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Les terribles conséquences de l’augmentation de fonction d’un canal calcique

C’est en 1992 que le syndrome de Timothy fut décrit pour la première fois. Aux troubles du rythme ventriculaire, qui peuvent entraîner une mort subite, s’associent un autisme et un syndrome polymalformatif avec cardiopathie congénitale de type tétralogie de Fallot, dysmorphie faciale (épaississement de la base du nez, implantation basse des oreilles…), syndactylie, ainsi qu’un déficit immunitaire. La sévérité des anomalies de la repolarisation cardiaque marquée par la prolongation de l’espace QT sur l’électrocardiogramme a rapidement orienté les recherches vers un gène codant pour un canal ionique. Mais aucune mutation n’a été trouvée dans ceux déjà connus pour être impliqués dans les syndromes de QT long congénitaux. Des mutations dans le gène du canal calcique de type L (Cav1.2), un acteur clé de la dépolarisation du myocarde, ont aussi été recherchées, tout d’abord sans succès, jusqu’à la découverte de nouveaux variants de Cav1.2. C’est en effet dans un variant de ce gène qu’une mutation vient d’être enfin découverte par des équipes de cardiologues américains et italiens ayant réuni 13 patients souffrant d’un syndrome de Timothy [1]. Cette mutation, une substitution de novo d’une glycine par une arginine (G406R), se situe dans une région fortement conservée des canaux calciques. L’exon muté a été retrouvé par Northern blot dans tous les tissus qui expriment des canaux calciques : bien sûr dans le coeur, mais aussi dans l’appareil digestif, le poumon, le système immunitaire, les cellules musculaires lisses et les testicules, en cohérence avec les atteintes multi-organes de ce syndrome. Dans le cerveau, les transcrits étudiés par hybridation in situ sont présents, en particulier dans les structures cérébrales impliquées dans l’autisme. Les canaux mutés exprimés dans des lignées cellulaires s’inactivent (se ferment) moins vite, ce qui se traduit par un courant calcique avec une cinétique d’inactivation très lente. La conséquence est que davantage de courant dépolarisant s’active durant le potentiel d’action cellulaire (PA) dont la durée s’allonge, comme cela a pu être démontré à l’aide d’un modèle mathématique de PA cardiaque. Ainsi, ce gain de fonction du canal calcique fournit une explication très vraisemblable à la présence d’un QT long chez les patients porteurs de la mutation. Il reste à comprendre comment un changement relativement discret du fonctionnement d’un seul canal est capable d’entraîner d’aussi lourdes conséquences. La transgenèse devrait être à cet égard très utile. Mais, d’ores et déjà, cette étude ouvre des nouvelles perspectives de traitement pour ce syndrome et de nouvelles orientations de recherche pour certaines formes d’autisme.

Les annexines ont-elles du coeur ?

Les annexines (Anx) forment une famille de protéines découvertes il y a environ dix ans. Leur nom vient de leur propriété de « s’annexer » aux membranes cellulaires en présence de Ca2+. Protéines exprimées par tous les organismes supérieurs, elles participent à divers processus tels que l’inflammation, l’apoptose ou le trafic vésiculaire. Dans le coeur, les Anx A1, A2, A4 à A7 sont présentes dans les myocytes, les cellules endothéliales et la matrice extracellulaire. Dans les myocytes, des travaux récents montrent que les Anx A5, A6 et A7 pourraient être de nouveaux facteurs réglant les protéines impliquées dans les échanges calciques. En effet, nous avons démontré que les Anx A5 et A6 sont fortement exprimées dans le sarcolemme et les tubules T des cardiomyocytes là où se réalisent les échanges calciques [2]. Dans le coeur insuffisant, où ces échanges sont ralentis et diminués, l’expression des Anx A5 et A6 augmente. De plus, nous avons rapporté une relocalisation de l’Anx A5 dans l’espace intercellulaire, suggérant une altération de sa fonction. L’équipe de J.R. Dedman (Cincinnati, États-Unis) a, quant à elle, démontré que la surexpression de l’Anx A6 dans le coeur de souris provoque des altérations de la mécanique contractile des myocytes conduisant à une cardiomyopathie dilatée et décrit un rôle délétère de l’Anx A6 sur la contraction [3]. Cet effet inotrope négatif a été confirmé par l’équipe de S. Moss (Londres, Royaume-Uni) qui rapporte que l’invalidation du gène codant pour l’Anx A6 conduit à une augmentation de la contractilité des myocytes [4]. Enfin, une étude menée par l’équipe de A.A. Noegel (Cologne, Allemagne), sur des souris dont le gène codant pour l’Anx A7 a été invalidé, montre une diminution de la relation force- fréquence des cardiomyocytes et souligne la participation de l’Anx A7 à la contraction [5]. En conclusion, l’ensemble de ces travaux montre que, malgré leur grande homologie, les Anx ont leur propre fonction et leur propre spécificité et qu’elles sont probablement impliquées dans la régulation des mouvements calciques où elles pourraient être de nouvelles cibles thérapeutiques.

