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On observe depuis quelques années une sensibilisation et une incitation accrues pour l’utilisation des connaissances issues de la recherche dans le domaine des sciences humaines et sociales. L’enjeu est vaste et transversal à plusieurs domaines, tels que l’éducation (Dagenais et al., 2012 ; Levin, 2013 ; Lysenko et al., 2014), l’administration publique (Bédard et Ouimet, 2012 ; Fleury, 2014 ; Morton, 2015) ou encore l’intervention psychosociale (Thomas et al., 2014 ; Trocmé et al., 2014). Malgré une importance reconnue d’utiliser des pratiques fondées sur la recherche, il est cependant encore difficile d’atteindre une utilisation optimale des connaissances scientifiques issues des recherches en sciences humaines et sociales (Dagenais et al., 2012 ; Lysenko et al., 2014 ; Morton, 2015).

La valeur ajoutée d’établir et de maintenir des relations entre chercheurs et partenaires de la pratique afin de favoriser l’utilisation des connaissances issues des recherches en sciences humaines et sociales n’est plus à démontrer. Afin d’augmenter l’utilisation des connaissances issues des recherches en sciences humaines et sociales, plusieurs études suggèrent de miser sur des relations soutenues entre les chercheurs et les praticiens (Brown et al., 2003 ; Chagnon et al., 2010 ; Cherney et al., 2012 ; Landry et al., 2001 ; Smith et al., 2013 ; van der Arend, 2014). On retrouve également différents modèles théoriques décrivant le rôle des collaborations entre chercheurs et praticiens afin de prédire l’utilisation des connaissances issues des recherches en sciences humaines et sociales (Chagnon et al., 2008 ; Cousins et Leithwood, 1993 ; Huberman, 1990 ; Kramer et Wells, 2005 ; Mohrman et Shani, 2008).

Bien que l’établissement et le maintien de relations entre chercheurs et partenaires de la pratique semblent jouer un rôle primordial afin de favoriser l’utilisation des connaissances scientifiques, le lien entre ces variables est encore mal compris (Chagnon et al., 2010 ; Newman, 2014 ; Morton, 2015). Autrement dit, il est actuellement difficile de comprendre comment les relations recherche-pratique influencent le processus d’utilisation des connaissances scientifiques. Cette difficulté limite notre capacité à déterminer les modalités avec lesquelles nous pouvons optimiser les relations recherche-pratique afin de favoriser l’utilisation des connaissances issues des recherches en sciences humaines et sociales (Chagnon et al., 2010 ; Levin, 2013 ; Morton, 2015 ; Philips, 2011).

En prenant appui sur la théorie du capital social, cet article propose un cadre conceptuel illustrant trois dimensions qui caractérisent le maintien des relations entre chercheurs et partenaires de la pratique. Ce cadre conceptuel (1) opérationnalise trois dimensions (structurelle, relationnelle, cognitive) selon lesquelles les relations recherche-pratique devraient se construire ; (2) pose des hypothèses sur la façon dont chacune de ces trois dimensions influence l’utilisation des connaissances issues des recherches en sciences humaines et sociales. La dernière portion de texte est consacrée à la discussion de deux constats relatifs à la mesure du concept de « relations recherche-pratique ».

La théorie du capital social : un tour d’horizon

Dans le domaine des sciences humaines et sociales, la théorie du capital social est depuis longtemps utilisée afin de mieux comprendre les conditions et les modalités qui permettent à différents acteurs d’atteindre des objectifs communs par le biais de la coopération. Bien que la théorie du capital social soit utilisée dans plusieurs contextes (Adler et Kwon, 2002 ; Portes, 1998), dans cet article il est particulièrement question de l’approche dite « organisationnelle » du capital social. Selon cette approche, le capital social se définit comme « la somme des ressources actuelles et potentielles encastrées dans, disponibles au travers et dérivées du réseau de relations possédé par un individu » (traduction libre, Nahapiet et Ghoshal, 1998, p. 243). Selon l’approche organisationnelle, le capital social se structurerait selon trois dimensions : une dimension structurelle, une dimension relationnelle et une dimension cognitive (Alder et Kwon, 2002 ; Nahapiet et Ghoshal, 1998).

