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1. Introduction

Une des missions principales de l’école est l’enseignement de la lecture-écriture. Or, cet enseignement est long et complexe. Une des raisons de cette complexité est liée à notre langue française qualifiée d’opaque (Bonin, Collay et Fayol, 2008; Lété, Peereman et Fayol, 2008). En effet, notre alphabet est composé de 26 lettres qui servent à transcrire 36 phonèmes. Il est donc parfois nécessaire de combiner plusieurs lettres pour produire une unité écrite (le graphème) correspondant à l’unité phonologique (le phonème). Notre langue possède 130 graphèmes pour transcrire ces 36 phonèmes (Manulex Infra; Peereman, Lété, Sprenger-Charolles, 2007). De ce fait, à un même phonème correspondent plusieurs graphèmes (p. ex. /k/ s’orthographie «c», «qu», «k», «ck», «ch», Fayol, 2003).

La mémorisation des formes orthographiques permet d’élargir le répertoire de notre lexique mental que l’on considère comme le stockage de mots ou d’unités sublexicales. Plus ce lexique mental est riche, plus le lecteur ou le scripteur pourra accéder rapidement à la forme orthographique d’un mot et ainsi allouer son attention sur des processus de plus haut niveau tels que la compréhension en lecture et la production écrite de texte (Bourdin, Cogis et Foulin, 2010). Il est donc nécessaire d’acquérir des connaissances orthographiques lexicales afin de pouvoir lire vite et bien, mais également pour produire une orthographe correcte.

Dans la suite de cet article, nous détaillerons les principaux facteurs cognitifs (phonologique par le décodage et par le traitement visuel et graphomoteur par l’écriture) impliqués dans l’apprentissage de l’orthographe. Nous exposerons la méthodologie et les résultats de notre recherche et nous discuterons de ces derniers dans la dernière partie de cet article. Nous répondrons à la question du nombre de lectures-écritures nécessaire pour un apprentissage de la forme orthographique d’un mot. Nous faisons l’hypothèse qu’une différence entre les niveaux scolaires sera observée: les enfants les plus jeunes auront besoin de plus de lecture-écriture que les enfants plus âgés.

1.1 Apprentissage explicite ou implicite

De manière générale, l’apprentissage d’une notion peut être effectué selon deux versants: un versant explicite et un versant implicite (Gombert, Bryant et Warrick, 1997; Pacton, Fayol et Perruchet, 2002).

Lors d’une situation d’apprentissage explicite, l’attention des sujets est focalisée sur la connaissance à acquérir. Dans le cas de ce qui nous intéresse ici, à savoir l’apprentissage de l’orthographe lexicale, le versant explicite relève d’un enseignement systématique et se décline en trois étapes. Lors de la première étape, dite déclarative, l’adulte fournit à l’enfant des informations sur ce qu’il doit faire. Il lui apprend à identifier les règles à traiter. C’est lors de cette étape que l’enfant acquiert les connaissances graphophonémiques. Suit une étape de transition, lors de laquelle l’enfant a de moins en moins besoin de verbaliser ce qu’il est en train de faire. Les connaissances déclaratives se «procéduralisent» pour devenir inconscientes lors de la dernière étape, l’étape procédurale.

De nombreuses études (p. ex. Cunningham, 2006) ont révélé que l’apprentissage de l’orthographe dépend des connaissances phonologiques et orthographiques préalables. Ces connaissances sont acquises explicitement. Les enseignants donnent la forme orale du mot auquel les enfants sont exposés à l’écrit, que ce soit sur des unités sublexicales telles que les graphèmes ou sur des unités plus larges telles que le mot entier (Pacton, Fayol et Lété, 2008). C’est la situation classique du début d’apprentissage. Il est donc primordial dans un premier temps d’acquérir des connaissances phonologiques qui permettront le décodage en lecture. Selon Fayol et Jaffré (2014) il est nécessaire de passer par un apprentissage explicite des correspondances phonographémiques, d’autant plus lorsque ces correspondances sont complexes (une forme phonologique pour plusieurs graphèmes possibles). Pour ces auteurs, cet enseignement nécessite une instruction par étapes dont le premier temps est de focaliser l’attention des enfants sur ce qui peut leur poser un problème lors de l’apprentissage. Dans le cadre de cet apprentissage explicite, on note l’importance des rétroactions de l’enseignant sur l’orthographe produite. En effet, il est important de ne pas laisser l’enfant face à une production orthographique erronée qui serait ensuite difficile à corriger (Carrion, 2010). C’est le cas dans les situations d’orthographe inventée (Fayol et Jaffré, 2014; Morin et Montesinos-Gelet, 2007; Mauroux, 2014). Dans ce type d’enseignement, les enfants doivent produire l’orthographe d’un mot à partir de leurs connaissances préalables sur les correspondances phonographémiques. Le propre de ce type d’apprentissage est de verbaliser des stratégies de production et d’amener les enfants vers une production orthographique normée. C’est un apprentissage explicite que l’on peut commencer dès la maternelle.

Compte tenu du nombre de mots stockés dans notre lexique mental, l’enseignement explicite de chaque item ne peut être le seul type d’enseignement possible. En effet, on acquiert également des connaissances par un apprentissage implicite. Le propre de ce versant implicite est de ne pas avoir conscience que l’on est en train d’apprendre. Il est nécessaire d’être confronté à plusieurs expositions pour acquérir une connaissance. En ce qui concerne l’apprentissage de l’orthographe lexicale, la principale situation d’apprentissage implicite serait la situation de lecture, on parle alors d’autoapprentissage.

