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La controverse entourant la publication du rapport de l’INSERM en France et la mobilisation du collectif Pasde0deconduite (2006) relancent le débat à propos de la portée des travaux scientifiques s’intéressant au comportement et s’inscrivant dans une démarche d’intervention publique. Cette note de recherche reprend certaines positions critiques et lance quelques pistes de réflexion inspirées de la sociologie de la traduction. Nous allons d’abord résumer très brièvement la synthèse du rapport de l’INSERM pour ensuite aborder trois types de positions, toutes légitimes certes, mais dont les enjeux me semblent différer.

D’abord, quelques mots sur la première partie du rapport synthèse de l’Expertise collective (2005), en particulier à propos de ce que nous sommes invités à tenir pour acquis. Le rapport nous explique que le « trouble des conduites » est une maladie mentale, reconnaissable à certains symptômes, qui se manifeste différemment si le trouble apparaît avant ou après l’âge de 10 ans, dont la prévalence est de « 5 à 9 % chez les garçons en population générale » et de 30 à 60 % en « population délinquante » et accompagné d’une comorbidité « élevée et très diversifiée ».

Par la suite, le trouble des conduites est décrit dans une perspective développementale et par le détour d’études portant sur l’agression physique. Il y est avancé que « les personnes qui ont un trouble des conduites à début précoce (avant 10 ans) ont généralement un niveau élevé d’agression physique qui se maintient durant l’enfance » (Ibid., 2005 : p. 9). On y apprend aussi que seule « une minorité d’enfants, seulement 3 à 11 %, maintient un niveau élevé d’agression physique jusqu’à l’adolescence. Cette minorité inclut généralement les enfants que l’on identifie comme ayant un trouble des conduites à début précoce » (Ibid., 2005 : p. 10). Aussi, les facteurs de risque des « trajectoires élevées d’agression physique » sont semblables à ceux du trouble des conduites.

La section suivante aborde les questions de susceptibilité et d’héritabilité génétique. On y apprend que « les facteurs génétiques augmentent un risque [et] modifient l’expression d’un trouble ». Ce qui ne relève pas de l’environnement relèverait de l’hérédité, mais en fin de compte, les facteurs génétiques varient en fonction des facteurs environnementaux. On nous offre l’exemple suivant pour finir par avancer l’hypothèse d’une synergie de facteurs :

L’allèle conférant une faible activité à la monomanie oxydase-A paraît ainsi associé au développement de conduites antisociales uniquement en cas de maltraitance subie dans l’enfance. Il ne s’agit pas simplement d’un cumul de facteurs de risque mais d’une synergie entre facteurs de vulnérabilité

Ibid., 2005 : p. 16

Au-delà de cette première conclusion, sur laquelle portera l’essentiel de notre propos, le rapport synthèse s’intéresse à l’étude de la personnalité, aux périodes anténatales et périnatales, à l’environnement social, puis aux déficits neurocognitifs avant de traiter de la finalité de la synthèse de ces connaissances : l’évaluation et l’intervention publique.

La critique : entre une prophylaxie coercitive et une technologie de gouvernement

Le rapport invite divers types de critiques que nous n’allons pas aborder exhaustivement. Notre objectif est plutôt d’organiser les critiques en deux catégories à partir de la manière dont elles saisissent leur objet.

Une première critique, que nous appelons interne, concerne en particulier la méthode et les concepts mobilisés. La criminologie est familière avec l’erreur méthodologique classique consistant à étudier les personnes « criminalisées », c’est-à-dire qualifiées d’infracteurs de la loi par les instances de répression du crime. Les chercheurs qui font de la criminalité une maladie croient trouver parmi les infracteurs reconnus un échantillon représentatif des criminels et autant d’occasions d’en étudier les symptômes. Mucchielli (2006) a très bien montré cette erreur de méthode et le chevauchement des catégories conceptuelles mobilisées dans le rapport synthèse. Il faut d’ailleurs insister sur les difficultés conceptuelles du document. À sa lecture, faute de théorisation, on ne sait pas très bien ce qui distingue une personne présentant le « trouble des conduites » d’une personne ayant des difficultés d’adaptation sociale, de délinquance ou d’agression chronique.

