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Près d’une cinquantaine de personnes en provenance des milieux universitaires et de pratique ont assisté à ce séminaire qui se tenait à la veille du Sommet du Québec et de la jeunesse. Cinq conférenciers y ont pris la parole : Camil Bouchard, professeur au Département de psychologie de l’UQAM, chercheur au Laboratoire de recherche en écologie humaine et sociale (LAREHS) et président du Conseil québécois de la recherche sociale (CQRS) ; Gérald Larose, professeur invité à l’École de travail social de l’UQAM, membre de l’équipe de recherche ESSBE et coprésident du chantier « Promouvoir une société équitable » au Sommet du Québec et de la jeunesse ; Jeannine Rouja, directrice générale de l’organisme Opération placement jeunesse ; Linda Tremblay, coordonnatrice de l’organisme Plein Milieu ; Danièle Monast, psychologue au CLSC du Plateau Mont-Royal.

Dans la première partie du séminaire, il fut question de l’état de la recherche sur les jeunes et des enjeux du Sommet du Québec et de la jeunesse alors que, dans la seconde partie, des intervenants nous ont fait part de leur expérience et de leurs préoccupations au regard des problèmes d’insertion vécus par les jeunes.

Camil Bouchard, président du Conseil québécois de la recherche sociale (CQRS)

Où en est-on au Québec en matière d’investissements dans la recherche sur l’enfance et sur la jeunesse ? Et la recherche contribue-t-elle au mieux-être des jeunes ? C’est à partir de ces deux préoccupations que Camil Bouchard, président du CQRS, a présenté plusieurs observations se dégageant d’une étude effectuée par cet organisme au cours de la période allant de 1997 à 1999. Ainsi, 33 % des budgets du CQRS sont consacrés à la recherche sur l’enfance et sur la jeunesse, ce qui représente près de 12 millions de dollars. Cette proportion représente des sommes énormes compte tenu de la diversité des thématiques que le CQRS est appelé à financer. Les investissements de recherche auprès de l’enfance et de la jeunesse ont d’ailleurs augmenté de façon significative au cours des dernières années.

Par ailleurs, une masse critique de chercheurs est impliquée dans des travaux concernant l’enfance et la petite enfance, c’est-à-dire 519 chercheurs ou 48 % de l’ensemble des chercheurs dans le domaine de l’enfance et de la jeunesse. Au Québec, on étudie davantage les enfants que les adolescents ou les jeunes adultes, ce qui faisait dire à Camil Bouchard, lors du séminaire, qu’on devrait tendre vers un équilibre dans les investissements de recherche auprès de ces différents groupes. Cet équilibre impliquerait alors une augmentation des crédits alloués à la recherche sur les adolescents et les jeunes adultes.

En outre, à la lumière des données recueillies, il semble que les problèmes éprouvés par les enfants et les jeunes soient plus étudiés que le développement normal. Avec en toile de fond la Politique de la santé et du bien-être, les programmes de subventions influencent les questions de recherche et les orientent vers l’étude des problèmes. Ainsi, alors que 174 chercheurs travaillent sur le développement normal des jeunes enfants, seulement 36 effectuent des travaux semblables concernant les adolescents et les jeunes adultes. Or, le développement normal ainsi que les facteurs de protection devraient être étudiés tout autant que les problèmes, ce qui permettrait, selon Camil Bouchard, « d’effectuer le lien indispensable entre les facteurs de stress et les facteurs de protection » (Bouchard, 1999 : 1). Enfin, les budgets consacrés aux activités de transfert des connaissances demeurent très modestes : ils ne représentent que 3 ou 4 % de l’ensemble des investissements du CQRS, ce qui est très peu pour créer et maintenir des liens utiles et efficients entre les milieux de recherche et les milieux de pratique.

Quant à la contribution réelle de la recherche au mieux-être des jeunes et à l’élaboration de politiques sociales, Camil Bouchard conclut qu’il y a très peu d’expérimentations sociales au Québec qui permettent d’évaluer les programmes sociaux et les nouvelles pratiques sociales mises en oeuvre. On assiste le plus souvent à l’application relativement brutale de politiques « mur à mur » sans évaluation préalable. Les retombées de ces politiques, en termes de processus d’implantation et d’effets, ne sont donc pas accessibles, ce qui porte à croire « qu’on est des grands inventeurs au Québec, mais surtout du côté des patenteux » (Bouchard, 2000 : 3).