1.2 L’apprentissage de l’orthographe par la lecture

Apprendre à lire nécessite d’établir une connexion entre la forme orthographique et la forme phonologique des mots (Erhi, 2005). En pratique deux situations permettent d’acquérir les connaissances phonologiques, graphophonologiques pour la lecture et phonographémique pour l’écriture des mots. La première situation, explicite, nécessite que les enfants développent leur conscience phonologique pour acquérir les connaissances nécessaires à la lecture-écriture. La conscience phonologique se développe très tôt. Au tout début, les élèves travaillent essentiellement sur la rime. Par la suite, il s’agit de prendre conscience qu’il existe plusieurs phonèmes dans un mot par des situations relevant de l’abstraction de phonèmes dans un mot (c.-à-d.maman devient aman) ou de l’inversion de syllabes (c.-à-d. photo de vient topho) par exemple. L’acquisition de cette connaissance permet de développer des compétences dans le décodage des mots. Plusieurs études ont établi le lien entre les connaissances phonologiques et la capacité à devenir un lecteur expert (Fayol et Jaffré, 2014). Il est donc primordial dans un premier temps d’acquérir des connaissances phonologiques qui permettront le décodage en lecture.

La deuxième situation est celle où l’enfant a acquis suffisamment de connaissances graphophonémiques pour pouvoir générer seul la forme orale des mots qu’il lit. C’est l’hypothèse de l’autoapprentissage de Share (1999, 2004). Lorsque l’apprenant décode correctement un mot, il en mémorise sa forme orthographique. Cette hypothèse d’autoapprentissage a été confirmée par différentes études et dans différentes langues, de la plus transparente comme l’hébreu (Ibid.) à la plus opaque comme l’anglais ou le français (Bowey et Muller, 2005; Cunningham, Perry, Stanovich et Share, 2002; Nation, Angell et Castles, 2007), mais également en néerlandais (De Jong, Bitter, Van Setten et Marinus, 2009) et en français (Bosse, Chaves, Largy et Valdois, 2015; Chaves, Bosse et Largy, 2010; Chaves, Combes, Largy et Bosse, 2012).

Chaque étude a permis d’apporter des précisions sur l’apprentissage de l’orthographe lexicale. Ainsi, le nombre d’expositions nécessaires à l’acquisition des connaissances orthographiques semble varier en fonction de la langue (Nation et al., 2007). Toutefois, il est également démontré par des études réalisées dans une même langue, le néerlandais (p. ex. Bosman et Van Orden, 1997), que les jeunes lecteurs font autant d’erreurs orthographiques qu’ils aient lu le mot dix-huit fois ou trois fois (Bosman et de Groot, 1991). L’autoapprentissage est efficient de la 1re année à la 5e année (Cunningham, 2006; Share, 2004). Son effet est trouvé dans des situations de lecture à voix haute ou silencieuse (Bowey et Muller, 2005; De Jong et Share 2007; De Jong et al., 2009), avec des mots réels ou des pseudo-mots (Bowey et Miller, 2007; Cunningham, 2006; De Jong et Share, 2007; Kyte et Johnson, 2006; Nation et al., 2007), qu’ils soient lus en contexte, c’est-à-dire inclus dans un texte, ou de manière isolée (Nation et al., 2007; Share, 2004). Le maintien des connaissances orthographiques acquises par autoapprentissage est significatif après un délai d’un mois (pour une revue sur l’autoapprentissage, voir Share, 2008).

Selon l’hypothèse d’autoapprentissage la lecture-décodage serait la condition sine qua non de l’acquisition des connaissances orthographiques lexicales. Cependant, il semblerait que le décodage ne soit pas le seul processus cognitif impliqué dans l’autoapprentissage des connaissances orthographiques (Cunningham, Perry, Stanovich et Share; 2002; Share, 1999, 2004; Nation et al., 2007). En effet, des enfants bons lecteurs présentent des lacunes dans la production orthographique et, à l’inverse, des enfants faibles lecteurs peuvent avoir des connaissances orthographiques appréciables (Fayol, Zorman et Lété, 2009).

Share (2004) suppute une implication des processus visuo-orthographiques dans l’apprentissage de l’orthographe lexicale. Toutefois, les processus visuo-orthographiques étudiés par Share (2004) relèvent d’un score composite incluant aussi bien les connaissances orthographiques préalables que la mémoire visuelle à court terme ou la vitesse de traitement. C’est pourquoi des études complémentaires ont été réalisées afin de préciser ce traitement visuel.

1.3 Apprentissage de l’orthographe lexicale par un processus visuel

L’équipe du laboratoire Psycho-Neuro-Cognition (LPNC) de Grenoble a mis en évidence l’implication d’un processus visuel dans l’apprentissage orthographique. La plupart des recherches se sont centrées sur l’étude de l’empan visuoattentionnel (EVA) chez les enfants dyslexiques. Cet EVA a été défini par Bosse, Tainturier et Valdois (2007) comme étant une prise d’informations faite sur l’ensemble des lettres du mot en une seule fois. Les recherches effectuées dans ce cadre permettent d’avancer qu’un déficit de l’EVA est corrélé avec la dyslexie de surface (voir Valdois, 2008 pour une revue).

Les processus visuo-orthographiques ont également été explorés dans une situation d’apprentissage de l’orthographe lexicale chez des enfants normolecteurs (Bosse, Chaves Largy et Valdois, 2015; Chaves et al., 2012, 2010). Les auteurs font l’hypothèse que le traitement visuel simultané est une prise d’informations sur toutes les lettres d’un mot fait en une seule fois (comme pour l’EVA) qui favorise l’autoapprentissage de l’orthographe lexicale. Dans ces différentes études, les auteurs élaborent un paradigme expérimental avec deux conditions de lecture. Dans la première condition, le traitement visuel simultané est possible et les pseudo-mots apparaissent en entier. Dans la seconde condition, ce traitement visuel simultané est empêché par une présentation syllabique des items. Les résultats indiquent que la forme orthographique des pseudo-mots est mieux reconnue lorsqu’ils ont été lus dans la condition «traitement visuel simultané» possible. Par ces études, les auteurs précisent le facteur visuo-orthographique supputé par Share (1999) et Cunningham (2006). Dans une situation d’apprentissage, en plus du traitement phonologique, le traitement visuel simultané est impliqué dans l’acquisition des connaissances orthographiques lexicales, mais seulement à partir de la 2e année.

