvant durer plusieurs années); la description de la demande ainsi publiée va permettre à l’homme du métier de reproduire l’invention. La mise à disposition de cette connaissance permet de l’utiliser à titre expérimental et constitue la contrepartie du monopole accordé au breveté. Le bien-fondé de l’invention peut ainsi être vérifié et des perfectionnements proposés. C’est grâce à cette connaissance que les fabricants de générique en Inde ou au Brésil peuvent aujourd’hui proposer des trithérapies contre le sida d’efficacité comparable à celle offerte par les grands laboratoires pharmaceutiques. Mais un brevet est aussi un titre qui permet à son détenteur de s’opposer à l’exploitation (fabrication, utilisation et vente) par tout autre de l’invention brevetée. De fait, en empêchant l’imitation immédiate de l’invention par un concurrent, il permet à l’inventeur de rentabiliser son investissement. Dans la vision classique de l’économie de l’innovation, en l’absence de protection par brevet, les inventeurs ne se lanceraient pas dans de lourds investissements de recherche et développement, particulièrement en santé humaine où les essais sont très longs et très coûteux. Cette vision est contestée par les travaux récents en sociologie de l’innovation qui mettent en évidence le rôle essentiel des négociations entre acteurs pour parvenir à des ajustements locaux [1, 2]. Pour les uns, le brevet est une rente de monopole, seul moteur de l’innovation, ce que semble hélas confirmer le dernier rapport de l’OMS qui évalue à moins de 5% la part de dépense en recherche et développement consacrée par l’industrie pharmaceutique aux maladies infectieuses qui tuent 17millions de personnes dans le monde, dont 97% dans les pays du Sud. Pour les autres, il existe une logique autonome du progrès technique en relation avec des savoirs accumulés puis transférés au secteur marchand, et des mécanismes d’appropriation des connaissances dont la protection ne se limite pas à la règle de droit du brevet [3]. Ces derniers soulignent même que la science ouverte, académique, est le socle indispensable à l’émergence de l’invention marginale reconnue par le brevet. Le risque est alors une protection extensive …

Appendices