Les cellules souches musculaires adultes : much ado about nothing !

Les cellules satellites, ainsi nommées pour leur positionnement sous la membrane de la fibre musculaire, ont longtemps été considérées comme les seules cellules progénitrices musculaires adultes, capables de participer rapidement à la régénération en cas d’agression. Néanmoins, d’autres populations cellulaires résidant dans le muscle, et à potentiel myogénique, sont venues récemment alimenter la liste pléthorique des publications sur les cellules souches adultes : (1) les cellules SP (side population), définies pour leur capacité d’exclure un colorant vital, n’ont pas d’activité myogénique intrinsèque in vitro mais peuvent participer à la régénération quand elles sont directement injectées dans le muscle ((→) m/s 2005, n° 2, p. 138) ; (2) les cellules musculaires positives pour le marqueur hématopoïétique CD45 et le marqueur Sca-1, dont l’équipe de M.A. Rudnicki a démontré qu’elles étaient capables d’engendrer des cellules myogéniques en cas d’agression musculaire ou en réponse à l’activation de la voie Wnt [6] ; ou enfin (3) les cellules décrites par l’équipe de J. Huard dont l’isolement semble délicat et dont le potentiel de différenciation n’est pas limité au muscle mais s’étend aux lignages neural, endothélial et hématopoïétique [7]. À tous ces potentiels progéniteurs musculaires, on peut ajouter les cellules médullaires qui sont capables de contribuer à la régénération du muscle après injection directe ou après irradiation et reconstitution médullaire. Enfin, pour compliquer le tout, une controverse subsiste quant à l’origine médullaire des cellules satellites. Afin d’y voir plus clair, l’équipe de I.L. Weissman a comparé les propriétés myogéniques des cellules potentiellement progénitrices dérivées de la moelle avec celles des cellules résidant dans le muscle [8]. Les résultats obtenus semblent indiquer que des cellules isolées à partir du muscle mais provenant de la moelle ont une activité myogénique très limitée in vivo et uniquement après co-culture avec des myofibres issues de muscles lésés. Ces cellules sont issues du compartiment non hématopoïétique de la moelle (négatives pour le marqueur CD45) et n’ont pas besoin de transiter par la moelle pour acquérir ces propriétés. Il y aurait donc, dans le muscle lésé, différentes populations de cellules progénitrices dont les cellules hématopoïétiques CD45+ sans potentialité myogénique, des cellules satellites CD45-, Sca-1-, CD34+ qui forment le compartiment des réels précurseurs myogéniques qui ne viennent pas de la moelle et des cellules CD45-, Sca-1+, CD34- qui ont un potentiel myogénique restreint, mais qui peuvent exprimer certains marqueurs musculaires dans des conditions de co-culture précises. On pourrait plus simplement conclure qu’encore aujourd’hui, ce sont les cellules dites satellites qui sont le plus à même de régénérer le muscle, ou plus simplement : « Beaucoup de bruit pour rien »…

La glucose-6-phosphate déshydrogénase est nécessaire à l’érythropoïèse définitive