1.4 Apprentissage de l’orthographe lexicale par l’écriture

Il existe une forte interaction entre la lecture et l’écriture. Conrad (2008) précise que ce que l’on apprend en lecture sert à l’apprentissage de l’écriture et ce que l’on apprend en écrivant sert à l’apprentissage de la lecture (Ehri, 2005). De nombreuses recherches se sont intéressées à l’apprentissage de l’orthographe lexicale par la lecture (p. ex. Share, 2008), mais peu se sont centrées sur l’impact du geste graphomoteur dans l’acquisition de ces connaissances orthographiques. Dans leur étude, Shahar-Yames et Share (2008) proposent deux situations d’apprentissage à des enfants de 3e année: la première basée uniquement sur la lecture de pseudo-mots insérés dans des phrases et la seconde basée sur la lecture-écriture de ces mêmes pseudo-mots. Ainsi, dans la première situation, les enfants lisent deux fois deux phrases contenant chacune le pseudo-mot cible. Après deux lectures de chaque phrase, les phrases sont cachées, puis une question de compréhension est posée à l’oral. De ce fait, les enfants sont exposés à la forme phonologique de l’item cible. Dans la deuxième situation, la lecture-écriture, les enfants doivent lire une seule fois les deux phrases contenant l’item cible. Ensuite, le mot est dicté; ils sont là encore confrontés à la forme phonologique. Après une lecture de chaque phrase, celles-ci sont cachées, puis on demande à l’enfant d’écrire le mot comme il était écrit. Le mot écrit est ensuite caché et on dit à l’enfant de réécrire ce mot. On a donc, pour la condition lecture seule, quatre lectures et le mot entendu une fois. Pour la condition lecture-écriture, nous aurons seulement deux lectures, deux écritures et le mot entendu une fois. Shahar Yames et Share ont voulu rendre le plus comparables possible les deux conditions d’apprentissage et ne les distinguer que par la condition lecture-écriture. Ils ont ainsi pu dire que, comme les enfants avaient mieux mémorisé les mots après une lecture-écriture qu’après une lecture, l’écriture manuelle devait avoir joué un rôle important dans la mémorisation.

Toutefois, une question se pose quant à cette méthodologie de l’apprentissage de l’orthographe lexicale. En effet, dans la condition lecture, seule une question de compréhension est posée à l’enfant. On ne lui demande jamais de rappeler l’orthographe du pseudo-mot, juste de le rappeler oralement, alors que dans la situation de lecture-écriture l’enfant doit être dans un rappel lettre à lettre du mot demandé. La question se pose alors de savoir si ce n’est pas ce travail de recherche en mémoire de chacune des lettres qui est important plutôt que le tracé manuel lui seul. Pour répondre à cette question, Bosse, Chaves et Valdois, (2015) reprennent le paradigme expérimental de Shahar-Yames et Share (2008). Si la condition lecture-écriture est conservée, la condition lecture varie. En effet, dans cette condition, plutôt qu’un rappel oral du mot, les enfants doivent épeler le mot dicté. Ils sont donc placés dans un rappel orthographique oral lettre à lettre. Ainsi, pour les deux conditions d’apprentissage, le rappel est identique et repose sur l’épellation orale ou manuelle des pseudo-mots. Les résultats de cette étude indiquent également un meilleur apprentissage de l’orthographe lexicale lorsque celui-ci a été effectué à l’écrit.

Les résultats de ces études révèlent donc qu’écrire un mot favorise la mémorisation de sa forme orthographique. D’autres recherches soutiennent la relation entre le niveau d’habiletés graphomotrices et la capacité à bien orthographier les mots chez des élèves du primaire (Fayol et Miret, 2005; Morin, Lavoie et Montésinos-Gelet, 2012; Pontart, Bidet-Ildi, Lambert, Morisset, Flouret et Alamargot, 2013; Wicki, Hurschler Lichtseiner, Geiger et Müller, 2014). L’ensemble de ces travaux confirme que la graphomotricité est un facteur impliqué dans l’apprentissage de l’orthographe.

Il n’est pas rare non plus que pour faire apprendre l’orthographe des mots à des élèves, les enseignants leur demandent de les écrire plusieurs fois. Toutefois, le nombre de répétitions nécessaires n’est pas véritablement connu et la pratique des enseignants varie en cette matière. Une question découle donc de cet état de fait: combien de lectures-écritures d’un mot sont nécessaires pour que les enfants d’une classe puissent en mémoriser la forme orthographique?

Pour répondre à cette question et compte tenu des apports théoriques exposés ci-dessus, notre étude portera sur l’apprentissage de l’orthographe lexicale lors d’une situation de lecture-écriture. La collecte des données a été réalisée auprès d’enfants scolarisés de la 2e année à la 5e année scolaire. Peu d’études rapportent un apprentissage dès la 1re année et, après un entretien avec les enseignantes, il s’avère que les pseudo-mots n’ont pas pu être lus par des lecteurs débutants en raison de leur complexité. De plus, les items ont été présentés pendant 250 millisecondes pour favoriser un traitement visuel simultané. Les études (Bosse et al., 2015; Chaves et al., 2010) démontrant un effet causal entre ce type de traitement visuel et l’apprentissage de l’orthographe indiquent que pour les enfants de 1re année la prise d’informations faite en une seule fois n’est pas un facteur cognitif impliqué dans l’acquisition des connaissances orthographiques lexicales. Les enfants de ce niveau scolaire sont encore dans une lecture-décodage séquentielle ne favorisant pas un tel traitement visuel. Par contre, pour les enfants de niveaux supérieurs, ces recherches (Bosse et al., 2015; Chaves et al ., 2010) ont démontré l’impact positif du traitement visuel simultané dans l’apprentissage de l’orthographe lexicale. Au regard de ces études, nous avons opté pour une situation d’apprentissage favorisant le traitement visuel simultané. D’autre part, des pseudo-mots ont été présentés de manière isolée sur un grand écran. En effet, en utilisant des mots réels nous n’aurions pas pu nous assurer que tous les enfants soient dans un réel apprentissage, compte tenu de la diversité de leurs connaissances orthographiques préalables. Les études présentées plus haut démontrent que l’apprentissage de l’orthographe ne diffère pas dans une situation de lecture à voix haute par rapport à une situation de lecture silencieuse, tout comme pour une lecture en contexte ou une lecture sans contexte. Notre recherche repose sur un apprentissage collectif, il nous a donc semblé plus opportun de donner des pseudo-mots à lire silencieusement et présentés de manière isolée.

