Recensions

Sévérac, P. (2022). Puissance de l’enfance. Vygotski avec Spinoza. Librairie philosophique J. Vrin[Record]

  • Andréanne Gadbois

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  • Andréanne Gadbois
    Université de Sherbrooke

L’ouvrage de Pascal Sévérac produit à partir de son habilitation à diriger des recherches (HDR), Puissance de l’enfance. Vygotski avec Spinoza, propose une réflexion sur le devenir humain sous la forme d’une anthropologie philosophique de l’enfance. À partir des travaux de Vygotski, éclairés par ceux de Spinoza, l’auteur cherche à réconcilier la thèse continuiste et celle de la rupture développementale, à remettre les émotions au centre de l’expérience qui jalonne le développement de l’enfant pour en souligner la puissance affective et ainsi, proposer des avenues possibles pour l’élaboration d’une nouvelle psychologie des émotions ayant pour pierre angulaire la pereživanie. Le livre est divisé en trois parties, chacune posant les fondements de la suivante et permettant à l’auteur de déployer sa pensée par un argumentaire constitué d’un entrelacement de démonstrations et de raisonnements. La première partie, «Anthropologie de l’enfance: la transformation en question», présente de façon succincte et efficace les bases théoriques nécessaires pour suivre le raisonnement de l’auteur en commençant par celles liées à la notion de développement de son auteur phare, Vygotski. Pour ce dernier, le développement de l’enfant est issu d’un double processus constitué de deux lignes distinctes, mais entrelacées: une ligne continue de nature biologique et naturelle et une ligne brisée ayant des racines historiques et culturelles, tant au niveau phylogénétique qu’ontogénétique. Cet auteur est comparé à plusieurs autres s’inscrivant dans des perspectives développementales de la rupture et de la continuité. Sévérac rapproche la pédagogie de la rupture d’Hegel (1990) de celle Vygotski par la présence de l’automouvement (mouvement interne) et de la médiation sociale, puis met en évidence deux grandes distinctions entre les théories de Piaget et Vygotski. La première est l’importance du langage égocentrique, qui, pour Vygotski, est un instrument de la pensée témoignant de l’internalisation progressive du social dans l’enfant. La deuxième concerne la nature de l’expérience nécessaire au développement qui, d’un côté, est centré sur les actions du corps ayant un effet concret, tangible (Piaget) et, de l’autre, sur une «expérience vécue» (pereživanie) de nature émotionnelle ou affective (Vygotski). Un élément commun aux deux théories est aussi souligné, la notion d’hétéromouvement, soit l’intégration d’éléments socioculturels par l’enfant en réponse à la pression sociale externe. Ainsi, pour Vygotski, le développement est un auto-hétéro-mouvement puisqu’il est codéterminé par l’action de la propre puissance interne de l’enfant, mais aussi par l’action d’une puissance sociale externe sur l’enfant. Dans la deuxième partie de l’ouvrage, «L’activité cognitive de l’enfant», débutent les rapprochements entre Vygotski et Spinoza. En premier lieu, la complémentarité des auteurs est mise de l’avant concernant la conquête de la liberté par l’enfant décrite par les deux auteurs comme un processus de prise de conscience et de maîtrise de soi-même, associée à une auto-intellectualisation. Sévérac utilise alors Vygotski pour éclairer Spinoza en précisant que la liberté serait «un effort de pensée (volonté) produisant des automatismes de désir et d’action (nécessité) les mieux adaptés aux situations» (p. 69). Autant les motifs de Spinoza que le mécanisme de désir de Vygotski soutiennent une liaison interfonctionnelle entre volonté et intellect; ainsi, toute activité cognitive serait liée à une puissance affective. Spinoza dirait «cause adéquate en demeurant cause causée», Vygotski le qualifierait d’auto-hétéro-détermination. Par la suite, Sévérac met en lumière plusieurs similitudes entre Vygotski et Spinoza dans leur conception du développement des fonctions psychiques supérieures: la logique de la progression de la pensée en trois stades, l’analogie entre la formation du concept et de la notion commune, l’utilisation du langage comme instrument psychologique médiatisant le développement de la fonction rationnelle qui se veut un changement qualitatif. Néanmoins, ce sont les différences entre les auteurs qui permettent …