Le déficit en glucose-6-phosphate déshydrogénase (G6PD) est de loin l’enzymopathie la plus fréquente dans le monde. Sa mise en évidence a de plus contribué à la compréhension du mécanisme d’inactivation du chromosome X [9, 10]. La G6PD répond par une production rapide de NADPH à toute agression oxydative, son déficit se traduisant, selon qu’il est plus ou moins sévère, par une hémolyse chronique ou intermittente. Bien que ce déficit affecte des millions d’individus dans le monde et que plus de 130 variants différents aient été observés, il est cependant remarquable qu’aucun mutant nul n’a jamais été décrit. Les embryons de souris déficients meurent aux environs de J11 avec des troubles oxydatifs multiples [11]. On avait de ce fait suggéré que l’absence de cette activité enzymatique était incompatible avec la vie. Une équipe italienne de Gênes a, dans cette perspective, étudié le rôle de la G6PD au cours du développement [12]. Les auteurs ont utilisé des cellules souches embryonnaires ES murines dans lesquelles ils ont délété le gène G6pd (cellules G6pdΔ). On sait que, dans des cellules ES témoins, la différenciation est normale en direction de différents lignages. Les auteurs ont réussi, par un artifice technique de culture (hanging-drop culture method) à obtenir un développement des cellules G6pdΔ, cependant plus petites que les témoins. Ils ont pu mettre en évidence l’existence de cellules spécifiques de différents tissus, cellules cardiaques, hépatocytes, cellules du mésoderme. En ce qui concerne l’hématopoïèse, ils ont exploré les gènes du stade embryonnaire (gène de globine β-H1) et ceux du stade foetal/adulte (β-globinemajeur). L’expression de β-H1 était normale, celle de β-majeur, en revanche, très diminuée, s’éteignait progressivement jusqu’à ne plus être détectable à J15, date à laquelle les cellules mouraient par apoptose. La transfection d’un vecteur exprimant G6pd rétablissait la formation de foyers érythroïdes. La première hypothèse, encore imparfaite, expliquant l’apoptose des cellules G6pdΔ adultes, serait leur incapacité à éliminer la concentration élevée de radicaux oxygène produits par l’hémoglobine adulte dont l’affinité pour l’oxygène est moindre que celle de l’hémoglobine foetale. Une protection partielle est en effet apportée par le glutathion réduit (GSH) ou d’autres agents similaires. Le phénotype du déficit en G6PD est donc bien plus complexe que sa manifestation la plus connue, l’anémie hémolytique, puisqu’il inhiberait la commutation d’une érythropoïèse foetale en une érythropoïèse définitive [13].

Le génome ancestral des vertébrés

Au cours de l’évolution des vertébrés, deux grandes lignées ont divergé il y a environ 400 millions d’années : les sarcoptérygiens (surtout représentés par les tétrapodes, c’est-à-dire les animaux à quatre membres) et les actinoptérygiens (les poissons à nageoires rayonnées, c’est-à-dire la plupart de nos poissons modernes). La comparaison de deux génomes appartenant à deux espèces de chacune de ces lignées permet de retracer leur évolution et de reconstituer le génome de leur dernier ancêtre commun. C’est ce que vient de réussir un Consortium international mené par une équipe du Genoscope (Évry, France) en réalisant l’analyse du génome du poisson Tetraodon nigroviridis [14]. Ce poisson d’eau douce, mesurant une quinzaine de centimètres, vit en Asie (Indonésie, Sri Lanka) et se nourrit principalement de mollusques et de crustacés. Commencée en 1997, l’étude devait d’abord dénombrer les gènes communs conservés entre ce poisson et l’homme. L’objectif fut atteint dès 2000 quand toutes les régions communes furent identifiées. Ce travail initial permit de réévaluer le nombre de gènes humains à 30 000 environ, alors que la communauté scientifique estimait qu’il devait en exister au moins 100 000 [15]. Ces résultats ont ensuite contribué à l’annotation du génome humain. La séquence complète du génome de Tetraodon vient enfin d’être publiée par le consortium. Son analyse prouve qu’il a subi une duplication de tous ses chromosomes très tôt dans la lignée des poissons téléostéens, c’est-à-dire il y a plusieurs centaines de millions d’années. Bien que peu de gènes subsistent aujourd’hui en deux copies, la cartographie de ces quelques gènes reliques permet de retrouver encore nettement les chromosomes anciennement dupliqués. Par ailleurs, l’empreinte de cette duplication totale apparaît distinctement par comparaison avec la séquence du génome humain, car les homologies des régions humaines se projettent alternativement sur deux régions de Tetraodon. L’équipe du Genoscope a aussi pu reconstituer une grande partie des 12 chromosomes qui constituaient le génome de l’ancêtre commun à l’homme et à Tetraodon. Depuis cet ancêtre, tandis que de nombreux remaniements (cassures, fusions, échanges) se produisaient pour aboutir au génome humain, celui des ancêtres de Tetraodon restait relativement stable après son endoreduplication. Une telle différence de plasticité génomique selon les phylums était inattendue et renforce encore l’importance de connaître et de comparer à ceux des mammifères des génomes de vertébrés qui ont divergé très tôt au cours de l’évolution.