Dans la revue Criminologie, Carbonneau (2008) dit vouloir en finir avec l’étiquette « lombrosienne » (de Lombroso, ce père controversé de la criminologie) qui est accolée aux recherches s’intéressant à la biologie du comportement. Assez original, Lombroso maintenait qu’il existait au sein de la société des personnes constitutionnellement différentes des autres, des criminels-nés, c’est-à-dire des personnes qui étaient des erreurs de l’évolution. Il me semble que Carbonneau a à la fois tort et raison de vouloir distinguer la génétique du comportement de cette thèse d’une coupure biologique entre le criminel-né et la personne normale[3]. Une des façons de voir en quoi et comment la biologie du comportement se distingue ou non du projet biodéterministe est de nous intéresser au type de causalité mobilisé dans ces travaux.

L’extrait cité plus haut dans le texte semble mobiliser deux types de causalité, l’une évoquant le « cumul de facteurs », l’autre la « synergie ». En expliquant des comportements par l’accumulation des facteurs de risque ou vulnérabilité, on fait du foyer originel de ces conduites un amalgame de facteurs de risque, mais si l’on accorde à cet amalgame une force « déterminante », nous revenons au même endroit, celui forgé par le courant biodéterministe. Et de là, le risque est grand de se diriger vers des pratiques prophylactiques radicales.

Quant à la causalité qui sous-tend la « synergie », elle peut être vue de la même manière ou d’une manière différente et nous inviter à réfléchir au contexte dans lequel ces travaux sont produits, ce que nous appelons la critique externe. En effet, l’épigénétique, telle qu’elle est partiellement présentée dans le rapport synthèse, laisse entendre qu’au-delà d’une accumulation de facteurs de risque, l’effet ou la force de cette configuration dépend de la présence d’un facteur déterminant (un déclencheur) ou, par exemple, de l’association d’un facteur environnemental et d’un facteur biologique. Selon les termes du rapport, il n’est donc pas seulement question « d’un cumul de facteurs de risque mais d’une synergie entre facteurs de vulnérabilité » (Expertise collective, 2005 : p. 16). Or, cette manière de poser le problème ne diffère pas nécessairement du biodéterminisme si l’environnement est ramené à un rôle déclencheur d’entités génétiques, sa présence ne faisant que déplacer partiellement le « déterminisme biologique ». On se trouve donc à cerner une entité (qu’il s’agisse d’une personne enveloppée entièrement dans sa corporalité comme chez Lombroso, qu’il s’agisse d’une personne étant constamment traversée de l’interaction de sa génétique et de son environnement ou encore d’une personne dont certains facteurs de risque ne se manifesteront que dans telle ou telle condition environnementale), qui sans être uniquement de nature constitutionnelle, n’en demeure pas moins « déterminante » pour le comportement futur. En bref, de ce point de vue, nous ne sortons pas du problème du déterminisme ; nous déplaçons le point focal, mais il est tout aussi déterminant (Mucchielli, 2006 : p. 180 ; Walby et Carrier, 2010).

La deuxième réaction nous fait entrer dans la critique externe du rapport. On peut aussi faire une lecture différente qui ne fonctionne que selon une causalité probabiliste. Quelle que soit la synergie de facteurs, dans la mesure où nous restons dans le calcul des probabilités, chaque individu appartient à des populations statistiques qui courent de plus ou moins grands risques. À la rigueur, à lire certains passages du rapport, nous pourrions dire que chaque individu serait composé d’un agencement différent de facteurs et cet agencement pourrait évoluer à travers le temps. Si cette causalité probabiliste dilue la frontière entre un criminel et un non-criminel, elle inscrit néanmoins la personne humaine dans un projet de connaissance de soi et d’autorégulation à la lumière de ses propres facteurs de risque. Comme le disait Castel (1991), ici nous sommes dans l’administration technocratique des différences.

