Avant-propos[Record]

  • Louis Gaudreau

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  • Louis Gaudreau
    École de travail social, Université du Québec à Montréal
    Co-directeur de Nouvelles pratiques sociales

En plus d’avoir révélé au grand jour les failles importantes du système de protection sociale – que plusieurs avaient déjà constatées depuis un certain temps –, la dernière année de pandémie a été l’occasion de relancer les discussions sur les fonctions de l’État-providence et sur le type de soutien qu’il devrait apporter aux individus. Le débat a notamment été ravivé par la création par le Gouvernement fédéral de la Prestation canadienne d’urgence (PCU) offerte à toutes les personnes ayant perdu leur emploi en raison de la pandémie et ayant préalablement cumulé un minimum de revenus d’emploi. Saluée par ceux et celles qui voyaient en elle un indispensable dispositif de solidarité sociale ou encore un moyen de maintenir la consommation des ménages essentielle à la croissance du capitalisme, cette mesure a aussi été vivement critiquée, particulièrement par le milieu des affaires, les représentants patronaux et même par le Gouvernement du Québec. Leur opposition tenait au caractère relativement inconditionnel de la PCU (il fallait quand avoir travaillé pour y être éligible) et au fait qu’elle offrait une indemnité supérieure à la rémunération habituelle des emplois précaires particulièrement touchés par la pandémie. On craignait que, une fois la crise terminée, ce programme n’incite les travailleur.se.s à lever le nez sur leur emploi mal payé d’autrefois et à se montrer plus exigeant.e.s, risquant ainsi de nuire à la relance économique. Dans ce contexte exceptionnel, personne ne s’opposait véritablement à ce que l’État vienne en aide aux chômeur.se.s, mais plusieurs affichaient une nette préférence pour une autre mesure, la subvention salariale qui, contrairement à la PCU, était versée directement aux employeurs et ne pouvait être perçue que par les travailleur.se.s ayant maintenu leur lien d’emploi. La controverse au sujet de la PCU n’est que la version la plus récente d’un débat plus ancien concernant la finalité des mesures de protection sociale. S’il est relativement admis qu’elles ont pour vocation d’offrir une réponse collective aux aléas et aux risques inhérents à l’économie de marché, le type de protection et surtout le degré d’autonomie qu’elles devraient procurer à l’égard de cette dernière sont loin de faire consensus. Bien plus qu’une simple question de niveau de couverture et de coûts, la protection sociale fait depuis longtemps l’objet d’une opposition entre les tenants d’une conception universelle et démarchandisée du soutien à apporter aux individus et ceux d’une aide conditionnelle au maintien de leur subordination au capitalisme et à son marché du travail. C’est ainsi deux finalités distinctes de la protection sociale qui entrent en conflit. Pour les uns, il s’agirait d’un vecteur d’émancipation et, pour les autres, d’un outil de contrôle social. Cette question se retrouve en filigrane du dossier que nous publions dans ce numéro. Préparé sous la direction de Catherine Chesnay, de Véronique Fortin et d’Elisabeth Greissler, le dossier intitulé Les transformations de la protection sociale : un regard critique sur les tendances récentes analyse sous divers angles la fonction et l’évolution des mesures de protection sociale. Il se penche dans un premier temps sur les changements qui s’y sont opérés au cours des dernières décennies, plus spécialement au Québec, en France et au Chili, où l’on constate un virage dans les politiques publiques en faveur des principes du workfare, de l’activation sociale et de la fiscalisation de l’aide publique, c’est-à-dire d’un meilleur arrimage entre les mesures de protection et les besoins du marché du travail. Les articles montrent que ce virage a pris appui idéologiquement sur la résurgence d’un discours faisant l’éloge des « pauvres méritants » et, juridiquement, sur une répression accrue des prestataires considérés comme déviants ou, justement, comme des non-méritants. Le dossier documente …