Par ailleurs, il n’y a pas encore au Québec de programme de recherche sur les conditions qui permettraient aux jeunes d’accéder à une citoyenneté plus active. Ce type de programme pourrait constituer un chantier intéressant qui fournirait des données pertinentes concernant les facteurs les plus susceptibles de provoquer le dérapage des jeunes au plan scolaire et au plan de l’emploi, deux domaines qui sont au coeur de leur insertion dans la société.

Gérald Larose, coprésident du chantier « Promouvoir une société équitable » lors du Sommet du Québec et de la Jeunesse

D’entrée de jeu, Gérald Larose situe le Sommet du Québec et de la jeunesse – Sommet auquel il fut appelé à participer en tant que coprésident du chantier « Promouvoir une société équitable » (Gouvernement du Québec, 1999) – dans un contexte où prédominent quatre grandes réalités :

  1. Le déclin démographique des jeunes dont l’impact se fera de plus en plus sentir aux plans économique, symbolique et de la répartition du pouvoir.

  2. La cohabitation simultanée de quatre générations. C’est la première fois, dans notre histoire, qu’il y a cohabitation de quatre générations, ce qui introduit inévitablement de nouveaux rapports sociaux.

  3. Le rajeunissement de la pauvreté, qui atteint maintenant plus fortement les jeunes. Il s’agit aussi d’une première dans notre brève histoire alors que la génération montante risque d’être plus pauvre que la génération qui la précède.

  4. Le déplacement du stress dans notre société. Le taux de suicide chez les jeunes est aujourd’hui le même que celui des 50 ans et plus il y a 25 ans alors que les travailleurs, à leur retraite, ne disposaient d’aucun moyen financier et matériel pour s’investir dans de nouveaux projets de vie (Larose, 2000 : 4).

À ce contexte social s’ajoutent d’importants éléments structurels dont l’impact se révèle grandissant sur la jeunesse : il s’agit du développement accéléré des technologies de l’information, de la remise en question du modèle québécois de développement social et économique et de la crise du salariat avec l’accroissement du travail autonome (ce qui, à certains égards, permet d’établir des parallèles avec l’incertitude et la précarité des travailleurs de 50 ans et plus dans les années 1960 et 1970).

Par ailleurs, après l’annonce du Sommet, on a vu émerger chez les groupes de jeunes deux types de polarisation. La première porte sur l’exercice du Sommet lui-même que certains ont contesté à partir de visions divergentes quant aux formes de participation de la société civile aux affaires de la cité. Il s’agit en quelque sorte d’un positionnement de la société civile qui souhaite prendre part aux décisions concernant l’établissement des grands paramètres visant à instaurer un nouveau modèle de développement. Cette polarisation donne lieu à un affrontement entre le courant néolibéral (l’ultra-droite) et le courant de l’ultra-gauche (le tout marché opposé au tout État), ce dernier voulant restaurer intégralement le providentialisme. Cette prise de position en faveur d’un développement tous azimuts de l’État suscite alors de sérieux doutes quant à la capacité de la société civile de porter des changements sociétaux progressistes.

Dans la seconde polarisation portant sur les contenus du Sommet, deux logiques s’affrontent : d’une part, la logique « clientèle », qui perçoit les jeunes en termes de problématiques et de services à dispenser et, d’autre part, la logique « citoyenne », qui souhaite intervenir de manière préventive en amont des problèmes. En d’autres mots, considère-t-on les jeunes comme un groupe aux prises avec des difficultés qui nécessite des services, ou comme des citoyens à part entière (avec des droits et des responsabilités) capables de trouver les réponses à leurs propres questions ?

Gérald Larose conclut son exposé en disant croire aux vertus d’un tel exercice qui représente non seulement une occasion d’information et de débat public, mais aussi une excellente occasion de mobilisation dont la société civile ne peut que sortir gagnante.

Jeannine Rouja, coordonnatrice de l’organisme communautaire Opération placement jeunesse

L’organisme Opération placement jeunesse oeuvre à l’intégration socioprofessionnelle de jeunes qui ont des problèmes socioaffectifs (70 % sont des garçons et 30 % des filles). Ces jeunes ont en moyenne entre 16 et 18 ans et la plupart sont sous la Loi de la protection de la jeunesse ; ils proviennent de la rue ou ils ont été référés par d’autres organismes jeunesse. L’approche alternative adoptée par l’organisme consiste à susciter « le rêve chez les jeunes et à les soutenir dans leurs démarches visant à le réaliser afin de rehausser leur estime de soi » (Rouja, 2000 : 9). Selon Jeannine Rouja, l’accomplissement des actions nécessaires à l’atteinte de leur objectif représente, pour ces jeunes, une forme de réinsertion sociale. Car lors de leur arrivée à Opération placement jeunesse, ces jeunes sont bien souvent désillusionnés de la vie et n’ont pas vraiment de projet ni d’idéal vers lequel tendre à moyen ou à long terme.