Pourquoi un virus franchit-il la barrière hémato-encéphalique ?

Un virus venu du Moyen-Orient, le West Nile virus (WNV) a été introduit dans le monde occidental depuis 1999, et, grâce à un cycle impliquant moustiques, oiseaux et mammifères, a depuis lors diffusé aux États-Unis, au Canada et au Mexique. L’infection, souvent asymptomatique, peut aussi être à l’origine de méningites ou d’encéphalites sévères, surtout chez des sujets âgés ou immunodéprimés [16]. Le WNV est un flavivirus simple brin (ss) dont la reproduction se fait par un intermédiaire double brin (ds). On avait par ailleurs montré que, chez la souris, le WNV franchit la barrière hémato-encéphalique (BHE) et produit une encéphalite létale [17]. Une étude récente, coordonnée par le Howard Hughes Medical Institute de l’Université de Yale (CO, USA), a analysé le mécanisme immunitaire et la cascade de signalisation impliqués dans ce processus [18]. Le rôle des récepteurs Toll (TLR, Toll-like receptors) dans les premières étapes de l’immunité innée a été très étudié ces dernières années. Il en existe 11 ou 12, dont chacun a une spécificité dans la reconnaissance d’une structure pathogène. TLR-3, en particulier, reconnaît le cytomégalovirus et d’autres virus ds [19]. Les auteurs ont mené leur étude chez des souris Tlr3-/-, comparées à des animaux témoins. Ils ont constaté, chez les souris déficitaires, une augmentation de la charge virale sanguine, mais, à leur surprise, une survie des animaux avec diminution de la maladie neurologique et du taux des cytokines dans le système nerveux central (SNC). Pour vérifier le rôle de TLR-3 dans la perméabilisation de la BHE, ils ont alors utilisé un colorant dont ils ont démontré la pénétration dans le cerveau chez les témoins et le blocage chez les souris déficitaires. Ils ont confirmé ces résultats en montrant qu’un ligand synthétique de TLR-3 se comporte comme le virus et provoque l’exclusion du colorant. Une étape de plus a aussi été démontrée : deux cytokines sont déficitaires chez les souris Tlr3-/-, l’interleukine-6 et le TNF-α (tumor necrosis factor α). En invalidant l’un ou l’autre, les auteurs ont montré que seul le déficit en TNF-α reproduit le phénotype du déficit en Tlr-3 et permet la survie. Le TNF-α se présente donc comme l’étape suivante dans la cascade de signalisation. Y a-t-il là un nouveau modèle qui permettrait de comprendre les infections du SNC [20] ? La réponse immune peut-elle induire des médiateurs aptes à modifier la perméabilité de la BHE ? D’autres signaux TLR auraient-ils un rôle similaire vis-à-vis d’autres pathogènes, ou s’agit-il d’un mécanisme spécifique du WNV ? Quel serait le rôle des chimiokines ? Enfin, pourrait-on envisager un usage thérapeutique d’anticorps anti-TNF-α ? On voit que de nombreuses questions subsistent dans ce modèle fascinant.

De l’inutilité du mâle dans la société… des fourmis !