La dimension structurelle correspond à la formalisation des réseaux de relations (« social interaction ties ») entre les acteurs (Alder et Kwon, 2002 ; Nahapiet et Ghoshal, 1998). La formalisation des réseaux est conceptualisée, ici, comme la structuration des mécanismes permettant les échanges entre différents acteurs appelés à collaborer. Ces mécanismes représentent un moyen pour accéder aux ressources et notamment à l’information et aux savoirs provenant de différents domaines de pratique. La formalisation des réseaux permet aux acteurs d’avoir accès aux savoirs des autres plus rapidement et de combiner plus facilement leurs différents savoirs afin d’en créer des nouveaux. Plus un réseau de relation est formalisé et structuré, plus les opportunités d’échange de savoirs entre les acteurs faisant partie de ce réseau sont augmentées (Alder et Kwon, 2002 ; Huysman et Wulf, 2006 ; Nahapiet et Ghoshal, 1998).

La dimension relationnelle fait, quant à elle, référence à la qualité des relations entre différents acteurs appelés à coopérer pour l’atteinte d’un objectif commun (Alder et Kwon, 2002 ; Chiu et al., 2006 ; Huysman et Wulf, 2006 ; Robert et al., 2008). Selon ces auteurs, la proximité relationnelle, la confiance mutuelle et le respect réciproque motiveraient les acteurs à s’investir dans des actions coopératives favorisant le partage de leurs savoirs. En plus de soutenir la motivation des acteurs à échanger, la qualité des relations affecterait également positivement la crédibilité et la pertinence perçue des savoirs qui sont échangés par ces acteurs (Alder et Kwon, 2002 ; Chui et al., 2006 ; Mäkelä et Brewster, 2009).

Une troisième dimension est proposée dans la théorie du capital social, soit la dimension cognitive. Elle faire référence à l’existence de cadres de références partagés entre les acteurs appelés à échanger et mettre en commun des savoirs (Alder et Kwon, 2002 ; Nahapiet et Ghoshal, 1998). De façon plus spécifique, les auteurs insistent sur l’importance d’une vision commune des buts à atteindre et de la présence d’un langage partagé entre ces acteurs (Alder et Kwon, 2002 ; Huysman et Wulf, 2006 ; Nahapiet et Ghoshal, 1998). Selon ces auteurs, le partage d’objectifs et d’un langage commun rendrait la communication, la transmission et la combinaison des savoirs plus efficaces entre les acteurs. La dimension cognitive serait, ainsi, essentielle afin de soutenir la capacité d’acteurs provenant de différents milieux de pratique à échanger et à mettre en commun des savoirs (Alder et Kwon, 2002 ; Mäkelä et Brewster, 2009 ; Robert et al., 2008).

La littérature sur la perspective organisationnelle du capital social propose une définition claire et une classification des dimensions du capital social (structurelle, cognitive, relationnelle). Plusieurs études démontrent également la validité de chacune de ces trois dimensions pour examiner les processus d’échange et de collaboration au niveau dyadique, c’est-à-dire entre deux groupes d’acteurs (Chui et al., 2006 ; Huysman et Wulf, 2006 ; Mäkelä et Brewster, 2009 ; Robert et al., 2008). En nous appuyant sur les avancées issues des travaux du capital social, nous proposons que les relations recherche-pratique puissent être adéquatement décrites par des dimensions d’ordre structurel, relationnel et cognitif. Autrement dit, ces trois dimensions seraient essentielles afin de maintenir les relations recherche-pratique, et ainsi maximiser leur influence sur l’utilisation des connaissances issues des recherches en sciences humaines et sociales.

Proposition d’un cadre conceptuel illustrant trois dimensions des relations entre chercheurs et partenaires de la pratique

La dimension structurelle des relations recherche-pratique

En accord avec la théorie du capital social, la dimension structurelle correspond à la formalisation de mécanismes facilitant les échanges de savoirs entre les chercheurs et les partenaires de la pratique (Alder et Kwon, 2002 ; Nahapiet et Ghoshal, 1998). Ces mécanismes, largement décrits au sein de la littérature portant sur les relations recherche-pratique, peuvent prendre différentes formes, tels des congrès, des réunions de travail ou encore la création de lieux de travail commun (Huberman, 1990 ; Kramer et Wells, 2005 ; Landry et al., 2000 ; Mohrman et Shani, 2008 ; Palinkas et al., 2009). À travers les années, plusieurs indicateurs quantitatifs ont d’ailleurs servi à mesurer la dimension structurelle des relations recherche-pratique lors de recherches empiriques (voir tableau 1).

