Article body

Le trouble obsessionnel-compulsif (TOC) est une affection psychiatrique relativement fréquente avec une prévalence « vie entière » de l’ordre de 2 % à 3 % en population générale [1]. Il est souvent associé à la dépression majeure et représente un des troubles anxieux les plus invalidants [2] de par l’intensité des symptômes qui le caractérise et la gêne fonctionnelle qu’il entraîne. Heureusement, la recherche et notamment l’enrichissement permanent de nos connaissances sur les relations structure-fonction, ainsi que l’apport récent de la neuro-imagerie, permettent actuellement de mieux appréhender la physiopathologie de ce trouble et de proposer une hypothèse essentiellement fondée sur l’approche anatomo-fonctionnelle.

Aspects physiopathologiques : approche anatomo-fonctionnelle

Bases phénoménologiques

Les obsessions sont définies par l’irruption intrusive et incessante dans la pensée d’une idée, d’une impulsion ou d’une représentation. Les compulsions sont des comportements répétitifs qui traduisent, en général, la lutte contre les obsessions, visant à réduire la charge anxieuse résultant de leur émergence. Ces définitions conduisent à prendre en compte, au coeur de la symptomatologie obsessionnelle-compulsive, cette impression fondamentale pour l’individu que « quelque chose ne va pas » (something is wrong [3]). En d’autres termes, les obsessions peuvent être conçues par le sujet comme la perception permanente d’être en faute et/ou en situation d’erreur. Les compulsions apparaissent comme des réponses comportementales destinées à soulager la tension engendrée par l’irruption des pensées obsédantes. Les conduites compulsives ont ainsi pour but de mettre fin aux signaux de faute et/ou d’erreur que le sujet perçoit. Il est alors amené à reproduire « en boucle » ces comportements sur la base d’un état émotionnel et motivationnel interne orienté vers l’obtention d’un soulagement durable, assimilable à une forme de récompense. Ces aspects phénoménologiques suggèrent donc l’altération d’un certain nombre de fonctions dans le TOC, qu’il s’agisse de la détection des erreurs, des processus émotionnels, motivationnels et de récompense [4, 5].

Neurophysiologie expérimentale

Cette approche phénoménologique du TOC suggère le rôle potentiel des circuits cortico-striato-pallido-thalamo-corticaux dans la physiopathologie de cette affection. Parmi ceux-ci, les circuits trouvant leur origine au niveau du cortex orbitofrontal (COF) et du cortex cingulaire antérieur (CCA) ont été proposés comme étroitement impliqués dans la production des symptômes obsessionnels-compulsifs à la lumière des données de la neurophysiologie expérimentale centrées sur l’analyse des relations structure-fonction.

Le COF semble participer à plusieurs fonctions : (1) il joue un rôle essentiel dans la saisie des informations émanant de l’environnement en leur conférant un sens, une signification sur un plan émotionnel et motivationnel tenant compte des expériences antérieures du sujet, et sous-tendant la prise de décision [4-6] ; (2) il intervient également dans des aspects plus cognitifs comme la détection des erreurs [3] ou encore la sélection, le jugement et la comparaison des stimulus environnementaux [7].

Le CCA est impliqué aux côtés du COF, dans divers processus, tant cognitifs (attention, mémoire de travail, prédiction de l’erreur, détection des erreurs associée à une activation neuronale chez le primate lors de paradigmes expérimentaux le plaçant potentiellement en situation d’erreur, gestion des situations de conflits, sélection de réponses et anticipation), qu’émotionnels et motivationnels [4, 5, 8].

Le striatum dorsal se voit investi, sur la base d’observations cliniques, d’un rôle majeur dans l’initiation et la programmation de profils comportementaux routiniers et/ou d’habitude [9, 10]. Néanmoins, dans sa région ventrale, le striatum intervient davantage, par ses connexions anatomiques privilégiées avec les COF et CCA, dans les réponses orientées vers l’obtention d’une récompense, notamment lors de la préparation, l’initiation et l’exécution du comportement [6]. Il exerce également, en lien avec les afférences dopaminergiques méso-limbiques [11], une fonction centrale dans l’évaluation des conséquences possibles de l’action ou « critique », permettant à l’« acteur » d’ajuster son comportement de façon à répondre au but ou objectif fixé si l’on fait référence au modèle « acteur-critique » de Sutton et Barto [12].

Neuro-imagerie fonctionnelle

Les données de la neuro-imagerie n’ont fait que conforter davantage l’hypothèse d’un rôle prédominant des circuits orbitofrontal et cingulaire antérieur dans l’émergence des symptômes obsessionnels-compulsifs. Les recherches dans le domaine fonctionnel ont permis de montrer que plusieurs régions cérébrales présentaient une activité anormalement élevée chez les patients atteints de TOC, qu’il s’agisse de la région orbitale du cortex préfrontal, du CCA, du striatum (noyau caudé), ou du thalamus [4, 5, 13]. Cette hyperactivité est observée à la fois dans des conditions de base, ou lors de situations expérimentales consistant à provoquer les manifestations obsessionnelles-compulsives [4, 5, 9, 13]. Une activité fonctionnelle plus importante au sein du CCA a été également rapportée chez les patients avec TOC lors de tâches comportementales les amenant à réaliser des erreurs possibles [14, 15].

