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Dans ce livre de synthèse des travaux sur le concept d’économie sociale au Québec et ailleurs, Louis Favreau tente de retracer les contours, les principales approches et les principaux champs de pratique dont la fondation remonte à 1844 en banlieue de Manchester (p. 22). Il rappelle que « l’économie sociale dans les pays industrialisés, notamment ses branches coopérative et mutualiste, s’est développée parmi des classes laborieuses exploitées et luttant pour améliorer leurs conditions de vie très précaires » (p. 24). En fait, le concept d’économie sociale au Québec est entré dans l’espace public en 1996, lors du Sommet sur l’économie et l’emploi du gouvernement du Québec. Mais le mouvement coopératif existe concrètement depuis plus d’un siècle. Dans les conditions de 1844, les classes populaires ont répondu de façon collective aux nécessités que l’économie dominante et l’État ne satisfaisaient pas. Au lancement de ces initiatives d’entreprises à propriété collective au Québec, il y avait l’idée d’appartenance à un peuple du Canada français et la volonté de vivre ensemble ainsi que le rêve d’instaurer une société socialement juste et équitable.
La question centrale de ce livre est formulée comme suit (p. x) : les entreprises collectives et plus globalement le monde de la coopération et de l’économie sociale font-ils partie des réponses appropriées pour la relance des communautés et, le cas échéant, quelles sont les stratégies de développement (ou de relance) mises en place par l’économie sociale dans ces communautés ? Selon Favreau, « il existerait un espace inédit d’innovation sociale au coeur de la crise de la société salariale et des étatismes industriels, espace éclipsé pendant la période des “trente glorieuses”. Le marché et l’État demeurent insuffisants pour trouver des réponses aux problèmes actuels (montée de l’exclusion, bureaucratisation du service public…), pour repérer les nouveaux besoins sociaux et pour faire émerger de nouvelles formes d’organisation de l’entreprise répondant mieux aux aspirations de ses travailleurs et de nouvelles formes de gouvernance territoriale prenant mieux en compte les aspirations des populations » (p. 14).
Louis Favreau soutient que l’économie sociale est un héritage des classes populaires. Elle est profondément liée aux mouvements sociaux. Il y a environ un siècle, le mouvement ouvrier s’était vu obligé de fournir des réponses inédites à l’offensive de l’économie capitaliste. L’intervention de l’État dans le développement économique et social ne suffisait pas à lui seul à développer une économie socialement responsable et équitable. Au Québec, l’économie sociale a des racines profondes sur l’ensemble du territoire. On la retrouve partout où ont été mis sur pied des coopératives agricoles, des mutuelles d’assurances, des caisses populaires, des entreprises d’insertion, des organismes sans but lucratif d’habitation, des centres de la petite enfance et des coopératives de santé. Cette dynamique fait en sorte que le Québec est la seule société où la principale institution financière, Desjardins, est une coopérative.
Il faut rappeler que le mouvement coopératif tout comme le mouvement des agriculteurs et des travailleurs se sont construits sur une identité socioculturelle forte, soit celle du peuple canadien-français (la communauté de destin), ensuite du Québec. Mais la question socioculturelle n’est pas la seule à mettre en cause dans l’émergence et la structuration de l’économie sociale au Québec. Comme nous l’avons souligné précédemment, l’économie sociale est née également d’une nécessité économique, ainsi que d’une volonté de démocratiser les lieux de production (p. 24-26). Ainsi, au-delà de la dimension économique, l’économie sociale est depuis ses débuts porteuse d’un projet politique de changement social. C’est d’ailleurs là le premier fil conducteur de cet ouvrage.
Le deuxième fil conducteur, c’est une analyse critique du concept d’économie sociale. Louis Favreau fait remarquer que cette économie a des forces centrifuges et des forces centripètes. « Les intérêts particuliers des uns ne coïncident pas nécessairement avec ceux des autres et l’intérêt général n’est pas toujours au poste de commande » (p. 35). Des tensions et des différends se sont manifestés parmi les acteurs de l’économie sociale. Le bilan de dix dernières années est donc contrasté. Selon l’auteur, on ne saurait se satisfaire d’un bilan qui consisterait simplement à égrainer les succès de l’économie sociale (p. 157-188).
