Le dossier : Le phénomène de la médicalisation du social : enjeux et pistes d’intervention

Les multiples facettes de la médicalisation du social[Record]

  • Johanne Collin and
  • Amnon Jacob Suissa

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  • Johanne Collin
    Faculté de pharmacie
    Université de Montréal

  • Amnon Jacob Suissa
    École de travail social
    Université du Québec à Montréal

Comment s’effectue le passage d’une condition sociale ou d’un comportement individuel au statut de maladie, de pathologie ? Sur quelles bases scientifiques et idéologiques s’appuient les discours qui permettent la transposition du social vers le médical et la rendent acceptable, voire désirable, aux yeux de la société ? Y a-t-il des pratiques sociales qui s’inscrivent en faux par rapport à la médicalisation des problèmes sociaux et qui proposent des avenues innovatrices dans le sens d’une participation citoyenne ? En réponse à ces questions de fond, et à partir d’analyses critiques, ce numéro thématique porte sur la médicalisation du social et interroge les modalités par lesquelles se traduit le phénomène. Le concept de médicalisation existe de longue date et a suscité l’intérêt des chercheurs en sciences sociales dès les années 1950, moment où la médecine elle-même est devenue l’un des objets phares de la sociologie des professions (Parsons, 1951 ; Becker et al., 1961 ; Freidson, 1970). À cette période faste, qui correspondait à une véritable révolution thérapeutique (antibiothérapie, hormonothérapie, vaccins) et au triomphe de l’industrie pharmaceutique (Sournia, 1992), a succédé, avec les années 1970, une période de désenchantement et de critique radicale de la profession médicale et de l’industrie pharmaceutique (Illich, 1977). La critique du médical s’inscrit alors dans un contexte social où les revendications de changements plus structurels aux rapports sociaux inégalitaires sont à leur apogée. S’inspirant grandement d’une lecture marxiste dans le champ des sciences sociales, ces critiques trouvent écho dans les mouvements sociaux qui se multiplient à l’époque dans les sociétés occidentales contemporaines (Nye, 2003). Si nous assistons aujourd’hui à une pathologisation de l’existence (Gori et Volgo, 2005), le constat n’est pas nouveau (Zola, 1972). L’histoire de la médecine et de son rôle central dans la médicalisation des comportements est bien démontrée par Di Vittorio (2005) qui nous rappelle que la professionnalisation des médecins s’est produite dans le cadre d’une politique de santé publique au moment où se posait l’exigence d’un appareil technique de gestion du corps social. Dans un essai remarquable sur l’oeuvre de Foucault, Di Vittorio démontre qu’au nom de l’hygiène publique, un savoir « médico-administratif » de la médecine s’est développé pour gérer le danger social comme risque pathologique. Dans la mesure où le discours a été axé sur la dangerosité, cette science du danger social a été le tremplin de la médicalisation ou, comme dirait Castel (1983), le contrôle social de comportements indésirables. Ainsi, la médecine et la psychiatrie, par exemple, participent activement, au nom de la santé publique, à la définition d’une norme de comportement dans tous les aspects de l’existence. À ce titre, on peut penser aux comportements et/ou conditions tels que le tabagisme, l’hyperactivité avec ou sans déficit d’attention, la ménopause, les phases de la naissance et de la mort, les relations sexuelles, les dépendances aux psychotropes, au jeu, affectives et amoureuses, cyberdépendances, achat compulsif, troubles de l’humeur, etc. Soumises à un ordre néolibéral économique du consumérisme où le manque d’être se transforme en manque d’avoir, les conditions principalement sociales se retrouvent de plus en plus incluses dans le DSM (Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders) comme des déviances au sens parsonien du terme. Toutefois, nous assistons, selon Conrad, à un processus de médicalisation qui repose désormais sur un complexe largement pharmaco-industriel (Conrad, 2005). Comme modalité de contrôle social, la médicalisation serait désormais de nature beaucoup plus diffuse qu’antérieurement, puisqu’une diversité d’agents, non plus uniquement des médecins, mais aussi des acteurs relais/moteurs (industrie pharmaceutique, compagnies d’assurances, groupes de patients, État) agissent dans l’acceptation idéologique des valeurs qui sous-tendent le processus de médicalisation. De plus en …

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