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S’inspirant dans une large mesure des résultats de la recherche qu’ils ont produits sur les pratiques au sein des organismes communautaires (René, Duval, Fournier et Garon, 2001), les auteurs de cet ouvrage collectif visent ici, au-delà de présenter une succession de statistiques, à porter un regard critique sur l’évolution des pratiques au sein des organismes communautaires, et ce, surtout depuis l’avènement de la réforme de la santé et des services sociaux de 1991 (loi 120). Ils veulent ainsi « susciter la réflexion et un débat chez les lecteurs » et « stimuler l’appropriation […] d’une réflexion sur la nature et l’orientation des espaces démocratiques que sont les organismes communautaires ». À ce titre, ce livre se veut davantage « un outil axé sur la compréhension des pratiques actuelles et des enjeux qu’elles posent » (p. 2-3) qu’un ouvrage théorique.

L’ouvrage est divisé en six chapitres. Le premier, signé par l’ensemble des auteurs, est en quelque sorte une longue introduction dans laquelle on situe l’évolution des organismes communautaires au Québec et les différentes « traditions » qui les ont traversés depuis quarante ans, ainsi que l’évolution des rapports qu’ils ont historiquement entretenus avec l’État québécois. On décrit également les transformations survenues au sein du réseau de la santé et des services sociaux depuis la réforme de 1991 et leur incidence sur les organismes communautaires, désormais considérés comme partenaires au sein du réseau de la santé et des services sociaux. Les enjeux associés à ce changement pour les organismes communautaires, que ce soit sur le plan de l’autonomie ou sur celui des pratiques, sont ensuite brièvement abordés en guise d’introduction aux chapitres subséquents.

Les cinq chapitres suivants font chacun l’objet d’un aspect particulier de la vie des organismes communautaires et suivent tous une présentation similaire : un aspect historique ou une mise en contexte lié au thème abordé ; la présentation de résultats de recherche ; et un volet analytique visant à faire ressortir les enjeux. Ainsi, sont tour à tour abordés les actions et la programmation des organismes communautaires (chapitre 2, rédigé par Jean-François René), leur fonctionnement interne (chapitre 3, par Michelle Duval), les relations extérieures entretenues par les organismes communautaires (chapitre 4, par Danielle Fournier), la question du financement (chapitre 5) et celle de l’évaluation (chapitre 6), tous deux signés par Suzanne Garon. L’ouvrage se termine évidemment par une conclusion, sur laquelle nous reviendrons plus loin.

Disons-le d’emblée, l’ouvrage nous a laissé sur notre appétit à certains égards, du moins si l’on considère son contenu du point de vue de ceux et celles qui oeuvrent en milieu communautaire ou qui s’y intéressent depuis plusieurs années. Les personnes le moindrement familiarisées avec le milieu communautaire ne feront pas de grandes découvertes dans ce livre et retrouveront des thèmes déjà maintes fois abordés : la transformation en cours des pratiques dans les organismes communautaires, qui va de plus en plus dans le sens d’une plus grande professionnalisation ; l’affaiblissement de la vie démocratique au sein des groupes ; les dangers entourant l’autonomie des organismes communautaires ; l’importance du financement global de base ; etc. Il s’agit là en somme d’enjeux qui ont déjà été largement documentés et, même si l’ouvrage s’appuie sur des données empiriques, on se demande, à ce titre, ce qu’il apporte de neuf.

De plus, bien que de façon inégale selon les chapitres, c’est un ton souvent nostalgique qui traverse cet ouvrage. En s’appuyant sur les « attributs historiques » (p. 28) des organismes communautaires pour analyser l’évolution de leurs pratiques, on en vient à se demander s’il n’y avait pas les « bons » organismes communautaires des années 1970-1980, et ceux d’aujourd’hui qui, inexorablement, seraient en train de s’éloigner de leur mission originale. On a aussi tendance à s’appuyer sur une seule lecture des faits, qui met davantage l’accent sur les dérives possibles du milieu communautaire dans ce « nouveau partenariat » avec l’État, plutôt que sur les potentialités qu’il peut engendrer. On en vient presque à se dire que le milieu communautaire est en train de se faire avoir sur toute la ligne devant un État machiavélique, alors que la réalité est, de toute évidence, plus nuancée, et que le type de rapport qui s’est développé entre l’État et les organismes communautaires au Québec tient davantage de la coconstruction que de la soumission.

