Échos et débats

La compétence contre l’incompétence ? L’erreur de cadre pour un faux débat[Record]

  • Yves Couturier,
  • Dominique Gagnon and
  • Christian Dumas-Laverdière

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  • Yves Couturier
    Université de Sherbrooke

  • Dominique Gagnon
    Université de Sherbrooke

  • Christian Dumas-Laverdière
    Université de Sherbrooke

Il y a certes un engouement pour le concept de compétence depuis une vingtaine d’années, notamment parce qu’il permettrait de dépasser les limites d’une approche par simple qualification (Ropé et Tanguy, 1995). En fait, son essor se situe en parallèle de l’émergence des discours sur la compétitivité, l’efficacité et la productivité (Terrisse, Larose et Couturier, 2003), et s’inscrit de plus en plus nettement dans les systèmes discursifs de la gestion des ressources humaines (Malglaive, 1994). Or ces formes de discours sur la compétence, allégories capitalistes du « tout à l’individu », souffrent de quelques contradictions lorsqu’elles s’appliquent au travail social. Nous proposons dans un premier temps de reconvoquer la vieille problématique qualification / compétence afin qu’elle nous éclaire un peu sur les enjeux fondamentaux de ce débat. Cela nous permettra de soutenir que le virage compétence proposé prend parti, sans le savoir ou sans le dire, à des débats cruciaux pour la discipline, par exemple le rapport entre l’individuel et le collectif ou l’éternelle opposition entre la perspective de la complexité et celle du pondérable. Notre propos vise à élucider une erreur de cadre de la problématique actuelle de la compétence en travail social. Du point de vue de l’ergonomie, la compétence est le fait de l’activité d’un acteur dans un contexte réel de travail (De Montmollin, 1986). Cette contextualisation de l’activité réinscrit la compétence dans des collectifs concrets, autour d’un métier, d’une fonction, d’une organisation ou d’un dispositif. La compétence, parce qu’elle participe de divers collectifs, est aussi le fait d’une relation, seule capable de mobiliser les acteurs dans une situation complexe (De Witte, 1994). En ce sens, la compétence ne peut se limiter au savoir-faire de l’acteur, car c’est la situation de travail qui la réalise pleinement. En outre, elle se déploie dans la durée, car elle est le produit d’une longue activité d’élaboration au travail (Trépos, 1992). Plus difficile encore, les compétences sont étroitement liées à un « résultat et donc, mortelles ». Par conséquent, elles sont instables et, partant, impossibles à évaluer. Elles se sédimentent certes peu à peu, s’incorporent éventuellement (Leplat, 1995), mais pour être mobilisées en situation réelle lorsque nécessaire. Ainsi, l’évolution en temps court comme en temps long du contexte engage la construction de nouvelles compétences et en discrédite d’autres par le fait même. Il est donc tout simplement impossible de faire une mesure en un temps de la compétence, ni en plusieurs temps d’ailleurs, surtout si la mesure se centre sur un individu décontextualisé. Du point de vue de la sociologie des métiers relationnels, la compétence présente trois dimensions : 1) un ensemble de caractéristiques physiques et culturelles propres au groupe, 2) des exigences liées à des situations de travail et 3) une reconnaissance sociale de la nécessaire rencontre des caractéristiques du groupe et des contingences de la tâche (Demailly, 1994). Ici aussi on voit comment la compétence est conceptuellement à réinscrire dans les contextes, les histoires et les collectifs. Malgré ce que qui précède au plan conceptuel, force est de constater que, du point de vue de la pratique de gestion des ressources humaines, la compétence se pose empiriquement comme un analyseur de la néo-taylorisation du travail dans les métiers relationnels et comme un artefact de la réingénierie du travail (Malglaive, 1994) rapportant la compétence à un individu détenteur et responsable de sa compétence. Comme le lecteur le sait, le taylorisme se fonde sur une ontologie de l’individu intéressé, libéral, égoïste, responsable et désengagé de ses collectifs. En fait, l’émergence de la compétence dans la gestion des ressources humaines est une double tentative de maîtrise du trop vague concept d’expérience …

Appendices