L’ensemble des arguments expérimentaux précités suggère donc le rôle déterminant d’un dysfonctionnnement des circuits cortico-striato-pallido-thalamo-corticaux prenant naissance tant au niveau du COF que du CCA dans la pathogénie du TOC.

Aspects thérapeutiques : place de la stimulation cérébrale profonde

L’efficacité des traitements antidépresseurs et des thérapies cognitivo-comportementales est aujourd’hui clairement établie dans la prise en charge du TOC. Néanmoins, ces stratégies s’avèrent peu ou pas efficaces dans 25 % à 30 % des cas [16]. Diverses approches neurochirurgicales ont alors été utilisées, dont la réalisation de lésions bilatérales de la capsule antérieure, zone de passage des fibres reliant le thalamus aux aires corticales limbiques représentées par les COF et CCA [16]. Ces techniques neurochirurgicales se sont révélées efficaces dans 60 % à 70 % des cas, mais elles sont aujourd’hui bien moins pratiquées car les lésions causées sont irréversibles et peuvent entraîner des complications d’ordre cognitif et émotionnel (euphorie, agitation psychomotrice, émoussement affectif, aspontanéité motrice…).

La stimulation cérébrale profonde (SCP) de la capsule antérieure a été testée pour remplacer cette chirurgie lésionnelle. Cette technique, qui consiste en l’implantation d’électrodes au niveau de la région cérébrale d’intérêt, a été efficace chez trois des quatre patients opérés présentant un TOC [17]. Néanmoins, les paramètres de stimulation utilisés dans cette étude nous ont amené à considérer les régions bordant la capsule antérieure comme cible de choix pour la SCP. Parmi ces régions d’intérêt, la partie ventro-médiane du striatum (incluant la tête du noyau caudé et le noyau accumbens) (Figure 1A) nous a semblé particulièrement intéressante au vu des connaissances que nous avons également de la physiopathologie du TOC abordée précédemment [4, 5, 18, 19].

Figure 1

A. Coupe axiale (en haut et à gauche) et coupe coronale (en haut et à droite) montrant l’implantation bilatérale des électrodes dans le striatum ventral. Coupes coronales (en bas) montrant la localisation des quatre plots de chacune des électrodes implantées au sein du striatum ventral (C : noyau caudé ; P : putamen ; acc : noyau accumbens ; AC : capsule antérieure). B. Illustration des effets de la stimulation cérébrale profonde sur les symptômes dépressifs (HDRS) et anxieux (HARS) (à gauche), sur les symptômes obsessionnels-compulsifs (Y-BOCS) et le fonctionnement global (EGF) (à droite) (M-1 : sous traitement pharmacologique ; M0 : après arrêt du traitement pharmacologique ; M+1, M+6, M+9, M+12, M+15, M+18, M+21, M+27 : après 1, 3, 6, 9, 15, 18, 21 et 27 mois de stimulation cérébrale profonde ; S-off : stimulateur non fonctionnel).

-> See the list of figures

Nous avons pu mettre en évidence chez un patient souffrant d’un TOC sévère et chronique, une réduction importante de la sévérité des symptômes dépressifs et anxieux dans les trois premiers mois de SCP, avec l’obtention d’une rémission après six mois. Les effets favorables sur le TOC se sont révélés plus tardifs avec une amélioration franche des symptômes et une rémission observées dès le 12e mois de traitement, perdurant lors de l’évaluation psychométrique pratiquée trois mois plus tard [20]. Vers le 17e mois de suivi post-opératoire, une recrudescence de la symptomatologie obsessionnelle-compulsive est alléguée par le patient, ce que vient confirmer l’évaluation psychométrique réalisée dans les suites qui, bien que ne montrant pas de réelle aggravation de la sévérité des symptômes dépressifs et anxieux, révéla des scores de sévérité des symptômes obsessionnels-compulsifs revenus quasiment aux niveaux initiaux. La vérification du fonctionnement du stimulateur a permis de mettre en évidence une panne de ce dernier. Une fois changé, un retour de l’amélioration à son niveau optimal a été observé dans les 3 mois suivants, ainsi qu’au 27e mois de suivi [21] (Figure 1B). Fait important, aucune altération des tests neuropsychologiques ni aucun effet secondaire clinique n’ont été retrouvés [20, 21].

Ces résultats sont d’une grande importance dans la mesure où ils permettent de conforter le rôle des boucles fronto-sous-corticales mettant en jeu le striatum ventral dans la production des manifestations obsessionnelles-compulsives et dépressives. Même si ces résultats doivent être confirmés chez un nombre plus important de patients, ils apparaissent prometteurs car cette région sous-corticale pourrait représenter une cible de choix pour traiter par SCP des formes de TOC et dépression majeure rebelles aux démarches thérapeutiques usuelles.