Nos sociétés en quête de modèles devraient-elles s’inspirer des organisations régissant les insectes sociaux, et imiter ces monarchies féminines observées chez les hyménoptères ? Dans ces communautés bien ordonnées, qu’il s’agisse d’abeilles ou de fourmis, le rapport sexuel n’est pas le moyen essentiel de la conservation de l’espèce. La reine, fécondée au cours de sa première envolée nuptiale par un mâle, garde le parfait contrôle des naissances, et surtout du sexe de sa progéniture. Elle stocke les spermatozoïdes dans une spermathèque et, si la colonie a besoin d’ouvrières, laissera le sperme s’écouler de la spermathèque vers l’oviducte. Les oeufs alors fécondés seront diploïdes et le devenir ultérieur des larves, vers un futur royal et fertile, ou un destin de travailleuse stérile, dépendra de l’environnement nutritionnel. Les mâles, utiles pour ce rare accouplement, seront au contraire les produits d’une parthénogenèse d’oeufs non fécondés restés haploïdes (appelée arrhénotoquie). Mais il existe encore une autre forme de parthénogenèse, la thélytoquie qui permet de produire des femelles diploïdes sans avoir recours à la fécondation. Ce processus s’obtient par une simple fusion secondaire de deux noyaux haploïdes issus, après la seconde division méiotique, de deux ovocytes différents d’une femelle fertile. Bien qu’il semble rarement utilisé, ce mode de reproduction a été observé chez une espèce d’abeilles (Apis mellifera capensis) et cinq espèces de fourmis. Il est utilisé par les ouvrières qui acquièrent ainsi, sans recourir à l’accouplement, une indépendance vis-à-vis de la reine [21]. Cette parthénogenèse féminine mérite qu’on s’interroge sur l’intérêt de la reproduction sexuée, puisque cette dernière implique, en particulier pour la reine, la perte de la moitié de son patrimoine dans sa descendance. Certes, cette perte est assortie d’une richesse dans la diversité, permettant une meilleure adaptation aux modifications de l’environnement ou à des travaux spécialisés. Il est donc judicieux d’y avoir recours pour donner naissance à des ouvrières, qui n’ont généralement pas de descendance, mais qui devront, bien plus que les reines, s’adapter à l’environnement et à la spécialisation des tâches. A contrario, il apparaît de beaucoup préférable d’éviter le coût de la reproduction sexuée et de transmettre la totalité de ses propres gènes aux futures reines reproductrices ! Une équipe, regroupant des chercheurs belges, français et suisses, vient de démontrer que cette stratégie était quasi systématiquement utilisée par les reines, pour donner naissance à de nouvelles reines, dans une espèce de fourmis : Cataglyphis cursor [22]. Ici, les reines produisent des mâles par parthénogenèse, des ouvrières par reproduction sexuée et des reines par thélytoquie. Ce triple choix apparaît comme une stratégie idéale, digne du Meilleur des Mondes. Mais alors, pourquoi l’ensemble des hyménoptères de la planète ne l’a-il pas systématiquement adopté ? Les auteurs émettent différentes hypothèses parmi lesquelles la plus amusante, plus politique que scientifique, envisage le danger d’un tel mode de reproduction asexuée : tombé entre les pattes des ouvrières, il deviendrait une arme subversive pour ébranler la souveraineté des reines et sèmerait, dans cette société très hiérarchisée, les premiers germes d’une révolution ! Le mâle, et le sexe, n’auraient donc finalement qu’une fonction anti-révolutionnaire dans le monde des insectes… comme dans celui de Michel Foucault [23] !

Dépression unipolaire : implication de l’enzyme de synthèse de la sérotonine ?