Il n’y a rien de mal en soi à aider les gens à mieux se connaître, à pouvoir anticiper le développement possible de certaines maladies. Mais la génétique devient culpabilisante puisqu’elle nous avertit de nos maladies possibles et de possibles comportements futurs (Rose, 2007). En élaborant une cartographie du risque et des associations de facteurs prédisant des comportements (comme des maladies), les scientifiques participent et réclament une science préventive, ils se logent dans une ingénierie sociale, une science surveillant les conditions actuelles en prévision de comportements possibles futurs. Il ne s’agit pas d’élaborer un projet social à l’aune duquel nous miserions sur la contribution de chacun et la mise en place des mesures requises pour permettre à chacun d’y participer. Il faut reconnaître que les formes de gouvernement néolibérales s’appuient sur la production d’individus réflexifs, déterminés à connaître leurs forces et faiblesses et à travailler sur celles-ci avec un minimum d’aide des pouvoirs publics. Ainsi, la cartographie épigénétique de ma propre configuration génétique-environnementale m’invite à m’efforcer de maîtriser mes propres facteurs de risque et mes interactions avec des éléments déclencheurs de mon environnement. Je suis invité à devenir l’artisan de mon propre futur médical comme de mon propre futur social et j’en ai en quelque sorte la responsabilité. On dira de cette science qu’elle participe du gouvernement de soi. En empruntant les mots de Michel Foucault, nous pourrions dire qu’elle est une technologie de soi[4] s’inscrivant dans un dispositif d’action biosanitaire.

Et il s’agit d’une technologie qui n’est pas en soi coercitive, c’est d’ailleurs ce que diront les scientifiques qui oeuvrent dans ce champ. Rappelons que Foucault a aussi bien montré combien il était utile de nous défaire d’une conception centralisée et verticale du pouvoir (Foucault, 2001 : p. 1058). Ce n’est pas la coercition qui fait la force des modes de gouvernement néolibéral, quoiqu’elle n’en soit pas exclue ; c’est cette espèce d’injonction paradoxale (qui n’est pas antithétique de la liberté) qui nous invite à prendre connaissance de ce que nous sommes et de ce que nous pouvons devenir afin d’agir sur ce futur possible (Petersen et Bunton, 2002 ; Rose, 2007).

Ces deux critiques sont connues de la plupart des scientifiques qui oeuvrent dans ce champ. Ils répondent habituellement qu’il faut les laisser travailler parce qu’il est injuste d’imputer aux découvertes scientifiques une finalité autre que le développement des connaissances. Le rapport de l’INSERM le dit d’emblée : nous ne sommes plus dans les préjugés lombrosiens. D’ailleurs, peut-on être contre la connaissance de soi ? Ne faut-il pas savoir ce qui pourrait éventuellement nous arriver ? N’est-il pas préférable de connaître à l’avance des risques afin de prendre des mesures pour les prévenir ?

Si on en reste là, nous condamnons surtout l’expertise pour son parti pris à la fois réductionniste, une expertise partielle, à la fois aveugle parce que refusant de s’avouer profondément liée au contexte, ce qui la rend partiale. Critiques légitimes certes, mais critiques qui s’arrêtent devant la porte du laboratoire. Ne faut-il pas chercher à aller au-delà de la critique de la science, au-delà du constructivisme sociopolitique ? Le jeune souffrant du trouble des conduites est-il mieux cerné si l’on fait place à toutes les expertises possibles ou est-il préférable de penser la chose autrement ?

De la réalité rapprochée à la composition d’un réseau

La sociologie de la traduction nous invite à nous pencher sur la manière dont est produit le savoir scientifique. En nous inspirant du travail de Bruno Latour et de la sociologie de la traduction, il est possible de nous dégager des débats interne/externe et de nous positionner différemment par rapport à cette science. Lançons quelques réflexions en nous efforçant de nous défaire du « compromis moderniste » qui nous force à penser à travers les dichotomies sujet / objet, nature / culture, constructivisme social / empirisme.

Posons d’emblée qu’il n’y a pas en soi de difficulté à soutenir l’énoncé suivant : « L’allèle conférant une faible activité à la monomanie oxydase-A paraît ainsi associé au développement de conduites antisociales uniquement en cas de maltraitance subie dans l’enfance » (Expertise collective, 2005 : p. 16). Il ne s’agit ni d’une représentation erronée d’un scientifique visant mal le réel (question épistémologique), ni une réalité naturelle immuable qui attendait que nous la découvrions depuis toujours (question ontologique). Et s’il s’agissait plutôt d’une proposition, d’une « occasion » de donner de cet « allèle » une nouvelle définition ? (Latour, 2007 : p. 148.)