Tableau 1

Exemple d’indicateurs employés pour mesurer la dimension structurelle des relations recherche-pratique

Exemple d’indicateurs employés pour mesurer la dimension structurelle des relations recherche-pratique

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Dès les années 1990, la présence de mécanismes formalisés permettant les échanges entre chercheurs et partenaires de la pratique est vue comme centrale afin de soutenir l’utilisation des connaissances issues des recherches en sciences humaines et sociales (p. ex. Boyer et Langbein, 1991 ; Cousins et Leithwood, 1993 ; Havelock, 1986 ; Huberman, 1990). Ces résultats rejoignent le postulat de la théorie de la diffusion (Rogers, 1983) selon lequel l’utilisation de nouvelles connaissances issues des recherches est fonction de leur disponibilité pour les milieux de pratique. La théorie de la diffusion met l’accent sur l’accessibilité des connaissances scientifiques pertinentes via différents réseaux de partage, ainsi que sur la formalisation de mécanismes pouvant faciliter l’accessibilité de ces connaissances. Encore aujourd’hui, plusieurs auteurs établissent un lien direct entre la présence de mécanismes d’échange hautement formalisés entre chercheurs et praticiens et la capacité des milieux de pratique à accéder aux connaissances issues des recherches (Cherney et al., 2012 ; Palinkas et al., 2009 ; Smith et al., 2013 ; van der Arend, 2014). Les recherches soutiennent également que les chercheurs ayant accès à ces mécanismes seraient amenés à faire davantage d’effort pour rendre accessibles les connaissances qu’ils produisent puisque ces efforts seraient moins coûteux en termes de temps et de ressources (Chagnon et al., 2010 ; Cherney et al., 2012 ; Kramer et Wells, 2005 ; Landry et al. 2001).

Proposition 1. La dimension structurelle des relations recherche-pratique s’opérationnalise par la présence de mécanismes formalisés permettant les échanges entre les chercheurs et les partenaires de la pratique. La présence de ces mécanismes soutient les efforts pour rendre disponibles et accéder aux connaissances issues des recherches en sciences humaines et sociales, ce qui en favorise l’utilisation par les milieux de pratique.

La dimension relationnelle des relations recherche-pratique

Une deuxième dimension, la dimension relationnelle, est également nommée dans la théorie du capital social afin de rendre compte de la qualité des relations entre différents acteurs appelés à collaborer pour l’atteinte d’un objectif commun (Alder et Kwon, 2002 ; Chui et al., 2006 ; Huysman et Wulf, 2006 ; Robert et al., 2008). À ce niveau, la notion d’actifs relationnels, originalement proposée par Landry et ses collaborateurs (Landry et al., 2000), rejoint parfaitement ce concept de « qualité des relations ». Selon ces auteurs, les actifs relationnels rendent compte des liens de confiance, de respect mutuel et de proximité existant entre les acteurs appelés à produire des connaissances scientifiques et les acteurs appelés à utiliser ces connaissances dans leur pratique (Landry et al., 2000). La qualité des relations recherche-pratique (ou actif relationnel) est d’ailleurs relevée dans une multitude d’études comme une dimension centrale qui caractérise les relations recherche-pratique (Brown et al., 2003 ; Kramer et Wells, 2005 ; Palinkas et al., 2009 ; Smith et al., 2013 ; van der Arend, 2014).

Par-delà l’effort de formaliser la dimension relationnelle des relations recherche-pratique, certains auteurs ont également tenté d’expliquer son lien avec l’utilisation des connaissances scientifiques issues des recherches en sciences humaines et sociales. À ce niveau, l’hypothèse selon laquelle la qualité des relations aurait une influence sur la réceptivité envers les connaissances qui sont rendues disponibles est la plus largement répandue au sein de la littérature (Chagnon et al., 2008 ; Cousins et Leithwood, 1993 ; Huberman, 1990 ; Mohrman et Shani, 2008 ; Kramer et Wells, 2005 ; Landry et al., 2000 ; Palinkas et al., 2009). Cette hypothèse repose sur l’a priori que la crédibilité perçue des connaissances rendues disponibles soit dépendante de la qualité des relations entre ceux qui produisent ces connaissances et ceux appelés à les utiliser. Par conséquent, les praticiens ayant une bonne relation avec les chercheurs feraient davantage confiance en la pertinence et la validité des connaissances rendues disponibles par ceux-ci, ce qui en favoriserait l’utilisation.

Proposition 2. La dimension relationnelle des relations recherche-pratique s’opérationnalise par la présence d’états affectifs positifs, tels que la confiance, la proximité relationnelle et le respect réciproque, entre les chercheurs et les milieux de pratique. Ces états affectifs augmenteront la crédibilité perçue des connaissances issues des recherches en sciences humaines et sociales et, par conséquent, leur utilisation par les milieux de pratique.