Plusieurs initiatives prises par le mouvement coopératif, le mouvement syndical et le mouvement associatif ont permis de trouver de nouvelles solutions à la crise de l’emploi, des services collectifs et des communautés locales en difficulté. Favreau livre plusieurs exemples de réussites remarquables à cet égard. Mentionnons notamment la scierie de Sacré-Coeur au Saguenay, le technopôle Angus ou encore la coopérative La Mauve dans le village de Saint-Vallier (p. 42-43). La cohabitation active entre l’État et la société civile, ainsi qu’entre les dimensions économique et social du développement s’est peu à peu instaurée. Depuis lors, le local émerge comme lieu central de renouvellement des pratiques de développement socioéconomique.
Le développement durable et solidaire des territoires québécois autour des défis actuels de l’agriculture, de la santé, de l’énergie, du contrôle des ressources naturelles, de service de proximité (station-service, quincaillerie, épicerie) se fait dans des entreprises collectives dont un certain nombre sont partie prenante de regroupements nationaux. Ces derniers s’organisent pour travailler au plan politique (p. 69-80). Depuis environ dix ans, l’économie sociale québécoise évolue avec deux regroupements nationaux, les coopératives et les mutuelles (le plus ancien) et les organisations à but non lucratif (OBNL). Selon Favreau, on peut dire qu’il existe aujourd’hui au Québec une économie sociale coopérative à dominante d’entreprises collectives et une économie sociale associative à dominante d’entreprises sociales (p. 121).
Ces entreprises collectives mettent en place des structures de soutien et de représentation politique d’après leurs secteurs d’activité. Leurs raisons d’être sont multiples, notamment, elles sont les relais entre les organisations locales et les pouvoirs publics ; elles font la promotion auprès des ensembles populationnels des produits et services de leurs membres ; elles valorisent ce type d’entreprises ; elles donnent l’accès aux services à leurs membres et, enfin, elles promeuvent les partenariats. L’enjeu ici est démocratique (p. 81-89).
Pour étudier les rapports stratégiques que les entreprises collectives développent entre elles, Louis Favreau tente d’utiliser une autre approche que celle de la sociologie économique parce qu’il aborde l’économie sociale par ses fonctions politiques (p. 90-112). Il parle des enjeux sociopolitiques, des enjeux territoriaux, de la coopération, tout en critiquant le concept d’innovation. Il avance qu’il y a des innovations durables et d’autres qui ne le sont pas.
Louis Favreau aborde également dans cet ouvrage plusieurs autres thèmes, notamment ceux de l’institutionnalisation (au Québec, des institutions témoignent de la possibilité d’établir de nouvelles passerelles entre la société civile, l’État et le marché (p. 126) ; de la professionnalisation des organisations sociales (p. 138-142), de l’État social dont le contenu varie d’une société à l’autre (p. 129-130 et 142-155), etc. Il met en garde les lecteurs contre « [l’]absence de réflexion sur la professionnalisation dans les organisations et la professionnalisation des organisations » (p. 139). L’auteur fait aussi la distinction entre les entreprises collectives et les entreprises sociales. Et il insiste sur le fait que la viabilité d’une entreprise collective dépend de sa capacité de fonctionner en partie sur ses fonds propres.
L’auteur termine l’analyse critique de son livre par une annexe d’une cinquantaine de pages (p. 243-297) dans lesquelles il analyse sans langue de bois des ouvrages traitant de l’économie sociale en tentant de démontrer la contribution de chaque ouvrage au savoir sur les entreprises collectives, ainsi que leurs forces et faiblesses. En d’autres mots, il tente de relancer le débat dans la perspective de faire progresser les savoirs sur ce thème.