Les performances en lecture-écriture ont été mesurées à chaque présentation sans aucune rétroaction sur leur production, puis sept jours après pour vérifier le maintien en mémoire sur du long terme. Cette étude permettra de répondre à la question du nombre d’occurrences en lecture-écriture nécessaires pour un apprentissage de l’orthographe lexicale en fonction du niveau scolaire des enfants. D’une part, on s’attend à une différence significative entre les niveaux scolaires. D’autre part, on s’attend à ce que les enfants de 2e année aient besoin de plus de lectures-écritures que les niveaux supérieurs pour mémoriser la forme orthographique des pseudo-mots lus.

2. Méthodologie

2.1 Participants

107 enfants de cinq écoles primaires du sud de la France ont été recrutés pour cette étude. Nous avons retenu les sujets dont le retard en âge lexique, mesuré avec le test de l’Alouette (Lefavrais, 1965), n’excédait pas 1,5 écart-type selon les critères du Bilan Analytique du Langage Écrit (Jacquier-Roux, Valdois et Zorman, 2002) et dont les résultats au Raven (Raven, Court et Raven, 1998) étaient supérieurs au 5e percentile. Ainsi, la population retenue est composée d’enfants normolecteurs et présentant une intelligence non verbale normale. 24 % des sujets ont été écartés. Les 81 enfants retenus sont répartis de la manière suivante: 13 élèves de 2e année, 18 de 3e, 29 de 4e et 21 de 5e année. Le tableau 1 présente les moyennes d’âge chronologique, d’âge lexique, des scores au Raven ainsi que les moyennes de leurs connaissances orthographiques préalables mesurées par une tâche de reconnaissance orthographique.

Tableau 1

Caractéristiques des participants, âge chronologique en mois (écart-type), âge lexique en mois (écart-type) et score au Raven

Caractéristiques des participants, âge chronologique en mois (écart-type), âge lexique en mois (écart-type) et score au Raven

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2.2 Matériel expérimental

2.2.1 Tâches préalables

a) Test de lecture «L’Alouette» (Lefavrais, 1965)

Les enfants doivent lire à voix haute un texte de 265 mots en 3 minutes maximum. Ce texte comporte des mots peu familiers et véhicule peu de sens, ne permettant pas au sujet de se référer au contexte pour lire un mot inconnu. Le temps mis, le nombre de mots lus et les erreurs de lecture sont pris en compte pour déterminer l’âge lexique des sujets. Il s’agit d’un bon indicateur des capacités de décodage et d’identification des mots écrits qui prend en compte à la fois la justesse et la vitesse de traitement. Nous utiliserons les scores obtenus au test de l’Alouette comme reflétant les capacités phonologiques des enfants.

b) Intelligence non verbale

Les matrices progressives de Raven (Raven et al., 1998) mesurent la capacité de raisonnement non verbal. Dans le cas des matrices progressives, chaque item est constitué d’un motif avec une partie manquante. Six ou huit images sont intégrées en dessous parmi lesquelles le sujet doit faire un choix pour compléter la partie manquante. Les items sont groupés en ensembles. Nous avons utilisé la version PM38 de ce test en passations collectives par demi-classes. Cette version compte 60 items regroupés en 5 ensembles (A, B, C, D, E) de 12 items. Les élèves donnent leur réponse sur une grille récapitulative. Chaque bonne réponse vaut un point. Le score brut maximum est de 60.

c) Connaissances orthographiques préalables

La mesure des connaissances orthographiques préalables est faite par une tâche de reconnaissance en passation collective. Cette tâche a été utilisée dans différentes études (Bosse et al., 2015; Chaves et al., 2012; 2010). Deux listes de 42 triplets de mots écrits ont été élaborées: une pour les enfants de 2e année et une pour les enfants de 3e, 4e et 5e année (voir Annexe 1). Chaque triplet est formé par un mot correctement orthographié et deux homophones distracteurs qui ne se distinguent du mot correct que sur un phonème écrit de trois façons différentes (p.ex. pissenlit, pissenlid et pissenlie). De plus, les trois graphies d’un triplet (p. ex. it, id et ie) sont utilisées dans deux autres triplets, chacune d’elles étant la graphie exacte dans un triplet différent. Nous retrouvons ainsi «id» dans le triplet nit, nid, nie et «ie» dans le triplet fourberie, fourberit, fourberid. Pour les plus grands, la fréquence moyenne des items de la liste est de 40,69 pour un million (Lété et al., 2004) avec un minimum de 2,94 (quadrille) et un maximum de 62,52 (repas). Pour les enfants de 2e année, la fréquence moyenne est de 55,83 pour un million avec un minimum de 23,99 (produit) et un maximum de 67,45 (loup). Le temps n’est pas limité. Le score maximum correspondant au nombre de mots corrects reconnus est de 42.

d) Construction des pseudo-mots

À partir de six phonèmes ambigus (phonèmes pouvant s’écrire avec différents graphèmes), six pseudo-mots bisyllabiques ont été construits (Tableau 2). Chaque item comprend approximativement le même nombre de lettres (six à sept lettres). Pour chacun d’entre eux, l’existence des bigrammes et la fréquence graphophonémique ont été contrôlées.

