L’entrevue

Légitimité, égalité et finalitésQuels projets pour la démocratie participative et l’action communautaire ?[Record]

  • Annabelle Berthiaume

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Entrevue avec Laurence Bherer, professeure agrégée en science politique, Université de Montréal.

Professeure agrégée à l’Université de Montréal en science politique, Laurence Bherer s’intéresse à la participation à la gouvernance publique, la démocratie locale et la relation qui s’instaure entre les citoyens, les élus et l’administration publique dans ces différents dispositifs. Entre autres, ses travaux ont porté sur le « tournant participatif » dans les administrations publiques, mais également au sein de l’entreprise privée et des organismes sans but lucratif. Corolairement à l’émergence de nouveaux outils de participation et à la professionnalisation d’un secteur d’emploi, ce virage en faveur de la démocratie participative diversifie les finalités et les acteurs impliqués, comme nous le présente Madame Bherer dans l’entrevue.

On peut dater l’émergence du projet de démocratie participative au cours des années 1960. Sans dire qu’il n’y avait rien avant, ça a été un moment fort, où il y a eu beaucoup de demandes pour démocratiser les décisions publiques, donner plus de place aux citoyens, mais aussi démocratiser d’autres espaces structurants de la vie quotidienne (par ex. les établissements de santé, le travail, la famille, etc.). Progressivement, cette demande pour plus de participation a eu un certain succès avec la mise en place de dispositifs participatifs dans divers secteurs des politiques publiques. Le projet participatif s’est en quelque sorte normalisé, passant de la sphère militante à la sphère politique. Face à la crise de confiance envers les élus, la démocratie participative était vue comme une bonne façon d’augmenter la légitimité des décisions publiques. Le numéro s’intitule le « tournant participatif », pour souligner le fait que le projet participatif comme discours et comme expérience touche maintenant des secteurs très diversifiés de la société, et ce, dans plusieurs pays. Au Québec, les expériences de démocratie participative ont été mises en place dès les années 1960 en aménagement et en loisirs, mais depuis les années 2000, il y a une accélération de ces dispositifs qui s’observent notamment avec l’augmentation des services participatifs offerts par des professionnels de la participation qui sont des personnes engagées pour leur expertise dans l’élaboration, la mise en place et la facilitation des espaces participatifs. De plus, contrairement à une image reçue, les autorités publiques ne sont pas les seules à commanditer des dispositifs participatifs. Il y a plein d’autres acteurs qui ont recours à ces pratiques aujourd’hui, que ce soit, par exemple, les entreprises privées qui vont adopter des pratiques participatives pour aller sonder les citoyens sur le développement de leur projet, les syndicats ou les OSBL qui essaient de nouvelles manières de mobiliser leurs membres, etc. Cette explosion crée une forte différenciation entre les projets de démocratie participative. On ne peut plus l’analyser comme un seul projet ; il y en a plusieurs. La question de l’égalité politique qui était très présente dans la demande des années 1960 s’est estompée pour donner place à d’autres motivations (légitimité politique, acceptabilité sociale, intelligence citoyenne, etc.). Dans notre recherche sur les professionnels de la participation publique, avec notre équipe (composée aussi de Mario Gauthier de l’UQO et de Louis Simard de l’Université d’Ottawa), nous avons utilisé une approche compréhensive basée sur l’interprétation qu’ont les professionnels du champ de la participation au Québec. On en avait un peu marre de toutes les classifications qui existent et qui, d’après nous, ne correspondent pas toujours à la réalité. Il y a toutes sortes de classifications, parfois très aidantes, mais souvent, elles créent un effet de hiérarchisation entre les pratiques. Par exemple, pour les théoriciens de la démocratie délibérative, la délibération est mieux que tout le reste. Sauf que, dans la « vraie vie », le champ de la participation n’est pas segmenté de cette façon, particulièrement ici au Québec, où la délibération n’est pas si présente que ça. Donc, évidemment, toute cette littérature nous abreuve, mais nous avons plutôt utilisé les critères que mettaient de l’avant les personnes rencontrées. Par ailleurs, nous nous sommes rendu compte de l’importance de prendre en compte le contexte dans lequel s’insèrent les dispositifs participatifs (petits ou grands projets, controversés ou non, discussions publiques ou non, etc.), puisqu’il a pour effet de ne pas mener aux mêmes logiques d’action et aux mêmes projets participatifs. Si un enjeu est très saillant politiquement, la manière d’envisager la démocratie participative est très différente des espaces participatifs mis en place …

Appendices