Questions d'éthiqueEthics Debate

Le traitement compassionnelMédecine moderne, efficacité et humanitéCompassional treatment : up-to-date modern medicine, effectiveness and humanity[Record]

  • Jean-Claude Ameisen and
  • Emmanuel Hirsch

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  • Jean-Claude Ameisen
    Président du Comité d’éthique de l’Inserm,
    Faculté de médecine Xavier Bichat,
    EMI-U.9922 Inserm/Université Paris 7,
    16, rue Henri Huchard, 75018 Paris, France.
    ameisen@wanadoo.fr

  • Emmanuel Hirsch
    Directeur de l’Espace éthique/AP-HP
    et du Département universitaire de recherche en éthique Paris-Sud 11/AP-HP,
    membre du Comité d’éthique de l’Inserm,
    Espace éthique/AP-HP,
    CHU Saint-Louis,
    1, avenue Claude Vellefaux,
    75475 Paris
    Cedex 10, France.

Cette rubrique est élaborée dans le cadre d’un partenariat entre médecine/sciences et le Comité d’éthique de l’Inserm.

L’acte médical est refus d’abandon, volonté de soulager la souffrance et affirmation de l’égal droit à la vie et au bien-être de chaque être humain. De plus en plus étroitement liée à la pratique médicale moderne, la recherche biomédicale en partage les buts et les valeurs. Si l’interrogation éthique est, selon les mots d’Emmanuel Levinas, l’expression de la vocation médicale de l’homme et, si l’on entre en éthique, comme l’a écrit Paul Ricoeur, par « l’affirmation de la volonté que la liberté de l’autre soit », médecine et recherche sont, par nature, des démarches éthiques : des mises en pratique du souci de l’autre. Pourtant, comme pour toute activité humaine, seule une interrogation permanente sur la manière dont elles sont pratiquées peut permettre d’apprécier si elles servent toujours au mieux les valeurs qui les fondent et si, visant à soulager la souffrance, elles ne risquent pas, soudain, dans un retournement paradoxal, de devenir par elles-mêmes sources de souffrance. L’appel de M. Jean-Pierre Rouette au printemps dernier dans Le Monde [1] soulevait cette question de manière bouleversante. M. Rouette, âgé de 49 ans, est atteint d’une forme familiale rare de maladie à prion, invalidante et mortelle à court terme, qui a déjà emporté sa mère et sa soeur. M. Rouette demandait de pouvoir bénéficier, à titre compassionnel, d’un traitement mis en oeuvre à titre expérimental en Grande-Bretagne, et dont l’effet espéré est de freiner l’évolution de la maladie. Les raisons des réticences des autorités sanitaires françaises étaient scientifiquement légitimes. D’une part, seul un essai contrôlé (une moitié des malades, tirée au sort, reçoit le traitement expérimental, l’autre moitié un placebo) permettrait d’évaluer, de la manière scientifiquement la plus rigoureuse, les risques et les éventuels effets bénéfiques de ce traitement expérimental, et de le proposer ou non dans l’avenir, en connaissance de cause, à d’autres patients. Un tel essai était envisagé en France, mais pas avant plusieurs mois. Donc, si la maladie de M. Rouette évoluait rapidement, il ne pourrait participer à cet essai. L’inclusion dans un essai à venir ne pouvait ainsi représenter l’alternative réelle à un accès au traitement à titre compassionnel. D’autre part, une réponse positive à la demande de M. Rouette pouvait demain inciter d’autres patients, dans une situation identique, à demander eux aussi de bénéficier d’un traitement compassionnel, plutôt que de participer à un essai contrôlé. Or, pour obtenir, dans le cas d’une maladie rare, des résultats interprétables, un essai nécessite l’inclusion de la plupart des patients atteints de cette maladie. Dans un tel contexte, comment choisir entre l’impératif de soulager la détresse d’un malade et celui d’assurer la faisabilité future d’essais contrôlés, qui permettront peut-être dans l’avenir d’aider d’autres malades ? La demande personnelle de M. Rouette a été acceptée. Mais son appel continue, néanmoins, de soulever plusieurs problèmes de fond. Au coeur de tout acte médical existe, à l’état latent, une tension entre le devoir d’aider au mieux, aujourd’hui, la personne souffrante, et le devoir de recueillir tous les enseignements qui permettront, demain peut-être, de mieux prendre en charge d’autres malades. C’est parce qu’il peut paraître légitime, en toute bonne foi, d’accorder la priorité aux progrès dont pourront bénéficier les patients de demain que la Déclaration d’Helsinki, qui définit au niveau international les devoirs de la recherche biomédicale, précise dans son article 5 que « les intérêts de la science et de la société ne doivent jamais prévaloir sur le bien-être du sujet ». Il nous faut devant chaque cas singulier réfléchir à la place qu’il convient d’accorder au traitement compassionnel, même quand son administration risque de freiner les progrès de la connaissance. Lorsqu’une maladie …

Appendices