De nombreuses maladies neuropsychiatriques ont été reliées à des dysfonctionnements de la neurotransmission sérotoninergique qui est une des cibles majeures des antidépresseurs (tricycliques, inhibiteurs de recapture ou de dégradation) [24]. En outre, des études de liaison génétique ont été publiées pour la plupart des gènes impliqués dans la synthèse, la dégradation, la recapture et la transduction du signal de la sérotonine (5-hydroxy-tryptamine, 5-HT) Parmi ces gènes, celui codant pour la tryptophane hydroxylase de type 2 - identifiée en 2003 comme étant l’enzyme clé qui contrôle la synthèse de sérotonine dans le système nerveux central - avait échappé jusqu’à présent à cette analyse. Pourtant, un polymorphisme, résultant en un variant fonctionnel pro447Arg, qui induit une diminution de 55 % de la synthèse de 5-HT dans un modèle cellulaire, avait été décrit en juillet 2004 chez la souris. Les animaux homozygotes pour cette mutation présentaient une réduction de 50 % à 70 % de la synthèse du neurotransmetteur dans le cortex et le striatum avec des réponses différentielles aux antidépresseurs [25]. Ces mêmes auteurs ont donc recherché une mutation équivalente chez l’homme et évalué sa fréquence dans des populations de patients [26]. Le criblage des 11 exons du gène hTPH2 a permis d’identifier un SNP (single nucleotide polymorphism) homologue (G1463A) sur une arginine très conservée dans la séquence de toutes les hydoxylases des acides aminés aromatiques. Cette mutation Arg441His entraîne une diminution de 80 % des taux de 5-HT sur les cellules PC12 transfectées par rapport à la TPH2 sauvage. L’effet est additif. La mutation n’empêche pas l’oligomérisation de l’enzyme mais pourrait affecter la conformation de la protéine, par analogie à la mutation Arg408Trp de la phénylalanine hydroxylase dans la phénylcétonurie. Sur 219 sujets dans la population témoin, un seul était homozygote et deux hétérozygotes. Aucun des 60 patients bipolaires n’était porteur de la mutation. En revanche, sur 87 patients atteints de dépression unipolaire, trois étaient homozygotes et six hétérozygotes pour la mutation. Sept des neufs patients avaient des antécédents familiaux avec abus d’alcool et de drogues, six des idées ou des tentatives de suicide, quatre des symptômes d’anxiété généralisée et sept un défaut de réponse aux inhibiteurs de recapture de la sérotonine. De manière intéressante, les trois sujets « témoins » porteurs de la mutation présentaient des symptômes co- morbides (anxiété généralisée pour le sujet homozygote et dépression mineure et antécédents familiaux avec abus d’alcool et de drogues pour les deux hétérozygotes). Ces résultats impressionnants appellent une confirmation. D’ores et déjà, une étude québécoise d’association a identifié des SNP dans la région non codante du gène hTPH2 dans la dépression bipolaire [27]… En tout état de cause, il semble bien que les maladies psychiatriques sont en train d’entrer dans le champ de la pharmacogénétique.

Le TGFβ impliqué dans la prévention de l’ostéoporose par les oestrogènes

L’hypothèse d’un rôle primordial de la carence en oestrogènes dans l’ostéoporose post-ménopausique, originellement émise par Albright en 1941, est validée par de nombreuses preuves expérimentales et cliniques. Y. Gao et al viennent de démontrer que la prévention de perte osseuse par les oestrogènes implique le TGFβ (transforming growth factor β) [28]. Pour parvenir à cette conclusion, les auteurs se sont appuyés sur deux séries de faits. (1) Il est établi que la carence en oestrogènes accroît le pool de cellules T productrices de TNFα (tumor necrosis factor α). Le TNFα stimule la production de RANKL (receptor activator of nuclear factor-κB ligand) - cytokine clé dans le recrutement et l’activation des ostéoclastes - et celle d’autres cytokines intervenant dans la perte osseuse post-ovariectomie (dont l’IL-7). L’accroissement du pool de cellules T implique une augmentation de l’IFNγ et de la présentation d’antigène (Ag) via une induction du transactivateur de classe II (CIITA) et du CMH-II par les macrophages de la moelle osseuse (MMO). Le rôle pivot des cellules T productrices de TNFα est démontré par l’absence de perte osseuse post-ovariectomie chez des souris nude déficientes en cellules T, mais le mécanisme par lequel la carence en oestrogènes stimule la production d’IFNγ restait indéterminé. (2) On sait que le TGFβ, dont les concentrations osseuse et sérique sont augmentées après apport d’oestrogènes et diminuées après ovariectomie, diminue la présentation d’antigène via une modulation de l’expression de CIITA. Il bloque également l’activation des cellules T et leur production de TNFα, ainsi que la production d’IL-7. Compte tenu des ces deux ordres de données, les auteurs ont cherché à démontrer que le TGFβ était une cible précoce majeure des oestrogènes dans l’os. De fait, ils montrent que les oestrogènes stimulent la production de TGFβ de MMO et ne préviennent pas la perte osseuse des souris qui ont un blocage spécifique de la signalisation via le TGFβ dans les cellules T (souris CD4dnTGFβIIR). Les souris CD4dnTGFβIIR présentent une stimulation de la production d’IFNγ, de l’expression de CIITA, de la présentation d’antigène, et du pool et de l’activation de cellules T. Inversement, la surexpression de TGFβ in vivo bloque complètement l’activation des cellules T et la perte osseuse induites par l’ovariectomie. Ces résultats démontrent que le TGFβ joue un rôle central précoce dans la cascade d’événements par lesquels les oestrogènes préviennent la perte osseuse. S’ils sont confirmés chez la femme, cette voie de signalisation pourrait devenir stratégique pour élucider les mécanismes impliqués dans l’augmentation des risques de cancer observée sur de grandes séries de femmes ayant reçu un TSH lors de la ménopause.