La dynamique « problèmes, difficultés, échecs » est prégnante dans leurs expériences de vie et marque leur rapport à eux-mêmes, aux autres et à la vie. Le premier objectif poursuivi par l’organisme est alors de faire renaître l’espoir chez ces jeunes afin qu’ils puissent croire qu’il est encore possible de réaliser leur rêve ou les projets de vie auxquels ils aspirent. Pour ce faire, on développe avec eux des outils afin de favoriser la découverte, non seulement de leurs intérêts personnels, mais aussi des responsabilités inhérentes à la réalisation de leurs rêves.

La deuxième étape consiste à traduire l’intérêt des jeunes en projet et, surtout, en objectifs concrets réalisables à court terme. Ces objectifs peuvent être, par exemple, de décrocher un emploi ou de louer un logement. L’organisme accompagne donc les jeunes afin de les aider à surmonter les embûches, plus particulièrement dans leur maintien en emploi puisqu’on a remarqué qu’ils ont tendance à abandonner leur travail peu après avoir été embauchés.

Un autre problème de taille est la recherche d’un logement et la signature d’un bail. L’apparence des jeunes (par exemple, la couleur de leurs cheveux, leur habillement, leurs tatous) rend souvent les propriétaires craintifs, ce qui nécessite des interventions de médiation de la part des intervenants. Par ailleurs, les parents des jeunes ont tendance à se sentir délaissés ou mis de côté par la plupart des intervenants des différents services. Opération placement jeunesse tente de les intégrer dans le projet de leur enfant et l’organisme soutient les parents dans le rôle qu’ils sont prêts à assumer. Cet aspect de l’intervention est très important. Par exemple, Jeannine Rouja souligne que la très grande majorité des jeunes qui fréquentent Opération placement jeunesse n’ont jamais vécu l’expérience d’un père qui travaillait régulièrement et qui s’impliquait auprès de ses enfants. La présence d’adultes significatifs devient donc cruciale afin de présenter à ces jeunes des modes de vie différents de ceux qu’ils connaissent.

Linda Tremblay, coordonnatrice de l’organisme communautaire Plein Milieu

Les principaux axes d’intervention de l’organisme Plein Milieu sont le travail de milieu à l’intérieur de l’école secondaire Jeanne-Mance, le travail de rue dans le quartier Plateau Mont-Royal et l’action communautaire. Les pratiques liées au travail de milieu et au travail de rue consistent à rejoindre les jeunes dans leurs différents milieux de vie. Elles visent à créer des liens de confiance et significatifs entre les intervenants et les jeunes. Ces rencontres, établies sur une base volontaire et confidentielle, permettent de soutenir les jeunes et de les accompagner dans leur démarche d’autonomie. Les interventions peuvent prendre plusieurs formes et sont définies en fonction de la réalité et des demandes exprimées par les jeunes : écoute, accueil, soutien, référence, médiation ou accompagnement.

Par ailleurs, l’action communautaire de l’organisme s’inscrit dans le cadre des relations avec les autres organismes de la communauté. Elle se concrétise par une collaboration à la réalisation de projets collectifs qui visent l’amélioration des conditions de vie des jeunes comme, par exemple, l’ouverture d’un café étudiant à l’école ou la participation à la mise sur pied d’une coopérative jeunesse.

Quant à l’intervention de milieu auprès des jeunes à l’école, elle offre plusieurs avantages. Le milieu scolaire constitue un lieu privilégié pour rejoindre les jeunes. Ces derniers fréquentent l’école quotidiennement et souhaitent établir des relations avec des adultes en dehors d’un contexte d’autorité. L’approche de Plein Milieu crée cet espace d’autonomie et de confidentialité à l’intérieur de l’école et favorise ainsi la création de liens de confiance entre les jeunes et les travailleurs de milieu. De plus, accueillir les jeunes au café étudiant ou dans les aires communes de l’école permet de repérer les jeunes en difficulté ou en crise, d’intervenir précocement et d’assurer un suivi à plus long terme. Dès lors, le fait de pouvoir côtoyer les mêmes adolescents tout au long de leurs études secondaires permet de les suivre dans leur cheminement de vie et d’assurer un suivi auprès de ceux qui souhaitent être accompagnés de manière plus particulière. Enfin, Plein Milieu est également préoccupé par la question des mesures répressives adoptées par le milieu scolaire à l’égard de certains jeunes (par exemple, le renvoi de l’école).

