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Il y a vingt ans, un rêve scientifique, culturel et francophonem/s twenty years ago, a scientific, cultural and French-speaking dream ![Record]

  • Axel Kahn

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  • Axel Kahn
    Rédacteur en chef (1986-1997)
    Institut Cochin, IFR Alfred Jost,
    22, rue Méchain,
    75014 Paris, France.
    kahn@cochin.inserm.fr

Mars 1985, le premier numéro de médecine/sciences. Nous le préparions depuis deux ans. Jean-François Lacronique, Laurent Degos, Serge Erlinger, Jean-Pierre Grünfeld et moi, à Paris ; Michel Bergeron, Francis Glorieux, Claude Vezina et Patrick Vinay à Montréal, avions longuement hésité sur le type de journal que nous désirions faire. Un Nature en français ? Mais les résultats primaires de la science s’écrivent de plus en plus en une langue unique, qui est autre. De la vulgarisation scientifique en biologie et médecine ? Mais alors il eut été préférable que notre journal fût rédigé par des vulgarisateurs professionnels. À dire vrai, le créneau semblait étroit, mais nous y avons cru et nous y sommes engagés avec enthousiasme. Le pari n’était pas évident à tenir, la légitimité même de l’entreprise en laissait beaucoup sceptiques. Et pourtant… S’il est un acquis peu contestable de notre aventure de vingt ans, c’est d’avoir établi que l’appropriation du champ scientifique par notre langue, nullement incompatible avec la maîtrise décomplexée de l’outil linguistique de la communication internationale, était non seulement légitime, voire nécessaire, mais recelait aussi une réelle dimension de plaisir. Quelle joie, en effet, pour un chercheur de briser une barrière, d’ouvrir une voie, de le faire savoir au monde entier en anglais, puis d’exprimer toute la beauté, scientifique et formelle, de sa découverte à l’aide de la palette sémantique et stylistique que lui offre sa langue maternelle ; à condition bien sûr d’en posséder les outils. Or, m/s a contribué à cela, a diffusé dans notre communauté « les mots pour le dire » en français. J’avoue ma satisfaction, écoutant des conférences, d’entendre des collègues parler de la « domiciliation » (homing) de telle sous-population de lymphocytes T dont tel gène a été « invalidé » par recombinaison homologue (knock-out). Il y a quinze à vingt ans, je me rappelle combien nous nous sommes posés de questions pour « traduire » précisément, brièvement et sans perte de sens, cette masse de termes ésotériques naissant dans la foulée du progrès scientifique et technique. Il y a la forme, il y a le fond. Notre revue a-t-elle contribué à la prise de conscience par notre communauté des changements en cours aux plans des concepts, des connaissances, des pratiques et des débats ? Sans doute, en particulier en ce qui concerne l’acculturation des praticiens aux manières de penser issues des progrès en génétique moléculaire, neurobiologie, embryologie…, tous sujets qui ont fait l’objet de nos premiers lexiques : les schémas de ceux-ci ont été reproduits et utilisés très largement, en interne dans les services et dans l’enseignement des étudiants. Nos numéros, en 1985, étaient plus minces qu’aujourd’hui. Cependant, ils nous permirent d’emblée de faire le point des oncogènes, de l’instabilité chromosomique dans le cancer, de l’empreinte (ou sceaux) parentale, des biothérapies. Puis, dès notre troisième numéro, du Sida et de son virus, des mécanismes de l’obésité. Vinrent ensuite des revues sur le diabète, la douleur, les gènes du développement… En 1986, m/s fut sans doute la seule revue francophone à relever dans ses Nouvelles que l’évolution tendancielle des personnes séropositives pour le VIH risquait d’être presque constamment un Sida, rompant avec un optimisme officiel encore lénifiant à cette époque. Bien avant l’acmé de l’épizootie d’encéphalite bovine spongiforme et la suspicion de sa transmission à l’homme, m/s avait, sous la plume de Jean-Claude Dreyfus (qui avait très tôt rejoint les rédacteurs français) informé nos lecteurs des questions soulevées par cette maladie émergente, ses rapports avec la maladie de Creutzfeldt-Jakob et ses formes génétiques, avec la tremblante du mouton… En d’autres termes, un lecteur de médecine/sciences …