La dimension cognitive des relations recherche-pratique

Une troisième dimension est proposée dans la théorie du capital social, soit la dimension cognitive (Alder et Kwon, 2002 ; Nahapiet et Ghoshal, 1998). Appliquée à l’étude des relations recherche-pratique, la dimension cognitive fait référence à l’existence de cadres de références partagés entre les acteurs appelés à produire des connaissances scientifiques et ceux qui utiliseront ces connaissances. L’importance de s’attarder à la dimension cognitive des relations semble cruciale : les cadres de référence servent de balises à travers lesquelles l’applicabilité des connaissances rendues disponibles est analysée « Frames of reference, as we use the term, refers to the dimensions of research that are salient to persons in assessing a study, in effect their criteria for accepting or rejecting the results of the research. » (Weiss et Bucuvalas, 1980, p. 302). Plusieurs recherches montrent que l’utilisation des connaissances issues des recherches en sciences humaines et sociales serait fortement augmentée lorsque celles-ci sont considérées comme applicables dans le contexte de pratique quotidien (Bédard et Ouimet, 2012 ; Belkhodja et al., 2007 ; Dagenais et al., 2012 ; Kramer et Wells, 2005 ; Trocmé et al., 2014). Les partenaires de la pratique doivent, ainsi, être en mesure de saisir le sens des nouvelles connaissances issues des recherches, mais également de comprendre la façon dont ils peuvent changer leurs pratiques en fonction de ces nouvelles connaissances rendues disponibles.

Telle que définie dans les études, la dimension cognitive représente le degré avec lequel les chercheurs et les partenaires des milieux de pratique partagent une même vision des processus de recherche, ainsi qu’une définition commune des termes employés lors du processus de recherche (Cherney et al., 2012 ; Mohrman et Shani, 2008 ; Palinkas et al., 2009 ; Smith et al., 2013). Par exemple, l’étude de Palinkas et ses collègues (2009) soutient que la clarification de certains termes scientifiques favoriserait une compréhension du sens des connaissances scientifiques qui sont produites, ainsi que de la façon dont ces connaissances peuvent être appliquées dans les pratiques. En d’autres mots, l’existence de cadres de références partagés entre chercheurs et milieux de pratique augmenterait la compréhension et l’applicabilité des connaissances issues des recherches et rendues disponibles par les chercheurs, et par le fait même, leur utilisation par les milieux de pratique (Mohrman et Shani, 2008 ; Palinkas et al., 2009 ; Smith et al., 2013).

Proposition 3. La dimension cognitive des relations recherche-pratique s’opérationnalise par la présence de cadres de références partagés entre les chercheurs et les milieux de pratique. La présence de cadres de références partagés soutient la capacité des milieux de pratique à comprendre l’applicabilité des connaissances issues des recherches en sciences humaines et sociales, ce qui favorisera leur utilisation.

Discussion

Le présent article représente une première tentative d’opérationnaliser le concept de relations recherche-pratique selon trois grandes dimensions. Il vise également à poser des hypothèses sur la façon dont chacune de ces dimensions influence l’utilisation des connaissances issues des recherches en sciences humaines et sociales. Une première dimension « structurelle » des relations recherche-pratique faciliterait l’accès aux connaissances issues des recherches. Une seconde dimension « relationnelle » augmenterait la motivation des chercheurs à adapter et rendre disponible les connaissances qu’ils produisent, ainsi que la motivation des milieux de pratique à utiliser ces connaissances. Finalement, une troisième dimension « cognitive » favoriserait la capacité des chercheurs à comprendre les besoins des milieux de pratique en matière de connaissances à produire, ainsi que la capacité des milieux de pratique à comprendre la pertinence des connaissances produites pour leur pratique. Ces propositions présentent un premier pas pour aider les chercheurs et milieux de pratique à se doter de stratégies afin d’optimiser ces relations, et par le fait même l’utilisation des connaissances issues des recherches en sciences humaines et sociales.

Le présent article démontre, également, l’importance de s’attarder aux dimensions relationnelles et cognitives des relations recherche-pratique qui influencent la crédibilité et l’applicabilité des connaissances issues des recherches par les milieux de pratique. Ceci est d’autant plus vrai dans le domaine des sciences humaines et sociales, où la notion de « connaissances » est généralement conceptualisée comme un construit social qu’il faut toujours mettre en relation avec un contexte particulier, c’est-à-dire avec les valeurs et les structures qui sont déjà existantes et légitimes dans un milieu donné (Bechhofer et al., 2001 ; Morton, 2015 ; Trocmé et al., 2014). Ce constat est important considérant l’emphase mise, encore aujourd’hui, sur la dimension structurelle des relations recherche-pratique. Ancrée dans un contexte dominé par la théorie de la diffusion — ou simplement par la simplicité de l’opérationnaliser — la dimension structurelle des relations recherche-pratique est de loin la plus étudiée par les auteurs. Si bien que des indicateurs relevant de la dimension structurelle, soit la fréquence des échanges entre chercheurs et partenaires de la pratique ou encore la présence de mécanismes d’échange formalisés, sont souvent les seuls utilisés afin d’opérationnaliser le concept de relations recherche-pratique (p. ex. Bédard et Ouimet, 2012 ; Belkhodja et al., 2007 ; Lysenko et al., 2014).