Tableau 2

Les six pseudo-mots avec leur graphème complexe correspondant, la fréquence graphémique et la fréquence des trigrammes et le nombre de lettres

Les six pseudo-mots avec leur graphème complexe correspondant, la fréquence graphémique et la fréquence des trigrammes et le nombre de lettres

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2.2.2 Procédure

a) Phase de prétest

Lors de cette première phase, les enfants étaient vus collectivement dans leur salle de classe pour la passation du Raven et la tâche de reconnaissance orthographique. Puis, individuellement, ils passaient le test de lecture «L’Alouette» (Lefavrais, 1965).

b) Phase d’apprentissage

Lors de la phase expérimentale, d’environ 40 minutes, les enfants étaient regroupés dans une salle de classe équipée d’un Tableau numérique interactif. Les enfants devaient lire silencieusement dix séries des six pseudo-mots. L’ordre d’apparition des pseudo-mots d’une série à l’autre était aléatoire. Avant de commencer, une phase d’entrainement avec cinq pseudo-mots simples a été effectuée. Puis l’expérimentateur leur donnait la forme orale des six pseudo-mots avant de commencer la première série. Une croix apparaissait au centre de l’écran pendant 100 millisecondes. Elle était immédiatement suivie d’un pseudo-mot qui restait 250 millisecondes à l’écran. Enfin, un masque de dièses s’affichait à l’écran pendant 1500 millisecondes avant que le second item apparaisse. La consigne donnée était «vous allez voir des mots qui n’existent pas apparaître. Vous devez les lire dans votre tête». À la fin de la première série des six pseudo-mots, l’expérimentateur dictait de manière aléatoire les items. Les enfants les écrivaient sur une feuille de papier qu’ils retournaient ensuite. Ainsi, les enfants ne pouvaient pas être exposés à leurs erreurs orthographiques. De plus, aucune rétroaction n’était donnée durant toute l’expérimentation et les enfants ne pouvaient pas avoir recours à leur production précédente. La seconde série des pseudo-mots était ensuite lancée à l’écran. À la fin de cette série, les enfants doivent écrire les pseudo-mots toujours dictés de manière aléatoire par l’expérimentateur. La procédure était identique pour les dix séries.

Les enfants étaient revus sept jours plus tard. Lors de cette dernière session, seule une dictée des six pseudo-mots leur était donnée afin de vérifier le maintien de la trace orthographique en mémoire.

3. Résultats

3.1 Apprentissage orthographique à chaque lecture

Le nombre de pseudo-mots correctement écrits après chaque série de lectures a été comptabilisé ainsi que le score des performances orthographiques obtenu sept jours après la phase d’autoapprentissage (Tableau 3).

Tableau 3

Moyennes des pseudo-mots bien écrits (et écart-types) après chaque lecture et au septième jour en fonction du niveau scolaire

Moyennes des pseudo-mots bien écrits (et écart-types) après chaque lecture et au septième jour en fonction du niveau scolaire

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Une Anova à mesures répétées, avec comme variable indépendante intersujets le niveau scolaire, a été réalisée sur les scores orthographiques des dix lectures. On observe un effet significatif du niveau scolaire F(3,77)=4,76, p<.005. Plus les enfants sont avancés dans le cursus, mieux ils écrivent les pseudo-mots qu’ils viennent de lire. On obtient également un effet significatif du nombre de lectures F(9, 693)=83,45, p<.0001. Afin de déterminer à partir de quelle lecture la différence entre les scores de pseudo-mots bien écrits n’est plus significative, nous avons conduit une série de tests de Student comparant les moyennes des scores orthographiques une à une. Ainsi, le score obtenu après la première lecture est comparé à celui de la deuxième, celui de la deuxième à celui de la troisième et ainsi de suite. Les résultats obtenus révèlent des différences significatives entre chaque lecture de la première à la cinquième (respectivement, t(80)=7,14, p<.0001, t(80)=7,15, p<.0001, t(80)=2,99, p<.005, t(80)=2,70, p<.01). À partir de la cinquième lecture, l’augmentation du nombre de pseudo-mots bien écrits n’est plus significativement différente d’une lecture-écriture à l’autre (respectivement, t(80)=0,87, ns, t(80)=1,54, ns, t(80)=0,20, ns, t(80)=1,41, ns).

De plus, aucun effet d’interaction n’a été révélé par l’Anova à mesures répétées: F(27, 693)=0,94, ns. Il semblerait donc que l’apprentissage de l’orthographe augmente entre la première et la cinquième lecture de l’item, puis stagne jusqu’à la dixième lecture. Au-delà de la cinquième présentation, le bénéfice des lectures supplémentaires dans l’acquisition des connaissances orthographiques lexicales serait moindre, et ce, à tous les niveaux scolaires.

3.2 Maintien de la trace orthographique à long terme

Afin de vérifier le maintien de la trace orthographique à long terme, une série d’analyses sur le score orthographique obtenu après un délai de sept jours a été réalisée. L’Anova à mesures répétées réalisée avec comme facteur intersujets le niveau scolaire révèle, sans surprise, un effet significatif du niveau scolaire: F(3,77)=4,82, p<.005. En effet, les élèves de 5e année sont ceux qui ont le mieux écrit les pseudo-mots sept jours après la phase d’apprentissage, mais ce sont aussi ceux qui avaient le mieux mémorisé les pseudo-mots pendant la phase d’autoapprentissage.

