Comptes rendus

Mais oui c’est un travail ! Penser le travail du sexe au-delà de la victimisation, Colette Parent, Christine Bruckert, Patrice Corriveau, Maria Nengeh Mensah et Louise Toupin, Québec, Presses de l’Université du Québec, 2010, 158 p.[Record]

  • Marie-Pierre Boucher

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  • Marie-Pierre Boucher
    Département de sociologie, Université du Québec à Montréal

Malgré un titre qui peut sembler racoleur, le livre vise véritablement à rendre compte des réalités des métiers du sexe, en y référant comme à un travail, et à présenter ces réalités en sortant du carcan de la victimisation. L’article de Mensah est à cet égard exemplaire, j’y reviendrai. L’« Introduction » a l’originalité de porter le double titre de « Mise au point ». Rédigée par les cinq coauteurs, elle annonce la rupture avec les deux approches dominantes, depuis une vingtaine d’années, sur le travail du sexe : celle des femmes victimes de traite à des fins prostitutionnelles, celle de la vulnérabilité des travailleuses du sexe à la violence physique. Nourri de l’expertise de ses protagonistes, l’ouvrage propose conséquemment de se dégager à la fois de la perspective néo-abolitionniste et du moralisme. Les auteurs souhaitent ainsi contribuer à publiciser « la voix et la défense de[s] droits » (p. 3) des travailleuses du sexe, trop souvent occultées. Il s’agirait justement du premier livre publié ici qui privilégie cet angle, avec l’intention de « réussir à déconstruire certains mythes et préjugés, et à étayer la preuve à l’effet qu’il est non seulement possible de défendre la légitimité du travail du sexe tout en luttant contre la violence, mais que cela est nécessaire » (p. 6). Suivent cinq chapitres portant sur différents aspects de cette perspective. Un premier chapitre, signé par Colette Parent et Christine Bruckert, fait le point sur le débat enflammé que suscite le travail du sexe. Retraçant le cheminement historique de ce débat, l’article vise à présenter les positions antagoniques sans les charges émotives, idéologiques et morales qui les accompagnent si souvent. Comme le rappellent finement les auteures, le débat tisse notamment l’histoire du mouvement féministe et met en évidence les controverses portant sur la liberté, l’exploitation et l’oppression des femmes. Celles-ci ressurgissent donc depuis une vingtaine d’années, dans le contexte de la mondialisation et de l’importance des migrations féminines, et renouent les positions divergentes que sont, d’un côté, le néo-abolitionnisme (adoptant la position de la femme victime) et, de l’autre, la défense des travailleuses du sexe. Partant de ces positions et de leurs arguments, l’article met en évidence la prudence nécessaire face aux faits. Les statistiques sur ce domaine d’activités font défaut et nous avons peu d’informations rigoureuses sur les parcours des travailleuses, ainsi que sur leurs conditions de travail, aussi est-il facile de tirer des conclusions empreintes de stéréotypes, en particulier ceux touchant le proxénétisme, la violence et les sévices sexuels, etc., afin d’envenimer le débat. En passant ces arguments au filtre critique, les auteurs nous invitent à montrer plus de discernement. Ainsi, pour rendre compte du versant pro-travail du sexe, les auteurs insistent sur le caractère non reconnu du travail du sexe et les conséquences qui s’ensuivent, notamment l’impossibilité de connaître les multiples facettes de ce métier. En somme, ce texte tout en finesse nous invite à adopter la même prudence par rapport au débat sur le travail du sexe. Patrice Corriveau signe le deuxième chapitre « Réguler le travail du sexe. Entre la victimisation et la liberté de choisir » dont le propos présente et qualifie le cadre juridique canadien. Pour ce qui est de la qualification, Corriveau explique en quoi et comment l’État canadien participe d’un modèle répressif du travail du sexe, qui se distingue des modèles répressif / néo-abolitionniste (comme en Suède), qui ne criminalise que les clients et les intermédiaires (les travailleuses étant dans ce modèle considérées irresponsables et victimes), et du modèle réglementariste, qui légalise et encadre son exercice. L’examen de ce dernier modèle permet à l’auteur d’annoncer sa préférence …

Appendices