Ainsi, il aurait été intéressant que les auteurs adoptent une approche des faits plus équilibrée qui, tout en faisant ressortir les tensions bien réelles qui existent, ne place pas les organismes communautaires dans un rôle qu’ils auraient complètement subi. D’ailleurs, on trouve aussi cette tendance réductrice à parler « du » mouvement communautaire, comme s’il n’était qu’un, alors qu’il recouvre aujourd’hui une réalité plurielle, voire éclatée, à tout le moins très diversifiée. Le milieu communautaire québécois n’est certes pas uniforme, et tenter de le réduire à « un » m’apparaît une entreprise infructueuse pour quiconque cherche à mieux saisir cette réalité mouvante.

En conclusion, les auteurs proposent aux personnes engagées dans le milieu communautaire une « réflexion » qui leur permettra de « poser un regard rétrospectif et prospectif sur les racines et la trajectoire des organismes » et de « déterminer les facteurs qui renforcent le potentiel des organismes et ceux qui représentent un risque de glissement vers une rectitude [sic] les éloignant d’une logique d’action communautaire autonome » (p. 149-150). C’est ainsi que, à l’aide d’une série de questions, on invite les organismes communautaires à s’autoévaluer et on les « encourage » à procéder à ce « questionnement », ce qui pourrait être perçu comme une attitude paternaliste à l’égard des organismes communautaires.

Malgré ces réserves importantes, l’ouvrage intéressera sûrement les personnes qui connaissent moins le milieu communautaire québécois, qu’il s’agisse de personnes nouvellement arrivées dans le milieu communautaire, d’étudiants et d’étudiantes en travail social, etc. À cet égard, il a une valeur pédagogique certaine. Chacun des chapitres comporte notamment des encadrés qui, tantôt définissent des concepts, tantôt reproduisent des extraits d’entrevues réalisées avec des personnes oeuvrant dans un organisme communautaire. Pour quiconque connaît peu ou pas du tout le milieu communautaire, ces encadrés rendent très concret le travail qui se fait dans les organismes communautaires, ainsi que les types d’intervention, les approches et les modes de fonctionnement que l’on y observe. En plus de rendre l’ouvrage très vivant, ils mettent en évidence toute la richesse que l’on retrouve dans les organismes communautaires et leur rendent justice de très belle façon. Ce qui contraste d’ailleurs avec les conclusions que l’on en tire puisque, souvent, ils illustrent davantage la façon dont les organismes se démarquent des approches préconisées dans le réseau public plutôt qu’un quelconque « glissement » vers des approches plus bureaucratiques. De même, le chapitre portant sur le financement des organismes communautaires tend plutôt à confirmer les gains qu’ils ont obtenus quant au financement de base plutôt que de laisser entendre qu’ils sont désormais soumis à une logique de sous-traitance. En somme, il y a un intérêt certain à ce livre pour le lecteur qui cherche une bonne description des pratiques et des modes de fonctionnement des organismes communautaires au Québec, et plus globalement qui cherche à se familiariser avec le milieu communautaire québécois.

Si l’ouvrage a une valeur pédagogique certaine, il comporte cependant quelques erreurs de fait et des oublis importants. Par exemple, à propos de l’article 335 de la Loi 120, on affirme que celui-ci traite « de la mise en place d’un comité ministériel chargé d’élaborer des critères nationaux sur l’évaluation » (p. 130), ce qui est inexact. Au chapitre des oublis importants, il est assez étonnant que l’on ne fasse aucune mention des corporations de développement communautaire lorsqu’on traite des regroupements d’organismes communautaires « à l’échelle locale » (p. 94). Celles-ci sont en effet plus d’une quarantaine au Québec (les premières sont apparues au milieu des années 1980), sont formellement reconnues par l’État québécois et bénéficient d’un cadre de financement qui leur est propre. En outre, au sujet des rôles joués par les regroupements d’organismes communautaires, on omet de signaler leur apport considérable au chapitre de la formation, notamment les regroupements sectoriels.

Au total, Les organismes communautaires au Québec : pratiques et enjeux intéressera les personnes qui connaissent peu le milieu communautaire québécois puisqu’elles y trouveront une bonne description des pratiques et des façons de faire des organismes communautaires. C’est sans doute là la plus grande qualité de cet ouvrage. Toutefois, comme nous l’avons dit au départ, il laissera sur leur appétit les personnes qui, de longue date, oeuvrent dans le milieu communautaire québécois ou s’y intéressent puisque son contenu est déjà, sauf quelques exceptions, largement connu. Il ne pourra donc combler les attentes des lecteurs à la recherche de nouvelles pistes d’analyse des enjeux puisque, plutôt que de tenter de saisir et d’approfondir la signification des changements observés chez les organismes communautaires, les auteurs restent fondamentalement campés dans la bonne vieille attitude qui consiste à mettre en garde contre les dérives possibles, proposant presque un retour en arrière.