Une série de tests de Student a également été conduite afin de vérifier à partir de quelle lecture-écriture l’apprentissage de l’orthographe lexicale est suffisamment robuste pour être maintenu à long terme. Les résultats indiquent une perte de la trace orthographique entre le score à sept jours et les scores des lectures dix, neuf, huit, sept, six et cinq (respectivement, t(80)=4,91, p<.0001, t(80)=4,64, p<.0001, t(80)=4,79, p<.0001, t(80)=4,01, p<.0001, t(80)=3,89, p<.0001, t(80)=3,32, p<.001). Par contre, la différence n’est plus significative entre le score à sept jours et la quatrième et troisième lecture (respectivement, t(80)=1,47, ns et t(80)=1,16, ns). Les différences sont significatives entre la performance à sept jours et les deux dernières lectures (t(80)=5,93, p<.0001 et t(80)=11,02, p<.0001). Si le bénéfice observé par la cinquième lecture est significatif dans un délai immédiat, il ne se maintient pas dans le temps.

3.3 Analyse de régression

L’hypothèse d’autoapprentissage suggère que le décodage est primordial pour l’acquisition des connaissances orthographiques lexicales. Cependant, dans son analyse de régression, Cunningham (2006) révèle que d’autres facteurs cognitifs sont également impliqués dans cet apprentissage et notamment les connaissances orthographiques préalables. Dans notre étude, le score moyen d’apprentissage de l’orthographe a été calculé à partir des scores obtenus à chacune des dix lectures. Les facteurs âge chronologique, âge lexique, score au Raven et score des connaissances orthographiques préalables sont corrélés avec ce score d’apprentissage orthographique (respectivement, r(81)=45, p<.0001, r(81)=46, p<.0001, r(81)=39, p<.0001 et r(81)=45, p<.0001). Les résultats de l’analyse de régression révèlent que les quatre facteurs expliquent 38 % de la variance du score d’apprentissage (F(1,76)=5,85, p<.05). Une fois les facteurs âge lexique et intelligence non verbale pris en compte, les connaissances orthographiques préalables expliquent à elles seules 3,5 % de la variance de l’apprentissage orthographique. Ainsi, cette analyse confirme que le décodage est important dans l’acquisition des connaissances orthographiques lexicales puisqu’il explique à lui seul 21 % de la variance du score d’apprentissage, mais elle indique aussi que d’autres facteurs sont impliqués.

Tableau 4

Récapitulatif du modèle de régression

Récapitulatif du modèle de régression
  1. Prédicteurs: (constante), âge lexique (AL)

  2. Prédicteurs: (constante), AL, raven

  3. Prédicteurs: (constante), AL, raven, ortho42

  4. Prédicteurs: (constante), AL, raven, ortho42, âge chronologique (AC)

  5. Prédicteurs: (constante), raven, ortho42, AC

  6. Prédicteurs: (constante), raven, ortho42, AC, AL

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4. Discussion et conclusion

Notre objectif était de connaître le nombre de lectures-écritures qui permettrait de mémoriser une connaissance orthographique lexicale. Nous avions fait l’hypothèse que ce nombre varierait selon le niveau scolaire et que les enfants les plus jeunes auraient besoin de plus de lectures-écritures que les enfants plus âgés. Pour répondre à cette question, nous avons mis en place un protocole expérimental basé sur les différents apports de la littérature scientifique.

Nous avons vu que l’apprentissage de l’orthographe lexicale pouvait être réalisé par deux versants; explicite ou implicite. Notre protocole expérimental repose sur plusieurs lectures-écritures d’un pseudo-mot. On peut penser que la première et deuxième lecture relèvent d’un autoapprentissage, alors que les productions suivantes relèvent plus d’une situation explicite. En effet, le fait que l’on dicte les pseudo-mots plusieurs fois amène les enfants à comprendre que l’importance de cet apprentissage est basée sur la production orthographique. Ainsi, leur attention sera portée sur la forme orthographique des items présentés. De ce fait, nous considérons notre situation comme un apprentissage explicite.

Nos résultats sur le nombre de présentations de nouveaux mots diffèrent de ceux des différentes recherches sur l’autoapprentissage. En effet, dans notre expérimentation, un apprentissage de l’orthographe lexicale est effectif après cinq lectures-écritures. Des expériences conduites auprès de lecteurs débutants néerlandais démontrent que la lecture n’est pas toujours efficace pour apprendre l’orthographe des mots (Bosman et Van Orden, 1997). Des jeunes lecteurs, après un apprentissage de sept mois en lecture et en orthographe, font autant d’erreurs orthographiques après 18 lectures qu’après trois lectures (Bosman et de Groot, 1991). Dans une autre étude, toujours après dix mois d’apprentissage, Bosman et de Groot (1992) comparent l’apprentissage orthographique de nouveaux mots après six lectures ou deux lectures. Les auteurs indiquent que les enfants font autant d’erreurs orthographiques après six lectures qu’après seulement deux. La lecture favoriserait les performances orthographiques après au moins neuf lectures (Bosman et de Groot, 1991). Chez l’adulte, les performances orthographiques ont été mesurées après une, deux, trois, quatre et huit présentations. L’apprentissage de nouveaux mots serait effectif après huit lectures. Cette différence entre nos résultats et ceux précédemment mentionnés s’explique par une situation d’apprentissage différente. En effet, nous utilisons un apprentissage par lecture-écriture. Il semblerait donc que l’écriture renforce la mise en mémoire des formes orthographiques. Ainsi, le nombre d’occurrences nécessaire à l’apprentissage de l’orthographe serait moindre dans une condition lecture-écriture. C’est pourquoi, dans notre recherche réalisée avec un paradigme lecture-écriture, cinq lectures-écritures suffisent pour mémoriser la forme orthographique.