La cellule souche du jour d’avant

Le domaine des cellules souches embryonnaires humaines nous propose un nouveau sujet de réflexion sur la course poursuite entre progrès technique et questionnement éthique. Jusqu’ici les lignées de cellules souches étaient produites à partir d’embryon in vitro de 5 jours - stade blastocyste - et nécessitaient le recueil délicat du groupe de cellules de la masse interne, accessible après digestion des enveloppes de cellules destinées à former les annexes et le placenta. Il semble maintenant possible [29], avec un taux de succès comparable (8 sur 46), de produire des lignées directement à partir d’une morula, soit un embryon de 4 jours seulement, où les cellules semblent encore indifférenciées et toutes similaires. La méthode est a priori plus simple et plus rapide. Elle ouvre en fait un nouveau champ de possibilités techniques et donc de questionnement éthique. En effet, la moitié des embryons arrêtent de se développer, précisément entre le 4e et le 5e jour. La nouvelle méthode pourrait permettre de comprendre pourquoi. Mais, en parallèle, ce travail offre une plus grande facilité d’accès aux cellules souches de chaque embryon. Il serait dès lors envisageable, au prix d’une certaine amélioration technique, de prélever une cellule sur la morula et d’en obtenir une lignée, composée de cellules souches éventuellement plus « performantes » que les cellules du sang du cordon. Évidemment, le danger d’eugénisme se profile aussi puisqu’une telle lignée permettrait infiniment plus d’analyses que celles, très limitées, qui sont faites dans le cadre d’un DPI (diagnostic pré-implantatoire) pratiqué sur une seule cellule.

Recherche publique et conflit d’intérêt

Le conflit d’intérêt dans la recherche publique était encore totalement nié il y a peu. L’interaction de plus en plus étroite de la recherche publique et de la recherche privée conduit maintenant à rechercher la plus grande transparence et met ainsi à jour de nouvelles facettes du problème. C’est pourquoi le NIH (National Institutes of Health) vient de décider un moratoire d’un an concernant les contrats de consultance externe de ses chercheurs. Un problème laissé de côté par la loi de 1999 en France, d’une extrême générosité quant aux possibilités de valorisation individuelle des fruits d’une recherche publique. La question est aujourd’hui posée dans un éditorial de Nature du 4 novembre 2004 [30] des limites qu’une agence de recherche publique doit s’imposer dans l’acceptation de contrats avec le privé. Le cas concret est un contrat de 2 millions de dollars signé avec le lobby de l’industrie chimique pour une étude de l’Agence américaine de l’environnement (EPA) sur les effets toxiques éventuels sur les jeunes enfants des pesticides et des produits chimiques domestiques. C’est l’impartialité de l’étude et des résultats qui est d’emblée mise en cause par cette acceptation. Peut-on être « prestataire de service » et impartial ? La réponse n’est pas un simple oui ou non. Le problème est en effet le degré de confiance que pourra avoir le public face à une étude commanditée par le groupe impliqué au premier chef par les résultats. Nous renvoyons sur cette question à la très intéressante intervention de Martin Hirsch, directeur de l’AFSSA (Agence française de sécurité sanitaire des aliments), lors des Assises des États Généraux de la Recherche de Grenoble [31]. En l’occurrence, il n’aurait pas accepté un tel contrat. Cela pose la question des procédures à mettre en place pour permettre l’expertise scientifique, y compris à la demande des industriels, sans risquer a priori la suspicion de partialité. La réponse n’est pas simple.

Le syndrome de Sarah

D’aventures tardives en remariages successifs, la société est en générale très complaisante avec les hommes qui procréent jusqu’à un âge avancé. En revanche, la fertilité d’une femme est arbitrairement limitée à son 45e, voire, à l’extrême, à son 50e anniversaire, généralement associé à l’amorce de la ménopause. L’allongement de la durée de la vie, surtout pour les femmes, et les problèmes de santé majeurs liés à la ménopause, depuis l’ostéoporose jusqu’aux troubles de l’humeur en passant par les risques cardiovasculaires et les maladies neurodégénératives, font poser la question du traitement de la ménopause. Substitutif aujourd’hui mais qui pourrait demain se fonder sur une amélioration globale de la fonction ovarienne. En effet, contrairement à l’idée ancienne d’une ménopause associée à l’épuisement du stock d’ovules, des travaux récents [32] ont montré qu’il existait un équilibre entre cellules souches ovariennes et apoptose. L’épuisement survient lorsque l’équilibre penche en faveur de la mort cellulaire. Stimuler la production de cellules souches ovariennes reviendrait donc à prolonger la durée de vie active de l’ovaire… et donc la fertilité féminine. Dès lors se pose la question de l’âge limite de la grossesse.