Linda Tremblay souligne, lors du séminaire, quelques-uns des facteurs qui lui semblent les plus influents dans la réalisation de la mission de son organisme. D’abord, en raison du contexte actuel de restrictions budgétaires, favorisant un certain désengagement de l’école de sa mission sociale, l’appui et la confiance de la direction de l’école Jeanne-Mance envers Plein Milieu sont très importants afin que l’organisme puisse pleinement accomplir son mandat. D’une certaine façon, on peut dire que la mission de Plein Milieu demeure complémentaire par rapport au mandat pédagogique assumé par l’école qui, lui, demeure prioritaire pour le milieu scolaire. Plein Milieu agit ainsi dans une perspective éducative plus large que la perspective strictement scolaire en centrant son intervention sur l’apprentissage de la citoyenneté et sur le développement de l’autonomie et de la responsabilisation des jeunes. Ce volet éducatif existe grâce à la promotion des valeurs associatives et d’engagement dans la communauté.

Par ailleurs, l’expérience de partenariat de Plein Milieu avec l’école a permis de constater que la dynamique du milieu scolaire peut se transformer considérablement en fonction des types de direction qui peuvent se succéder à l’école. En effet, les changements de direction s’accompagnent toujours de modifications, non seulement dans les orientations, mais également dans les valeurs prônées par le milieu scolaire. Ainsi, « les rapports avec l’école reposent davantage sur la confiance mutuelle développée entre les personnes, plutôt que sur des ententes formelles reconnaissant le rôle et le mandat de chacun » (Tremblay, 2000 : 16).

L’autonomie d’un organisme comme Plein Milieu – qui permet notamment le développement de pratiques d’intervention à l’extérieur de l’école – devient donc d’autant plus importante qu’elle permet de résister aux pressions du milieu scolaire qui, dans certaines occasions, peut adopter des attitudes défensives à l’égard de la réalité complexe des jeunes ou décréter des mesures administratives arbitraires qui auraient pour effet de nuire à la mission de l’organisme.

En conclusion, Linda Tremblay se dit convaincue que l’école constitue toujours un lieu d’intervention privilégié. En ce sens, l’organisme Plein Milieu a entrepris des démarches afin de renforcer le partenariat avec le milieu scolaire. Toutefois, comme elle le soulignait dans son allocution, « il reste [encore] du travail à faire avant de pouvoir dire “mission accomplie” » (Tremblay, 2000 : 17). À ce titre, les énergies investies dans le maintien de liens de partenariat plus ou moins institutionnalisés avec l’école pourraient être redirigées vers des tâches d’intervention plus concrètes si l’organisme parvenait à établir une entente formelle avec l’école Jeanne-Mance.

Danièle Monast, psychologue rattachée à l’équipe « Jeunesse » du CLSC du Plateau Mont-Royal

Dans une dernière intervention, Danièle Monast livre quelques observations et réflexions issues de sa pratique de psychologue au sein de l’équipe « Jeunesse » du CLSC du Plateau Mont-Royal à Montréal. Sa pratique se caractérise par la mise en place d’un espace garantissant la liberté de parole, la créativité et la confidentialité aux jeunes qu’elle rencontre et qui traversent un moment de fragilisation psychique. Les difficultés vécues par ces jeunes sont susceptibles de provoquer une « panne » dans les processus de transformation liés à l’adolescence (Monast, 2000 : 18). En un sens, ces jeunes demandent plus à se comprendre eux-mêmes qu’à être compris dans un temps de vie où les bouleversements sont avant tout un signe de santé.

Plusieurs transformations psychiques ont lieu à l’adolescence. Les jeunes font ainsi l’expérience d’un double deuil relié, d’une part, à la perte de leur statut d’enfant et, d’autre part, à la séparation identitaire des figures parentales. Ils doivent également conjuguer avec un processus d’identification sexuelle qui suscite, chez plusieurs d’entre eux, un sentiment d’urgence, une crise de subjectivité. Ces phénomènes participent tous à l’inscription des jeunes dans le social à partir de leur propre vécu. Ici, l’immaturité et l’idéalisme caractérisant ce temps de vie sont importants et nécessaires puisqu’ils constituent la source de la créativité, des idées et des aspirations permettant aux jeunes de se projeter comme citoyens.