Certaines recherches ont démontré qu’outre le décodage, le facteur visuoattentionnel était également impliqué dans l’acquisition des connaissances orthographiques lexicales (Bosse et al., 2015; Chaves et al., 2010). Afin de favoriser ce traitement visuel simultané, le temps de présentation des items à l’écran a été limité à 250 millisecondes. En effet, selon Rayner (1998), le temps moyen d’une fixation oculaire en situation de lecture silencieuse est de 225 millisecondes. Ainsi, avec un temps de lecture aussi restreint, les enfants ne peuvent pas effectuer de saccade oculaire et la prise d’informations visuelles ne peut être faite qu’en une seule fois.

Des études ont révélé que le traitement visuel simultané était prédicteur de l’apprentissage orthographique (Bosse et Valdois, 2003). On peut supposer également que ce traitement oblige les enfants à activer la forme phonologique du mot entier et non pas syllabe après syllabe. Il est dit dans la littérature qu’une situation de décodage phonémique ou syllabique est plus coûteuse cognitivement. Dans ce cas, les enfants doivent mémoriser la première partie du mot, puis retrouver la deuxième partie et enfin faire l’assemblage des deux. Ce qui sollicite beaucoup la mémoire à court terme (Fayol et Jaffré, 2014). Dans la situation de l’apprentissage d’un mot, le stockage en mémoire n’est plus un stockage phonographémique, mais bien un stockage mot entier.

Dans notre étude, cet apprentissage se maintient dans le temps puisqu’on observe un taux de 72 % de pseudo-mots bien écrits après un délai de sept jours. Ce maintien à long terme de la trace orthographique permet de révéler qu’à partir de la cinquième lecture-écriture, l’apprentissage de l’orthographe est robuste.

Les résultats de l’étude de Share (2004) démontrent que les enfants de 3e année obtiennent un taux moyen de réussite à la tâche de dictée de 61 % dès la première lecture. Dans notre étude, le taux d’apprentissage à la première lecture-écriture pour les enfants de ce niveau scolaire est de 40 %. Comme Nation et al. (2007), nous pouvons arguer de la différence de transparence entre les deux langues (hébreu pointé et anglais) pour expliquer cet écart. Malgré tout, même si ce taux est plus faible que celui de Share (2004), il témoigne d’une mémorisation de la forme orthographique dès la première lecture-écriture. Ainsi, certains enfants ont pu apprendre l’orthographe d’un mot dès la première rencontre (le taux est de 41 % pour tous les niveaux scolaires). On s’attendait à ce que les enfants les plus jeunes aient besoin de plus de lectures-écritures pour mémoriser la forme orthographique. Or, les résultats indiquent qu’à partir de la cinquième lecture, le taux d’apprentissage est de 64% pour les enfants de 2e année et de 89 % pour ceux de 5e année, alors qu’ils ont commencé respectivement avec un taux de 30 % et 55 % et finissent avec un taux de 65 % et 93 % à la dixième lecture-lecture. Ainsi, le gain entre la première et dixième lecture-écriture est sensiblement équivalent entre les deux niveaux scolaires (35 % et 38 %). Les résultats de cette étude suggèrent donc que cinq lectures-écritures sont suffisantes pour mémoriser la forme orthographique d’un mot en français, et ce, de la 2e à la 5e année de primaire.

Des variabilités interindividuelles pourraient expliquer qu’à la première lecture-écriture certains enfants ne mémorisent aucun mot, alors que d’autres ont pu acquérir les connaissances orthographiques des six items proposés. Nous pensons également que le score obtenu est plus faible pour les 2e année en raison de leur niveau de lecture. En effet, les enfants de cet âge peuvent être encore dans une lecture séquentielle de décodage qui ne facilite pas l’acquisition de la forme orthographique des pseudo-mots présentés.

Il est également possible que l’effet du testing soit impliqué dans cette situation d’apprentissage orthographique. Cet effet du testing est défini par Roediger et Karpicke (2006) comme étant une série de plusieurs tests effectués plusieurs fois dans le temps et dont les jeunes étudiants sont informés. Cela relève d’un apprentissage explicite et distribué dans le temps: les jeunes adultes seront obligés de revenir plusieurs fois sur la notion à acquérir, ce qui renforcerait l’apprentissage d’une nouvelle information. Il a été démontré qu’un apprentissage distribué dans le temps (c.-à-d. revoir la notion plusieurs fois et sur plusieurs semaines) est plus efficace qu’un apprentissage massé (c.-à-d. revoir la notion dans un délai plus court) (Fayol et Jaffré, 2014). Pour des raisons de faisabilité, notre situation d’apprentissage relève d’un apprentissage massé. On pourrait donc se demander si une lecture-écriture par jour sur plusieurs semaines n’aurait pas amélioré le taux d’acquisition des connaissances orthographiques lexicales.

L’impact des connaissances orthographiques préalables est révélé par nos résultats. Toutefois, on note une différence entre nos résultats et ceux de Cunningham (2006). L’auteure explore les facteurs cognitifs impliqués dans l’acquisition des connaissances orthographiques. Si elle ne conteste pas l’impact du décodage, elle démontre que les connaissances orthographiques préalables prédisent 11 % de la variance du score de l’apprentissage de l’orthographe. Dans notre modèle, les connaissances orthographiques préalables expliquent 3,5 % de la variance du score en dictée de pseudo-mots. La différence observée entre ces deux résultats peut s’expliquer par le score composite des connaissances préalables chez Cunningham (2006), qui inclut la connaissance de l’orthographe de mots spécifiques et les connaissances sur les régularités graphotactiques (p. ex. les consonnes ne se doublent pas en début de mot). Alors que dans notre étude, les connaissances orthographiques préalables ne sont mesurées qu’avec une tâche de reconnaissance orthographique. De plus, on peut mentionner également une différence dans les tâches de test d’apprentissage. Pour Cunningham (2006), seul le score de la reconnaissance orthographique est pris en compte. Dans notre recherche, c’est un score de dictée qui est utilisé. La tâche de reconnaissance est une tâche plus facile que la dictée. L’orthographe correcte d’un mot pourrait être reconnue uniquement par quelques indices que les connaissances orthographiques préalables pourraient fournir. Produire l’orthographe est nécessairement plus coûteux que la lecture. Il faut que les enfants se rappellent de toutes les lettres et les écrivent dans le bon ordre. De plus, ils doivent également tracer ces lettres.

