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Je veux parler d’un espace et d’un temps qui s’exercent avant les ires de la loi paternelle, avant l’ordre de la langue, avant les commencements de l’apprentissage du monde. 

Anne Dufourmantelle, La sauvagerie maternelle

J'ai beaucoup parlé de l'amour maternel puisque c'est le seul amour que je connaisse comme étant inconditionnel. C'est celui qui ne cesse jamais, qui est à l'abri de toutes les intempéries. Il n'y a rien à faire, c'est une calamité, la seule du monde, merveilleuse. 

Marguerite Duras, Le monde extérieur

100 000 millilitres.

Une portion à blanc

prélevée à même le cap

entre les côtes.

Serpentent des rigoles

la lave se fraie un chemin

entre toutes crevasses.

Mon corps devenu volcan

tu puises le sel

le souffle de ton émergence.

La nuit tu hurles aux loups.

Une bête en moi sommeille

ne trouve pas d’apaisement.

L’absence de lumière révèle

les lentes heures à tarir.

Un flot s’écoule et nourrit

notre puits sans fond

abîme incalculable.

Nous reviendrons de ce carnage

éprouvés mais sereins.

Toi, foisonnant farfouilleur

moi, béante et pleine

d’une autre sève.

Après l’expression ardente

de mes sucs germera

une ouverture

nouvelle manière d’alimenter le sol

une humanité à la fois.

La maternité nous ancre disent certaines

d’autres croient qu’elle nous rive à la terre.

Je ne suis plus attachée

qu’au rythme de tes déglutitions

nocturnes, diurnes

jours et nuits se confondent.

Une table faste où s’étale

chacun de mes membres rompus

à repeupler les soifs.

À l’hôpital, on t’a d’abord emmené.

Sorti bleu de moi mauve

enfin pas la couleur normale

celle qu’on attend des poupons.

À peine frôlé mon sein

tu recrachais des entrailles.

Ils ont dit que tes poumons tiraient

mais sur qui ? sur quoi ?

Ils t’ont emmené et je suis restée

seule sur la table d’éviscération.

Le corps brûlé par la douleur

son chemin creusé dans l’aval.

Je me suis tenue droite

petit soldat de plomb

mère vigile en attente de son reste.

Le sang abattu par la peur du vide

le spectre ardent de ta disparition.

Puis ils t’ont ramené

tu avais choisi de vivre.

Les signes étaient clairs

sans équivoque.

Désinvolte, tu t’accrocherais à moi

comme à une paroi nourricière.

Sujette aux corrosions minérales

j’allais devoir apprendre

laisser passer le flux ascendant

le bourgeonnement des eaux.

Les jours les semaines les mois

ne sont plus qu’une histoire.

Le lait les langes les larmes

une vie solide soudain se dilue

une forme nous effleure.

Les nuits les veilles les cris

un fouissement perpétuel

nous pend aux paupières

se rit de nos corps ébréchés.

Tu consacres tes heures

à l’extraction du minerai

précieux tu investis le réseau

de tout ce qui circule en moi.

Agile prospecteur, tu navigues

entre peaux anses et galeries.

Chaque veine donne lieu

à un forage intuitif.

Contremaître d’une opération

chaque jour tu poursuis ta descente

dans mes derniers retranchements.

Le contact obstiné de tes lèvres

entraîne le choc de failles insondables.

Sous le maigre soleil de cet hiver pâle

quelque chose cède qui n’avait pas de nom.

Tu dors dans la chambre d’à côté

un amour renaît de ses cendres.