Les propositions de cet article sont, selon nous, d’autant plus valides qu’elles s’appuient à la fois sur une recension de littérature, mais également sur une solide assise théorique, soit l’assise théorique du capital social. Certains auteurs issus du domaine de la santé (Estabrooks et al., 2006 ; Oborn et al., 2013) ont déjà reconnu la pertinence de prendre en compte les travaux sur le capital social dans la compréhension des relations recherche-pratique. Notons cependant que la théorie du capital social n’avait jamais été appliquée, à notre connaissance, spécifiquement à l’étude des relations recherche-pratique dans le domaine des sciences humaines et sociales. L’article démontre la pertinence de cette théorie afin d’illustrer trois dimensions des relations recherche-pratique et leur influence possible sur l’utilisation des connaissances issues des recherches en sciences humaines et sociales.

Le choix du capital social comme assise théorique pour l’étude du concept de relations recherche-pratique dans cet article n’est, d’ailleurs, pas anodin. À ce niveau, les auteurs ayant travaillé avec la théorie du capital social positionnent clairement l’idée que les interactions passées et la pérennité des interactions entre acteurs sont garantes d’un plus grand capital social (Mäkelä et Brewster, 2009 ; Nahapiet et Ghoshal, 1998 ; Robert et al., 2008). En accord avec la littérature sur le capital social, la notion d’actif relationnel (Landry et al., 2000) fait également ressortir l’importance de la consolidation des relations recherche-pratique à travers le temps. La consolidation des relations réfère au lien qui se tisse graduellement entre les acteurs (chercheurs et praticiens) au fil de leurs expériences de collaboration à travers les activités mises en place afin de favoriser la production et l’utilisation des connaissances issues des recherches. À quelques exceptions près (p. ex. Huberman, 1990 ; Kramer et Wells, 2005 ; Palinkas et al., 2009), les relations recherche-pratique ont, cependant, surtout été étudiées sous l’angle des échanges ponctuels pouvant se produire au cours d’un projet particulier. Cet article démontre, ainsi, l’importance que le concept de relations recherche-pratique soit étudié sous l’angle d’une ressource qui se bâtit à travers le temps et suite à des contacts soutenus et répétés entre les acteurs issus du monde de la recherche et de la pratique.

Limites et conclusion

Nous proposons que les éléments étudiés dans la littérature sur le capital social permettent d’identifier les dimensions (structurelle, relationnelle et cognitive) essentielles à l’optimisation des relations recherche-pratique pour favoriser l’utilisation des connaissances issues des recherches en sciences humaines et sociales. Pour ce faire, les avancées qui proviennent de différents champs de recherche ont été combinées afin d’enrichir notre réflexion conceptuelle. L’article démontre, ainsi, l’importance de faire des efforts pour intégrer les avancées théoriques et empiriques provenant de différents champs de recherche plutôt que de vouloir les segmenter. Cette intégration a permis d’élargir la réflexion sur l’opérationnalisation du concept de relation recherche-pratique, par-delà des indicateurs relevant de la dimension structurelle. L’article soulève également l’importance de distinguer conceptuellement les échanges entre chercheurs et partenaires de la pratique pouvant se produire au cours d’un projet de recherche spécifique, des relations recherche-pratique qui se bâtissent à travers le temps et suite à des contacts soutenus entre ces acteurs.

L’article n’avait cependant pas comme objectif de présenter une recension systématique de l’ensemble des écrits portant sur la notion de relations recherche-pratique. Il n’avait pas non plus comme objectif d’identifier des instruments de mesure. À ce niveau, des recensions récemment publiées dressent un portrait d’indicateurs pouvant être employés lors de l’étude des relations recherche-pratique (p. ex. Kothari et al., 2011 ; Reed et al., 2014 ; Sandoval et al., 2012). Il serait intéressant de voir si ces indicateurs peuvent être classifiés en fonction des trois dimensions proposées dans cet article.