Le dossier : Des pratiques adaptées aux nouveaux temps de vie

Le secteur de la gérontologie : vrai ou faux marché ?[Record]

  • John Ward

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  • John Ward
    Département de service social
    Université Paris XIII à Neuilly-sur-Marne

Dans cet article, nous nous proposons de faire le point sur un secteur particulier, l’aide à domicile des personnes âgées. En effet, nous voulons déterminer comment, en France, le « modèle libéral » est appliqué dans ce secteur, le cas échéant. Quels sont ses avantages et inconvénients ? Pourquoi les idées du libéralisme ont tant pénétré le discours gérontologique ? Alors que tout semble s’y opposer, comment se fait-il que le secteur gérontologique soit le premier domaine où, en France et en Europe, le travail social a adopté un discours et une pratique donnant à l’intervention sociale une valeur marchande ? En réponse à cette question, nous allons tout d’abord essayer d’identifier les principaux traits du fonctionnement actuel de ce secteur, ainsi que les points de convergence et de divergence avec le modèle du marché tel qu’il est présenté par les défenseurs du libéralisme social. Finalement, nous essaierons d’expliquer pourquoi ce modèle exerce une telle attraction. Nous verrons que le « modèle du marché » est en réalité loin d’être adopté en pratique. Le libéralisme fonctionne plutôt comme une métaphore féconde, utilisée par des professionnels du social pour introduire du changement et vaincre des résistances tant politiques que corporatives quasi insurmontables. Qu’est-ce que nous entendons, au juste, par « modèle du marché » ? Ce que l’on appelle le modèle libéral social recouvre en fait plusieurs niveaux de réflexion qui ne forment pas nécessairement un tout cohérent. Voici en quoi il consiste. Comme le fait remarquer Marcel Gauchet, historien, le libéralisme relève d’abord d’une tendance générale vers l’individualisme amorcée dès le xixe siècle, le sujet individuel désincarné, sans histoire, réduit à l’état pur de son attribut principal : la capacité de faire des choix (la volonté au sens philosophique) devient le centre d’un monde « désenchanté » (1985). Dans un monde contractuel libéral, tous sont « à égalité » et capables d’accepter librement un contrat ou de le refuser. La répartition des ressources se fait en laissant le marché trouver son équilibre « naturel ». Le contrat marchand devient en quelque sorte le paradigme de toutes les relations sociales. Cette approche prône la réduction du rôle de l’État, réduit à la promotion de la concurrence dans le marché et, éventuellement, l’assurance d’un minimum vital pour les plus pauvres dans la mesure des possibilités de l’économie. Le principe de justice sociale est la création de conditions équitables entre des sujets libres et non d’une égalité de traitement entre citoyens. Pour les théoriciens de la nouvelle droite, tel Friedrich Hayek, l’État-providence n’est pas compatible avec le maintien des libertés, de la justice sociale ni de la vraie « providence ». Ces bienfaits découlent, en revanche, du libre fonctionnement du marché permettant la création de richesses. Selon Chopart, la proposition libérale consiste à « reproduire au mieux les caractéristiques de l’échange marchand au sein même des politiques publiques » (De Ridder, 1997 : 156). C’est surtout la troisième optique qui influence actuellement le secteur social. En effet, même si le libéralisme économique prédomine dans le discours politique, les dépenses sociales continuent de s’accroître. Nous sommes loin, en France, de l’État minimaliste des États-Unis. Comme le souligne Bernard Enjolras, auteur d’un livre intitulé Le marché providence, ce secteur est celui où l’entrée du modèle libéral dans le social est la plus marquée. En effet, sur un plan idéologique les « seniors » deviennent un marché à part entière et il existe une copieuse littérature expliquant comment les traiter en tant que consommateurs. L’entreprise McDonald’s a, semble-t-il, bien compris comment, dans sa publicité, flatter la sensibilité des personnes plus âgées sans commettre d’impairs …

Appendices