Syndrome de Rett, la boucle paternelle perdue

Le syndrome de Rett, ce grave désordre neurologique qui n’atteint que les filles ((→) m/s 1996, n° 11, p. 1280) n’en finit pas de nous réserver des surprises, et les lecteurs de m/s n’ont pas manqué d’en être régulièrement informés. Tout d’abord, la traque du gène fut longue et laborieuse. Ce n’est qu’en 1999 que celui-ci était isolé ((→) m/s 1999, n° 11, p. 1334).

Mais la découverte de ce gène, MeCP2, muté dans environ 80 % des cas de syndrome de Rett ((→) m/s 2001, n° 6-7, p. 810) n’avait pas résolu le problème étiopathogénique de la maladie. Car, fait exceptionnel dans les maladies génétiques, on avait toute raison de penser qu’il s’agissait d’un mécanisme épigénétique. MeCP2 code en effet pour une protéine : la methyl-CpG-binding protein qui se lie spécifiquement aux îlots CpG méthylés. Or, la méthylation est impliquée dans plusieurs mécanismes de répression des gènes : (1) l’inactivation des gènes situés sur un des deux chromosomes X chez la femme ; (2) l’inactivation des gènes soumis à empreinte parentale, c’est-à-dire méthylés sur un des deux allèles, maternel ou paternel. Le gène MeCP2, en se liant aux îlots CpG méthylés, devait intervenir en modifiant la structure de l’ADN pour empêcher l’expression d’un ou de plusieurs gènes impliqués dans le développement du cerveau ou la régulation des fonctions neuronales. Encore fallait-il connaître ces gènes cibles et démontrer la modification de la chromatine. C’est ce que viennent de réussir enfin S. Horike et al. [33]. Après avoir séquencé une centaine de sites se liant à MeCP2 dans le cerveau de souris, il apparut qu’un groupe de gènes situé sur le chromosome 6 murin - comprenant DLX5 et DLX6 - avait une transcription nettement plus élevée chez les souris Mecp2-nulles (où MeCP2 a été invalidé). Or, on sait que DLX5 joue un rôle important dans la synthèse de GABA, d’une part, et que, d’autre part, il est soumis chez l’homme à empreinte paternelle. Chez les souris Mecp2-nulles, ainsi que dans les lignées lymphoblastoïdes de malades atteintes de syndrome de Rett, l’expression accrue (multipliée par 2) de DLX5 s’accompagne d’une perte de l’empreinte parentale. De plus, les chercheurs ont démontré que l’empreinte paternelle se fait par l’intermédiaire de la formation d’une boucle de chromatine de 11 kb, boucle absente dans la chromatine de cerveau de souris Mecp2-null. En raison de la présence dans cette région d’une méthylation de l’histone H3 (à Lys9), il est possible que cette boucle dépende de la méthylation des histones plutôt que de celle de l’ADN. L’accent est donc mis désormais sur DLX5 et sur son rôle dans la différenciation des neurones GABAergiques. Du reste, certains travaux avaient signalé une diminution de la densité des récepteurs GABAérgiques dans l’encéphale des malades [34, 35]. Les techniques d’imagerie cérébrale vont sans doute permettre de mettre en évidence les régions où il existe des altérations de la transmission GABAergique. Enfin, DXL5 n’est probablement pas le seul gène en cause. Des mutations du gène codant pour CDKL5 (cyclin-dependant-kinase-like-5) ont été trouvées dans des formes de syndrome de Rett avec épilepsie à début précoce, ce qui justifie une étude de l’empreinte parentale dans ces cas. Bien qu’il reste sans doute beaucoup encore à découvrir, ce travail est une étape importante, non seulement dans la compréhension du syndrome de Rett, mais aussi dans celle du contrôle des gènes à expression cérébrale.