Les recherches exposées dans la partie théorique indiquent que le geste graphomoteur est impliqué dans l’orthographe lexicale (Bosse et al. 2015; Sahar-Yames et Share, 2008). On peut considérer le facteur graphomoteur comme étant un facteur cognitif impliqué dans l’apprentissage de l’orthographe lexicale. Lorsque l’enfant entre dans l’apprentissage de l’écrit, il n’arrive pas à copier le mot en une seule fois. Au tout début, l’enfant écrit le mot lettre à lettre. Les procédures de copie du mot entier se mettent en place à partir de la 2e année de primaire (Kandel et al. 2003). Pour Bourdin et al., (2010), la maîtrise du geste graphomoteur s’acquiert lentement. Les capacités graphomotrices commencent à être automatisées vers 9-10 ans et le sont complètement à 15 ans. Lorsque le geste graphomoteur est automatisé les enfants peuvent allouer leur attention à des traitements de plus haut niveau en production de texte tels que la planification ou la révision.

Dans notre protocole, les enfants devaient écrire, après chaque lecture-écriture, les pseudo-mots dictés par l’expérimentateur. Même si aucune rétroaction n’était donnée durant l’expérimentation sur la production orthographique il se peut que le fait d’écrire le mot après chaque lecture ait pu renforcer la mémorisation de la forme orthographique des items.

Le facteur visuel a également été évoqué dans cette étude. Par une présentation aussi rapide des pseudo-mots (250 millisecondes), les enfants ont certainement été contraints de prendre l’information sur toutes les lettres en une seule fixation. Or, cette capacité de prise d’information prédit les performances en dictée indépendamment des compétences phonologiques (Bosse et Valdois, 2009). L’empan visuoattentionnel explique également une part de la variance dans l’apprentissage de l’orthographe lexicale.

Ainsi, ces différents facteurs, graphomoteur et visuoattentionnel, peuvent expliquer, au même titre que les compétences phonologiques ou les connaissances orthographiques préalables, les différences interindividuelles dans l’apprentissage de l’orthographe lexicale.

L’étude présentée ici révèle que l’acquisition orthographique augmente significativement entre la première et cinquième lecture-écriture, puis stagne jusqu’à la dixième lecture chez les enfants français scolarisés de la 2e année à la 5e année de primaire. Il est à noter, cependant, que le peu d’enfants par niveau scolaire (13 en 2e année) a pu influencer les résultats. Une étude sur un plus grand échantillon permettrait de corroborer les résultats obtenus dans cette étude ou de les infirmer. De plus, des études complémentaires sont nécessaires pour évaluer précisément les différents facteurs cognitifs impliqués. Mieux comprendre les mécanismes de l’apprentissage de l’orthographe permet de faire évoluer les réflexions sur les pratiques pédagogiques et ainsi de proposer des situations d’enseignement adaptées à la diversité des élèves. Cet enseignement peut être implicite, comme démontré dans les différentes études sur l’autoapprentissage (p. ex. Share, 2004), ou explicite (Fayol et al., 2013; Sprengher-Charolles et Colé, 2003). Un apprentissage explicite de l’orthographe lexicale peut aussi se réaliser avec des enfants de maternelle par le biais de l’orthographe approchée (Mauroux, 2014). L’enseignante amène les enfants à formuler leurs hypothèses et à justifier leurs résultats. Des études réalisées révèlent que cette situation d’apprentissage est plus efficace qu’une situation classique de l’enseignement de la langue où la norme orthographique est donnée par l’enseignant. En situation de classe il est donc primordial de développer un apprentissage explicite de l’orthographe lexicale. Cela peut être fait par une mise en place de séances quotidiennes (15 à 20 minutes) de lecture, d’épellation et/ou d’écriture des mots avec ou sans modèle.

Dans les nouveaux programmes de l’éducation nationale, il est bien spécifié que les enfants doivent avoir une pratique régulière et quotidienne de l’écriture. L’étude présentée ici peut aider les enseignants dans leur pratique de classe. Ainsi, pour un bon apprentissage de la langue française, il serait bon de faire lire et écrire les nouvelles connaissances, et ce, au moins cinq fois, sur une longue période, en tenant compte que le geste graphomoteur reste difficile pour les plus jeunes.

Pour résumer, nos hypothèses révèlent que, d’une part, une différence entre les niveaux scolaires est observée sur les performances orthographiques et, d’autre part, que les enfants les plus jeunes ont besoin de plus de lecture-écriture que les enfants plus âgés. Les résultats obtenus démontrent une différence dans l’apprentissage de l’orthographe entre les deux niveaux extrêmes (2e et 5e année). Notre hypothèse est partiellement confirmée. En effet, lorsqu’on explore les niveaux deux à deux, on ne trouve pas une différence significative. Ils démontrent également que la progression de l’apprentissage est identique à tous les niveaux scolaires, soit cinq lectures-écritures.

Cette étude nous a donc permis de répondre à notre question de départ à savoir le nombre de présentations nécessaires pour qu’il y ait une mémorisation de la forme orthographique d’un mot. Nos résultats révèlent que cinq lectures-écritures seraient suffisantes pour cette acquisition pour tous les niveaux scolaires. D’autres facteurs cognitifs que nous n’avons pas pu étudier sont explorés dans la littérature. Ce sont par exemple les facteurs, morphologiques, graphotactiques, et linguistique. Récemment, des compétences en analogie ont également été avancées pour expliquer l’apprentissage de l’orthographe (Tucker, Castles, Laroche et Deacon, 2016).