Article body

Des estimations récentes ont conclu qu’en changeant de mode de vie, près de 70 % des cancers colorectaux pourraient être évités dans les pays occidentaux. Aujourd’hui, les données de l’étude EPIC (European Prospective Investigation into Cancer and Nutrition) – coordonnée par E. Riboli du Centre international de recherche sur le cancer – semblent venir conforter cette évaluation. Elles montrent que le risque de cancer colorectal pourrait être réduit en augmentant la consommation de poisson chez ceux qui en mangent le moins, et en réduisant celle de viande rouge, abats et charcuterie chez les gros consommateurs. Ces résultats, auxquels nous avons contribué en fournissant les données françaises, viennent d’être publiés [1].

L’étude prospective a porté sur 478 040 hommes et femmes recrutés dans 10 pays européens différents. Ces sujets, dont la plupart avaient entre 35 et 70 ans au début de l’étude (entre 1992 et 1998), ont répondu à des questionnaires sur leur mode de vie, en particulier sur leur alimentation, et ont été suivis en moyenne pendant cinq ans. Parmi eux, 1 329 cas de cancer colorectal ont été enregistrés dont 855 cas de cancer du côlon et 474 du rectum.

Pour cette analyse, les viandes ont été regroupées en trois catégories : viande de boucherie, charcuterie et volaille. La première comprend boeuf, veau, porc et agneau, qu’ils soient frais, hachés et/ou surgelés ; la seconde, principalement du porc et du boeuf ayant été conservés par salage (avec ou sans nitrites), fumage, marinage, séchage ou chauffage (jambon, bacon, saucisses, boudin noir, pâté de foie, saucisson sec, viande en conserve, corned beef …). La volaille inclut principalement le poulet et la dinde, qu’ils soient frais, hachés et/ou surgelés. La catégorie poisson correspond aux poissons frais, gras, en boîte, salés et/ou fumés.

Le risque de cancer colorectal est plus élevé d'un tiers chez les sujets qui consomment régulièrement plus de 160 grammes par jour de viande de boucherie par rapport à ceux qui en consomment moins de 20 grammes (RR : 1,35 ; IC95 % : 0,96-1,88). La consommation de volaille est sans effet. Enfin, il y a une réduction de risque de cancer colorectal chez les sujets qui consomment en moyenne plus de 80 grammes de poisson par jour par rapport aux ceux qui en consomment moins de 10 grammes quotidiennement (RR : 0,69 IC95 % : 0,54-0,88). Ces deux relations n’étaient pas expliquées par le fait que, en général, les gros consommateurs de viande et de charcuterie mangent moins de poisson. De même, les gros consommateurs de viande et de charcuterie sont généralement plus faibles consommateurs de fibres, mais là encore, nous avons vérifié que la relation entre viande, charcuterie et cancer colorectal existait indépendamment de l’apport en fibres.

Des raisons incertaines

Les mécanismes à l’origine du lien entre risque de cancer colorectal et consommation de viande et de charcuterie ne sont pas encore complètement élucidés.

Des études chez des volontaires sains suggèrent que des composés nitrosés ayant des effets cancérogènes se forment dans le système gastro-intestinal, à la suite de la consommation de fer, présente en grande quantité dans la viande (viande de boucherie et charcuterie). La concentration élevée de fer héminique dans la viande serait aussi l’occasion de réactions chimiques (réaction de Fenton) créatrices de radicaux libres.

Un autre mécanisme évoqué serait la formation de précurseurs de cancérogènes pendant la cuisson de la viande à forte température (type gril ou barbecue, transformés en cancérogènes par les bactéries intestinales).

Néanmoins, certains de ces précurseurs ont aussi été trouvés dans le poisson et la volaille grillés, dont la consommation n’augmente pas le risque de cancer colorectal.

Il n’y a pas de mécanismes formellement démontrés pour expliquer l’effet protecteur du poisson. Des études chez les animaux et in vitro indiquent que les acides gras à chaîne longue caractéristiques de l’huile de poisson pourraient inhiber la cancérogenèse.

La France contribue à ces données à travers l’étude E3N (www.E3N.net) en fournissant près du quart de la population féminine étudiée. Dans cette population, la consommation moyenne de viande et charcuterie, égale à 76 g/j, est proche des valeurs observées en Allemagne, aux Pays-Bas, en Norvège et en Suède, où la consommation moyenne dépasse 75 g/j.

Avec une consommation de poisson de 39,2 g/j, les femmes de la cohorte E3N se situent dans la moyenne des femmes d’EPIC, entre les Pays-Bas (moyenne de consommation inférieure à 15 g/j) et l’Espagne, où la moyenne dépasse les 60 g/j.

La consommation moyenne de volaille (24,2 g/j chez les Françaises E3N) est plus homogène entre les différents centres EPIC (variant de 10 à 30 g/j).

S’agissant de l’effet de ces aliments sur le cancer colorectal, les estimations pour la France sont très proches de celles observées sur les participants EPIC pris dans leur ensemble (Figure 1A et 1B).

Figure 1

Risque relatif (RR) multivarié et intervalle de confiance (IC) à 95 % par centre EPIC pour une augmentation de consommation de 10 g/j.

Risque relatif (RR) multivarié et intervalle de confiance (IC) à 95 % par centre EPIC pour une augmentation de consommation de 10 g/j.

Le centre des carrés rouges représente l’estimation du RR et la ligne horizontale correspond à l’IC95 %. Le losange jaune correspond à l’estimation pour l’ensemble de EPIC. A. Viande et charcuterie. B. Poisson.

-> See the list of figures

L’analyse des données relatives aux quelques 500 000 personnes suivies a permis de calculer que le risque de développer un cancer colorectal dans les 10 ans passe de 1,28 % chez les faibles consommateurs de viande et charcuterie (moins de 30 g/j pour un homme et 13 g/j pour une femme) à 1,71 % chez les gros consommateurs (plus de 129 g/j pour un homme et plus de 85 g/j pour une femme). Il passe de 1,86 % chez les faibles consommateurs de poisson (moins de 14 g/j) à 1,28 % chez les gros consommateurs (plus de 50 g/j).