En effet, le travail du scientifique qui nous intéresse consiste en l’articulation de différentes propositions qui tiennent en un réseau. Les scientifiques, eux, disent s’approcher d’une réalité qui serait à côté de nous mais que nous avons de la difficulté à saisir parce que nous sommes toujours aux prises avec notre condition humaine faite de préjugés, d’émotions et d’intérêts. Cette position donne prise au constructivisme social pour qui les définitions d’une même réalité sont multiples. À l’opposé, les scientifiques positivistes disent pouvoir développer les moyens de découvrir le réel. Ainsi, le chercheur doit développer des outils (laboratoires, enquêtes, questionnaires, échelles, classifications) visant à faire parler le réel mais excluant le chercheur lui-même. La critique constructiviste de la science s’arrête ici. Puisque ces outils et les théories qui les accompagnent nous font tous voir un aspect de l’entité jeune avec trouble des conduites, ils se valent tous et doivent tous prendre place à la grande table de concertation.

Comment peut-on essayer de poser le problème d’une manière différente et éviter d’opposer positivisme et constructivisme ? Le scientifique dit devoir fabriquer des outils ayant la capacité à la fois de faire parler le réel et de faire disparaître son auteur, le scientifique lui-même. Or, pour Latour (1997), les non-humains n’existent pas sans les humains et il n’y a pas une « nature » dont nous serions entièrement séparés. Aussi, il insiste sur les traductions successives par lesquelles doit passer, par exemple, un échantillon de sol amazonien avant de devenir un énoncé scientifique de botanique publié dans une revue scientifique d’envergure (Latour, 2007). L’énoncé final de la botanique à propos de l’évolution du sol amazonien provient de petits échantillons de sol placés dans des contenants, disséqués, analysés, répertoriés et ainsi de suite. N’en va-t-il pas tout autant de notre énoncé à propos de l’allèle ? Pour en arriver à dire que chez une jeune personne, un certain allèle paraît ainsi associé au développement de conduites antisociales uniquement en cas de maltraitance subie dans l’enfance, cette jeune personne, comme d’autres, aura passé par un savant montage de questionnaires, de tests, de choix de facteurs, de mesures de fréquences, de calculs à savoir si tel résultat est significatif statistiquement, de laboratoire dans lesquels des rats sont soumis à des épreuves, et ainsi de suite. Bref, l’énoncé final universel a été forgé au prix d’un éloignement considérable de la matière première – un échantillon biologique provenant d’une jeune personne ou les informations que cette personne nous transmet – et d’une réduction importante de la complexité, de la particularité et du local (Latour, 2007 : p. 75). En contrepartie de cette réduction, l’énoncé gagne en universalité et en compatibilité avec d’autres énoncés. En d’autres mots, pour que cet énoncé puisse aboutir dans des textes scientifiques, pour qu’il puisse être articulé à d’autres énoncés, il faut bien que nous nous éloignions des jeunes eux-mêmes et que des échantillons de ces jeunes (de leurs paroles, de leurs comportements, de leur génétique) subissent une série de traduction pour devenir des « associations » ou des « facteurs de risque ». En somme, produire la connaissance scientifique dans ce cas revient à opérer une série de traductions et à s’éloigner de la matière première au profit d’une compatibilité et d’une universalité croissante[5] (Latour, 2007 : p. 75).

Ces traductions sont aussi des médiations où l’association humains et non-humains forme continuellement une troisième entité. Nous pourrions dire de l’énoncé précédent qu’il est une proposition, c’est-à-dire une définition particulière des entités allèle, jeune personne, conduite antisociale, sens que ces entités performent dans les conditions X avec les facteurs A, B et C par exemple. Il n’est pas du tout clair que l’entité allèle ait la même définition ici que dans un autre type de recherche. Aussi, on voit bien que cet allèle n’a pas que des propriétés biologiques, il a aussi des propriétés sociales puisqu’il est lié à des conduites antisociales[6].