Ces défis peuvent amener les adolescents à vivre des moments dépressifs plus ou moins intenses. Néanmoins, si elle est reconnue comme authentique, cette phase dépressive peut être le point de départ d’un renouveau pour les jeunes puisqu’elle recèle également les conditions de son propre dépassement. Comme le soulignait Danièle Monast, « c’est l’écoute de cette détresse qui met en suspens les agirs suicidaires des jeunes et leur ouvre une dimension jusqu’alors inconnue » (Monast, 2000 : 20).

Outre les facteurs familiaux, cette détresse psychologique se nourrit davantage, depuis quelques années, de la dégradation du lien social dans nos sociétés, le lien social étant considéré ici comme le fondement « du sujet dans ses rapports aux autres, lui permet[ant] de s’inscrire dans la chaîne des générations » (Monast, 2000 : 20). Détresse psychologique et souffrance du lien social se conjuguent alors au sein d’un univers dépourvu de repères symboliques qui rend encore plus périlleuse la traversée de ce temps de vie déjà difficile à vivre pour les jeunes. Les conditions familiales et sociales étant trop précaires pour permettre à ceux-ci de conserver leur idéalisme et demeurer actifs face à leurs désirs, cette situation entraîne fréquemment la désillusion, le vide, la passivité, voire les comportements suicidaires. Dès lors, l’éclatement des familles et la démission parentale ont pour effet de les maintenir dans la pérennité d’une adolescence sans fin ou, à l’opposé, de court-circuiter cette adolescence et de forcer ces jeunes à devenir responsables et autonomes à travers une « maturité trompeuse » dont les effets pervers se répercuteront sur leur propre capacité parentale une fois arrivé à l’âge adulte.

Il est donc important que les parents, les adultes et les institutions sociales qui sont en contact avec les jeunes puissent faire preuve de créativité et d’implication dans les moyens mis en oeuvre pour appuyer ces derniers au cours de leur adolescence. Mais lorsqu’il devient évident que le milieu familial ne pourra prodiguer tout l’appui nécessaire, l’État doit alors prendre le relais, soutient Danièle Monast. Puisque ces jeunes sont les parents de demain, ne pas intervenir et laisser se dégrader les conditions actuelles de leur développement signifie finalement « prendre une hypothèque » sur la génération suivante.

De telles situations incitent le psychologue à s’orienter vers le maintien d’un lieu d’écoute et d’accompagnement permettant au processus de deuil et de revitalisation du lien social de s’accomplir chez les jeunes. Ce travail n’est pas simple, car, derrière la souffrance d’un adolescent, se cache bien souvent la souffrance d’un parent. Et cette détresse, les jeunes « la portent comme un boulet, comme une entrave à leur développement » (Monast, 2000 : 21).

Quelles pourraient être les pistes de solutions à explorer pour aider ces jeunes en difficulté ? Aux dires de Danièle Monast, « il faut redonner une âme à notre fonction de transmission auprès des jeunes. Assumer une position tutélaire » (Monast, 2000 : 22). Comment y parvenir ? Elle suggère, notamment, de s’inspirer du modèle du « compagnonnage » tel qu’il existait autrefois. Cette formule pourrait constituer une source d’inspiration intéressante permettant de resserrer les liens et de redonner un sens aux rapports entre jeunes et adultes. D’autres avenues sont également à explorer, dont certaines sont déjà en place (par exemple, l’implication communautaire dans les milieux de vie des jeunes).

L’essentiel, finalement, c’est de trouver le moyen de les rejoindre, « [d’] aller à leur rencontre, [de] se laisser atteindre par leurs différences, [d’] accepter d’apprendre d’eux et [de] se laisser surprendre par l’altérité [...]. [Car] ils savent mieux que quiconque comment on peut les accompagner dans ce passage difficile » (Monast, 2000 : 23). En terminant, rien ne traduit mieux, peut-être, les responsabilités que nous avons à l’égard des jeunes que cette interrogation laissée en suspens par la conférencière à la fin de son exposé : « Mais sommes-nous en mesure de les entendre ? »

Conclusion

Comme nous l’avons constaté dans les différents exposés, la situation de la jeunesse nous concerne tous indépendamment du lieu de notre pratique et de notre champ d’activité. À cet égard, le Sommet du Québec et de la jeunesse aura été une excellente occasion de ramener au premier plan, comme l’écrivait Gérald Larose après l’événement, le fait que « les jeunes sont des acteurs de la société civile », qu’ils sont capables, comme ils l’ont démontré lors du Sommet « d’imposer leurs propres analyses, leur dynamique et leur leadership ». À nous de les écouter, de débattre avec eux, de leur faire une place, ce qui est encore la meilleure garantie d’un lien social solide pour prévenir l’exclusion.