Bref, la sociologie de la traduction nous invite à penser que la validité d’un énoncé n’est pas tant une affaire de correspondance que l’effet de la fréquence et de la solidité des connexions que le chercheur peut établir. C’est que les énoncés finissent par être mis en boîte noire, ils ne sont plus mis en question, ils sont « acceptés ». Il n’est pas question d’imputer aux scientifiques des intentions machiavéliques, c’est la manière par laquelle s’organise cette science. Un tel a montré un lien entre A et B, un tel entre B et C, j’ajoute un lien entre C et D. Maintenant que nous savons que A et B sont liés, nous pouvons établir un lien entre AB et E, et ainsi de suite. Au bout du compte, même si on ne sait pas nécessairement d’où provient l’énoncé AB, il est tout de même possible de s’appuyer sur lui pour constituer de nouvelles associations et d’autres énoncés. Nous pourrions dire que la proposition se stabilise, qu’elle devient un fait scientifique[7].

C’est en quelque sorte la solidité du réseau qui tient lieu de validité scientifique. Le chercheur (son équipe, ses nombreux cosignataires) doit aussi convaincre les revues scientifiques de la solidité des associations produites entre tels et tels facteurs, convaincre les pouvoirs publics d’investir dans ses travaux de recherche, montrer en quoi ils sont pertinents (la prévention de certains comportements). Être en mesure de dire qu’on est cité tant de fois, qu’on est publié dans telle revue a une importance capitale dans le milieu scientifique (le facteur d’impact). C’est du capital. D’ailleurs les chercheurs savent bien l’importance du réseau des citations alors que la correspondance au réel reste toujours discutable. Il ne s’agit pas ici de remettre la science dans son contexte, comme nous l’avons fait précédemment, mais de refuser d’imaginer qu’une science se fait hors d’un contexte. En fait, en nous inspirant de Callon (2006 : p. 241), nous pourrions dire que les scientifiques opèrent une traduction supplémentaire en disant que tel allèle est associé à tels comportements, et que c’est l’énoncé lui-même qui « propose une double référence » à un contenu et à un contexte.

Si au cours de vos travaux de recherche vous découvrez que l’allèle n’a pas le lien prétendu avec tel comportement, si vous découvrez que la dopamine n’est pas vraiment liée à « l’agitation motrice », vous allez vérifier vos résultats à plusieurs reprises avant de les soumettre à une revue pour publication. Vous risquez toutefois de vous trouver seul devant une armée de gens qui se citent mutuellement et bâtissent sur les références des autres, ce qui finit par nous faire oublier l’édifice de citations multiples tenant un énoncé. Les revues scientifiques ne pullulent pas d’articles qui cherchent à défaire des associations de facteurs. La science publiée est davantage une science qui fonctionne et qui avance. Nous intéresse ce qui s’associe de manière significative.

En abordant la connaissance scientifique de cette manière, nous pouvons ajouter à la critique une réflexion concernant moins la guerre de mots, les débats d’échantillons ou le contexte de la production scientifique, puis voir comment les chercheurs sont aussi des porte-parole et qu’ils participent de réseaux intéressant de nombreux actants (humains et non-humains). La connaissance scientifique est ainsi davantage un travail de « composition ».

Conclusion

Il nous semble que la publication du rapport de l’INSERM nous invite à une réflexion sur la critique. La portée actuelle de l’épidémiologie et de ses variantes nous y invite aussi. Bien que les deux premières critiques nous paraissent tout à fait légitimes, elles aboutissent souvent à un dialogue de sourds. À leur défense, les tenants de cette science protestent que les énoncés tiennent la route et que la finalité de leur recherche ne pose pas en soi de difficulté.

La troisième piste que nous avons brièvement abordé et dont nous comptons tirer davantage d’enseignement postule que le réseau confère une validité à l’énoncé. Ainsi, au-delà des connexions entre entités, les énoncés reposent aussi sur d’autres actants qui sont autant des organismes subventionnaires de la recherche, des organismes ni tout à fait public, ni tout à fait privé, des modes d’inscription (outils de collecte de données), des énoncés probabilistes et autres « actants ». Vue ainsi, la science paraît moins une entreprise isolée, loin du social.

Si la mobilisation d’actants fait tenir les énoncés, cela rend d’autant plus pertinente la mobilisation d’un collectif comme celui qui a vu le jour dans la foulée de la publication du rapport et qui a aussi son propre défi de faire tenir et de connecter ses propres propositions scientifiques.